PÉCHÉ, SACRIFICE, ET EXPIATION
L'HOMME primitif se considérait comme endetté vis-à-vis des esprits,
comme ayant besoin de rédemption. Du point de vue des sauvages sur la
justice, les esprits auraient pu leur envoyer beaucoup de malchance. Avec
l'écoulement du temps, ce concept se transforma en doctrine du péché et du
salut. On considérait l'âme comme venant au monde avec un passif -- le
péché originel. Il fallait racheter l'âme, fournir un bouc émissaire. Les
chasseurs de têtes pratiquaient le culte de l'adoration des crimes, et en
outre ils pouvaient fournir un remplaçant pour leur propre vie, un
souffre-douleur.
Les sauvages furent imbus de bonne heure par la notion que les esprits
prennent une satisfaction suprême à contempler la misère, les souffrances,
et l'humiliation humaines. Tout d'abord les hommes ne s'occupèrent que du
péché de commission, mais ensuite ils se préoccupèrent du péché
d'omission. Tout le système subséquent des sacrifices se développa autour
de ces deux idées. Les primitifs croyaient qu'il fallait faire quelque
chose de spécial pour gagner la faveur des dieux; seule une civilisation
évoluée reconnaît un Dieu bienveillant et d'humeur égale. La propitiation
était une assurance contre la malchance immédiate plutôt qu'un
investissement pour une félicité future. Les rites d'abstention,
d'exorcisme, de coercition, et de propitiation se fondent tous les uns
dans les autres.
1. -- LE TABOU
L'observance d'un tabou était l'effort de l'homme pour esquiver la
malchance en s'abstenant de quelque chose, pour éviter d'offenser les
esprits fantômes. Tout d'abord les tabous ne furent pas religieux, mais
ils acquirent de bonne heure la sanction des fantômes et des esprits;
quand ils furent ainsi renforcés, ils devinrent des législateurs et des
bâtisseurs d'institutions. Le tabou est la source des normes cérémonielles
et l'ancêtre du contrôle primitif de soi. Il fut la première forme de
réglementation sociale, et pendant longtemps la seule; il est encore un
facteur fondamental de la structure légale de la société.
Le respect que ces prohibitions inspiraient à la pensée des sauvages
était exactement proportionnel à leur peur des pouvoirs censés imposer ces
prohibitions. La peur du châtiment par les esprits est si vive dans la
pensée des primitifs qu'ils meurent parfois de frayeur lorsqu'ils ont
violé un tabou; ces épisodes dramatiques renforcent énormément l'emprise
du tabou sur la pensée des survivants.
Parmi les premières prohibitions se trouvaient les restrictions sur
l'appropriation des femmes et d'autres biens. À mesure que la religion
joua un rôle croissant dans l'évolution du tabou, l'article frappé
d'interdit fut considéré comme impur, puis comme impie. Les archives des
Hébreux sont remplies de mentions concernant des choses pures et impures,
saintes et impies, mais les croyances des Hébreux dans ce sens étaient
beaucoup moins encombrantes et étendues que chez d'autres peuples.
Les sept commandements de Dalamatia et d'Éden, ainsi que les dix
commandements des Hébreux, étaient des tabous précis, tous exprimés dans
la même forme négative que les plus anciennes prohibitions; mais ces
nouveaux codes avaient une véritable valeur émancipatrice en ce sens
qu'ils remplaçaient des milliers de tabous préexistants. En outre, ces
commandements promettaient catégoriquement quelque chose en récompense de
l'obéissance.
Les tabous primitifs sur la nourriture naquirent du fétichisme et du
totémisme. Le porc était sacré pour les Phéniciens, la vache pour les
Hindous. Le tabou égyptien sur la viande de porc a été perpétué par la foi
hébraïque et islamique. Une variante du tabou sur la nourriture était la
croyance qu'une femme enceinte pouvait tellement penser à un certain
aliment que l'enfant, lors de sa naissance, serait le reflet de cet
aliment, lequel serait alors tabou pour lui.
Les méthodes alimentaires devinrent tabou de bonne heure, d'où
l'étiquette de table ancienne et moderne. Les systèmes de castes et les
niveaux sociaux sont des vestiges d'antiques prohibitions. Les tabous
furent très efficaces pour organiser la société, mais ils étaient
terriblement incommodes; le système d'interdit négatif maintenait non
seulement des règles utiles et constructives, mais aussi des tabous
périmés, désuets, et inutiles.
Nulle société civilisée ne peut toutefois se permettre de critiquer les
hommes primitifs, sauf pour leurs tabous nombreux et variés, et les tabous
n'auraient jamais persisté s'ils n'avaient été soutenus par la religion
primitive. Nombre de facteurs essentiels dans l'évolution humaine ont été
extrêmement onéreux, ont coûté d'immenses trésors d'efforts, de
sacrifices, et de renoncements; mais ces étapes de la maîtrise de soi
furent les véritables échelons sur lesquels l'homme a gravi l'échelle
ascendante de la civilisation.
2. -- LE CONCEPT DU PÉCHÉ
La peur du hasard et la crainte de la malchance poussèrent
littéralement les hommes à inventer la religion primitive comme une
assurance supposée contre ces calamités. Partant de la magie et des
fantômes et passant par les esprits et les fétiches, la religion évolua
jusqu'aux tabous. Chaque tribu primitive avait son arbre au fruit défendu,
littéralement le pommier, mais au figuré consistant en un millier de
branches pendantes lourdes de toutes sortes de tabous. L'arbre défendu
disait toujours: « Tu ne feras pas ».
