FÉTICHES, AMULETTES ET MAGIE
LE concept d'un esprit entrant dans un objet inanimé, un animal, ou un
être humain est une croyance fort ancienne et honorable, car elle a
prévalu depuis le commencement de l'évolution de la religion. Cette
doctrine de possession par un esprit n'est rien de plus ou de moins que le
fétichisme. Le sauvage n'adore pas nécessairement le fétiche il
adore et révère très logiquement l'esprit qui y habite.
Au début, on crut que l'esprit d'un fétiche était le fantôme d'un
humain décédé; plus tard, on supposa que les esprits supérieurs résidaient
dans des fétiches. Le culte des fétiches finit ainsi par incorporer toutes
les idées primitives sur les fantômes, les âmes, les esprits, et la
possession par les démons.
1. -- LA CROYANCE AUX FÉTICHES
Les hommes primitifs ont toujours eu envie de transformer en fétiches
toutes les choses extraordinaires; le hasard donna donc naissance à
beaucoup de fétiches. Un homme est malade, quelque chose arrive, et il
recouvre la santé; on attribue sa guérison à un fétiche. Le même phénomène
se vérifie pour la réputation de nombreux médicaments et les méthodes de
traitement des maladies au hasard. Des objets liés à des rêves avaient des
chances d'être convertis en fétiches. Des volcans, mais non des montagnes,
des comètes, mais non des étoiles, devinrent des fétiches. Les hommes
primitifs considéraient les étoiles filantes et les météores comme
indiquant l'arrivée sur terre d'esprits visiteurs spéciaux.
Les premiers fétiches furent des cailloux portant des marques
particulières, et depuis lors les hommes ont toujours recherché les «
pierres sacrées ». Un collier était jadis une collection de pierres
sacrées, une trousse d'amulettes. Bien des tribus eurent des pierres
fétiches, mais peu de ces fétiches ont survécu comme la pierre noire de la
Caaba et la Pierre de Scone. Le feu et l'eau figurèrent aussi parmi les
premiers fétiches. L'adoration du feu ainsi que la croyance à l'eau bénite
survivent encore.
Les arbres fétiches n'apparurent que plus tard, mais parmi certaines
tribus la persistance de l'adoration de la nature conduisit à croire à des
amulettes habitées par certains esprits de la nature. Quand des plantes et
des fruits devenaient fétiches, ils étaient tabous comme nourriture. La
pomme fut parmi les premières à se ranger dans cette catégorie; les
peuples levantins n'en mangeaient jamais.
Si un animal mangeait de la chair humaine, il devenait un fétiche.
C'est ainsi que le chien devint l'animal sacré des Parsis. Si le fétiche
est un animal et si le fantôme y réside en permanence, alors le fétichisme
peut empiéter sur la réincarnation. Les sauvages enviaient les animaux
sous bien des rapports; ils ne se sentaient pas supérieurs à eux et
recevaient souvent le nom de leur bête favorite.
Quand des animaux devinrent fétiches, il s'ensuivit un tabou sur
l'absorption de la chair de ces animaux. À cause de leur ressemblance avec
les hommes, les singes furent très tôt des animaux fétiches; plus tard des
serpents, des oiseaux, et des porcs furent également considérés comme
tels. À une certaine époque, la vache fut un fétiche; son lait était tabou
et ses excréments hautement considérés. Le serpent était vénéré en
Palestine, spécialement par les Phéniciens qui le considéraient, ainsi que
les Juifs, comme le porte-parole des mauvais esprits. Chez de nombreux
peuples modernes, on croit encore au pouvoir magique des reptiles. Le
serpent a été vénéré en Arabie, dans toute l'Inde, et jusque chez les
hommes rouges avec la danse du serpent de la tribu Moqui.
Certains jours de la semaine étaient des fétiches. Pendant des âges, le
vendredi a été considéré comme un jour de malchance et le nombre treize
comme mauvais. Les nombres heureux trois et sept vinrent de révélations
ultérieures. Le quatre était le chiffre de chance des primitifs parce
qu'ils avaient reconnu de bonne heure les quatre points cardinaux. Ils
croyaient que le fait de compter le bétail ou d'autres possessions portait
malchance. Les anciens s'opposaient toujours au recensement, au «
dénombrement du peuple » (1).
