LE CHAMANISME — GUÉRISSEURS ET PRÊTRES
L'ÉVOLUTION des observances religieuses progressa depuis l'apaisement,
l'échappatoire, l'exorcisme, la coercition, la conciliation, et la
propitiation jusqu'au sacrifice, à l'expiation, et à la rédemption. La
technique du rituel religieux passa des formes primitives du culte aux
fétiches, puis à la magie et aux miracles. À mesure que le rituel devenait
plus compliqué en réponse aux concepts de plus en plus complexes que
l'homme se formait des royaumes supra-matériels, il fut inévitablement
dominé par les guérisseurs, les chamans, et les prêtres.
Au cours du progrès de ses conceptions, l'homme primitif finit par
considérer le monde des esprits comme se désintéressant des mortels
ordinaires. Seuls les humains exceptionnels pourraient avoir l'oreille des
dieux; seuls l'homme ou la femme extraordinaires seraient écoutés par les
esprits. La religion entra alors dans une nouvelle phase, un stade où elle
eut graduellement recours aux intermédiaires; un guérisseur, un chaman, ou
un prêtre intervenait toujours entre le fidèle et l'objet de son
adoration. Aujourd'hui, la plupart des systèmes urantiens de croyances
religieuses organisées passent par ce niveau de développement
évolutionnaire.
La religion évolutionnaire naît d'une peur simple et toute-puissante,
la peur qui surgit dans la pensée humaine confrontée avec l'inconnu,
l'inexplicable, et l'incompréhensible. La religion aboutit en fin de
compte à la compréhension claire et profondément simple d'un amour
tout-puissant, l'amour qui envahit irrésistiblement l'âme humaine quand
elle s'éveille à la conception de l'affection illimitée du Père Universel
pour les fils de l'univers. Mais entre le commencement et la consommation
de l'évolution religieuse interviennent les longs âges des chamans qui
prétendent s'interposer entre l'homme et Dieu comme intermédiaires,
interprètes, et intercesseurs.
1. -- LES PREMIERS CHAMANS — LES GUÉRISSEURS
Le chaman était le guérisseur le plus éminent, l'homme fétiche des
cérémonies, et la personnalité focale pour toutes les pratiques de la
religion évolutionnaire. Dans beaucoup de groupes, le chaman était
hiérarchiquement supérieur au chef de guerre, ce qui marqua le
commencement de la domination de l'Etat par l'Église. Le chaman opérait
parfois comme prêtre, et même comme prêtre-roi. Plus tard, certaines
tribus eurent simultanément des chamans-guérisseurs (voyants) du type
primitif et des chamans-prêtres du type apparu ultérieurement. Dans de
nombreux cas, la fonction de chaman devint héréditaire.
Puisque dans les anciens temps tout caractère anormal était attribué à
la possession par un esprit, toute anomalie frappante, mentale ou
physique, constitue une qualification pour être un guérisseur. Beaucoup
d'hommes de cette sorte étaient épileptiques et beaucoup de femmes
hystériques; ces deux types expliquent une bonne partie de l'inspiration
ancienne ainsi que la possession par des esprits et des démons. Un grand
nombre de ces prêtres tout à fait primitifs appartenaient à une classe
actuellement dénommée paranoïaque.
Les chamans ont peut-être pratiqué la tromperie dans des affaires
mineures, mais en grande majorité ils croyaient être possédés par des
esprits. Les femmes capables de se mettre en transe ou dans un état
cataleptique devinrent de puissantes chamanesses; plus tard, ces femmes
furent des prophétesses et des médiums spirites. Leurs transes
cataleptiques impliquaient généralement de prétendues communications avec
les esprits des morts. Nombre de chamanesses étaient aussi des danseuses
professionnelles.
