L'AURORE DE LA CIVILISATION
VOICI le commencement du récit du long, très long combat de l'espèce
humaine allant de l'avant, partant d'un statut un peu meilleur qu'une
existence animale, et passant par les âges intermédiaires pour arriver aux
temps plus récents où une civilisation réelle, bien qu'imparfaite, s'est
développée parmi les races supérieures de l'humanité.
La civilisation est une acquisition; elle n'est pas biologiquement
inhérente à la race; c'est pourquoi tous les enfants doivent être élevés
dans une ambiance de culture et chaque génération successive doit recevoir
à nouveau son éducation. Les qualités supérieures de la civilisation --
scientifiques, philosophiques, et religieuses -- ne se transmettent pas
d'une génération à l'autre par héritage direct. Ces réalisations
culturelles ne sont préservées que par la protection éclairée du
patrimoine social.
L'évolution sociale d'ordre coopératif fut inaugurée par les
instructeurs de Dalamatia. Pendant trois cent mille ans, l'humanité fut
élevée dans l'idée qu'il fallait agir collectivement. Les hommes bleus
profitèrent plus que tous les autres de ces enseignements sociaux
primitifs; les hommes rouges en profitèrent dans une certaine mesure, et
les hommes noirs moins que tous les autres. A des époques plus récentes,
les races jaune et blanche ont présenté le développement social le plus
avancé d'Urantia.
1. -- LA PROTECTION PAR LA SOCIÉTÉ
Quand les hommes sont amenés à se rapprocher étroitement, ils
apprennent souvent à s'aimer mutuellement, mais les hommes primitifs ne
débordaient pas naturellement de sentiments fraternels ni du désir de
contacts sociaux avec leurs semblables. C'est plutôt par de tristes
expériences que les races primitives apprirent que « l'union fait la force
»; et c'est ce manque d'attirance fraternelle naturelle qui fait
actuellement obstacle à une réalisation immédiate de la fraternité des
hommes sur Urantia.
De bonne heure, l'association devint le prix de la survie. L'homme
isolé était impuissant s'il ne portait pas une marque tribale témoignant
de son appartenance à un groupe qui se vengerait certainement de toute
attaque contre lui. Même à l'époque de Caïn, il était funeste d'aller seul
au loin sans porter la marque de quelque groupe. La civilisation est
devenue l'assurance de l'homme contre une mort violente, et ses primes
sont payées par la soumission aux nombreuses exigences légales de la
société.
La société primitive fut ainsi fondée sur les nécessités réciproques et
sur l'accroissement de sécurité dû aux associations. C'est sous l'empire
de la peur de l'isolement et grâce à une coopération donnée à contrecoeur
que la société humaine a évolué pendant des cycles millénaires.
Les hommes primitifs apprirent de bonne heure que les groupes sont
beaucoup plus grands et plus forts que la simple somme des individus qui
les composent. Cent hommes unis et travaillant à l'unisson peuvent
déplacer un gros bloc de pierre; une vingtaine de gardiens de la paix bien
entraînés peuvent contenir une foule en colère. C'est ainsi que naquit la
société, non d'une simple association numérique, mais plutôt grâce à l'organisation
de coopérateurs intelligents. La coopération n'est pas une caractéristique
naturelle de l'homme; celui-ci apprend à coopérer d'abord par peur, et
plus tard parce qu'il découvre que c'est très avantageux pour faire face
aux difficultés du temps présent et pour se protéger contre les périls
supposés de l'éternité.
Les peuples qui s'organisèrent ainsi de bonne heure en sociétés
primitives obtinrent de meilleurs résultats dans leurs attaques contre la
nature ainsi que dans leur défense contre leurs semblables. Ils avaient de
plus grandes possibilités de survie. La civilisation a donc constamment
progressé sur Urantia malgré ses nombreux reculs. C'est uniquement parce
que la valeur de survie est accrue par l'association que les nombreuses
bévues des hommes n'ont réussi jusqu'à présent ni à arrêter ni à détruire
la civilisation humaine.
