L'ÉVOLUTION PRIMITIVE DE LA RELIGION
L'ÉVOLUTION de la religion à partir du besoin d'adoration primitif
antérieur ne dépend pas de la révélation. Le fonctionnement normal de la
pensée humaine sous l'influence des sixième et septième adjuvats mentaux
effusés par l'Esprit-Mère de l'univers est amplement suffisant pour
assurer ce développement.
La toute première peur pré-religieuse que les hommes ont eu des forces
de la nature est progressivement devenue religieuse à mesure que la nature
fut graduellement personnalisée, spiritualisée, et finalement divinisée
dans la conscience humaine. Les religions du type primitif étaient donc
une conséquence biologique de l'inertie psychologique des mentalités
animales en évolution après que les concepts du surnaturel aient pénétré
dans ces mentalités.
1. -- LE HASARD: CHANCE ET MALCHANCE
À côté du besoin naturel d'adoration, la religion évolutionnaire
primitive avait ses racines originelles dans l'expérience humaine du
hasard -- appelé chance dans les événements ordinaires. L'homme primitif
chassait pour se nourrir. Les résultats de la chasse sont nécessairement
variables, et cela donne une origine certaine aux expériences que les
hommes interprètent comme chance et malchance. Les
mésaventures étaient un élément important dans la vie d'hommes et de
femmes constamment harcelés dans leur existence décousue et précaire.
L'horizon intellectuel limité des sauvages concentre tellement leur
attention sur le hasard que la chance devient un facteur constant de leur
vie. Les Urantiens primitifs luttaient pour vivre, et non pour un niveau
de vie. Ils vivaient une vie périlleuse où le hasard jouait un rôle
important. L'appréhension constante d'une calamité inconnue et invisible
planait au-dessus de ces sauvages comme un nuage de désespoir qui
éclipsait efficacement tous les plaisirs; ils rêvaient dans la peur
constante de commettre un acte qui amènerait de la malchance. Les sauvages
superstitieux craignaient toujours une série de chances heureuses; ils
considéraient cette bonne fortune comme annonciatrice de calamités.
La peur toujours présente de la malchance était paralysante. Pourquoi
travailler dur et récolter la malchance -- donner quelque chose pour rien
-- quand on peut se laisser porter et risquer d'avoir de la chance --
obtenir quelque chose pour rien? Les irréfléchis oublient la bonne chance
-- ils la considèrent comme un dû -- mais ils se rappellent
douloureusement la malchance.
Les hommes primitifs vivaient dans l'incertitude et la peur constante
du hasard -- de la malchance. La vie était un passionnant jeu de hasard;
l'existence était une affaire de chance. Il n'y a rien d'étonnant à ce que
les peuples partiellement civilisés croient encore à la chance et
manifestent un reste de prédisposition pour les jeux de hasard. Les hommes
primitifs alternaient entre deux puissants intérêts: la passion d'obtenir
quelque chose pour rien et la peur de ne rien obtenir pour quelque chose.
Le jeu de hasard de l'existence intéressait au premier chef la pensée
sauvage primitive et la fascinait suprêmement.
Plus tard, les éleveurs de troupeaux eurent le même point de vue sur le
hasard et la chance, tandis que plus tard encore les agriculteurs prirent
de plus en plus conscience que les récoltes subissaient l'influence
immédiate d'un grand nombre de facteurs sur lesquels le contrôle de
l'homme était faible ou nul. Les paysans se trouvèrent victimes de la
sécheresse, des inondations, de la grêle, des orages, des insectes, et des
maladies parasitaires, ainsi que de la chaleur et du froid. Dès lors que
toutes ces influences affectaient la prospérité individuelle, on les
considéra comme des chances ou des malchances.
La notion de hasard et de chance imprégna fortement la philosophie de
tous les peuples de l'antiquité. Même à une époque récente, la Sagesse de
Salomon a dit: « Je suis revenu et j'ai vu que la course n'était pas aux
agiles, ni la bataille aux forts, ni le pain aux sages, ni les richesses
aux intelligents, ni la faveur aux habiles, car le destin et le hasard les
atteignent tous. Car aussi l'homme ne connaît pas son sort; comme les
poissons sont pris dans le filet de malheur et les oiseaux pris au piège,
ainsi les hommes sont enlacés dans l'infortune quand elle fond subitement
sur eux » (1).
