JÉHOVAH — LE DIEU DES HÉBREUX
EN se faisant une conception de la Déité, l'homme commence par y
inclure tous les dieux; ensuite il subordonne tous les dieux étrangers à
sa déité tribale, et enfin il les exclut tous sauf le Dieu de valeur
finale et suprême. Les Juifs synthétisèrent tous les dieux dans leur
concept plus sublime du Seigneur Dieu d'Israël. Les Hindous combinèrent
également leurs multiples déités en « une seule spiritualité des dieux »
décrite dans le Rig Véda, tandis que les Mésopotamiens réduisirent leurs
dieux au concept plus centralisé de Bel-Mardouk. Ces idées de monothéisme
mûrirent dans le monde entier assez peu de temps après l'apparition de
Machiventa Melchizédek à Salem, en Palestine. Mais le concept de la Déité
prôné par Melchizédek ne ressemblait pas à celui de la philosophie
évolutionnaire d'inclusion, de subordination, et d'exclusion; il était
basé exclusivement sur le pouvoir créateur, et influença très
rapidement les concepts les plus élevés de la déité en Mésopotamie, aux
Indes, et en Égypte.
La religion de Salem fut révérée comme une tradition par les Kénites et
diverses autres tribus cananéennes. L'un des buts de l'incarnation de
Melchizédek était de développer une religion d'un Dieu unique de manière à
préparer la voie à l'incarnation d'un Fils de ce Dieu unique. Micaël ne
pouvait guère venir sur Urantia avant qu'il y existât un peuple croyant au
Père Universel et chez lequel ce Fils puisse apparaître.
La religion de Salem persista chez les Kénites de Palestine en tant que
credo, et cette religion, telle que les Hébreux l'adoptèrent plus tard,
fut influencée d'abord par les enseignements moraux égyptiens, ensuite par
la pensée théologique, babylonienne, et enfin par les conceptions
iraniennes du bien et du mal. En fait, la religion hébraïque est fondée
sur l'alliance entre Abraham et Machiventa Melchizédek, mais
évolutionnairement elle est la conséquence de nombreuses circonstances
dues à des situations extraordinaires; et culturellement elle a fait de
larges emprunts à la religion, à la moralité, et à la philosophie de tout
le Moyen-Orient. C'est par la religion hébraïque qu'une grande partie de
la moralité et de la pensée religieuse de l'Egypte, de la Mésopotamie, et
de l'Iran fut transmise aux peuples occidentaux.
1. -- LES CONCEPTS DE LA DÉITÉ CHEZ LES SÉMITES
Les premiers Sémites considéraient chaque objet comme habité par un
esprit. Il avait les esprits du monde animal et du monde végétal, les
esprits des saisons, le seigneur de la progéniture, les esprits du feu, de
l'eau, et de l'air, bref un véritable panthéon d'esprits à craindre et à
adorer. Les enseignements de Melchizédek concernant un Créateur Universel
ne détruisirent jamais complètement la croyance à ces esprits subordonnés
ou dieux de la nature.
Le progrès des Hébreux, commençant par le polythéisme, continuant par
l'hénothéisme, et arrivant au monothéisme, ne fut pas un développement
conceptuel ininterrompu et continu. Ils subirent bien des régressions dans
l'évolution de leurs concepts de la Déité, et par ailleurs, à toutes les
époques, il exista des idées variables sur Dieu chez différents groupes de
Sémites croyants. Ils appliquèrent successivement de nombreuses
dénominations à leurs concepts de Dieu et, pour éviter la confusion, nous
allons définir ces divers noms de la Déité tels qu'ils se rapportent à
l'évolution de la théologie juive.
1. Jéhovah était le dieu des tribus palestiniennes
du sud, qui associèrent ce concept de la déité au Mont Horeb, le volcan du
Sinaï. Jéhovah était simplement l'un des mille dieux de la nature qui
retenaient l'attention des tribus et peuples sémitiques et prétendaient à
leur adoration.
2. El Elyon. Pendant des siècles après le séjour de
Melchizédek à Salem, sa doctrine de la Déité persista sous différentes
versions mais on y employait en général le terme El Elyon le Très Haut
Dieu du ciel. Beaucoup de Sémites, y compris les descendants immédiats
d'Abraham, adorèrent simultanément Jéhovah et El Elyon à diverses époques.