Quand la pensée sauvage évolua au point d'imaginer à la fois de bons et
de mauvais esprits, et quand le tabou reçut la sanction solennelle de la
religion évoluante, la scène fut prête pour l'apparition de la nouvelle
conception du péché. L'idée du péché était universellement établie
dans le monde bien avant que la religion révélée y pénétrât. Seul le
concept du péché permit à la mort naturelle de devenir logique pour la
pensée primitive. Le péché était la transgression du tabou, et la mort
était le châtiment du péché.
Le péché était rituel, et non rationnel; un acte et non une pensée.
L'ensemble de ce concept du péché était entretenu par de vagues traditions
de Dilmun et de l'époque d'un petit paradis sur terre. La tradition d'Adam
et du Jardin d'Éden prêtait également substance au rave d'un ancien « âge
d'or » à l'aurore des races. Tout ceci confirmait les idées qui
s'exprimèrent plus tard par la croyance que l'homme avait son origine dans
une création spéciale, qu'il avait débuté parfait dans sa carrière, et que
la transgression des tabous -- le péché -- l'avait rabaissé à son triste
sort ultérieur.
La violation habituelle d'un tabou devint un vice; la loi primitive fit
du vice un crime; la religion en fit un péché. Chez les tribus primitives,
la violation d'un tabou était un crime et un péché conjugués. Une calamité
atteignant la communauté était toujours considérée comme une punition pour
un péché de la tribu. Pour ceux qui croyaient que la prospérité va de pair
avec la droiture, la prospérité des méchants causa tant de soucis qu'il
devint nécessaire d'inventer des enfers pour punir les violateurs de
tabous. Le nombre de ces lieux de châtiment futur a varié de un à cinq.
L'idée de confession et de pardon apparut de bonne heure dans la
religion primitive. Les hommes demandaient pardon dans une réunion
publique pour des péchés qu'ils avaient l'intention de commettre la
semaine suivante. La confession était simplement un rite de rémission, et
aussi une notification publique de souillure, un rituel pour crier «
impur, impur! Suivaient ensuite toutes les formes rituelles de
purification. Tous les peuples de l'antiquité pratiquèrent ces cérémonies
dépourvues de sens. Bien des coutumes, apparemment hygiéniques, des tribus
primitives étaient surtout cérémonielles.
3. -- RENONCEMENT ET HUMILIATION
Le renoncement fut l'étape suivante de l'évolution religieuse; on
pratiquait couramment le jeûne. Bientôt s'établit la coutume de s'abstenir
de nombreuses formes de plaisir physique, spécialement de nature sexuelle.
Le rituel du jeûne était profondément enraciné dans nombre de religions
anciennes; en fait, il a été transmis à tous les systèmes modernes de
pensée théologique.
Juste à l'époque où les barbares commençaient à renoncer au gaspillage
consistant à brûler et à enterrer des biens avec les morts, au moment où
la structure économique des races commençait à prendre forme, cette
nouvelle doctrine religieuse du renoncement fit son apparition, et des
dizaines de milliers d'âmes sérieuses se mirent à briguer la pauvreté. Les
biens furent considérés comme un handicap spirituel. La notion des dangers
spirituels accompagnant la possession des biens matériels fut largement
entretenue à l'époque de Philon et de Paul, et depuis lors elle a toujours
notablement influencé la philosophie européenne.
La pauvreté était simplement une partie du rituel de mortification de
la chair, qui, malheureusement, s'incorpora dans les écrits et les
enseignements de nombre de religions, notamment du christianisme. La
pénitence est la forme négative de ce rituel, souvent stupide, de
renonciation. Mais tout cela enseigna la maîtrise de soi aux
primitifs, et ce fut un progrès vraiment sensible dans l'évolution
raciale. La négation de soi et la maîtrise de soi comptèrent parmi les
plus grands gains sociaux depuis le début de la religion évolutionnaire.
La maîtrise de soi apporte à l'homme une nouvelle philosophie de la vie;
elle lui enseigne l'art d'accroître sa fraction de vie en diminuant le
dénominateur d'exigences personnelles au lieu de toujours essayer
d'augmenter le numérateur de satisfactions égoïstes.
Ces anciennes idées de discipline de soi-même englobaient la
flagellation et toutes sortes de tortures physiques. Les prêtres du culte
de la mère étaient spécialement actifs pour enseigner la vertu des
souffrances physiques; ils donnaient l'exemple en se soumettant à la
castration. Les Hébreux, les Hindous, et les Bouddhistes étaient de
fidèles zélateurs de cette doctrine d'humiliation physique.
Durant toute l'antiquité, les hommes cherchèrent par ce moyen à
bénéficier auprès de leurs dieux d'un supplément de crédit dû à leur
renoncement. Il fut jadis coutumier, quand on éprouvait certaines tensions
émotionnelles, de faire le voeu de renoncer à soi et de se torturer. Avec
le temps, ces voeux prirent la forme de contrats avec les dieux. En ce
sens, ils représentaient un véritable progrès évolutionnaire, car les
dieux étaient censés faire quelque chose de précis en récompense de cette
torture et de cette mortification de la chair. Les voeux étaient aussi
bien négatifs que positifs. Aujourd'hui c'est aux Indes, parmi certains
groupes, que l'on observe le mieux des serments de nature aussi extrême et
nuisible.