(1) Ecclésiaste IX-11 et 12.
2. -- LA PERSONNIFICATION DU HASARD
L'anxiété était un état naturel de la pensée des sauvages. Quand les
hommes et les femmes tombent victimes d'une anxiété excessive, ils
reviennent simplement à l'état naturel de leurs lointains ancêtres. Quand
l'anxiété devient réellement douloureuse, elle inhibe l'activité et
provoque infailliblement des changements évolutionnaires et des
adaptations biologiques. La douleur et la souffrance sont indispensables
l'évolution progressive.
La lutte pour la vie est si pénible qu'aujourd'hui encore certaines
tribus arriérées hurlent et se lamentent à chaque nouveau lever du soleil.
L'homme primitif se demandait constamment -- « Qui me tourmente? » Faute
de trouver une source matérielle à ses malheurs, il fixa ses explications
sur les esprits. La religion naquit ainsi de la peur du mystère, de la
crainte respectueuse de l'invisible, et de l'appréhension de l'inconnu. La
peur de la nature devint donc un facteur dans la lutte pour l'existence,
d'abord à cause du hasard et ensuite à cause du mystère.
La pensée primitive était logique, mais contenait peu d'idées
susceptibles de s'associer intelligemment; la pensée sauvage était ignare
et entièrement ingénue. Si un événement en suivait un autre, le sauvage
leur attribuait la relation de cause à effet. Ce que l'homme civilisé
considère comme de la superstition n'était que pure ignorance chez le
sauvage. L'humanité fut lente à apprendre qu'il n'y a pas nécessairement
de rapports entre les desseins et les résultats. Les êtres humains
commencent seulement a comprendre que des réactions vitales interviennent
entre l'acte et ses conséquences. Le sauvage s'efforce de personnaliser
tout ce qui est intangible et abstrait c'est ainsi que la nature et le
hasard furent tous deux personnalisés en tant que fantômes -- en tant
qu'esprits -- et plus tard en tant que dieux.
Les hommes ont une tendance naturelle à croire à ce qu'ils estiment
préférable pour eux, à ce qui représente leur intérêt immédiat ou
lointain; l'intérêt égoïste obscurcit largement la logique. La mentalité
des hommes sauvages et celle des hommes civilisés diffèrent plus par leur
contenu que par leur nature, par leur degré plus que par leur qualité.
Si l'on continue d'attribuer à ces causes surnaturelles les événements
difficiles à comprendre, ce n'est rien moins qu'une manière paresseuse et
commode d'éviter toutes les formes de travail intellectuel pénible. La
chance est simplement un terme forgé pour couvrir l'inexplicable dans
n'importe quel âge de l'existence humaine; elle désigne les phénomènes
dont les hommes sont incapables ou peu désireux de pénétrer le sens. Le
hasard est un mot signifiant que l'homme est trop ignorant ou trop
indolent pour déterminer les causes. Les hommes ne considèrent un
événement naturel comme un accident ou une malchance que s'ils sont
dépourvus de curiosité et d'imagination, que si leur race manque
d'initiative et d'esprit aventureux. L'exploration des phénomènes de la
vie détruit tôt ou tard la croyance des hommes au hasard, à la chance, et
aux prétendus accidents; elle y substitue un univers de loi et d'ordre, où
tous les effets sont procédés par des causes définies. La peur de
l'existence est ainsi remplacée par la joie de vivre.
Les sauvages envisageaient toute la nature comme vivante, comme
possédée par quelque chose. Les civilisés donnent encore un coup de pied
aux objets inanimés qui se trouvent sur leur chemin et maudissent encore
ceux contre lesquels ils butent. Les hommes primitifs ne considéraient
jamais quelque chose comme accidentel; pour eux, tout était toujours
intentionnel; à leur point de vue, le domaine du sort, la fonction de la
chance, et le monde des esprits étaient tout aussi inorganisés et dirigés
à l'aveuglette que la société primitive. Ils envisageaient la chance comme
une réaction du caprice et du tempérament du monde des esprits, et plus
tard comme l'humeur des dieux.