3. El Shaddaï. Il est difficile d'expliquer ce que
représentait El Shaddaï. Cette idée de Dieu était un dérivé composite des
enseignements du Livre de la Sagesse d'Aménémope, modifié par la doctrine
d'Aton présentée par Ikhnaton, et influencé en outre par les enseignements
de Melchizédek incorporés dans le concept d'El Elyon. A mesure que le
concept d'El Shaddaï imprégna la pensée hébraïque, il se colora
entièrement des croyances qui régnaient dans le désert au sujet de
Jéhovah.
L'une des idées dominantes de la religion de cette époque fut le
concept égyptien de la divine Providence, l'enseignement que la prospérité
matérielle est une récompense pour avoir servi El Shaddaï.
4. El. Dans toute cette confusion de terminologie
et cette imprécision de concept, de nombreux croyants fervents
s'efforcèrent sincèrement d'adorer toutes ces idées évoluantes de la
divinité, et la pratique s'établit d'appeler El cette Déité composite. Et
cette expression incluait encore d'autres dieux de la nature imaginés par
les Bédouins.
5. Elohim. À Kish et à Ur, il subsista longtemps
des groupes sumériens-chaldéens qui enseignèrent un concept de Dieu
trois-en-un, fondé sur les traditions du temps d'Abraham et de Melchizédek.
Cette doctrine fut propagée en Égypte où sa Trinité fut adorée sous le nom
d'Elohim, ou d'Eloah au singulier. Les cercles philosophiques d'Égypte, et
plus tard les éducateurs alexandriens d'origine hébraïque, enseignèrent
cette unité de dieux pluraux. A l'époque de l'exode, beaucoup de
conseillers de Moïse croyaient en cette Trinité. Toutefois, le concept des
Elohim trinitariens ne fit jamais véritablement partie de la théologie
hébraïque avant le moment où les Juifs eurent passé sous l'influence
politique des Babyloniens.
Noms divers. Les Sémites n'aimaient pas prononcer le nom de leur
Déité. Ils eurent donc recours de temps à autre à de nombreuses
appellations telles que: l'esprit de Dieu, le Seigneur, l'Ange du
Seigneur, le Tout Puissant, le Saint, le Très Haut, Adonaï, l'Ancien des
Jours, le Seigneur Dieu d'Israël, le Créateur du Ciel et de la Terre,
Kyrios, Jah, l'Éternel des Armées, et le Père Céleste.
Jéhovah est une expression récemment employée pour désigner le
concept parachevé de Yahvéh qui apparut finalement par évolution dans la
longue expérience hébraïque. Le nom de Jéhovah ne fut pas utilisé avant le
XVIième siècle de l'ère chrétienne.
Jusque vers l'an 2.000 avant le Christ,le Mont Sinaï était un volcan
actif par intermittences; des éruptions occasionnelles se produisirent
jusqu'à l'époque du séjour des Israélites dans cette région. Le feu et la
fumée, ainsi que le tonnerre des détonations accompagnant les éruptions de
cette montagne volcanique, inspiraient une peur respectueuse aux Bédouins
des régions environnantes; ils les impressionnaient et leur faisaient
grandement craindre Jéhovah. L'esprit du Mont Horeb devint plus tard le
Dieu des Sémites hébreux, et ils finirent par croire à sa suprématie sur
tous les autres dieux.
Les Cananéens avaient longtemps révéré Jéhovah, mais parmi eux beaucoup
de Kénites croyaient plus ou moins en El Elyon, le super-dieu de la
religion de Salem; néanmoins, la majorité des Cananéens restait vaguement
attachée à l'adoration des anciennes déités tribales. Ils n'étaient guère
désireux d'abandonner leurs déités nationales en faveur d'un Dieu
international, pour ne pas dire interplanétaire. Leur pensée ne
s'intéressait pas à une déité universelle, et c'est pourquoi ces tribus
continuèrent à adorer leurs déités tribales, y compris Jéhovah et les
veaux d'argent et d'or symboliques du concept que les pâtres bédouins se
faisaient de l'esprit du volcan du Sinaï.
Les Syriens, tout en adorant leurs dieux, croyaient aussi au Jéhovah
des Hébreux, car leurs prophètes dirent au roi de Syrie: « Leurs dieux
sont des dieux des montagnes; ils sont donc plus forts que nous; mais
combattons les dans la plaine, et nous serons sûrement plus forts qu'eux »
(1).
À mesure que leur culture progresse, les hommes subordonnent leurs
dieux mineurs à une déité suprême; l'expression « par Jupiter » ne
persiste que comme une exclamation (2). Les monothéistes conservent leurs
dieux subordonnés comme esprits, démons, Parques, Néréides, fées, gnomes,
nains, banshee (3), et mauvais oeil. Les Hébreux passèrent par
l'hénothéisme et crurent longtemps à l'existence de dieux autres que
Jéhovah, mais ils estimèrent de plus en plus que ces déités étrangères
étaient subordonnées à Jéhovah. Ils admettaient la réalité de Chémosh,
dieu des Amorites, mais soutenaient sa subordination à Jéhovah.