(1) 2 Samuel XXIV et I Chroniques XXI.
Les primitifs ne firent pas du sexe un fétiche exagéré; ils
n'accordaient à la fonction reproductrice qu'une attention limitée; les
sauvages avaient des pensées naturelles; ils n'étaient ni obscènes ni
lascifs.
La salive était un puissant fétiche; on pouvait chasser les démons
d'une personne en crachant sur elle. Le plus grand compliment des aînés ou
des supérieurs consistait à cracher sur vous. Certaines parties du corps
humain furent regardées comme des fétiches potentiels, en particulier les
cheveux et les ongles. Les longs ongles des mains des chefs avaient une
grande valeur, et leurs rognures constituaient de puissants fétiches. La
croyance aux crânes comme fétiches rend compte d'une grande partie de
l'activité des chasseurs de têtes. Les cordons ombilicaux étaient des
fétiches hautement appréciés, et le sont encore aujourd'hui en Afrique. Le
premier jouet de l'humanité fut un cordon ombilical conservé. Orné de
perles comme on le faisait souvent, il fut le premier collier des humains.
Les enfants bossus ou infirmes étaient considérés comme des fétiches.
On croyait que les lunatiques avaient été frappés par la lune. Les hommes
primitifs ne pouvaient distinguer entre le génie et la folie. Les idiots
étaient soit battus à mort, soit révérés comme des personnalités fétiches.
L'hystérie confirma de plus en plus la croyance populaire à la
sorcellerie; les épileptiques étaient souvent prêtres ou médecins. On
regardait l'ivresse comme une forme de possession par un esprit; quand un
sauvage tirait une bordée, il mettait une feuille dans ses cheveux pour
désavouer la responsabilité de ses actes. Les poisons et les spiritueux
devinrent des fétiches; ils passaient pour être possédés.
Nombre de personnes considéraient les génies comme des personnalités
fétiches possédées par un esprit sage. Ces hommes de talent apprirent
bientôt à recourir à la fraude et à des stratagèmes pour servir leurs
propres intérêts. On croyait qu'un homme fétiche était plus qu'humain; il
était divin et même infaillible. C'est ainsi que les dirigeants, rois,
prêtres, prophètes, et chefs d'Église finirent par disposer d'un grand
pouvoir et par exercer une autorité démesurée.
2. -- L'ÉVOLUTION DU FÉTICHISME
On supposait que les fantômes préféraient habiter un objet qui leur
avait appartenu pendant leur incarnation. Cette croyance explique
l'efficacité de bien des reliques modernes. Les anciens vénéraient
toujours les os de leurs chefs, et nombre de personnes regardent encore
les ossements de leurs saints et de leurs héros avec une crainte
superstitieuse. Même aujourd'hui, on fait des pèlerinages sur la tombe de
grands hommes.
La croyance aux reliques est une conséquence naturelle de l'antique
culte des fétiches. Les reliques des religions modernes représentent une
tentative pour rationaliser les fétiches des sauvages et les élever à une
place digne et respectable dans les systèmes religieux actuels. On
condamne comme païenne la croyance aux fétiches et à la magie, mais on
trouve très bien d'accepter les reliques et les miracles.
Le foyer -- l'endroit du feu -- devint plus ou moins un fétiche, un
lieu sacré. Les chapelles et les temples furent d'abord des lieux fétiches
parce que les morts y étaient enterrés. Le tabernacle fétiche des Hébreux
(1) fut élevé à la place où il abrita un super-fétiche, le concept alors
existant de la loi de Dieu. Mais les Israélites n'abandonnèrent jamais la
croyance spéciale des Cananéens aux autels de pierre: « Et cette pierre
que j'ai dressée en stèle sera la maison de Dieu » (2). Ils croyaient
véritablement que l'esprit de leur Dieu habitait dans ces autels de
pierre, qui étaient en réalité des fétiches.