La société culturelle contemporaine est un phénomène plutôt récent.
Cela est bien démontré par la survie, à l'heure actuelle, de conditions
sociales aussi primitives que celles des aborigènes australiens, et des
Boschimans et Pygmées d'Afrique. Chez ces peuplades arriérées, on peut
encore observer quelque peu l'hostilité tribale, la suspicion personnelle,
et d'autres traits hautement anti-sociaux si caractéristiques de toutes
les races primitives. Ces misérables restes des peuples a-sociaux de jadis
témoignent éloquemment du fait que la tendance individualiste naturelle de
l'homme ne peut lutter avec succès contre les organisations et
associations de progrès social plus efficaces et plus puissantes.
Ces races non sociales arriérées et soupçonneuses, dont les dialectes
changent tous les soixante ou quatre-vingts kilomètres, montrent dans quel
monde vous auriez risqué de vivre s'il n'y avait pas eu les enseignements
de l'état-major corporel du Prince Planétaire et les apports ultérieurs du
groupe adamique des élévateurs raciaux.
L'expression moderne « retour à la nature » est une illusion de
l'ignorance, une croyance à la réalité d'un ancien « âge d'or » fictif. La
légende de l'âge d'or a pour seule base historique l'existence de
Dalamatia et d'Eden, mais ces sociétés améliorées étaient loin de réaliser
les rêves utopiques.
2. -- LES FACTEURS DE PROGRÈS SOCIAL
La société civilisée résulte des efforts initiaux des hommes pour
surmonter leur aversion de l'isolement, ce qui n'implique pas
nécessairement une affection mutuelle. L'état turbulent actuel de certains
groupes primitifs illustre bien les difficultés que traversèrent les
premières tribus. Bien que les membres d'une civilisation puissent se
heurter et se combattre, et bien que la civilisation elle-même puisse
apparaître comme un ensemble incohérent de tentatives et de luttes, elle
n'en démontre pas moins un effort soutenu, et non la monotonie mortelle de
la stagnation.
Le niveau de l'intelligence a puissamment contribué au rythme de la
progression culturelle, mais la société a essentiellement pour but de
diminuer l'élément risque dans le mode de vie individuel. Elle progresse à
l'allure même où elle réussit à diminuer la souffrance et à augmenter
l'élément plaisir dans la vie. C'est ainsi que le corps social tout entier
avance lentement vers le but de sa destinée -- la survie ou la disparition
-- selon qu'il recherche sa préservation ou son plaisir égoïste. Le
conservatisme fait naître la société, tandis que l'excès des jouissances
détruit la civilisation.
Une société s'occupe de se perpétuer, de se conserver, et de se
satisfaire, mais l'épanouissement de l'homme est digne de devenir
l'objectif immédiat de beaucoup de groupes culturels.
L'instinct grégaire naturel à l'homme ne suffit pas à expliquer le
développement d'organisations sociales semblables à celles qui existent
actuellement sur Urantia. Bien que cette propension innée soit à la base
de la société humaine, une grande part de la sociabilité de l'homme est un
acquêt. Deux grandes influences qui contribuèrent aux associations
primitives d'êtres humains furent la faim et l'amour sexuel, besoins
instinctifs que les hommes partagent avec le monde animal. Deux autres
sentiments ont rapproché les êtres humains et les ont maintenus
rapprochés, la vanité et la peur.