Tous les chamans ne s'illusionnaient pas sur eux-mêmes; beaucoup
étaient des escrocs rusés et habiles. Quand la profession se développa, on
exigea des novices un apprentissage de dix années d'épreuves sévères et de
renoncement pour se qualifier comme guérisseurs. Les chamans instaurèrent
une manière professionnelle de s'habiller et affectèrent une conduite
mystérieuse. Ils employaient fréquemment des drogues pour provoquer
certains états physiques destinés à impressionner et à mystifier les
membres de leur tribu. La prestidigitation fut considérée comme
surnaturelle par les gens du commun, et certains prêtres astucieux furent
les premiers à employer le ventriloquisme. Beaucoup d'anciens chamans
tombèrent sans le vouloir dans l'hypnotisme; d'autres provoquèrent l'auto-hypnose
en regardant fixement leur nombril pendant très longtemps.
Bien que nombre d'entre eux eussent recours à ces supercheries et
tromperies, leur réputation en tant que classe tenait en fin de compte à
leur réussite apparente. Quand un chaman échouait dans ses entreprises, on
le déclassait ou on le tuait s'il ne pouvait présenter un alibi plausible.
Ainsi les chamans honnêtes périrent de bonne heure. Seuls les comédiens
astucieux survivaient.
Ce fut le chamanisme qui enleva aux anciens et aux forts la direction
exclusive des affaires de la tribu, et la remit aux mains des rusés, des
intelligents, et des perspicaces.
2. -- LES PRATIQUES CHAMANISTES
La conjuration des esprits était une procédure très précise et fort
compliquée, comparable aux rituels ecclésiastiques d'aujourd'hui conduits
dans une langue morte. La race humaine a recherché de très bonne heure
l'aide surhumaine, la révélation; les primitifs croyaient que les
chamans recevaient réellement des révélations. Les chamans utilisèrent
dans leur travail le grand pouvoir de la suggestion, mais c'était presque
invariablement une suggestion négative; la technique de la suggestion
positive n'a été employée que tout récemment. Au début du développement de
leur profession, les chamans commencèrent à se spécialiser dans des
branches telles que la provocation de la pluie, la cure des maladies, et
la détection des criminels. Toutefois, un guérisseur chamanique n'avait
pas pour fonction principale de guérir les malades, mais plutôt de
connaître et de contrôler les risques de la vie.
L'ancienne magie noire, tant religieuse que laïque, était appelée magie
blanche quand elle était pratiquée par des prêtres, des voyants, des
chamans, ou des guérisseurs. Les adeptes de la magie noire étaient
qualifiés de sorciers, magiciens, pythonisses, enchanteurs, nécromanciens,
exorcistes, et devins. Avec le temps, tous ces prétendus contacts avec le
monde surnaturel furent classés en sorcellerie ou en chamanisme.
La sorcellerie englobait la magie accomplie par des esprits
primitifs, irréguliers, et non reconnus. Le chamanisme concernait les
miracles accomplis par des esprits réguliers et par les dieux reconnus
de la tribu. Plus tard, les sorcières furent associées au diable, et la
scène était ainsi préparée pour les nombreuses exhibitions relativement
récentes d'intolérance religieuse. La sorcellerie était une religion pour
beaucoup de tribus primitives.
Les chamans croyaient profondément à la mission du hasard pour révéler
la volonté des esprits; ils tiraient fréquemment au sort pour parvenir à
des décisions. Des exemples de survivances modernes de ce penchant pour
tirer au sort se retrouvent non seulement dans les nombreux jeux de
hasard, mais aussi dans les « comptines »bien connues. Jadis la personne
éliminée devait mourir; aujourd'hui elle est simplement celui qui le
sera dans des jeux enfantins. Ce qui était une affaire sérieuse pour
les primitifs a survécu comme divertissement pour les enfants modernes.
Les guérisseurs avaient grande confiance dans les signes et les
présages tels que: « Si tu entends le bruit d'un frôlement dans le sommet
des mûriers, alors tu te hâteras d'agir ». Très tôt dans l'histoire de la
race, les chamans,tournèrent leur attention vers les étoiles. Dans le
monde entier on crut à l'astrologie primitive et on la pratiqua.