(1) Exode XXV, XXVI, et XXVII. |
(2) Genèse XXVIII-22. |
Les premières statues furent faites pour conserver l'apparence et la
mémoire des morts illustres; elles étaient en réalité des monuments. Les
idoles. furent un raffinement du fétichisme. Les primitifs croyaient
qu'une cérémonie de consécration amenait l'esprit à entrer dans la statue.
De même, lorsque certains objets étaient bénis, ils devenaient des
amulettes.
En ajoutant le second commandement à l'ancien code moral de Dalamatia,
Moïse fit un effort pour contrôler l'adoration des fétiches parmi les
Hébreux. Il leur ordonna soigneusement de ne faire aucune espèce d'image
qui puisse être consacrée comme fétiche. Il s'expliqua sans équivoque: «
Tu ne feras pas d'image taillée ni aucune reproduction de ce qui est dans
les cieux au-dessus, ni sur la terre au-dessous, ni dans les eaux de la
Terre » (1). Ce commandement contribua beaucoup à retarder l'art parmi les
Juifs, mais il restreignit l'adoration des fétiches. Moïse était trop sage
pour essayer de supplanter brusquement les antiques fétiches; il consentit
donc à placer certaines reliques à côté des tables de la loi dans l'arche,
qui était la combinaison d'un autel de guerre et d'une chasse religieuse.
(1) Exode XX-4 et parallèles, Lévitique
XXVI-1, Deutéronome V-8, etc...
Les paroles devinrent finalement des fétiches, plus spécialement celles
que l'on considérait comme les paroles de Dieu; de cette manière les
livres sacrés de bien des religions sont devenus des prisons fétichistes
où l'imagination spirituelle des hommes est incarcérée. L'effort même de
Moïse contre les fétiches devint un suprême fétiche; son commandement fut
utilisé plus tard pour dénigrer l'art et retarder la jouissance et
l'adoration du beau.
Dans les temps très anciens, la parole d'autorité du fétiche était une
doctrine inspirant la peur, le plus terrible de tous les tyrans qui
asservissent les hommes. Des fétiches doctrinaux conduisent les mortels à
se trahir eux-mêmes et à se jeter dans les grilles de la bigoterie, du
fanatisme, de la superstition, de l'intolérance, et des cruautés barbares
les plus atroces. Le respect moderne envers la sagesse et la vérité dénote
que l'homme vient seulement d'échapper à la tendance à instaurer des
fétiches, qui sévissait jusqu'aux niveaux supérieurs de la pensée et du
raisonnement. En ce qui concerne les accumulations d'écrits fétiches que
diverses religions tiennent pour des livres sacrés, non seulement
les fidèles croient que tout ce qui est dans le livre est vrai, mais aussi
que le livre contient toute la vérité. Si par aventure l'un de ces livres
sacrés parle de la Terre comme étant plate, alors, pendant de longues
générations, des hommes et des femmes par ailleurs sensés refuseront
d'accepter les preuves positives que la planète est ronde.
La pratique d'ouvrir l'un de ces livres sacrés pour laisser l'oeil
tomber par hasard sur un passage dont la mise en oeuvre pourrait
influencer d'importants projets et des décisions vitales ne représente ni
plus ni moins qu'un fétichisme notoire. Prêter serment sur un « livre
saint », ou jurer par quelque objet suprêmement vénéré, constitue une
forme de fétichisme raffiné.
Par contre, il y a progrès évolutionnaire réel quand on passe de la
peur fétichiste des rognures d'ongles d'un chef de sauvages à l'adoration
d'une superbe collection de lettres, de lois, de légendes, d'allégories,
de mythes, de poèmes, et de chroniques; après tout, ceux-ci reflètent une
sagesse morale séculaire passée au crible, au moins jusqu'à l'époque de
leur assemblage sous la forme d'un « livre sacré ».
Pour devenir des fétiches, il fallait que les paroles fussent
considérées comme inspirées. L'invocation d'écrits que l'on supposait
divins conduisit directement à établir l'autorité de l'Église,
tandis que l'évolution des formes civiles conduisit à l'épanouissement du
pouvoir de l'Etat.
3. -- LE TOTÉMISME
Le fétichisme se retrouve dans tous les cultes primitifs depuis la
croyance aux pierres sacrées, l'idolâtrie, le cannibalisme, et l'adoration
de la nature, jusqu'au totémisme.