Il était bien naturel que le culte du renoncement et de l'humiliation
prêtat attention aux satisfactions sexuelles. Le culte de la continence
prit naissance comme un rite parmi les soldats qui allaient se lancer dans
la bataille; plus tard, il devint la pratique des « saints ». Il tolérait
le mariage en le considérant comme un mal moindre que la fornication.
Nombre de grandes religions ont été défavorablement influencées par cet
ancien culte, mais aucune plus notoirement que le christianisme. L'Apôtre
Paul en était un zélateur, et ses vues personnelles se reflètent dans les
enseignements qu'il introduisit dans la théologie chrétienne: « Il est bon
pour un homme de ne pas toucher de femme ». « Je voudrais que tous les
hommes fussent comme moi-même ». « Je dis donc aux célibataires et aux
veuves de demeurer comme moi ». Paul savait bien que ces enseignements ne
faisaient pas partie de l'évangile de Jésus, et il le reconnaît en disant:
« Je dis ceci par permission et non par commandement » (1). Ce culte
conduisit Paul à mépriser les femmes. Le malheur est que ses opinions
personnelles ont longtemps influencé les enseignements d'une grande
religion. Si le conseil de l'éducateur réparateur de tentes était
littéralement et universellement suivi, la race humaine prendrait fin
d'une manière soudaine et peu glorieuse. En outre, le fait de mêler une
religion aux anciens cultes de continence conduit directement à la guerre
contre le mariage et le foyer, qui sont les véritables bases de la société
et les institutions fondamentales du progrès humain. Il n'y a rien
d'étonnant à ce que ces croyances aient favorisé la formation de prêtrises
pratiquant le célibat dans les nombreuses religions de divers peuples.
Un jour l'homme devra apprendre à jouir de la liberté sans licence, de
la nourriture sans gloutonnerie, et du plaisir sans débauche. La maîtrise
de soi est une meilleure politique humaine pour régler sa conduite que
l'extrême reniement de soi. Jésus n'a d'ailleurs jamais enseigné ces
points de vue déraisonnables à ses disciples.
(1) I Corinthiens VII-1 à 9.
4. -- LES ORIGINES DU SACRIFICE
Le sacrifice en tant que partie des dévotions religieuses, comme
beaucoup d'autres rites d'adoration, n'eut pas une origine simple et
unique. La tendance à s'incliner devant le pouvoir et à se prosterner en
adoration en présence d'un mystère est préfigurée par le chien qui se
couche devant son maître. Il n'y a qu'un pas entre l'impulsion à adorer et
l'acte du sacrifice. L'homme primitif mesurait la valeur de son sacrifice
à la douleur qu'il ressentait. Lorsque l'idée de sacrifice s'attacha pour
la première fois au cérémonial religieux, elle ne fut jamais envisagée
sans accompagnement de souffrances. Les premiers sacrifices furent des
actes tels que celui de s'arracher les cheveux, se taillader la chair, se
mutiler, se casser les dents, et se couper les doigts. Avec l'avance de la
civilisation, ces concepts grossiers du sacrifice furent élevés au niveau
des rites d'abnégation de soi, d'ascétisme, de jeûne, de privations, et
plus tard de la doctrine chrétienne de sanctification par les chagrins,
les souffrances, et la mortification de la chair.
Tôt dans l'évolution de la religion, il exista deux conceptions du
sacrifice: l'idée de sacrifier des offrandes, qui impliquait l'attitude
d'action de grâces, et le sacrifice pour la dette, qui englobait l'idée de
rédemption. La notion de substitution se développa plus tard.
Plus tard encore, l'homme conçut que son sacrifice, quelle qu'en fût la
nature, pouvait servir de messager auprès des dieux; il pouvait faire
l'effet d'une odeur agréable dans les narines de la déité. Cela amena
l'usage de l'encens et les autres notes esthétiques des rites de
sacrifice; ceux-ci se transformèrent en festoiements sacrificiels qui
devinrent de plus en plus minutieux et chamarrés.
Avec l'évolution de la religion, les rites sacrificiels de conciliation
et de propitiation remplacèrent les anciennes méthodes d'abstention,
d'apaisement, et d'exorcisme.
L'idée initiale du sacrifice fut celle d'un impôt de neutralité perçu
par les esprits ancestraux; l'idée d'expiation se développa seulement plus
tard. A mesure que les hommes s'écartaient de la notion d'une origine
évolutionnaire pour la race, à mesure que les traditions de l'époque du
Prince Planétaire et du séjour d'Adam étaient filtrées par le temps, le
concept du péché et du péché originel se répandit. Le sacrifice pour un
péché accidentel et personnel se transforma par évolution en la doctrine
du sacrifice pour expier le péché de la race. L'offrande du sacrifice
était un expédient d'assurance générale qui couvrait tout, même la rancune
et la jalousie d'un dieu inconnu.
Entouré de tant d'esprits sensitifs et de dieux rapaces, l'homme
primitif était en face d'une telle foule de déités créancières qu'il
fallait tous les prêtres, les rites, et les sacrifices pendant une vie
entière pour le tirer de ses dettes spirituelles. La doctrine du péché
originel, ou culpabilité raciale, faisait débuter chaque personne avec une
dette sérieuse envers les pouvoirs spirituels.