L'interprétation des rêves fut également très répandue. Tout ceci fut
bientôt suivi de l'apparition des chamanesses fantasques qui se
déclaraient capables de communiquer avec les esprits des morts.
Bien que leur origine soit ancienne, les faiseurs de pluie, les chamans
du temps, ont subsisté jusqu'à aujourd'hui à travers les âges. Une
sécheresse grave signifiait la mort pour les agriculteurs primitifs; la
magie antique s'occupait beaucoup du contrôle du temps. Les hommes
civilisés font encore de la pluie et du beau temps le thème commun des
conversations. Les anciennes populations croyaient toutes au chaman comme
faiseur de pluie, mais elles avaient coutume de le tuer s'il échouait, à
moins qu'il n'ait pu fournir une excuse valable pour rendre compte de son
échec.
Les astrologues furent maintes et maintes fois bannis par les Césars,
mais ils revenaient invariablement à cause de la croyance populaire à
leurs pouvoirs. Ils ne purent être chassés et, même au XVIième siècle de
l'ère chrétienne, les administrateurs des Églises et des Etats occidentaux
protégèrent l'astrologie. Des milliers de personnes censément
intelligentes croient encore que l'on peut naître sous la domination d'une
étoile de chance ou de malchance, et que la juxtaposition des corps
célestes détermine l'aboutissement de diverses aventures terrestres. Les
diseurs de bonne aventure ont encore une clientèle de crédules.
Les Grecs croyaient à l'efficacité de l'avis des oracles, les Chinois
employaient la magie pour se protéger des démons, le chamanisme a fleuri
aux Indes et persiste encore ouvertement en Asie Centrale. Dans une grande
partie du monde, sa pratique n'a été abandonnée que tout récemment.
De temps à autre, de vrais prophètes et instructeurs ont surgi pour
dénoncer et démasquer le chamanisme. Même les hommes rouges en voie de
disparaître eurent un prophète de cet ordre au cours du siècle dernier,
Teuskwatowa le Shawnie, qui prédit l'éclipse du soleil en 1808 et démontra
les vices des hommes blancs. Beaucoup de vrais éducateurs sont apparus
parmi les diverses tribus et races au cours des longs âges de l'histoire
évolutionnaire. Il continuera toujours d'en apparaître pour défier les
chamans ou prêtres de toute époque qui s'opposent à l'éducation générale
et tentent de contrecarrer le progrès scientifique.
De bien des manières et par des méthodes tortueuses, les chamans de
jadis établirent leur réputation en tant que voix de Dieu et gardiens de
la providence. Ils aspergeaient d'eau les nouveau-nés et leur conféraient
des noms; ils circoncisaient les mâles. Ils présidaient à toutes les
cérémonies d'enterrement et annonçaient dûment la bonne arrivée des morts
au pays des esprits.
Les prêtres et guérisseurs chamaniques devenaient souvent très riches
par le cumul de leurs divers honoraires qui, ostensiblement, étaient des
offrandes aux esprits. Il n'était pas rare qu'un chaman accaparât
pratiquement toute la fortune matérielle de sa tribu. À la mort d'un homme
riche, on avait coutume de diviser son héritage en parts égales entre le
chaman et une entreprise publique ou une oeuvre de charité. Cette pratique
prévaut encore dans certaines parties du Thibet, où la moitié de la
population masculine appartient à cette classe de non-producteurs.
Les chamans s'habillaient bien et avaient en général un nombre
respectable de femmes. Ils furent l'aristocratie originelle, exempte de
toute restriction par la tribu. Leur mentalité et leur morale étaient très
souvent de bas étage. Ils supprimaient leurs rivaux en les dénonçant comme
sorciers ou magiciens et s'élevaient à de telles situations d'influence et
de pouvoir qu'ils pouvaient dominer les chefs ou les rois.
Les hommes primitifs considéraient le chaman comme un mal nécessaire;
ils le craignaient, mais ne l'aimaient pas. Ils respectaient le savoir,
ils honoraient et récompensaient la sagesse. Mais les chamans étaient
surtout des charlatans. La vénération du chamanisme illustre bien la prime
accordée à la sagesse relative dans l'évolution de la race.