Le totémisme est une combinaison d'observances sociales et religieuses.
Originellement, on croyait s'assurer des provisions de nourriture en
respectant l'animal totem dont on se supposait le descendant biologique.
Les totems étaient à la fois les symboles des groupes et leur dieu. Ce
dieu était le clan personnifié. Le totémisme fut une phase des tentatives
pour rendre sociale la religion, qui autrement est personnelle. Le totem
évolua finalement pour devenir le drapeau, ou symbole national des divers
peuples modernes.
Un sac fétiche, un sac à médicaments, était une bourse contenant un
honorable assortiment d'articles imprégnés de fantômes. Le guérisseur de
jadis ne laissait jamais son sac, symbole de son pouvoir, toucher le sol.
Les peuples civilisés du XXième siècle veillent à ce que leurs drapeaux,
emblèmes de la conscience nationale, ne touchent pas non plus le sol.
Les insignes des charges sacerdotales et royales furent finalement
considérés comme des fétiches. Le fétiche de l'Etat suprême a passé par de
nombreuses phases de développement, du clan à la tribu, de la suzeraineté
à la souveraineté, du totem au drapeau. Des rois fétiches ont régné par «
droit divin », et bien d'autres formes de gouvernement ont prévalu. Les
hommes ont aussi fait un fétiche de la démocratie -- l'exaltation et
l'adoration des idées des hommes ordinaires quand on les qualifie
collectivement « d'opinion publique ». On ne considère pas que l'opinion
d'un homme prise isolément ait une grande valeur, mais quand beaucoup
d'hommes agissent collectivement en démocratie, le même jugement médiocre
est tenu pour être l'arbitre de la justice et le critère de la droiture.
4. -- LA MAGIE
Les hommes civilisés attaquent par la science les problèmes d'un
entourage réel. Les sauvages essayent de résoudre par la magie les
problèmes réels d'une ambiance illusoire de fantômes. La magie était la
technique par laquelle on manipulait l'entourage hypothétique d'esprits
dont les machinations expliquaient interminablement l'inexplicable;
c'était l'art d'obtenir la coopération volontaire des esprits et de les
contraindre à apporter leur aide involontaire par l'emploi de fétiches ou
d'autres esprits plus puissants.
L'objet de la magie, de la sorcellerie, et de la nécromancie était
double:
|
1. Pénétrer l'avenir par clairvoyance. |
|
2. Influencer favorablement l'entourage. |
Les buts de la science sont identiques à ceux de la magie. L'humanité
progresse de la magie à la science, non par la méditation et la raison,
mais plutôt graduellement et péniblement par une longue expérience.
L'homme primitif avance à reculons dans la vérité; il commence dans
l'erreur, progresse dans l'erreur, et atteint finalement le seuil de la
vérité. C'est seulement avec l'emploi de la méthode scientifique que
l'homme s'est pris à marcher en regardant devant lui. Les hommes primitifs
devaient expérimenter ou périr.
La fascination des superstitions primitives fut la mère de la curiosité
scientifique ultérieure. Il y avait dans les superstitions primitives un
sentiment dynamique -- la peur ajoutée à la curiosité; l'ancienne magie
avait un pouvoir progressif de propulsion. Ces superstitions
représentaient l'émergence du désir humain de connaître et de contrôler
l'entourage planétaire.
La magie prit une très forte emprise sur les sauvages parce qu'ils ne
pouvaient saisir le concept de la mort naturelle. L'idée ultérieure du
péché originel aida beaucoup à affaiblir l'emprise de la magie sur la
race, parce qu'elle expliquait la mort naturelle. À une certaine époque,
il n'était pas rare de voir dix personnes innocentes mises à mort parce
qu'on leur attribuait la responsabilité d'une seule mort naturelle. C'est
l'une des raisons pour lesquelles les anciens peuples ne se sont pas
multipliés plus rapidement, et elle joue encore chez certaines tribus
africaines. L'accusé confessait généralement sa culpabilité, même s'il
était menacé de mort.