Toutes les religions ne se développèrent pas en partant de l'animisme.
D'autres concepts du surnaturel lui étaient contemporains, et ces
croyances conduisirent aussi à l'adoration. Le naturalisme n'est pas une
religion -- il est né de la religion.
3. -- LA MORT — L'INEXPLICABLE
La mort était pour les hommes en évolution le choc suprême, la plus
troublante combinaison de hasard et de mystère. Ce ne fut pas la sainteté
de la vie, mais le heurt de la mort, qui inspira de la peur et entretint
ainsi efficacement la religion. Chez les peuples sauvages, la mort était
généralement due à la violence, de sorte que la mort non-violente devint
de plus en plus un mystère. La mort en tant que fin naturelle et attendue
de la vie n'était pas claire dans la conscience des peuplades primitives.
Il a fallu des âges et des âges aux hommes pour comprendre qu'elle est
inévitable.
Les hommes primitifs acceptaient la vie comme un fait, tandis qu'ils
considéraient la mort comme une sorte d'affliction. Toutes les races ont
leurs légendes d'hommes qui ne sont pas morts, traditions atrophiées du
comportement initial envers la mort. Il existait déjà dans la pensée
humaine un concept nébuleux d'un monde des esprits imprécis et inorganisé,
d'un domaine d'où provenait tout ce qui est inexplicable dans la vie
humaine; on ajouta la mort la longue liste des phénomènes inexpliqués.
On crut d'abord que toutes les maladies humaines et la mort naturelle
étaient dues à l'influence d'esprits. Même à l'époque actuelle, certaines
races civilisées considèrent que les maladies ont été engendrées par
« l'ennemi » et comptent sur des cérémonies religieuses pour en effectuer
la guérison. Des systèmes de théologie plus récents et plus complexes
attribuent encore la mort à l'action du monde des esprits; tout cet
ensemble a conduit à des doctrines telles que le péché originel et la
chute de l'homme.
Ce fut la prise de conscience de son impuissance devant les puissantes
forces de la nature, ainsi que la récognition de la faiblesse humaine
devant les calamités, la maladie, et la mort, qui poussèrent les sauvages
à rechercher de l'aide auprès du monde supra-matériel qu'ils entrevoyaient
comme source de ces mystérieuses vicissitudes de la vie.
4. -- LE CONCEPT DE LA SURVIE APRÈS LA MORT
Le concept d'une phase supra-matérielle de la personnalité mortelle
naquit de l'association inconsciente et purement accidentelle des
événements de la vie quotidienne avec les rêves et les fantômes. Quand
plusieurs membres de la tribu d'un chef trépassé rêvaient simultanément de
lui, cela semblait constituer une preuve convaincante que le vieux chef
était réellement revenu sous quelque forme. Tout cela était fort réel pour
les sauvages; après de tels rêves, ils se réveillaient trempés de sueur,
tremblants, et hurlants.
Le fait que la croyance en une existence future ait eu son origine dans
le rêve explique la tendance à toujours imaginer les choses invisibles en
termes de choses visibles. Le nouveau concept de la vie future en tant que
fantôme rêvé commença bientôt à servir d'antidote efficace à la peur de la
mort associée à l'instinct biologique de conservation.
Les hommes primitifs se préoccupaient également beaucoup de leur
respiration, spécialement dans les climats froid où ils observaient une
buée lors de l'expiration. Le souffle de vie fut considéré comme
l'unique phénomène qui différenciait les vivants des morts. Le primitif
savait que son souffle pouvait quitter son corps; les rêves où il faisait
toutes sortes de choses bizarres pendant qu'il était endormi le
convainquirent que l'être humain comportait un élément immatériel. La
forme la plus primitive de l'idée de l'âme humaine fut le fantôme, dérivé
du système d'idées relatif aux rêves et à la respiration.
Le sauvage finit par concevoir qu'il était un être double -- corps et
souffle. Le souffle amputé du corps équivalait à un esprit, à un fantôme.
Bien que les esprits ou fantômes aient eu nettement une origine humaine,
on les considéra comme supra-humains. Cette croyance à l'existence
d'esprits désincarnés semblait expliquer les événements inhabituels,
extraordinaires, peu fréquents, et incompréhensibles.