Parmi les théories humaines de Dieu, c'est l'idée de Jéhovah qui a subi
le développement le plus étendu. On ne peut comparer son évolution
progressive qu'à la métamorphose du concept de Bouddha en Asie. Ce dernier
conduisit au concept de l'Absolu Universel, comme le concept de Jéhovah
conduisit finalement au concept du Père Universel. Il faut comprendre ce
fait historique: les Juifs changèrent ainsi leur point de vue sur la Déité
depuis le dieu tribal du Mont Horeb jusqu'au Père Créateur aimant et
miséricordieux de l'époque ultérieure, mais ne changèrent pas son nom;
tout au long de leur histoire ils continuèrent à appeler Jéhovah ce
concept évoluant de la déité.
(1) I Rois XX-23 et 28. |
(2) En anglais « By Jove
». En français « par Jupiter » ou « pardieu » ou « parbleu ».
|
(3) Fées présageant la
mort (Irlande, Écosse). |
2. -- LES PEUPLES SÉMITIQUES
Les Sémites de l'est étaient des cavaliers bien organisés et bien
dirigés qui envahirent les régions orientales du croissant fertile de la
Mésopotamie et s'unirent avec les Babyloniens. Les Chaldéens, près d'Ur,
comptent parmi les Sémites orientaux les plus évolués. Les Phéniciens
étaient un groupe supérieur et bien organisé de Sémites de sang mêlé qui
occupait le secteur ouest de la Palestine, le long de la côte
méditerranéenne. Au point de vue racial, les Sémites figuraient parmi les
peuples d'Urantia les plus mélangés; leur sang contenait des facteurs
héréditaires de presque toutes les neuf races du monde.
Maintes et maintes fois les Sémites arabes pénétrèrent en combattant
dans le nord de la Terre Promise, le pays « ruisselant de lait et de miel
» (1). mais ils en furent chaque fois expulsés par les Sémites et Hittites
du nord, mieux organisés et plus hautement civilisés. Plus tard, au cours
d'une famine anormalement grave, ces Bédouins errants entrèrent en nombre
en Égypte comme ouvriers contractuels pour les travaux publics égyptiens.
Ils ne purent qu'y subir l'amère expérience de l'esclavage au dur travail
quotidien du commun des ouvriers opprimés de la vallée du Nil.
(1) Exode III-8 et une vingtaine d'autres
passages ultérieurs.
Ce fut seulement après l'époque de Machiventa Melchizédek et d'Abraham
qu'en raison de leurs croyances religieuses particulières certaines tribus
de Sémites furent appelées enfants d'Israël, et plus tard Hébreux, Juifs,
et « le peuple élu ». Abraham n'était pas le père racial de tous les
Hébreux; il n'était même pas l'ancêtre de tous les Bédouins sémites qui
furent détenus captifs en Égypte. Il est vrai que sa descendance, à sa
sortie d'Égypte forma le noyau du peuple juif ultérieur, mais la vaste
majorité des hommes et des femmes qui furent incorporés dans les clans
d'Israël n'avait jamais séjourné en Égypte. Elle était simplement formée
de compagnons nomades qui décidèrent de suivre Moïse comme chef pendant
que les enfants d'Abraham et leurs associés sémites d'Égypte traversaient
le nord de l'Arabie.
L'enseignement de Melchizédek concernant El Elyon, le Très Haut, et
l'alliance de la faveur divine par la foi, avaient été largement oubliés à
l'époque de l'asservissement par les Égyptiens des peuples sémites qui
devaient bientôt former la nation hébraïque. Mais pendant toute leur
période de captivité, ces nomades arabes conservèrent une vague croyance
traditionnelle en Jéhovah à titre de déité raciale.
Jéhovah fut adoré par plus de cent tribus arabes séparées. Sauf une
nuance du concept d'El Elyon de Melchizédek, qui persista chez les classes
instruites d'Égypte, y compris les souches mélangées d'Hébreux et
d'Égyptiens, la religion de la masse des esclaves captifs hébreux était
une version modifié de l'ancien rituel de magie et de sacrifice de
Jéhovah.