3. -- LA THÉORIE CHAMANIQUE DE LA MALADIE ET DE LA
MORT
Puisque l'homme de l'antiquité considérait que lui-même et son
entourage étaient directement sensibles aux caprices des fantômes et aux
fantaisies des esprits, il est bien naturel que sa religion se soit si
exclusivement occupée des affaires matérielles. L'homme moderne attaque
directement ses problèmes matériels; il reconnaît que la matière est
docile aux manipulations intelligentes de la pensée. L'homme primitif
désirait aussi modifier, et même contrôler, la vie et les énergies du
domaine physique, mais sa compréhension limitée du cosmos le conduisit à
croire que les fantômes, les esprits, et les dieux s'occupaient
personnellement et immédiatement du contrôle détaillé de la vie et de la
matière. Il orienta donc logiquement ses efforts pour gagner la faveur et
le soutien de ces agents supra-humains.
Vue sous cette lumière, une grande partie des éléments inexplicables et
irrationnels des anciens cultes devient compréhensible. Les cérémonies du
culte étaient les tentatives des hommes primitifs pour contrôler le monde
matériel dans lequel ils se trouvaient. Une bonne partie de leurs efforts
tendait à prolonger la vie et à assurer la santé. Or toutes les maladies
et la mort elle-même furent originellement considérées comme des
phénomènes dus aux esprits; il était donc inévitable que les chamans, tout
en opérant comme guérisseurs et prêtres, aient aussi travaillé comme
médecins et chirurgiens.
La pensée primitive est peut-être handicapée par le manque de faits
constatés, mais en tout cela elle reste logique. Quand des hommes
réfléchis observent la maladie et la mort, ils entreprennent de déterminer
les causes de ces visitations. Conformément à leur compréhension, les
chamans et les savants ont proposé les théories suivantes à propos des
afflictions:
1. Les fantômes -- les influences directes des
esprits. La toute première hypothèse avancée pour expliquer la maladie
et la mort fut que les esprits causaient des maladies en attirant l'âme
hors du corps; si l'âme ne réussissait pas à revenir, la mort s'ensuivait.
Les anciens craignaient tellement l'action malveillante des fantômes
producteurs de maladies qu'ils abandonnaient souvent les individus mal
portants sans même leur laisser de quoi manger et boire. Indépendamment de
leurs prémices erronées, ces croyances isolaient efficacement des
individus malades et empêchaient la propagation des maladies contagieuses.
2. La violence -- les causes évidentes. Les causes
de certains accidents et décès étaient si faciles à identifier qu'elles
furent tôt supprimées de la catégorie des activités des fantômes. Les
issues fatales et les blessures accompagnant la guerre, les combats avec
les animaux, et d'autres facteurs facilement identifiables furent
considérés comme des événements naturels. Mais on crut longtemps que les
esprits restaient responsables des retards dans les guérisons ou des
infections de blessures, même dues à des causes «naturelles». Si nul agent
naturel observable ne pouvait être découvert, on tenait encore les esprits
fantômes pour responsables de la maladie et de la mort.
Aujourd'hui, en Afrique et ailleurs, on peut trouver des peuplades
primitives qui tuent quelqu'un chaque fois qu'il se produit un décès non
dû à la violence. Leurs guérisseurs leur indiquent les coupables. Si une
mère meurt en couches, on étrangle immédiatement l'enfant -- une vie pour
une vie.