La doctrine primitive de la survie après la mort n'était pas
nécessairement une croyance à l'immortalité. Des êtres qui ne savaient pas
compter au delà de vingt ne pouvaient guère concevoir l'infinité et
l'éternité; ils pensaient plutôt à des incarnations répétés.
La race orangée était spécialement adonnée aux croyances a la
transmigration et à la réincarnation. L'idée de réincarnation prit
naissance dans l'observation de ressemblances d'hérédités et de caractères
entre les descendants et leurs ancêtres. La coutume de nommer les enfants
d'après leurs grands-parents et autres ascendants était due à la croyance
en la réincarnation. Quelques races plus récentes crurent que les hommes
mouraient de trois à sept fois. Cette croyance était un reliquat des
enseignements d'Adam sur l'attribution successives de nouveaux corps
morontiels sur les mondes des maisons. On la retrouve avec beaucoup
d'autres vestiges de la religion révélée dans les doctrines, par ailleurs
absurdes, des barbares du XXième siècle.
Les hommes primitifs ne nourrissaient aucune idée d'enfer ni de
punitions futures. Les sauvages imaginaient la vie après la mort
exactement comme la vie présente, moins la malchance. Plus tard, on conçut
une destinée séparée pour les bons fantômes et les mauvais fantômes -- le
ciel et l'enfer. Les membres de beaucoup de races primitives croyaient que
l'homme débutait dans la vie suivante à l'état exact où il avait quitté la
vie présente; c'est pourquoi l'idée devenir vieux et décrépit ne leur
souriait pas. Les gens âgés préféraient de beaucoup être tués avant de
devenir trop impotents.
Presque tous les groupes avaient des idées différentes sur la destinée
de l'âme-fantôme. Les Grecs croyaient que les hommes faibles devaient
avoir des âmes faibles; ils inventèrent donc le Hadès comme lieu approprié
pour recevoir ces âmes chétives. Ils supposaient aussi que ces spécimens
malingres avaient des fantômes plus petits. Les premiers Andites croyaient
que leurs fantômes retournaient au pays natal de leurs ancêtres. Les
Chinois et les Égyptiens crurent jadis que l'âme et le corps restaient
liés. Cela conduisit les Égyptiens à construire soigneusement des tombes
et à s'efforcer de préserver les corps. Même les peuples modernes
cherchent à éviter la décomposition des cadavres. Les Hébreux conçurent
qu'un fantôme, réplique de l'individu, descendait au Shéol et ne pouvait
revenir au pays des vivants. Ce sont eux qui firent ce progrès important
dans la doctrine de l'évolution de l'âme (1).
(1) Cf. Luc XVI-19 à 31.
5. -- LE CONCEPT DE L'ÂME FANTÔME
La partie non matérielle de l'homme a été diversement appelée fantôme,
esprit, ombre, spectre, et plus récemment âme. Dans les rêves de
l'homme primitif, l'âme était son double; elle ressemblait exactement au
mortel lui-même, sauf qu'elle n'était pas sensible au toucher. La croyance
aux doubles vus en rêve conduisit directement à la notion que toutes les
choses animées et inanimées ont une âme comme les hommes. Ce concept
tendit longtemps à perpétuer la croyance aux esprits de la nature. Les
Esquimaux imaginent encore que toutes les choses de la nature ont un
esprit.
L'âme fantôme pouvait être entendue et vue, mais non être touchée. La
vie de rêve de la race développa et étendit graduellement les activités du
monde évoluant des esprits, au point que la mort fut finalement considérée
comme le fait de « de rendre l'âme ». Toutes les tribus primitives, sauf
celles qui dépassaient à peine les animaux, se sont formé des concepts de
l'âme. À mesure que la civilisation progresse, ces concepts superstitieux
sont détruits, et l'homme dépend entièrement de la révélation et de
l'expérience religieuse personnelle pour se faire une nouvelle idée de
l'âme en tant que création conjointe de la pensée humaine connaissant Dieu
et de l'esprit divin qui l'habite, l'Ajusteur de Pensée.