3. -- L'INCOMPARABLE MOÏSE
Le commencement de l'évolution des concepts et idéaux hébraïques au
sujet d'un Créateur Suprême date du départ d'Égypte des Sémites sous la
conduite de Moïse, ce grand chef, grand instructeur, et grand
organisateur. Sa mère appartenait à la famille royale d'Égypte; son père
était un Sémite, officier de liaison entre le gouvernement et les Bédouins
captifs. Moïse possédait ainsi des qualités tirées de sources raciales
supérieures; ses ancêtres étaient de sang tellement mêlé qu'il est
impossible de le classer dans un groupe racial déterminé. S'il n'avait pas
été de ce type mixte, il n'aurait jamais fait montre de la variété de
talents et de l'adaptabilité inhabituelles qui lui permirent de diriger la
horde diversifiée qui finit par s'associer aux Bédouins sémites fuyant
d'Égypte vers le désert d'Arabie sous son commandement.
Malgré les séductions de la culture du royaume du Nil, Moïse résolut de
partager le sort du peuple de son père. À l'époque ou ce grand
organisateur mettait au point ses plans pour libérer définitivement ce
peuples, les Bédouins captifs n'avaient guère de religion digne de ce nom;
ils étaient virtuellement dépourvus d'un véritable concept de Dieu et sans
espoir dans le monde.
Nul chef n'entreprit jamais de réformer et de relever un groupe d'êtres
humains plus pitoyables, plus déprimés, et plus découragés. Mais ces
esclaves portaient des possibilités latentes de développement dans leurs
lignées héréditaires, et Moïse avait catéchisé un nombre suffisant de
cadres instruits pour constituer un corps d'organisateurs efficaces en
provision du jour de la révolte et de la grève pour la liberté. Ces hommes
supérieurs avaient été employés comme surveillants indigènes de leurs
semblables et avaient reçu une certaine éducation grâce à l'influence de
Moïse auprès des dirigeants égyptiens.
Moïse s'efforça de négocier diplomatiquement la liberté de ses
compagnons sémites. Lui et son frère firent avec le roi d'Égypte un pacte
par lequel ils obtinrent l'autorisation de quitter paisiblement la vallée
du Nil pour le désert d'Arabie. Ils devaient recevoir un modeste payement
en argent et en denrées comme gage de leur long service en Égypte. De leur
côté, les Hébreux s'engageaient à maintenir des relations amicales avec le
Pharaon et à ne faire partie d'aucune alliance contre l'Égypte. Mais
ensuite le roi estima opportun de répudier ce traité sous prétexte que ses
espions avaient découvert de la déloyauté chez ces esclaves. Il prétendit
que les Bédouins cherchaient la liberté en vue de se rendre dans le désert
pour organiser des bandes nomades contre l'Égypte.
Moïse ne se découragea pas; il attendit son heure. Moins d'un an plus
tard, alors que les forces militaires égyptiennes étaient entièrement
occupées a résister aux assauts simultanés d'une forte poussée lybienne
venant du sud et d'une invasion grecque dans le nord, cet organisateur
intrépide mena ses compatriotes hors d'Égypte au cours d'une fuite
nocturne spectaculaire. L'opération réussit malgré une chaude poursuite
par le Pharaon avec une petite troupe d'Égyptiens. Celle-ci fut décimée
par la défense des fugitifs et leur abandonna beaucoup de butin, encore
accru par le pillage auquel se livrèrent les multitudes d'esclaves fuyant
vers leur foyer ancestral du désert.
4. -- LA PROCLAMATION DE JÉHOVAH
L'évolution et l'élévation de l'enseignement de Moïse ont influencé
presque la moitié du monde, et continuent encore à l'influencer au XXième
siècle. Moïse comprenait la philosophie religieuse égyptienne la plus
avancée, mais les Bédouins esclaves ne connaissaient presque rien de ces
enseignements; par contre, ils n'avaient jamais entièrement oublié le dieu
du Mont Horeb que leurs ancêtres avaient appelé Jéhovah.
Moïse avait entendu parler des enseignements de Machiventa Melchizédek
à la fois par son père et par sa mère; leur communauté de croyance
religieuse explique le mariage insolite d'une femme de sang royal et d'un
homme d'une race captive. Le beau-père de Moïse était un Kénite adorateur
d'El Elyon, mais les parents de l'émancipateur croyaient en El Shaddaï.
Moïse fut donc élevé comme un El Shaddaïste; sous l'influence de sont
beau-père, il devint un El Elyoniste; et à l'époque du campement des
Hébreux autour du Mont Sinaï après l'exode d'Égypte, il avait formulé un
nouveau concept élargi de la Déité tiré de toutes ses croyances
antérieures. Il décida sagement de le proclamer à son peuple comme un
concept amplifié de Jéhovah, leur dieu tribal de jadis.