L'histoire n'est que le compte-rendu de la lutte millénaire des hommes
pour leur nourriture. L'homme primitif ne pensait que lorsqu'il avait
faim; économiser de la nourriture fut son premier renoncement, son
premier acte de discipline personnelle. Avec le développement de la
société, la faim cessa d'être le seul motif d'association. De nombreuses
autres sortes de faims, le désir d'assouvir des besoins divers,
conduisirent l'humanité à s'associer plus étroitement. Mais la société
d'aujourd'hui est surchargée par la croissance excessive de prétendus
besoins humains. La civilisation occidentale du XXième siècle piétine et
gémit sous l'énorme poids mort du luxe et la multiplication désordonnée
des envies et des désirs humains. La société moderne subit la tension
d'une phase fort dangereuse d'inter-association à grande échelle et
d'interdépendance hautement complexe.
La pression sociale de la faim, de la vanité, et de la peur des
fantômes fut continue, mais celle de la satisfaction sexuelle fut
temporaire et sporadique. A lui seul, le désir sexuel ne contraignait pas
les hommes et les femmes primitifs à assumer les lourdes charges de
l'entretien d'un foyer. Le foyer primitif fut fondé sur l'effervescence
sexuelle du mâle privé de satisfactions fréquentes, et sur le profond
amour maternel de la femme, amour qu'elle partage dans une certaine mesure
avec les femelles de tous les animaux supérieurs. La présence d'un enfant
sans défense détermina la première différenciation entre les activités
masculines et féminines; la femme dut entretenir une résidence fixe où
elle pouvait cultiver le sol. Depuis les temps les plus reculés, l'endroit
où se tient la femme a toujours été considéré comme le foyer.
La femme devint donc de bonne heure indispensable à l'évolution du plan
social, moins à cause d'une éphémère passion sexuelle que par suite du
besoin de nourriture; elle était une partenaire essentielle à la
conservation de soi. Elle était un fournisseur de nourriture, une bête de
somme, et une compagne capable de supporter de grands abus sans
ressentiment violent; en plus de tous ces traits désirables, elle était un
moyen toujours présent de satisfaction sexuelle.
Presque toutes les valeurs durables de la civilisation ont leurs
racines dans la famille. La famille fut le premier groupement pacifique
couronné de succès, car l'homme et la femme apprirent à concilier leurs
antagonismes tout en enseignant la recherche de la paix à leurs enfants.
La fonction du mariage dans l'évolution est d'assurer la survie de la
race, et non simplement de réaliser un bonheur personnel. Les vrais
objectifs du foyer consistent à se préserver et à se perpétuer. La
satisfaction égoïste est accessoire; elle n'est essentielle que comme
stimulant assurant l'association sexuelle. La nature exige la survivance,
mais les arts de la civilisation ne cessent d'accroître les plaisirs du
mariage et les satisfactions de la vie familiale.
Si nous élargissons la notion de vanité pour y faire entrer l'orgueil,
l'ambition, et l'honneur, nous pouvons alors discerner non seulement
comment ces propensions contribuent à former des associations humaines,
mais aussi comment elles maintiennent les hommes réunis, puisque ces
sentiments seraient vains sans un public à impressionner. À la vanité
s'adjoignirent bientôt d'autres sentiments et d'autres impulsions
nécessitant un cadre social pour s'exhiber et s'assouvir. Ce groupe de
sentiments donna naissance aux premières manifestations de tous les arts
et cérémonies et de toutes les formes de compétitions et de jeux sportifs.
La vanité contribua puissamment à la naissance de la société, mais au
moment où ces révélations sont faites, les efforts tortueux d'une
génération vaniteuse menacent d'inonder et de submerger toute la structure
complexe d'une civilisation hautement spécialisée. Le besoin de plaisirs a
depuis longtemps supplanté la faim; les objectifs sociaux légitimes de l'auto-préservation
se transforment rapidement en formes viles et menaçantes de satisfactions
égoïstes. L'instinct de conservation édifie la société; le déchaînement
des satisfactions détruit infailliblement la civilisation.
3. -- L'INFLUENCE SOCIALE DE LA PEUR DES FANTOMES
Les désirs primitifs produisirent la société originelle, mais la peur
des fantômes assura sa cohésion et imprima à son existence un aspect
extra-humain. La peur ordinaire avait une origine physiologique: la peur
de la douleur physique, la faim inassouvie, ou quelque calamité terrestre;
mais la peur des fantômes fut une sorte de terreur nouvelle et sublime.