3. La magie -- l'influence des ennemis. On croyait
de bien des maladies qu'elles étaient causées par ensorcellement, par
l'action du mauvais oeil et de l'arc pointé magiquement. A une époque, il
fut réellement dangereux de montrer quelqu'un du doigt; on considère
encore comme mal élevé de le faire. Dans les cas de maladie et de mort
obscures, les anciens faisaient une enquête officielle, disséquaient le
corps, découvraient un indice, et décidaient qu'il était la cause de la
mort; autrement on l'aurait attribuée à la sorcellerie et il aurait fallu
exécuter la sorcière responsable. Les autopsies faites par les agents
chargés d'enquêter sur les décès ont sauvé la vie à bien des sorcières
présumées. Dans certaines tribus, on croyait qu'un homme pouvait mourir
comme conséquence de sa propre sorcellerie, auquel cas nul n'était accusé.
4. Le péché -- la punition pour avoir violé un tabou.
À une époque relativement récente, on a cru que la maladie était un
châtiment du péché, personnel ou racial. Chez les peuples traversant ce
niveau d'évolution prévaut la théorie que l'on ne peut être affligé à
moins d'avoir violé un tabou. Une forme typique de cette croyance consiste
à considérer la maladie et la souffrance comme « des flèches du Tout
Puissant à l'intérieur du corps ». Les Chinois et les Mésopotamiens ont
longtemps considéré les maladies comme résultant de l'activité de mauvais
démons, bien que les Chaldéens aient aussi regardé les étoiles comme des
causes de souffrance. Cette théorie de la maladie comme conséquence de la
colère divine prévaut encore parmi de nombreuses collectivités urantiennes
réputées civilisées.
5. Causes naturelles. L'humanité fut très longue à
apprendre les secrets matériels des relations de cause à effet dans les
domaines physiques de l'énergie, de la matière, et de la vie. Les anciens
Grecs, ayant préservé les traditions des enseignements d'Adamson, furent
parmi les premiers à reconnaître que toute maladie résulte de causes
naturelles. Avec lenteur et certitude, le développement d'une ère
scientifique détruit les théories millénaires des hommes sur la maladie et
la mort. La fièvre fut l'une des premières indispositions ôtées de la
catégorie des désordres surnaturels; l'ère de la science a progressivement
rompu les entraves de l'ignorance qui a si longtemps emprisonné la pensée
humaine. La compréhension de la vieillesse et de la contagion efface
graduellement de la pensée des hommes la peur des fantômes, des esprits,
et des dieux en tant qu'auteurs de la misère humaine et des souffrances
humaines.
L'évolution parvient infailliblement à ses fins: elle imprègne l'homme
de la peur superstitieuse de l'inconnu et de la crainte de l'invisible,
qui sont l'échafaudage du concept de Dieu. Puis, après avoir constaté la
naissance d'une compréhension élevée de la Déité par l'action coordonnée
de la révélation, la même technique d'évolution met en marche avec
précision les forces de pensée qui détruiront inexorablement l'échafaudage
dont le but a été atteint.
4. -- LA MÉDECINE CHEZ LES CHAMANS
Toute la vie des anciens était axée sur la prophylaxie; leur religion
était dans une large mesure une technique pour prévenir les maladies.
Indépendamment de l'erreur de leurs théories, ils étaient sincères en les
mettant en oeuvre. Ils avaient une foi illimitée dans leurs méthodes de
traitement. Ce seul facteur est déjà par lui-même un remède puissant.
La foi exigée pour se rétablir au moyen des soins stupides d'un de ces
anciens chamans n'était pas, après tout, matériellement différente de
celle qu'il faut aujourd'hui pour se faire guérir par un de leurs
successeurs lancé dans le traitement non-scientifique des maladies.
Les tribus les plus primitives craignaient beaucoup les malades;
pendant de longs âges on les évita soigneusement, on les négligea
honteusement. L'humanitarisme avança d'un grand pas quand l'évolution du
métier de chaman suscita des prêtres et des guérisseurs consentant à
traiter les maladies. Il devint alors coutumier pour tout le clan
d'affluer dans la chambre du malade pour aider le chaman à chasser par des
hurlements le fantôme de la maladie. Il n'était pas rare que le chaman
faisant le diagnostic fût une femme, tandis qu'un homme administrait le
traitement. La méthode habituelle pour diagnostiquer les maladies
consistait à examiner les entrailles d'un animal.