Moïse s'était efforcé d'enseigner l'idée d'El Elyon à ces Bédouins
mais, avant de quitter l'Égypte, il avait acquis la conviction qu'il ne
comprendraient jamais cette doctrine. Il s'arrêta donc à un compromis
consistant à adopter leur dieu tribal du désert comme le seul et unique
dieu de sa horde de fuyards. Moïse n'enseigna pas spécifiquement que les
divers peuples et nations ne devaient pas avoir d'autres dieux, mais il
soutint résolument, et spécialement auprès des Hébreux, que Jéhovah
dominait tous les autres dieux. Moïse fut toujours gêné par la fâcheuse
situation d'avoir à présenter à ces esclaves ignorants sa nouvelle idée
supérieure de la Déité sous le déguisement de l'ancienne désignation de
Jéhovah, qui avait toujours été symbolisé par le veau d'or des tribus
bédouines.
Le fait que Jéhovah était le dieu des Hébreux en fuite explique
pourquoi ils s'arrêtèrent si longtemps devant la montagne sainte du Sinaï
et pourquoi c'est là qu'ils reçurent les dix commandements que Moïse
proclama au nom de Jéhovah, le dieu d'Horeb. Durant ce long séjour devant
le Sinaï, le cérémonial religieux du nouveau culte hébreu en évolution fut
mieux mis au point.
Il ne semble pas que Moïse aurait jamais réussi à établir son adoration
cérémonielle quelque peu évoluée, ni à retenir intact le groupe de ses
fidèles pendant un quart de siècle, sans la violente éruption de l'Horeb
qui se produisit durant la troisième semaine de leur séjour d'adoration à
sa base. «La montagne de Jéhovah fut consumée dans le feu, et la fumée
montait comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne tremblait
grandement »(1). À la vue de ce cataclysme, il n'est pas surprenant que
Moïse ait pu graver dans la mémoire de ses frères l'enseignement que leur
Dieu était « puissant et terrible, un feu dévorant, redoutable, et
tout-puissant ».
Moïse proclama que Jéhovah était le Seigneur Dieu d'Israël, qui avait
sélectionné les Hébreux comme son peuple élu. Bâtissant une nouvelle
nation, il nationalisa sagement ses enseignements religieux, disant à ses
partisans que Jéhovah était un véritable tyran, un « dieu jaloux » (2). Il
chercha néanmoins à élargir leur conception de la divinité en leur
enseignant que Jéhovah était le « Dieu des esprits de toute chair (3) » et
en leur disant: « Le Dieu d'ancienneté est ton refuge, et au-dessous de
toi sont les bras éternels » (4). Moïse enseigna que Jéhovah était un Dieu
respectant son alliance; qu'il « ne vous abandonnera pas, ne vous détruira
pas, et n'oubliera pas l'alliance de vos pères, parce que le Seigneur vous
aime et n'oubliera pas le serment qu'il a juré à vos pères » (5).
(1) Exode XIX-18. |
(2) Exode XX-5, Deutéronome IV-24,
etc. |
(3)
Nombres XXVII-16. |
(4) Deutéronome XXXIII-27.
|
(5) Deutéronome IV-31. |
Moïse fit un effort héroïque pour exalter Jéhovah à la dignité d'une
Déité suprême lorsqu'il le présenta comme le « Dieu de vérité, sans
iniquité, juste et droit dans toutes ses voies ». Cependant, malgré cet
enseignement élevé, la compréhension limitée de ses partisans rendit
nécessaire de parler de Dieu comme étant à l'image de l'homme, sujet à des
crises de colère, de courroux, et de sévérité, et même vindicatif et
facilement influençable par la conduite des hommes.
Grâce au enseignements de Moïse, Jéhovah, ce dieu tribal de la nature,
devint le Seigneur Dieu d'Israël qui suivit les Hébreux dans le désert, et
même en exil, où il fut bientôt conçu comme le Dieu de tous les peuples.
La captivité ultérieure qui asservit les Juifs à Babylone dégagea
définitivement le concept évoluant de Jéhovah et lui fit assumer le rôle
monothéiste de Dieu de toutes les nations.
Le trait le plus extraordinaire et le plus remarquable de l'histoire
religieuse des Hébreux concerne cette évolution continue du concept de la
Déité à partir du dieu primitif du Mont Horeb. Par les enseignements de
leurs dirigeants spirituels successifs, il atteignit le haut degré de
développement décrit dans les doctrines divines des deux Isaïe qui
proclamèrent le concept magnifique du Père Créateur aimant et
miséricordieux.