Les hommes reçoivent des cadeaux et des pots-de-vin, mais quand on en
offre aux dieux, on les décrit comme étant consacrés, rendus sacrés, ou
bien on les appelle sacrifices. Le renoncement était la forme négative de
la propitiation; le sacrifice en devint la forme positive. L'acte de
propitiation incluait la louange, la glorification, la flatterie, et même
le divertissement. Ce sont les reliquats de ces pratiques positives de
l'antique culte de propitiation qui constituent les formes modernes
d'adoration divine. Celles-ci sont simplement la transformation en rites
des anciennes techniques sacrificielles de la propitiation positive.
Un sacrifice d'animaux avait, pour les hommes primitifs, une
signification bien plus grande qu'il n'en peut avoir pour les races
modernes. Les barbares considéraient les animaux comme leurs proches
parents effectifs. Avec l'écoulement du temps, l'homme devint astucieux
dans ses sacrifices et cessa d'offrir ses animaux de travail. Au début, il
sacrifiait le meilleur de tout, y compris ses animaux domestiques.
Un certain souverain égyptien ne se vantait pas lorsqu'il affirmait
avoir sacrifié 113.433 esclaves, 493.386 têtes de bétail, 88 bateaux,
2.756 statuettes d'or, 331.702 jarres de miel, 228.380 jarres de vin,
680.714 oies, 6.744.428 miches de pain, et 5.740.352 sacs de monnaie. Pour
en arriver là, il fallait qu'il eût prélevé de cruels impôts sur ses
sujets soumis à un travail pénible.
La simple nécessité poussa finalement ces demi-sauvages à manger la
partie matérielle des créatures sacrifiées, les dieux ayant bénéficié de
leur âme. Cette coutume trouva sa justification dans le simulacre de
l'ancien repas sacré, un service de communion conforme aux usages
modernes.
5. -- SACRIFICES ET CANNIBALISME
Les idées modernes sur le cannibalisme sont entièrement fausses; le
cannibalisme faisait partie des moeurs de la société primitive. Alors
qu'il est traditionnellement horrible pour la civilisation moderne, il
était un élément de la structure sociale et religieuse de la société
primitive. Des intérêts collectifs dictèrent la pratique du cannibalisme.
Il se développa sous la pression de la nécessité et persista parce que les
hommes étaient esclaves de la superstition et de l'ignorance. Il était une
coutume sociale, économique, religieuse, et militaire.
Les premiers hommes étaient des cannibales; ils aimaient la chair
humaine, et c'est pourquoi ils l'offraient comme un don de nourriture aux
esprits et à leurs dieux primitifs. Puisque les esprits fantômes étaient
simplement des hommes modifiés, et puisque la nourriture était le
principal besoin des hommes, alors la nourriture devait être le plus grand
besoin d'un esprit.
Le cannibalisme fut jadis à peu près universel parmi les races en
évolution. Les Sangiks étaient tous cannibales, mais à l'origine, les
Andonites, les Nodites, et les Adamites ne l'étaient pas; les Andites non
plus jusqu'à ce qu'ils se soient exagérément mêlés aux races
évolutionnaires.
L'appétit pour la chair humaine grandit. Inaugurée par la faim,
l'amitié, la revanche, ou le rituel religieux, l'absorption de chair
humaine devint l'habitude du cannibalisme. Elle naquit par suite de la
pénurie de nourriture, bien que cette pénurie en fût rarement le motif
sous-jacent. Cependant les Esquimaux et les premiers Andites s'adonnaient
rarement au cannibalisme, sauf en période de famine. Les hommes rouges,
spécialement en Amérique Centrale, étaient cannibales. Les mères
primitives eurent jadis l'habitude générale de tuer et de manger leurs
propres enfants en vue de renouveler la force qu'elles avaient perdue lors
de la parturition. Au Queensland, il arrive encore souvent que le
premier-né soit ainsi tué et dévoré. A une époque récente, de nombreuses
tribus africaines ont délibérément recouru au cannibalisme comme procédé
de guerre, une sorte d'atrocité pour terroriser leurs voisins.
Un certain cannibalisme résulta de la dégénérescence de lignées jadis
supérieures, mais il prévalait surtout parmi les races évolutionnaires.
L'habitude de manger des hommes naquit à une époque où les hommes
éprouvaient des émotions intenses et après au sujet de leurs ennemis. Le
fait de manger de la chair humaine fit partie d'une cérémonie solennelle
de revanche. On croyait que de cette manière le fantôme d'un ennemi
pouvait être détruit ou incorporé à celui du mangeur. L'idée que les
sorciers obtenaient leurs pouvoirs en mangeant de la chair humaine fut
jadis une croyance très répandue.
Certains groupes de mangeurs d'hommes ne voulaient consommer que des
membres de leur propre tribu; cette consanguinité pseudo-spirituelle était
censée accentuer la solidarité de la tribu. Les mêmes mangeaient aussi des
ennemis pour se venger, avec l'idée de s'approprier leur force. On
considérait comme un honneur pour l'âme d'un ami ou d'un compagnon de
tribu de manger son corps, tandis qu'en dévorant un ennemi on ne faisait
que lui infliger un juste châtiment. La pensée des sauvages n'avait
nullement la prétention d'être logique.