La magie est naturelle pour un sauvage. Il croit que l'on peut
effectivement tuer un ennemi par des pratiques de sorcellerie sur ses
cheveux coupés ou sur ses rognures d'ongles. Les morts par morsures de
serpents étaient attribuées à la magie du sorcier. Le fait que les gens
peuvent mourir de peur rend difficile de combattre la magie. Les peuples
primitifs craignaient tellement la magie qu'elle avait réellement un effet
mortel ce résultat était suffisant pour justifier cette croyance erronée.
En cas d'échec, on donnait toujours une explication plausible; pour
remédier à une magie défectueuse, on y ajoutait un supplément de magie.
5. -- LES AMULETTES MAGIQUES
Puisque tout objet lié au corps était susceptible de devenir un
fétiche, la magie la plus primitive s'occupa des cheveux et des ongles. Le
secret accompagnant les éliminations corporelles naquit de la peur qu'un
ennemi puisse s'emparer d'un dérivé du corps et l'employer pour une magie
préjudiciable. On s'abstint de cracher en public par crainte de laisser
utiliser la salive à une magie nuisible; les crachats étaient toujours
recouverts. Même les restes de nourriture, les vêtements, et les ornements
pouvaient devenir des instruments de magie. Les sauvages ne laissaient
jamais de restés de leurs repas sur la table; ils les enlevaient par peur
qu'un ennemi ne les emploie dans des rites magiques, et non parce qu'ils
appréciaient la valeur hygiénique de cette pratique.
Les amulettes magiques étaient composées d'une grande variété d'objets:
chair humaine, griffes de tigre, dents de crocodile, graines de plantes
vénéneuses, venin de serpent, et cheveux humains. Même la poussière des
traces de pas pouvait être utilisée en magie. Les anciens croyaient
beaucoup aux amulettes d'amour. Le sang et d'autres formes de sécrétions
corporelles étaient capables d'assurer l'influence magique de l'amour.
On supposait que les images étaient efficaces en magie. On faisait des
effigies, et quand on les traitait mal ou bien, on croyait que les mêmes
effets atteignaient la personne réelle. En faisant des achats, les
personnes superstitieuses mâchaient un morceau de bois dur pour attendrir
le coeur du vendeur.
Le lait d'une vache noire était hautement magique, ainsi que les chats
noirs. Le bâton ou la baguette étaient magiques au même titre que les
tambours, les cloches, et les noeuds. Tous les objets anciens étaient des
amulettes magiques. Les pratiques d'une civilisation nouvelle ou
supérieure étaient regardées avec défaveur à cause de leur prétendue
mauvaise nature magique. Les écrits, les imprimés, et les images furent
longtemps considérés sous cet angle.
Les hommes primitifs croyaient qu'il fallait traiter les noms avec
respect, spécialement les noms des dieux. On considérait le nom comme une
entité, une influence distincte de la personnalité physique; il était tenu
dans la même estime que l'âme et l'ombre. On donnait son nom en gage pour
un emprunt; un homme ne pouvait plus utiliser son nom avant de l'avoir
racheté en remboursant l'emprunt. Aujourd'hui, on signe son nom sur une
reconnaissance de dette. Le nom des personnes ne tarda pas à prendre de
l'importance en magie. Les sauvages avaient deux noms; le principal était
considéré comme trop sacré pour être utilisé dans les occasions
ordinaires, d'où le second nom ou prénom -- un surnom. Un sauvage ne
disait jamais son nom à des étrangers. Toute expérience de nature insolite
l'amenait à changer de nom; quelquefois c'était un effort pour guérir une
maladie ou arrêter la malchance. Il pouvait obtenir un nouveau nom en
l'achetant au chef de la tribu; les modernes investissent encore des
capitaux dans des titres et des grades. Chez les tribus les plus
primitives, telles que les Boschimans, les noms individuels n'existent
pas.