Le plus important facteur individuel dans l'évolution de la société
humaine fut probablement de rêver des fantômes. Bien que la plupart des
rêves eussent troublé profondément la pensée primitive, les fantômes
apparus en rêve terrorisèrent littéralement les premiers hommes et
amenèrent les rêveurs superstitieux à se jeter dans les bras les uns des
autres avec une volonté sincère d'association pour se protéger
mutuellement contre les dangers invisibles, vagues, et imaginaires du
monde des esprits. Rêver des fantômes fut une des différences qui apparut
le plus tôt entre la pensée humaine et la pensée animale. Les animaux
n'imaginent pas la survie après la mort.
À part le facteur des fantômes, toute la société fut fondée sur des
instincts biologiques et des besoins fondamentaux. Mais la peur des
fantômes introduisit dans la civilisation un nouveau facteur, une peur qui
s'écarte et va au delà des besoins élémentaires de l'individu, et s'élève
même bien au-dessus des luttes pour préserver les collectivités. La
crainte des esprits des trépassés mit en lumière une nouvelle et étonnante
forme de peur, une terreur effroyable et puissante, qui donna un coup de
fouet aux ordres sociaux relâchés des premiers âges et provoqua la
formation des groupes primitifs, plus sérieusement disciplinés et mieux
contrôlés, de l'antiquité. Par la peur superstitieuse de l'irréel et du
surnaturel, cette superstition insensée, qui subsiste encore en partie,
prépara la pensée des hommes à une découverte ultérieure, celle de « la
crainte du Seigneur qui est le commencement de la sagesse » (1) . Les
peurs sans fondement dues à l'évolution sont destinées à être supplantées
par le respect craintif de la Déité inspiré par la révélation. Le culte
primitif de la peur des fantômes devint un lien social puissant et, depuis
ce jour bien lointain, l'humanité s'est toujours plus ou moins efforcée
d'atteindre la spiritualité.
La faim et l'amour rapprochèrent les hommes; la vanité et la peur des
fantômes les gardèrent unis; mais ces seuls sentiments, sous l'influence
des révélations pacificatrices, sont incapables de supporter les tensions
provoquées par les suspicions et les irritations des associations
humaines. Sans l'aide des sources supra-humaines, la tension sociale
aboutit à une rupture quand elle atteint certaines limites; les mêmes
influences qui avaient contribué établir la société -- faim, amour,
vanité, et peur -- conspirent alors à plonger l'humanité dans la guerre et
les effusions de sang.
La tendance à la paix de la race humaine n'est pas un don naturel; elle
dérive des enseignements de la religion révélée, de l'expérience accumulée
des races progressives, et plus spécialement des enseignements de Jésus,
le Prince de la Paix.
(1) Job XXVIII-28. Psaume CXI-10.
4. -- L'ÉVOLUTION DES MOEURS
Toutes les institutions sociales modernes proviennent de l'évolution
des coutumes primitives de vos ancêtres sauvages; les conventions
d'aujourd'hui sont les coutumes d'hier élargies et modifiées. L'habitude
est pour l'individu l'homologue de la coutume pour le groupe; les coutumes
des groupes se transforment en usages populaires ou en traditions tribales
-- en conventions de masse. Toutes les institutions de la société humaine
contemporaine ont leur modeste origine dans ces premiers efforts.
Il faut se rappeler que les moeurs prirent naissance dans un effort
pour adapter la vie des groupes aux conditions d'existence en masse; les
moeurs furent la première institution sociale de l'homme. Toutes ces
réactions tribales résultèrent de l'effort accompli pour éviter la douleur
et l'humiliation tout en cherchant à jouir des plaisirs et du pouvoir.