Les mortels primitifs ne réussissaient généralement pas à différencier
la notion d'un esprit intérieur de celle d'une âme de nature
évolutionnaire. Il y avait grande confusion chez les sauvages sur la
question de savoir si l'âme était née dans le corps ou si elle était un
agent extérieur en possession du corps. L'absence de pensée raisonnée en
présence de la perplexité explique le grossier illogisme des points de vue
des sauvages sur les âmes, les fantômes, et les esprits.
On a cru que l'âme était reliée au corps comme le parfum à la fleur.
Les anciens croyaient que l'âme pouvait quitter le corps de différentes
manières telles que:
|
1. Évanouissement ordinaire et temporaire. |
|
2. Sommeil, rêve naturel. |
|
3. Coma et inconscience associés aux maladies et aux accidents. |
|
4. Mort, départ définitif. |
Les sauvages envisageaient les éternuements comme des tentatives
avortées de l'âme pour s'échapper du corps. Etant éveillé et sur ses
gardes, le corps était capable de contrecarrer l'essai de fuite de l'âme.
Plus tard, on accompagna toujours les éternuements d'une formule
religieuse telle que « Dieu vous bénisse ».
De bonne heure dans l'évolution, on considéra le sommeil comme prouvant
que l'âme fantôme pouvait s'absenter du corps, et l'on croyait pouvoir la
rappeler en parlant ou en criant le nom du dormeur. Dans d'autres formes
d'inconscience, on croyait que l'âme était plus lointaine, cherchant
peut-être à s'échapper pour de bon -- la mort imminente. On envisageait
les rêves comme les expériences de l'âme durant le sommeil, lors de son
absence temporaire du corps. Les sauvages estiment que leurs rêves sont
aussi réels que toute autre partie de leur expérience de veille. Les
anciens prirent l'habitude d'éveiller graduellement les dormeurs pour
donner à l'âme le temps de réintégrer le corps.
Tout au long des âges, les hommes ont été saisis d'une crainte
respectueuse devant l'apparition de la nuit, et les Hébreux ne firent pas
exception. Ils croyaient sincèrement que Dieu leur parlait dans des rêves,
malgré les injonctions de Moïse à l'encontre de cette idée. Moïse avait
raison, car les rêves extraordinaires ne sont pas la méthode employée par
les personnalités du monde spirituel quand elles cherchent à communiquer
avec les êtres matériels.
Les anciens croyaient que les âmes pouvaient entrer dans des animaux ou
même des objets inanimés. Cette croyance à l'identification avec les
animaux culmina dans l'idée des loups-garous. Une personne pouvait être de
jour un citoyen respectueux de la loi, mais quand elle s'endormait, son
âme pouvait entrer dans un loup ou dans quelque autre animal et rôder en
commettant des déprédations nocturnes.
Les hommes primitifs croyaient que l'âme était associée à la
respiration et que l'on pouvait communiquer ou transférer ses qualités par
le souffle. Un chef courageux allait souffler sur un enfant nouveau-né
pour lui conférer le don de la bravoure. Chez les Chrétiens primitifs, la
cérémonie d'effusion du Saint-esprit était accompagnée d'un souffle sur
les candidats. Le Psalmiste a dit: « Les cieux ont été faits par la parole
du Seigneur, et toute leur armée par le souffle de sa bouche » (1). Ce fut
longtemps la coutume pour les fils aînés d'essayer d'attraper le dernier
souffle de leur père mourant.
Plus tard on en vint à craindre et à révérer l'ombre au même titre que
le souffle. L'image de soi-même reflétée dans l'eau fut également
envisagée parfois comme la preuve de la dualité de l'être, et l'on
considéra les miroirs avec une crainte superstitieuse. Même aujourd'hui,
bien des civilisés tournent les miroirs contre le mur en cas de décès.
Quelques tribus arriérées croient encore que les portraits, dessins,
modèles, ou images enlèvent au corps une partie de l'âme, et en
conséquence elles interdisent d'en faire.