6. -- LA PRATIQUE DE LA MAGIE
La magie fut pratiquée par l'emploi de baguettes, de rites « médicaux
», et d'incantations. Les guérisseurs avaient l'habitude de travailler
dévêtus. Parmi les magiciens primitifs, les femmes étaient plus nombreuses
que les hommes. En magie, « médecine » signifie mystère, et non
traitement. Les sauvages ne se soignaient jamais eux-mêmes; ils ne
prenaient jamais de médicaments autrement que sur l'avis des spécialistes
en magie. Les docteurs vaudous du XXième siècle représentent typiquement
les magiciens de jadis.
La magie avait une phase publique et une phase privée. Celle
qu'accomplissait le guérisseur, le chaman, ou le prêtre était supposée
destinée au bien de toute la tribu. Les sorcières, les sorciers, et les
magiciens dispensaient la magie privée, la magie personnelle et égoïste
employée comme méthode coercitive pour amener le mal sur les ennemis. Le
concept du double spiritisme, des bons et des mauvais esprits, donna
naissance aux croyances ultérieures à la magie blanche et à la magie
noire. À mesure que la religion évolua, chacun applique le terme de magie
aux opérations d'esprits étrangères à son propre culte, et l'on s'en
servit aussi pour désigner les croyances plus anciennes aux fantômes.
Les combinaisons de mots, le rituel des chants et des incantations,
étaient hautement magiques. Certaines incantations primitives se
transformèrent finalement en prières. La magie imitative fut bientôt
pratiquée; les prières furent exprimées par des actes; les danses magiques
n'étaient rien d'autre que des prières théâtrales. La prière remplaça
graduellement la magie en tant qu'associée aux sacrifices.
Étant plus anciens que la parole, les gestes étaient d'autant plus
sacrés et magiques, et l'on crut que le mimétisme avait un fort pouvoir
magique. Les hommes rouges mettaient souvent en scène une danse du bison,
dans laquelle l'un d'eux jouait le rôle d'un bison, se faisait attraper,
et assurait ainsi le succès de la chasse imminente. Les festivités
sexuelles du Premier Mai étaient simplement une magie imitative, un appel
suggestif aux passions sexuelles du monde naturel. La poupée fut d'abord
employée comme un talisman magique par les épouses stériles.
La magie fut la branche de l'arbre religieux évolutionnaire qui porta
finalement le fruit d'un âge scientifique. La croyance à l'astrologie
conduisit au développement de l'astronomie; la croyance à la pierre
philosophale conduisit à la connaissance approfondie des métaux, tandis
que la magie des nombres fonda la science des mathématiques.
Un monde aussi rempli d'amulettes contribua beaucoup à détruire toute
ambition et toute initiative personnelles. Les fruits du travail
supplémentaire ou de la diligence étaient regardés comme magiques. Si un
homme avait dans son champ plus de grain que son voisin, il pouvait être
traîné devant le chef et accusé d'avoir attiré ce surplus de grain hors du
champ de son voisin indolent. En vérité, à cette époque de barbarie, il
était dangereux d'en savoir trop long; on risquait toujours d'être exécuté
comme magicien noir.
Graduellement, la science enlève à la vie le caractère de jeu de
hasard. Mais si les méthodes modernes d'éducation échouaient, il se
produirait un retour presque immédiat aux croyances primitives à la magie.
Ces superstitions s'attardent encore dans la pensée de bien des peuples
dits civilisés. Le langage contient de nombreuses expressions fossiles
témoignant que la race a longtemps croupi dans la magie superstitieuse,
expressions telles que: envoûtements, mauvaise étoile, possession, faire
disparaître par enchantement, ingéniosité, ravissant, tombé des nues, et
étonné. Des êtres intelligents croient encore à la bonne chance, au
mauvais oeil, et à l'astrologie judiciaire.
La magie ancienne fut la chrysalide de la science moderne,
indispensable en son temps, mais désormais inutile. Les chimères de la
superstition ignorante agitèrent ainsi la pensée primitive des hommes
jusqu'à ce que les concepts de la science aient pu naître. Aujourd'hui,
Urantia est à l'aurore de cette évolution intellectuelle. La moitié du
monde est avide de la lumière de la vérité et des faits de la découverte
scientifique, tandis que l'autre moitié languit sous l'emprise des
anciennes superstitions et d'une magie à peine déguisée.
[Présenté par une Brillante Etoile du
Soir de Nébadon.]
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