L'origine des usages populaires, à l'instar de celle des langages, est
toujours inconsciente et non-intentionnelle, donc toujours enveloppée de
mystère.
La peur des fantômes conduisit l'homme primitif à envisager le
surnaturel; elle établit ainsi des bases solides pour les puissantes
influences sociales de la morale et de la religion, qui à leur tour
préservèrent intactes de génération en génération les moeurs et coutumes
de la société. Les moeurs se trouvèrent de bonne heure établies et
cristallisées par la croyance que les trépassés tenaient jalousement à la
manière dont ils avaient vécu et dont ils étaient morts. On croyait donc
qu'ils puniraient implacablement les personnes osant traiter avec une
négligence dédaigneuse les règles de vie qu'ils avaient respectées pendant
leur incarnation. Cette doctrine est parfaitement illustrée par le respect
que la race jaune porte actuellement à ses ancêtres. Les religions
primitives qui apparurent plus tard renforcèrent puissamment l'action de
la peur des fantômes en stabilisant les moeurs, mais le développement de
la civilisation a progressivement libéré l'humanité des liens de la peur
et de l'esclavage de la superstition.
Avant la libération apportée par l'enseignement libéral des maîtres de
Dalamatia, l'homme était la victime impuissante du rituel des moeurs; le
sauvage primitif était prisonnier d'un cérémonial sans fin. Tout ce qu'il
faisait depuis son réveil matinal jusqu'au moment où il s'endormait le
soir dans sa caverne devait être accompli exactement d'une certaine façon,
conformément aux usages populaires de sa tribu. Il était esclave de la
tyrannie des moeurs; sa vie ne comportait rien de libre, de spontané, ni
d'original. Aucun progrès naturel ne le menait vers une existence mentale,
morale, ou sociale supérieure.
Les hommes primitifs étaient enserrés dans l'étau de la coutume; le
sauvage était un véritable esclave des usages; mais de temps à autre
apparurent des types variants de personnalités qui osèrent inaugurer de
nouvelles manières de penser et des méthodes de vie améliorées. Néanmoins,
l'inertie de l'homme primitif constitue le frein de sécurité biologique
contre la précipitation consistant à se lancer trop soudainement dans les
dérèglements désastreux accompagnant une civilisation qui progresse trop
vite.
Toutefois, ces coutumes ne sont pas un mal sans contrepartie; leur
évolution devrait se poursuivre. Il est presque toujours fatal pour le
maintien de la civilisation de vouloir les modifier globalement par une
révolution radicale. La coutume est le fil de continuité de la
civilisation. La voie de l'histoire humaine est jonchée de vestiges de
coutumes abandonnées et de pratiques sociales surannées; mais nulle
civilisation n'a survécu en abandonnant ses moeurs, à moins d'avoir adopté
des coutumes meilleures et mieux appropriées.
La survie d'une société dépend principalement de l'évolution
progressive de ses moeurs. Le processus d'évolution des coutumes est fondé
sur le désir d'expérimenter. Des idées nouvelles sont mises en avant -- la
concurrence s'ensuit. Une civilisation progressive embrasse les idées
avancées et elle dure; le temps et les circonstances choisissent en
dernier ressort le groupe le plus apte à survivre. Cela ne signifie pas
que chaque changement distinct et isolé dans la composition de la société
humaine ait été un gain. Non! certes non! car il y eut maints et maints
reculs dans la longue lutte de la civilisation d'Urantia vers le progrès.
5. -- LES TECHNIQUES DU SOL -- LES ARTS D'ENTRETIEN
La terre est le théâtre de la société; les hommes en sont les acteur.
L'homme doit toujours adapter son jeu pour se conformer à la situation de
la terre. L'évolution des moeurs dépend toujours de la densité de la
population. Ceci est vrai, bien qu'il soit difficile de le discerner. Les
techniques des hommes pour traiter le sol, ou arts d'entretien, ajoutées à
leur niveau de vie, forment le total des usages populaires constituant les
moeurs. Et la somme des adaptations humaines aux exigences de la vie
correspond à sa civilisation agricole.