5. -- LES ENSEIGNEMENTS DE MOÏSE
Moïse combinait d'une façon extraordinaire les qualités de chef
militaire, d'organisateur social, et d'éducateur religieux. A titre
individuel, il fut l'instructeur et le chef le plus important dans le
monde entre l'époque de Machiventa et celle de Jésus. Moïse tenta
d'introduire en Israël bien des réformes dont il ne reste pas de trace
écrite. Dans l'espace d'une seul vie humaine, il fit sortir de l'esclavage
et d'un vagabondage non civilisé la horde polyglotte que l'on appelle les
Hébreux, tout en posant les fondements de la naissance ultérieure d'une
nation et de la perpétuation d"un race.
Il y a fort peu d'archives du grand travail de Moïse, parce que les
Hébreux n'avaient pas de langage écrit au moment de l'exode. Les annales
de l'époque et des actes de Moïse furent tirées des traditions qui avaient
cours plus de mille ans après la mort de ce grand chef.
Un bon nombre des progrès qu'apporta Moïse en dépassant la religion des
Égyptiens et des tribus levantines environnantes furent dus aux traditions
kénites de l'époque de Melchizédek. Sans l'enseignement de Machiventa à
Abraham et à ses contemporains, les Hébreux seraient sortis d'Égypte dans
un sombre désespoir. Moïse et son beau-père Jéthro réunirent les vestiges
des traditions du temps de Melchizédek, et ces enseignements, joints à la
science des Égyptiens, guidèrent Moïse dans la création de la religion et
du rituel amélioré des Israélites. Moïse était un organisateur; il choisit
ce qu'il y avait de mieux dans la religion et les moeurs de l'Égypte et de
la Palestine, il associa ces pratiques aux traditions des enseignements de
Melchizédek, puis il organisa le système cérémoniel hébraïque d'adoration.
Moïse croyait à la Providence; il s'était laissé complètement gagner
par les doctrines d'Égypte concernant le contrôle surnaturel du Nil et des
autres éléments de la nature. Il avait une grande vision de Dieu, mais il
était entièrement sincère quand il enseignait aux Israélites que s'ils
acceptaient d'obéir à Dieu « il t'aimera, te bénira, et te multipliera; il
mutipliera le fruit de ton ventre et le fruit de ta terre -- blé, vin,
huile, et tes troupeaux. Tu prospéreras au-dessus de tous les peuples, et
le Seigneur ton Dieu ôtera de toi toutes maladies et ne t'infligera aucune
des plaies malignes d'Égypte» (1). Moïse dit même: « Rappelle-toi le
Seigneur ton Dieu, car c'est lui qui donne le pouvoir d'obtenir la
richesse ». « Tu prêteras à gages à beaucoup de nations, mais tu
n'emprunteras pas. Tu domineras sur beaucoup de nations, mais elles ne
domineront pas sur toi » (2).
(1) Deutéronome VII-13 à 15. |
(2) Deutéronome XV-6. |
Il était vraiment pitoyable d'observer Moïse, ce grand penseur,
essayant d'adapter son sublime concept d'El Elyon, le Très Haut, à la
compréhension des Hébreux ignorants et illettrés. À son état-major
rassemblé, il disait d'une voix de tonnerre « Le Seigneur votre Dieu est
un seul Dieu il n'y en a point en dehors de lui », tandis qu'à la
multitude mêlée il demandait: « Qui parmi tous les dieux ressemble à votre
Dieu? Moïse se dressa courageusement et avec un succès partiel contre les
fétiches et l'idolâtrie; il déclara: « Vous n'avez rien vu de semblable le
jour où Dieu vous parla à Horeb du milieu du feu ». Il interdit également
de reproduire des images d'aucune sorte.
Moïse craignait de proclamer la miséricorde de Jéhovah; il préféra
inspirer à son peuple la peur de la justice de Dieu en proclamant: « Le
Seigneur votre Dieu est le Dieu des Dieux, le Seigneur des Seigneurs, un
grand Dieu, un Dieu puissant et terrible qui n'a pas d'égard pour les
hommes.» Mais Moïse enseigna à ces tribus qu'elles deviendraient le peuple
élu de Dieu à la seule condition qu'elles « gardent tous ses commandements
et obéissent à tous ses statuts ».
Durant ces premiers temps, on ne parla guère aux Hébreux de la
miséricorde de Dieu. Ils apprirent que « Dieu est tout tout-puissant. Dieu
est un guerrier, le Dieu des batailles, au pouvoir glorieux, qui taille en
pièces ses ennemis ». « Le Seigneur Dieu marche au milieu de votre camp
pour vous délivrer ». Les Israélites croyaient que leur Dieu les aimait,
mais aussi qu'il avait « endurci le coeur du Pharaon » et « maudit leurs
ennemis ».