Chez certaines tribus, les parents âgés cherchaient à être mangés par
leurs enfants. Chez d'autres, la coutume voulait que l'on s'abstienne de
manger des proches parents; on vendait leurs corps ou on les échangeait
contre des corps d'étrangers. Il existait un commerce considérable de
femmes et d'enfants engraissés pour la boucherie. Quand la maladie ou la
guerre ne parvenaient pas à limiter la population, l'excédent était mangé
sans cérémonie.
Le cannibalisme a graduellement tendu à disparaître sous les influences
suivantes:
|
1. Il devint fréquemment une cérémonie communautaire, la prise
de responsabilité collective pour infliger la peine de mort à un
membre de la tribu. La culpabilité du sang cesse d'être un crime
quand tous y participent, quand la société y prend part. La dernière
pratique du cannibalisme en Asie fut de manger les criminels
exécutés. |
|
2. Le cannibalisme devint de très bonne heure un rite religieux,
mais la croissance de la peur des fantômes n'eut pas toujours
l'effet de le réduire. |
|
3. Finalement il progressa au point où l'on ne mangeait plus que
certaines parties du corps, les parties que l'on supposait contenir
l'âme ou des portions de l'esprit. Il devint commun de boire du sang
et de mélanger les parties « comestibles » du corps avec des
drogues. |
|
4. Il se limita aux: hommes; on défendit aux femmes de manger de
la chair humaine. |
|
5. On le limita ensuite aux prêtres, aux chefs, et aux chamans. |
|
6. Il devint ensuite tabou pour les tribus supérieures. Le tabou
sur le cannibalisme prit origine à Dalamatia et se répandit ensuite
lentement dans le monde. Les Nodites encouragèrent la crémation
comme moyen de combattre le cannibalisme, car il fut jadis courant
de déterrer des cadavres pour les manger. |
|
7. Les sacrifices humains sonnèrent le glas du cannibalisme. La
chair humaine était devenue la nourriture des hommes supérieurs, des
chefs. On finit par la réserver aux esprits encore supérieurs, et
c'est ainsi que l'offrande de sacrifices humains mit efficacement
fin au cannibalisme, excepté chez les tribus les plus inférieures.
Quand la pratique des sacrifices humains fut pleinement établie, le
cannibalisme devint tabou; la chair humaine n'était plus une
nourriture que pour les dieux; les hommes n'avaient le droit d'en
manger qu'un petit morceau cérémoniel, un sacrement. |
Finalement la pratique de substituer des animaux devint un usage
général pour les buts sacrificiels. Même parmi les tribus les plus
arriérées, on mangea des chiens, ce qui réduisit grandement le
cannibalisme. Le chien fut le premier animal domestique, et il était tenu
en haute estime à la fois comme animal domestique et comme nourriture.
6. -- L'ÉVOLUTION DES SACRIFICES HUMAINS
Les sacrifices humains résultèrent indirectement du cannibalisme et
furent aussi sa cure. Le désir de fournir une escorte d'esprits au monde
des esprits conduisit également à la diminution du cannibalisme, car on
n'eut jamais la coutume de manger les morts ainsi sacrifiés. Nulle race
n'a été entièrement dégagée de la pratique du cannibalisme sous une
certaine forme et à une certaine époque. Les Andites, les Nodites, et les
Adamites furent ceux qui s'y adonnèrent le moins.
Les sacrifices humains ont été virtuellement universels; ils se
maintinrent dans les coutumes religieuses des Chinois, des Hindous, des
Égyptiens, des Hébreux, des Mésopotamiens, des Grecs, des Romains, et de
nombreux autres peuples; on les retrouve encore récemment parmi les tribus
arriérées d'Afrique et d'Australie. Les Indiens d'Amérique avaient une
civilisation qui émergeait du cannibalisme et se trouvait donc imbue de
sacrifices humains, surtout en Amérique Centrale et en Amérique du Sud.
Les Chaldéens furent les premiers à abandonner les sacrifices humains dans
les circonstances ordinaires et à y substituer des animaux. Il y a environ
deux mille ans, un empereur japonais au coeur tendre introduisit des
statuettes d'argile pour remplacer les sacrifices humains, et c'est
seulement au XIième siècle que la pratique de ces sacrifices s'éteignit en
Europe septentrionale. Parmi certaines tribus arriérées, elle est
perpétuée par des volontaires comme une sorte de suicide religieux ou
rituel. Un chaman ordonna jadis de sacrifier un vieil homme très respecté
d'une certaine tribu. La population se révolta et refusa d'obéir, sur quoi
le vieil homme se fit expédier dans l'au-delà par son propre fils; les
anciens avaient réellement foi en cette coutume.
Parmi les récits illustrant les déchirements de coeur des luttes entre
les anciennes coutumes religieuses honorées par le temps et les exigences
contraires de la civilisation en progrès, l'histoire n'en relate pas de
plus tragique et de plus pathétique que celui de Jephthé et de sa fille
unique (1). Selon la coutume courante, cet homme bien intentionné avait
fait un voeu stupide, une transaction avec le « dieu des batailles »,
acceptant de payer un certain prix pour la victoire sur ses ennemis. Ce
prix consistait à faire un sacrifice de ce qui sortirait en premier lieu
de sa maison à sa rencontre quand il reviendrait à son foyer. Jephthé
pensait que l'un de ses fidèles esclaves viendrait ainsi le saluer, mais
il arriva que sa fille, son unique enfant, sortit pour lui souhaiter la
bienvenue chez lui. Ainsi, même à cette date tardive et chez un peuple
supposé civilisé, cette belle jeune fille, après deux mois de deuil sur
son sort, fut effectivement offerte en sacrifice par son père, avec
l'approbation des hommes de sa tribu. Tout ceci fut fait à l'encontre des
rigoureuses ordonnances de Moïse sur les offrandes de sacrifices humains.