Les premières cultures de l'homme apparurent le long des fleuves de
l'hémisphère oriental; d'autre part, il y eut quatre grandes étapes dans
la marche en avant de la civilisation:
1. Le stade de la cueillette. La contrainte
alimentaire, la faim, conduisit à la première forme D'organisation
industrielle, les chaînes primitives de cueillette de la nourriture. La
ligne des marcheurs de la faim parcourant un pays en glanant la nourriture
s'étendait parfois sur quinze kilomètres. Ce fut le stade primitif de
culture nomade et c'est le mode de vie actuel des Boschimans d'Afrique.
2. Le stade de la chasse. L'invention des
armes-outils permit aux hommes de devenir des chasseurs et de se libérer
ainsi en grande partie de l'esclavage de la nourriture. Un Andonite
réfléchi qui s'était sérieusement meurtre le poing dans un combat violent
redécouvrit l'idée d'utiliser, au lieu de son bras, un long bâton à
l'extrémité duquel il avait attaché avec des tendons un morceau de silex
dur pour remplacer le poing. De nombreuses tribus firent, chacune de leur
côté, des découvertes de ce genre, et les diverses formes de marteaux
représentèrent l'un des grands pas en avant de la civilisation humaine.
Certains indigènes australiens n'ont guère dépassé ce stade à l'heure
actuelle.
Les hommes bleus devinrent des chasseurs et des trappeurs experts. En
barrant les rivières, ils prenaient de grandes quantités de poissons dont
ils séchaient le surplus en prévision de l'hiver. De nombreuses formes de
pièges et de traquenards ingénieux furent employées pour attraper le
gibier, mais les races les plus primitives ne chassaient pas les animaux
de grande taille.
3. Le stade pastoral. Cette phase de la
civilisation fut rendue possible par la domestication des animaux. Les
Arabes et les indigènes d'Afrique figurent parmi les peuples pastoraux les
plus récents.
La vie pastorale apporta une atténuation supplémentaire à l'esclavage
alimentaire. L'homme apprit à vivre sur l'intérêt de son capital, sur le
croît de son troupeau. Il eut ainsi plus de loisirs pour faire des progrès
et se cultiver.
La société pré-pastorale avait été une société de coopération sexuelle,
mais l'extension de l'élevage plongea la femme dans un abîme d'esclavage
social. Aux époques primitives, l'homme avait la charge d'assurer la
nourriture animale tandis que la femme devait fournir les légumes
comestibles. La dignité du statut féminin s'abaissa donc considérablement
dès que l'homme entra dans l'ère pastorale de son existence. La femme dut
encore travailler pour produire les aliments végétaux nécessaires à la
vie, alors que l'homme n'eut plus qu'à recourir à son troupeau pour
fournir de la nourriture animale en abondance. L'homme devint ainsi
relativement indépendant de la femme, et le statut de la femme déclina
régulièrement pendant tout l'âge pastoral. Vers la fin de cette période,
la femme n'était guère plus qu'un animal humain, réduit à travailler et à
porter la descendance de l'homme, tout comme les animaux des troupeaux sur
qui l'on comptait pour travailler et mettre bas leurs petits. Les hommes
de l'âge pastoral portaient un grand amour à leurs troupeaux; il est
d'autant plus regrettable qu'ils n'aient pu développer une affection plus
profonde pour leurs femmes.
4. Le stade agricole. Cette ère fut inaugurée par
la culture des plantes, qui représente le type le plus élevé de
civilisation matérielle. Caligastia et Adam s'efforcèrent d'enseigner
l'horticulture et l'agriculture. Adam et Eve furent des jardiniers et non
des pasteurs, car à cette époque le jardinage était une forme avancée de
culture. La culture des plantes exerce une influence ennoblissante sur
toutes les races de l'humanité.