On croyait en général que l'âme s'identifiait au souffle, mais diverses
peuplades la situaient aussi dans la tête, les cheveux, le coeur, le foie,
le sang, et la graisse. « Le sang d'Abel criant depuis la terre (2)»
exprime la croyance de jadis à la présence de l'âme dans le sang (3). Les
Sémites enseignèrent que l'âme résidait dans la graisse du corps, et chez
beaucoup d'entre eux l'absorption de graisse animale était tabou (4). Les
chasseurs de têtes et les découpeurs de scalps cherchaient à capturer
l'âme de leurs ennemis. Plus récemment, on a considéré les yeux comme les
fenêtres de l'âme.
Les adeptes de la doctrine selon laquelle il y avait trois ou quatre
âmes croyaient que la perte de l'une d'elles signifiait inquiétude, la
perte de deux, maladie, et la perte de trois, la mort. D'après eux, une
âme vivait dans le souffle, une dans la tête, une dans les cheveux, et une
dans le coeur. Ils conseillaient aux malades de se promener au grand air
avec l'espoir de recapter leurs âmes égarées. On supposait que les plus
grands médecins échangeaient l'âme malade d'une personne malade contre une
nouvelle âme, la «nouvelle naissance ».
Les enfants de Badonan développèrent une croyance en deux âmes, la
respiration et l'ombre. Les premières races nodites estimaient que l'homme
consistait en deux personnes, l'âme et le corps. Cette philosophie de
l'existence se refléta plus tard dans le point de vue grec. Les Grecs
eux-mêmes croyaient à l'existence de trois âmes, la végétative située dans
l'estomac, l'animale dans le coeur, et l'intellectuelle dans la tête. Les
Esquimaux croient que l'homme est composé de trois parties: le corps,
l'âme, et le nom.
(1) Psaume XXXIII-6. |
(2) Genèse IV-10 et parallèles,
Matthieu XXIII-35, Luc XI-50 et 51, Hébreux XII-24. |
(3) Lévitique XVII-11. |
(4) Lévitique III-17 et VII-23. |
6. -- L'ENTOURAGE D'ESPRITS FANTÔMES
L'homme a hérité d'un entourage naturel, acquis un entourage social, et
imaginé un entourage spectral. Les hommes réagissent envers leur entourage
naturel en formant des États, envers leur entourage social en fondant des
foyers, et envers leur entourage illusoire de fantômes en instituant des
Églises.
Très tôt dans l'histoire de l'humanité, la croyance aux réalités du
monde imaginaire des fantômes et des esprits fut universelle, et ce monde
d'esprits nouvellement imaginé devint une puissance dans la société
primitive. La vie mentale et morale de toute l'humanité fut définitivement
modifiée par l'apparition de ce nouveau facteur dans les pensées et les
actes des hommes.
Sur cette base majeure d'ignorance et d'illusion, la peur humaine a
entassé toutes les superstitions et religions subséquentes des peuples
primitifs. Ce fut l'unique religion humaine jusqu'à l'époque de la
révélation, et de nombreuses races du monde d'aujourd'hui ne possèdent
encore que cette religion évolutionnaire sommaire.
À mesure que l'évolution progressait, la chance fut associée aux bons
esprits et la malchance aux mauvais esprits. La gêne de l'adaptation
forcée à un entourage changeant fut considérée comme une malchance, un
mécontentement des esprits fantômes. Les hommes primitifs donnèrent
lentement naissance à la religion en partant de leur besoin inné
d'adoration et de leur fausse conception du hasard. Les hommes civilisés
établissent des plans d'assurance pour triompher des occurrences du
hasard. La science moderne remplace les esprits fictifs et les dieux
capricieux par un actuaire faisant des calculs mathématiques.
Chaque génération qui passe sourit devant les superstitions stupides de
ses ancêtres, tout en continuant à entretenir les sophismes de pensée et
d'adoration qui feront sourire à leur tour la postérité plus éclairée.
Quoi qu'il en soit, la pensée des hommes primitifs était enfin occupée
par des idées qui transcendaient tous leurs besoins biologiques naturels.