Mais les hommes et les femmes sont ivres de faire des voeux stupides et
inutiles, et les hommes de l'antiquité tenaient ces engagements pour
hautement sacrés.
(1) Juges XI.
Jadis, quand on commençait la construction d'un édifice de quelque
importance, il était courant de mettre à mort un être humain comme «
sacrifice de fondation ». Cela fournissait un esprit fantôme pour veiller
sur l'édifice et le protéger. Quand les Chinois étaient prêts à fondre une
cloche, la coutume ordonnait le sacrifice d'au moins une jeune fille pour
améliorer le timbre de la cloche; la jeune fille choisie était jetée
vivante dans le métal en fusion.
De nombreux groupes eurent longtemps la pratique d'emmurer vivants des
esclaves dans les murs importants. Plus tard, les tribus du nord de
l'Europe se contentèrent d'emmurer l'ombre d'un passant pour remplacer la
coutume d'ensevelir des personnes vivantes dans les parois des nouveaux
bâtiments. Les Chinois enterraient dans un mur les ouvriers qui étaient
morts en le bâtissant.
En construisant les murs de Jéricho, un roitelet de Palestine « en posa
les fondations sur Abiram, son fils premier-né, et en posa les portes sur
Ségub, son plus jeune fils » (1). A cette date tardive, non seulement ce
père mit deux de ses fils vivants dans les trous de fondation des portes
de la ville, mais son acte fut transcrit comme accompli « selon la parole
de l'Éternel ». Moïse avait interdit ces sacrifices de fondation, mais les
Israélites y revinrent bientôt après sa mort. Les cérémonies du XXième
siècle consistant à déposer des colifichets et des souvenirs dans la
première pierre d'un nouvel édifice sont une réminiscence des sacrifices
primitifs de fondation.
(1) I Rois XVI-34.
Bien des peuples eurent longtemps la coutume de dédier les premiers
fruits aux esprits. Ces observances, maintenant plus ou moins symboliques,
sont toutes des survivances des cérémonies primitives impliquant des
sacrifices humains. L'idée d'offrir le premier-né comme un sacrifice était
très répandue parmi les anciens, spécialement chez les Phoniciens qui
furent les derniers à l'abandonner. Lors du sacrifice, on avait l'habitude
de dire « la vie retourne à la vie ». Maintenant, lors d'un décès, vous
dites « la poussière retourne à la poussière ».
Bien que choquant pour les susceptibilités civilisées, le spectacle
d'Abraham contraint de sacrifier son fils Isaac n'était pas une idée
nouvelle ou étrange pour les gens de cette époque. La pratique a longtemps
prévalu chez les pères, à des moments de grande tension émotive, de
sacrifier leur fils premier-né. De nombreux peuples ont une tradition
analogue à cette histoire, car il exista jadis une croyance universelle et
profonde à la nécessité d'offrir un sacrifice humain lorsqu'il était
arrivé quelque chose d'extraordinaire ou d'insolite.
7. -- LES MODIFICATIONS DES SACRIFICES HUMAINS
Moïse essaya de mettre fin aux sacrifices humains en inaugurant la
rançon comme substitut. Il établit un barème systématique permettant à ses
gens d'échapper aux pires résultats de leurs voeux téméraires et stupides.
On pouvait racheter des terres, des biens, et des enfants moyennant des
honoraires établis, payables aux prêtres. Les groupes qui cessèrent de
sacrifier leurs premier-nés possédèrent bientôt de grands avantages sur
leurs voisins moins évolués qui continuaient ces atrocités. Non seulement
beaucoup de tribus arriérées furent très affaiblies par cette perte de
fils, mais encore la dévolution successorale du commandement fut souvent
rompue.
Un dérivatif du sacrifice désuet des enfants fut la coutume de
barbouiller du sang sur le linteau des portes de la maison (1) pour
protéger les premier-nés. On le faisait souvent en connexion avec l'une
des fêtes sacrées de l'année, et cette cérémonie prévalut jadis dans la
majeure partie du monde, depuis le Mexique jusqu'à l'Égypte.
(1) Exode XII.
Même après que la plupart des groupes eurent renoncé au meurtre rituel
des enfants, ils gardèrent la coutume d'abandonner un enfant dans le
désert, ou sur l'eau dans un petit bateau. Si l'enfant survivait, on
croyait que les dieux étaient intervenus pour le protéger, comme la
tradition le rapporte pour Sargon, Cyrus, Moïse, et Romulus. Vint ensuite
la pratique de dédier les fils premier-nés comme sacrés ou sacrificiels;
on les laissait grandir, puis on les exilait au lieu de les faire mourir;
ce fut l'origine de la colonisation. Les Romains adhéraient à cette
coutume dans leurs plans de colonisation.