L'agriculture fit plus que quadrupler la densité de population du
monde. Elle peut se combiner avec les occupations pastorales du stade
agricole précédent. Quand les trois stades chevauchent, l'homme chasse et
la femme cultive le sol.
Il y a toujours eu des frictions entre les bergers et les laboureurs.
Le chasseur et le pasteur sont militants et belliqueux; l'agriculteur est
plus pacifique. L'association avec les animaux suggère la lutte et la
force; l'association avec les plantes instille l'esprit de patience, de
quiétude, et de paix. L'agriculture et l'industrie sont les activités de
la paix. Leur faiblesse commune, en tant qu'activités sociales sur le plan
mondial, est leur monotonie et leur manque d'aventures.
La société humaine a évolué en partant du stade de la chasse et passé
par celui de l'élevage pour atteindre le stade terrien de l'agriculture.
Chaque étape de cette progression de la civilisation fut marquée par une
diminution constante du nomadisme; les hommes se mirent à vivre de plus en
plus à leur foyer.
Maintenant l'industrie s'ajoute à l'agriculture, avec un accroissement
correspondant de l'urbanisation et une multiplication des groupes
non-agricoles parmi les classes de citoyens. Mais une civilisation
industrielle ne peut espérer survivre si ses dirigeants ne se rendent pas
compte que les développements sociaux, même les plus élevés, doivent
toujours reposer sur une base agricole saine.
6. -- L'ÉVOLUTION DE LA CULTURE
L'homme est une créature du sol, un enfant de la nature; quels que
soient ses efforts pour échapper à la terre, il est certain d'échouer en
dernier ressort. « Tu es poussière et tu redeviendras poussière (1) » est
littéralement vrai pour l'humanité tout entière. La lutte fondamentale de
l'homme a été, est, et sera toujours la conquête de la terre. Les
premières associations d'êtres humains primitifs eurent pour seul objectif
de gagner ces batailles pour la terre. La densité de la population est
sous-jacente à toute civilisation sociale.
(1) Genèse III-19.
L'intelligence de l'homme accrut le rendement de la terre grâce aux
arts et aux sciences; en même temps, l'accroissement naturel de sa
descendance fut quelque peu contrôlé, assurant ainsi les moyens
d'existence et les loisirs permettant d'établir une civilisation
culturelle.
La société humaine est commandée par une loi décrétant que la
population doit varier en proportion directe des arts du sol et en
proportion inverse du niveau de vie. Tout au long des âges primitifs,
encore plus qu'à présent, la loi de l'offre et de la demande concernant
l'homme et la terre détermina la valeur estimative de l'un et de l'autre.
Pendant les périodes où les terres libres abondaient -- territoires
inoccupés -- le besoin d'hommes était grand et la valeur de la vie humaine
fortement rehaussée en conséquence; les pertes de vies étaient alors
considérées comme plus horribles. Pendant les périodes de rareté des
terres et de surpeuplement correspondant, la vie humaine représentait
comparativement une moindre valeur, si bien que la guerre, les famines, et
les épidémies étaient alors considérées avec moins d'inquiétude.
Quand le rendement de la terre diminue, ou quand la population
s'accroît, l'inévitable lutte reprend et les pires traits de la nature
humaine remontent à la surface. L'accroissement du rendement de la terre,
l'extension des arts mécaniques, et la réduction de la population tendent
tous à encourager le meilleur côté de la nature humaine.
Une société de défricheurs produit des manoeuvres non qualifiés; les
beaux-arts et le véritable progrès scientifique, ainsi que la culture
spirituelle, ont toujours eu leurs meilleures chances de prospérer dans
les grands centres de vie soutenus par une population agricole et
industrielle un peu moins dense que la moyenne du pays. Les villes
multiplient toujours le pouvoir de leurs habitants, pour le bien comme
pour le mal.