On traitait la maladie en chantant, en hurlant, en imposant les mains,
en soufflant sur le patient, et par bien d'autres techniques. Plus tard on
eut recours au sommeil dans le temple, durant lequel on supposait que la
guérison avait lieu, et cette coutume se généralisa. Les guérisseurs
finirent par essayer des opérations chirurgicales liées au sommeil dans le
temple; le percement du crâne avec une tarière pour permettre la fuite
d'un esprit causant le mal de tête fut l'une des premières opérations. Les
chamans apprirent à réduire les fractures et les luxations, à ouvrir les
furoncles et les abcès; les chamanesses devinrent des sage-femmes
expertes.
Une méthode courante de traitement consistait à frotter une amulette
magique sur un point infecté ou souillé du corps, à la jeter, et à
supposer que l'on avait obtenu une guérison. Si par hasard quelqu'un
ramassait l'amulette jetée, on croyait qu'il acquerrait immédiatement
l'infection ou la souillure. Il fallut longtemps pour introduire les
herbes et autres vrais médicaments. Le massage se développa en liaison
avec les incantations, pour chasser l'esprit du corps par frottement; il
fut précédé par des efforts pour introduire des médicaments par
frottement, semblables aux tentatives modernes pour faire pénétrer des
liniments. On crut qu'en appliquant des ventouses, en suçant les parties
affectées, et en pratiquant des saignées, on contribuait utilement à se
débarrasser d'un esprit générateur de maladies.
L'eau était un puissant fétiche; elle fut donc utilisée pour le
traitement d'un grand nombre de maladies. On crut pendant longtemps que
l'esprit causant la maladie pouvait être éliminé par la transpiration. On
accorda beaucoup de crédit aux bains de vapeur. Des stations de cure
primitive fleurirent autour des sources thermales naturelles. Les
primitifs découvrirent que la chaleur soulageait la souffrance; ils
utilisèrent les rayons du soleil, des organes d'animaux fraîchement tués,
de l'argile chaude, des pierres chauffées; plusieurs de ces méthodes sont
encore employées aujourd'hui. On s'efforça d'influencer les esprits en
pratiquant des rythmes; les tam-tams furent universellement employés.
Chez certains peuples, on croyait que la maladie était causée par une
conspiration perverse entre des esprits et des animaux. Cela donna
naissance à la croyance qu'il existait un remède végétal pour chaque
maladie causée par un animal. Les hommes rouges étaient spécialement
fidèles à la théorie des plantes comme remèdes universels; ils laissaient
toujours tomber une goutte de sang dans le trou laissé par les racines
quand on arrachait la plante.
On utilisait souvent le jeûne, les régimes, et les calmants comme
mesures curatives. Les sécrétions humaines, étant nettement magiques,
jouissaient d'une haute considération; le sang et l'urine figuraient donc
parmi les premiers médicaments, et l'on y ajouta bientôt des racines et
divers sels. Les chamans croyaient que les esprits de maladie pouvaient
être chassés par des médicaments infects et nauséabonds. La purge devint
très tôt un traitement ordinaire, et la valeur du cacao et de la quinine
bruts fut l'une des toutes premières découvertes pharmaceutiques.
Les Grecs furent les premiers a établir des méthodes vraiment
rationnelles pour soigner les malades. Les Grecs et les Égyptiens tenaient
leurs connaissances médicales des habitants de la vallée de l'Euphrate.
L'huile et le vin furent employés de très bonne heure pour panser les
blessures. Les Sumériens utilisaient l'huile de ricin et l'opium. Beaucoup
de ces remèdes secrets anciens et efficaces perdirent leur vertu quand ils
furent connus; le secret a toujours été essentiel pour pratiquer avec
succès la supercherie et la superstition. Seuls les chercheurs de faits et
de vérité aiment la pleine lumière de la compréhension et se réjouissent
de la clarté et de l'illumination apportées par la recherche scientifique.