L'homme était enfin sur le point de développer un art de vivre basé sur
quelque chose de plus que la réaction à des stimulants matériels. On
assistait aux débuts d'une politique de vie comportant une philosophie
primitive. Un critère de vie surnaturel était sur le point d'émerger. En
effet, si l'esprit fantôme apporte la malchance dans sa colère et la bonne
fortune dans son contentement, il faut que la conduite humaine soit réglée
en conséquence. Le concept du bien et du mal était enfin apparu par
évolution, et tout ceci bien avant l'époque d'une révélation quelconque
sur terre.
Avec l'émergence de ces concepts commença la longue lutte stérile pour
apaiser les esprits toujours mécontents, l'esclavage servile de la peur
religieuse évolutionnaire, l'interminable gaspillage des efforts humains
pour des tombes, des temples, des sacrifices, et des prêtrises. Le prix à
payer fut effrayant et terrible, mais il valut la peine de tout ce qu'il
coûta, car grâce à lui les hommes atteignirent une conscience naturelle du
bien et du mal relatifs; la morale humaine était née!
7. -- LA FONCTION DE LA RELIGION PRIMITIVE
Le sauvage avait besoin d'assurance; il payait donc volontiers ses
primes onéreuses de peur, de superstition, et d'appréhension, par des dons
aux prêtres pour sa police d'assurance magique contre la malchance. La
religion primitive consistait simplement en primes d'assurance contre les
périls de la forêt. Les hommes civilisés payent des primes d'assurance
contre les accidents de l'industrie et les risques des modes de vie
modernes.
La société contemporaine enlève les affaires d'assurance au domaine des
prêtres et de la religion et les place dans le domaine économique. La
religion s'occupe de plus en plus d'assurance sur la vie au delà de la
tombe. Les hommes modernes, du moins ceux qui pensent, cessent de payer
des primes inutiles pour contrôler la chance. La religion s'élève
lentement à des niveaux philosophiques supérieurs contrastant avec son
ancienne fonction de plan d'assurance contre la malchance.
Les anciennes idées sur la religion ont empêché les hommes de devenir
fatalistes et désespérément pessimistes; ils ont cru qu'ils pouvaient au
moins faire quelque choses pour influencer le destin. La religion de la
peur des fantômes a gravé dans la mémoire des hommes qu'ils devaient
régler leur conduite, qu'il y avait un monde supra-matériel contrôlant
la destinée humaine.
Les races civilisées modernes commencent seulement aujourd'hui à
émerger de la peur qui leur faisait expliquer la chance et les inégalités
normales de l'existence par l'action des fantômes. L'humanité s'émancipe
de la servitude de l'explication de la malchance par les esprits-fantômes.
Mais en même temps que les hommes renoncent à la doctrine erronée des
vicissitudes de la vie causées par les esprits, ils font montre d'un
surprenant empressement à admettre un enseignement presque aussi
fallacieux qui les invite à attribuer toutes les inégalités humaines à de
mauvaises adaptations politiques, à des injustices sociales, et à la
concurrence industrielle. Cependant, des lois nouvelles, une philanthropie
accrue, et une réorganisation industrielle plus poussée, si bonnes
qu'elles soient en elles mêmes, ne remédieront ni aux faits de la
naissance ni aux accidents de la vie. Seule la compréhension des faits et
leur sage maniement dans le cadre des lois naturelles permettront aux
hommes d'obtenir ce qu'ils veulent et d'éviter ce qu'ils ne veulent pas.
La connaissance scientifique est le seul antidote contre les maux dits
accidentels.
L'industrie, la guerre, l'esclavage, et le gouvernement civil ont surgi
en réponse à l'évolution sociale de l'homme dans son entourage naturel. La
religion est apparue d'une manière analogue en réponse à l'entourage
illusoire du monde imaginaire des esprits. La religion fut un
développement évolutionnaire de préservation, et elle a réussi, malgré son
illogisme total de la conception erronée qui lui donna naissance.
Par la puissante et impressionnante force de la fausse peur, la
religion a préparé la pensée humaine à l'effusion d'une force spirituelle
valable, d'origine surnaturelle, qui est l'Ajusteur de Pensée. Et depuis
lors les divins Ajusteurs ont toujours travaillé à transmuer la peur de
Dieu en amour pour Dieu. L'évolution est peut-être lente, mais elle est
infailliblement efficace.
[Présenté par une Etoile du Soir de
Nébadon.]
|