La prolifération des familles a toujours subi l'influence du niveau de
vie. Plus le niveau s'élève, plus le nombre d'enfants décroît, jusqu'au
point où la famille se stabilise ou s'éteint graduellement.
Tout au long des âges, les standards de vie ont déterminé la qualité
d'une population survivante en contraste avec sa seule quantité. Les
niveaux de vie d'une classe localisée donnent naissance à de nouvelles
castes sociales, à de nouvelles moeurs. Quand les niveaux de vie
deviennent trop compliqués ou comportent un luxe excessif, ils tournent
rapidement au suicide. Les castes résultent directement de la forte
pression sociale d'une concurrence due à la densité de la population.
Les races primitives eurent souvent recours à des pratiques
restrictives de la population; toutes les tribus primitives tuaient les
enfants mal venus ou malades. Avant l'époque de l'achat des épouses, on
tuait souvent les petites filles à leur naissance. Les nouveau-nés étaient
parfois étranglés, mais la méthode la plus courante consistait à les
laisser mourir de froid. Un père de jumeaux insistait généralement pour
que l'un des deux soit tué, car on croyait que les naissances multiples
étaient dues à la magie ou à l'infidélité. Pourtant, les jumeaux de même
sexe étaient généralement épargnés. Bien que ces tabous sur les jumeaux
aient été jadis presque universels, ils ne firent jamais partie des moeurs
des Andonites; ces peuples considéraient toujours les jumeaux comme
d'heureux présages.
De nombreuses races apprirent la technique de l'avortement, et cette
pratique devint très courante après l'établissement du tabou sur les
enfants de célibataires. Les jeunes filles eurent longtemps pour coutume
de tuer leur enfant mais, dans les groupes plus civilisés, les enfants
illégitimes devinrent pupilles de leur grand'mère maternelle. De nombreux
clans primitifs furent virtuellement exterminés par les pratiques
conjointes de l'avortement et de l'infanticide. Toutefois, malgré la
tyrannie des moeurs, il était très rare de voir tuer des enfants après
qu'ils eussent pris le sein une seule fois -- l'amour maternel est trop
fort.
Il subsiste encore au vingtième siècle des restes de ces pratiques
primitives de contrôle des naissances. Dans une tribu d'Australie, les
mères refusent d'élever plus de deux ou trois enfants. Il n'y a pas très
longtemps, les membres d'une tribu cannibale mangeaient chaque enfant
cinquième né. À Madagascar, quelques tribus détruisent encore tous les
enfants nés certains jours néfastes, et cette pratique provoque la mort
d'environ vingt-cinq pour cent des nouveau-nés.
Du point de vue mondial, le surpeuplement n'a jamais posé de question
grave dans le passé, mais si les guerres se raréfient et si la science
réussit à maîtriser progressivement les maladies humaines, il peut devenir
un problème sérieux dans un proche avenir. À ce moment-là, la grande
épreuve de sagesse dans la conduite du monde se présentera. Les dirigeants
d'Urantia auront-ils la clairvoyance et le courage de favoriser la
multiplication d'êtres humains moyens et stabilisés, ou de favoriser celle
des groupes extrêmes, d'une part ceux qui dépassent la normale et d'autre
part la masse vertigineusement croissante des êtres inférieurs à la
normale? L'homme normal devrait être encouragé; il est l'épine dorsale de
la civilisation et la source des génies mutants de la race. L'homme
inférieur à la normale devrait être gardé sous le contrôle de la société;
il ne devrait pas en être produit plus qu'il n'en faut pour travailler aux
niveaux inférieurs de l'industrie, aux tâches qui demandent une
intelligence dépassant le niveau animal, mais exigent des activités d'un
niveau tellement inférieur qu'elles deviennent véritablement un esclavage
et un asservissement pour les types supérieurs de l'humanité.
[Présenté par un Melchizédek jadis
stationné sur Urantia.]
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