5. -- PRÊTRES ET RITUELS
L'essence du rituel est la perfection de son accomplissement; pour les
sauvages, il faut le pratiquer avec une précision parfaite. La cérémonie
n'a de pouvoir coercitif sur les esprits que si elle a été célébrée
correctement. Si le rituel est défectueux, il ne fait qu'exciter la colère
et le ressentiment des dieux. Donc, puisque la pensée lentement évoluante
des hommes concevait que la technique du rituel était le facteur
décisif de son efficacité, il était inévitable que les chamans primitifs
se transforment tôt ou tard en une prêtrise entraînée à diriger la
pratique méticuleuse du rituel. Alors, pendant des dizaines de milliers
d'années, d'interminables rituels devinrent des entraves pour la société
et une malédiction pour la civilisation, un fardeau intolérable pour tous
les actes de la vie, pour toutes les entreprises raciales.
Le rituel est la technique pour sanctifier la coutume; le rituel crée
et perpétue des mythes aussi bien qu'il contribue à préserver les coutumes
sociales et religieuses. De plus, le rituel lui-même a été engendré par
des mythes. Les rituels commencent souvent par être sociaux, deviennent
ensuite économiques, et finissent par acquérir la sainteté et la dignité
de cérémonies religieuses. La pratique du rituel peut être personnelle ou
collective -- ou les deux -- comme on en voit l'exemple dans la prière, la
danse, et les représentations dramatiques.
Les paroles devinrent partie du rituel, comme le montre l'usage de
termes tels que amen et sélah. L'habitude de jurer, le blasphème,
représente une prostitution de l'ancienne répétition rituelle de noms
sacrés. Les pèlerinages à des mausolées sacrés sont un très ancien rituel.
Les rituels devinrent ensuite un cérémonial minutieux de purification,
d'assainissement, et de sanctification. Les cérémonies d'initiation des
sociétés secrètes des tribus primitives étaient en réalité un rite
religieux grossier. La technique d'adoration des anciens cultes des
mystères était simplement une longue performance de rituels religieux
accumulés. Le rituel finit par donner les types modernes de cérémonies
sociales et de cultes religieux, les services englobant des prières, des
chants, des répons, et d'autres dévotions spirituelles individuelles et
collectives.
Les prêtres évoluèrent à partir des chamans en passant par les stades
d'oracles, de devins, de chanteurs, de faiseurs de pluie et de beau temps,
de gardiens de reliques, de conservateurs de temples, et de pronostiqueurs
d'événements, pour en arriver au statut d'administrateurs effectifs du
culte religieux. Leur charge devint finalement héréditaire, et une caste
ecclésiastique permanente s'éleva.
À mesure que la religion évoluait, les prêtres commencèrent à se
spécialiser selon leurs talents innés ou leurs prédilections spéciales.
Certains devinrent chanteurs, d'autres prieurs, et d'autres encore
sacrificateurs; plus tard vinrent les orateurs -- les prédicateurs. Quand
la religion devint une institution, ces prêtres prétendirent « détenir la
clef du ciel ».
Les prêtres ont toujours cherché à impressionner les gens du peuple et
à leur inspirer une crainte respectueuse en conduisant le rituel religieux
dans une langue morte et en faisant diverses passes magiques pour
mystifier les fidèles de manière à rehausser leur propre piété et leur
autorité. Le grand danger dans tout cela est que le rituel tend à devenir
un substitut de la religion.
Les prêtrises ont beaucoup contribué à retarder le développement de la
science et empêcher le progrès spirituel, mais elles ont contribué à
stabiliser la civilisation et à relever certains aspects de la culture.
Beaucoup de prêtres modernes ont cessé d'opérer comme directeurs du rituel
d'adoration de Dieu et tourné leur attention vers la théologie -- la
tentative pour définir Dieu.
Les prêtres ont incontestablement été une meule attachée au cou des
races, mais vrais les chefs religieux ont eu une valeur inestimable en
montrant le chemin vers des réalités supérieures et meilleures.
[Présenté par un Melchizédek de Nébadon.]
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