Bien que Moïse eût présenté aux enfants d'Israël des aperçus fugitifs
d'une Déité universelle et bienveillante, leur concept au le jour de
Jéhovah était dans l'ensemble celui d'un Dieu à peine meilleur que les
dieux tribaux des peuplades environnantes. Leur conception de Dieu était
grossière, primitive, et anthromorphique. Lorsque Moïse trépassa, ces
tribus bédouines revinrent rapidement aux idées semi-barbares de leurs
anciens dieux d'Horeb et du désert. La vision élargie et plus sublime de
Dieu que Moïse présentait de temps en temps à ses cadres subordonnés fut
bientôt perdue de vue, tandis que la majorité de la populace revenait à
l'adoration de ses veaux d'or symbolisant Jéhovah pour les gardiens de
troupeaux en Palestine.
Quand Moïse passa le commandement des Hébreux à Josué, il avait déjà
réuni des milliers de descendants collatéraux d'Abraham, de Nahor, de Lot,
et d'autres tribus parentes, et les avait rassemblés à la cravache en une
nation de guerriers pastoraux capable de s'entretenir par ses propres
moyens et de se gouverner partiellement elle-même.
6. -- LE CONCEPT DE DIEU APRÈS LA MORT DE MOÏSE
Après la mort de Moïse, son concept sublime de Jéhovah dégénéra
rapidement; Josué et les dirigeants d'Israël conservèrent les traditions
mosaïques du Dieu infiniment sage, bienveillant, et tout-puissant, mais le
commun du peuple revint bientôt à l'ancienne idée de Jéhovah, qu'il
s'était faite dans le désert. Ce retour en arrière du concept de la Déité
s'accéléra sous le règne successif des divers cheiks tribaux dits les
Juges.
L'ascendant de l'extraordinaire personnalité de Moïse avait gardé
vivante dans le coeur de ses partisans l'inspiration d'un concept de plus
en plus vaste de Dieu; mais une fois qu'ils atteignirent les terres
fertiles de Palestine, ces bergers nomades se transformèrent rapidement en
fermiers établis et assez calmes. Cette évolution des pratiques de la vie
et ce changement de point de vue religieux exigèrent une transformation
plus ou moins complète du caractère qu'ils attribuaient à la nature de
leur Dieu Jéhovah. A l'époque où l'austère, rudimentaire, exigeant et
orageux dieu du désert du Sinaï commença la transmutation qui devait en
faire plus tard un Dieu d'amour, de justice, et de miséricorde, les
Hébreux perdirent presque complètement de vue les sublimes enseignements
de Moïse. Ils furent tout près de perdre la conception du monothéisme et
leur chance de devenir le peuple qui devait servir de chaînon essentiel
dans l'évolution spirituelle d'Urantia, le groupe qui conserverait
l'enseignement de Melchizédek sur un Dieu unique jusqu'à l'époque de
l'incarnation d'un Fils d'effusion de ce Père Universel.
Josué chercha désespérément à maintenir dans la pensée des hommes des
tribus le concept d'un Jéhovah suprême qui, d'après lui, proclamait: «
Comme j'ai été avec Moïse, ainsi je serai avec Israël; je ne te ferai pas
défaut, et je ne t'abandonnerai pas » (1). Josué trouva nécessaire de
prêcher un évangile sévère à son peuple incrédule, bien trop disposé à
croire à son ancienne religion indigène, mais peu désireux de progresser
dans une religion de foi et de droiture. Le fardeau imposé par
l'enseignement de Josué devint: « Jéhovah est un Dieu saint; il est un
Dieu jaloux; il ne pardonnera ni vos transgressions ni vos péchés » (2).
La conception la plus élevée de cette époque décrivait Jéhovah comme un «
Dieu de puissance, de jugement, et de justice ».
Même au cours de cet âge de ténèbres, des éducateurs solitaires
apparaissaient de temps en temps et proclamaient le principe mosaïque de
la divinité: « Vos enfants pervers ne peuvent servir le Seigneur, car il
est un Dieu saint » (2). « L'homme mortel sera-t-il plus juste que Dieu?
Un homme sera-t-il plus pur que son Créateur? » « Pouvez-vous trouver Dieu
en le cherchant? Pouvez-vous découvrir parfaitement le Tout-Puissant?
Voici Dieu est grand, et nous le connaissons pas. Et le Tout -Puissant,
nous ne pouvons le découvrir » (3).