Nombre d'associations spéciales entre la lascivité et le culte primitif
prirent naissance en liaison avec les sacrifices humains. Dans les temps
anciens, si une femme rencontrait des chasseurs de têtes, elle pouvait
racheter sa vie par un abandon sexuel. Plus tard, une jeune fille
consacrée comme sacrifice aux dieux pouvait choisir de racheter sa vie en
dédiant définitivement son corps au service sexuel sacré du temple; de
cette manière, elle pouvait gagner l'argent de sa rédemption. Les anciens
considéraient comme très ennoblissant d'avoir des rapports sexuels avec
une femme ainsi engagée pour la rançon de sa vie. La fréquentation de ces
filles sacrées était une cérémonie religieuse, et l'ensemble du rite
fournissait en outre un prétexte acceptable pour des satisfactions
sexuelles ordinaires. C'était une subtile manière de se tromper soi-même,
et les filles et leurs partenaires prenaient plaisir à la pratiquer. Les
moeurs sont toujours en retard sur le progrès évolutionnaire de la
civilisation; elles sanctionnent ainsi les pratiques sexuelles plus
primitives et plus sauvages des races évoluantes.
La prostitution dans les temples s'étendit finalement dans toute
l'Europe du sud et l'Asie. L'argent gagné par les prostituées des temples
fut considéré comme sacré par tous les peuples -- un don de grande valeur
à offrir aux dieux. Les femmes du type le plus évolué emplissaient le
marché sexuel du temple et consacraient leurs gains à toutes sortes de
services sacrés et d'oeuvres d'intérêt public. De nombreuses femmes des
meilleures classes amassaient leur dot par un service sexuel temporaire
dans les temples, et la plupart des hommes préféraient épouser de telles
femmes.
8. -- RÉDEMPTION ET ALLIANCES
La rédemption sacrificielle et la prostitution dans les temples étaient
en réalité des modifications du sacrifice humain. Vint ensuite le
simulacre de sacrifice des filles. Cette cérémonie consistait en une
saignée accompagnée d'une consécration à la virginité pour la vie; ce fut
une réaction morale contre l'ancienne prostitution dans les temples. À une
époque plus récente, des vierges se consacrèrent de leur plein gré au
service d'entretien des feux sacrés des temples.
Les hommes finirent par concevoir l'idée que l'offrande d'une partie du
corps pouvait remplacer le sacrifice humain total de jadis. Les
mutilations physiques furent également considérées comme des substituts
acceptables. Cheveux, ongles, sang, et même doigts et orteils furent
sacrifiés. L'ancien rite ultérieur et à peu près universel de la
circoncision dériva du culte du sacrifice partiel; il était purement
sacrificiel; nulle pensée d'hygiène ne lui était attachée. Les hommes
furent circoncis, les femmes eurent leurs oreilles percées.
Ultérieurement, on prit l'habitude d'attacher des doigts ensemble au
lieu de les couper. On se rasa la tête et l'on se coupa les cheveux
également à titre de dévotion religieuse. La castration fut d'abord une
modification de l'idée des sacrifices humains. On continue à percer les
nez et les lèvres en Afrique, et le tatouage est une évolution artistique
des cicatrices grossières que l'on se faisait primitivement sur le corps.
À la suite d'enseignements plus élevés, la coutume du sacrifice finit
par être associée à l'idée d'alliance. Enfin on conçut les dieux comme
faisant de réels accords avec les hommes, et ce fut une étape majeure dans
l'évolution de la religion. La loi, une alliance, remplaça la chance, la
peur, et la superstition.
Les hommes ne pouvaient même pas rêver d'établir un contact avec la
déité avant que leur concept de Dieu eût progressé au niveau où ils
envisagèrent la possibilité d'accorder leur confiance aux contrôleurs de
l'univers. Les primitifs se faisaient de Dieu une idée tellement
anthropomorphe qu'ils furent incapables de concevoir une Déité digne de
confiance avant d'être devenus eux-mêmes relativement dignes de confiance,
moraux, et éthiques.
L'idée de contracter une alliance avec les dieux finit cependant par se
faire jour. L'homme évolutionnaire acquit finalement une dignité morale
suffisante pour oser traiter avec ses dieux. C'est ainsi que le trafic
des offrandes de sacrifices se transforma graduellement pour devenir le
marchandage philosophique de l'homme avec Dieu. Tout cela représentait un
nouvel expédient pour s'assurer contre la malchance, ou plutôt une
meilleure technique pour acheter plus nettement la prospérité. Ne
nourrissez pas l'idée fausse que les sacrifices primitifs étaient des dons
librement offerts aux dieux, des offrandes de gratitude ou d'actions de
grâces; ils n'étaient pas des expressions de véritable adoration.
Les formes primitives de prière n'étaient ni plus ni moins que des
marchandages avec les esprits, une discussion avec les dieux. Elles
représentaient une sorte de troc dans lequel on substituait la plaidoirie
et la persuasion à quelque chose de plus tangible et de plus coûteux.
L'expansion des échanges entre les races avait inculqué le sens commercial
et développé l'habileté dans les trocs; ces caractéristiques commencèrent
alors à apparaître dans les méthodes humaines d'adoration. De même que
certains hommes étaient meilleurs commerçants que d'autres, de même
certains furent, considérés comme faisant de meilleurs prieurs que
d'autres. La prière d'un homme juste était tenue en haute estime. Le juste
était celui qui avait payé toutes ses dettes aux esprits, qui avait
pleinement rempli toutes ses obligations rituelles envers les dieux.
La prière primitive n'était guère une adoration; c'était une demande
avec marchandage pour obtenir la santé, la richesse, et la vie. Sous bien
des rapports, les prières n'ont pas beaucoup changé avec l'écoulement des
âges. On continue à les lire à haute voix dans des livres, à les réciter
officiellement, et à les écrire pour les placer dans des moulins et les
accrocher aux arbres, où le souffle des vents évitera aux hommes la peine
de dépenser leur propre souffle.
9. -- SACRIFICES ET SACREMENTS
Au cours de l'évolution des rituels d'Urantia, les sacrifices humains
ont progressé depuis les sanglants procédés cannibales jusqu'à des niveaux
supérieurs et plus symboliques. Les rites primitifs de sacrifice
engendrèrent les cérémonies ultérieures des sacrements. A une époque plus
récente, seul le prêtre absorbait un morceau du sacrifice cannibale ou une
goutte de sang humain, et ensuite toute l'assistance mangeait de l'animal
substitué. Les idées primitives de rançon, de rédemption, et d'alliance
ont évolué pour devenir les services sacramentels plus modernes. Toute
cette évolution cérémonielle a exercé une puissante influence sur les
liens sociaux.
En liaison avec le culte de la Mère de Dieu, au Mexique et ailleurs, on
utilisa finalement un sacrement de gâteaux et de vin à la place de la
chair et du sang des anciens sacrifices humains. Les Hébreux pratiquèrent
longtemps ce rituel comme partie de leurs cérémonies de la Pâque, et ce
fut dans ce cérémonial que prit naissance la version chrétienne ultérieure
du sacrement.
Les anciennes confréries sociales étaient basées sur le rite consistant
à boire du sang; la confraternité juive primitive était une affaire de
sang sacrificiel. Paul inaugura un nouveau culte chrétien bâti sur « le
sang de l'alliance éternelle » (1). Bien qu'il ait inutilement encombré le
christianisme avec des enseignements sur le sang et le sacrifice, il
réussit à mettre fin une fois pour toutes aux doctrines de rédemption par
des sacrifices d'hommes ou d'animaux. Ses compromis théologiques montrent
que la révélation elle-même doit se soumettre au contrôle gradué de
l'évolution. Selon Paul, Christ est devenu le sacrifice humain ultime et
suffisant à tout; le divin Juge est maintenant pleinement et
définitivement satisfait.
Ainsi, après de longs âges, le culte du sacrifice s'est transformé en
culte du sacrement. Les sacrements des religions modernes sont donc les
successeurs légitimes des cérémonies primitives de sacrifices humains et
des rituels cannibales encore plus primitifs. Bien des personnes comptent
encore sur le sang pour le salut, mais le sang est au moins devenu
emblématique, symbolique, et mystique.
(1) Hébreux XIII-20.
10. -- LE PARDON DES PÉCHÉS
C'est seulement par les sacrifices que les anciens obtenaient la
conscience d'être en faveur auprès de Dieu. Les modernes doivent
développer de nouvelles techniques pour atteindre la conscience intérieure
du salut. La conscience du péché persiste dans la pensée humaine, mais les
archétypes mentaux de la délivrance du péché sont maintenant périmés et
démodés. La réalité du besoin spirituel subsiste, mais le progrès
intellectuel a détruit les antiques manières d'obtenir la paix et la
consolation pour la pensée et pour l'âme.
Il faut redéfinir le péché comme une infidélité délibérée envers la
Déité. L'infidélité comporte des degrés: la fidélité partielle due à
l'indécision, la fidélité divisée due à un conflit, la fidélité
évanescente due à l'indifférence, et la mort de la fidélité due à la
consécration à des idéaux impies.
Le sens ou sentiment de culpabilité est la conscience d'avoir
contrevenu aux moeurs. Il n'y a pas réellement péché en l'absence d'une
infidélité consciente envers la Déité.
La possibilité de reconnaître le sens de culpabilité est un attribut de
distinction transcendante pour l'humanité. Il ne dénote pas la médiocrité
chez l'homme, mais le situe plutôt à part comme une créature de grandeur
potentielle et de gloire toujours ascendante. Le sentiment d'indignité est
le stimulant initial qui transfère la pensée humaine sur les splendides
niveaux de noblesse morale, de clairvoyance cosmique, et de vie
spirituelle. Toutes les significations de l'existence sont alors changées
du plan temporel au plan éternel, et toutes les valeurs sont élevées du
plan humain au plan divin.
La confession du péché est une répudiation virile de l'infidélité, mais
elle n'atténue en aucune manière les conséquences dans l'espace-temps de
cette infidélité. La confession -- la récognition sincère de la nature du
péché -- est toutefois essentielle pour la croissance religieuse et le
progrès spirituel.
Le pardon des péchés par la Déité est le renouvellement des relations
de fidélité qui suit une période de la conscience où l'homme est déchu de
ces relations comme conséquence d'une rébellion consciente. Le pardon ne
doit pas être recherché, mais reçu en tant que conscience du
rétablissement des relations de fidélité entre la créature et le Créateur.
Tous les fils loyaux de Dieu sont heureux, aiment le service, et
progressent constamment dans l'ascension du Paradis.
[Présenté par une Brillante Étoile du
Soir de Nébadon.]
|