(1) Josué I-5. |
(2) Josué XXIV-19. |
(3) Job IV-17, XI-7,
XXXVI-26
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7. -- LES PSAUMES ET LE LIVRE DE JOB
Sous la direction de leurs cheiks et de leurs prêtres, les Hébreux se
répandirent en Palestine. Ils s'y replongèrent bientôt dans les croyances
ignorantes de jadis et se laissèrent corrompre par les pratiques
religieuses moins évoluées des Cananéens. Ils devinrent idolâtres et
licencieux. Leur idée de la Déité tomba très en-dessous des concepts
égyptiens et mésopotamiens de Dieu, qui étaient maintenus par certains
groupes salémites survivants et qui sont rappelés dans quelques psaumes et
dans le Livre dit de Job.
Les Psaumes sont l'oeuvre d'au moins une vingtaine d'auteurs. Beaucoup
de ces psaumes furent écrits par des éducateurs d'Égypte et de
Mésopotamie. à l'époque où le Moyen-Orient adorait les dieux de la nature,
il restait un assez grand nombre de personnes qui croyaient à la
suprématie d'El Elyon, le Très Haut.
Nul assemblage d'écrits religieux n'exprime une richesse de dévotion et
d'inspiration divine égale à celle du Livre des Psaumes. En misant
attentivement cette merveilleuse compilation de littérature pieuse, il
serait très utile d'étudier la source et la chronologie particulière de
chaque hymne de louange et d'adoration, en se rappelant que nul autre
recueil d'écrits ne couvre une aussi longue période de temps. Le livre des
Psaumes est le recueil des divers concepts de Dieu entretenus par les
croyants de la religion de Salem dans tout le Moyen-Orient, et il embrasse
toute la période allant d'Aménémope à Isaïe. Dans les Psaumes, Dieu est
décrit sous toutes les phases de conception, depuis l'idée rudimentaire
d'une déité tribale jusqu'à l'idéal largement amplifié des derniers
Hébreux, où Jéhovah est dépeint comme un chef aimant et un Père
miséricordieux.
Vu sous cet angle, le groupe des Psaumes constitue le recueil le plus
précieux et le plus utile des sentiments de dévotion que les hommes aient
jamais rassemblé avant le XXième siècle. L'esprit d'adoration de ce
recueil d'hommes transcende celui de tous les autres livres sacrés du
monde.
L'image panachée de la Déité présentée dans le livre de Job fut
élaborée par plus de vingt éducateurs religieux de Mésopotamie au cours
d'une période de près de trois cents ans. En lisant le concept sublime de
la divinité dans cette compilation de croyances mésopotamiennes, on
reconnaît que c'est au voisinage d'Ur en Chaldée que l'idée d'un Dieu réel
fut le mieux préservée durant les jours de ténèbres en Palestine.
Les Palestiniens saisissaient souvent la sagesse et la puissance de
pénétration universelle de Dieu, mais rarement son amour et sa
miséricorde. Le Jéhovah de cette époque « envoie de mauvais esprits pour
dominer l'âme de ses ennemis »; il fait prospérer ses propres enfants
quand ils obéissent, tandis qu'il maudit tous les autres et leur inflige
des désastres. « Il déçoit les projets des astucieux il prend les habiles
a leurs propres tromperies ».
C'est seulement à Ur qu'une voix s'éleva pour crier la miséricorde de
Dieu en disant: « Il priera Dieu et trouvera sa faveur et verra sa face
avec joie, car Dieu donnera à l'homme la divine droiture ». C'est d'Ur que
fut prêché en ces termes le salut, la faveur divine par la foi: « Il fait
grâce à qui se repent et dit: délivre-le de tomber dans la fosse, car j'ai
trouvé une rançon. Si quelqu'un dit: j'ai péché et perverti ce qui était
droit, et cela ne m'a pas profité, Dieu délivrera son âme de tomber dans
la fosse, et il verra la lumière » (1). Jamais depuis l'époque de
Melchizédek, le monde levantin n'avait entendu un aussi vibrant et
encourageant message de salut humain que cet extraordinaire enseignement
d'Elihu, prophète d'Ur et prêtre des croyants salémites, c'est-à-dire ce
qui subsistait de l'ancienne colonie de Melchizédek en Mésopotamie.
C'est ainsi que le reste des missionnaires de Salem en Mésopotamie
maintint la lumière de la vérité durant la période de désorganisation des
peuplades hébraïques jusqu'à l'apparition du premier de la longue série
ininterrompue des instructeurs d'Israël. Concept après concept, ils
édifièrent jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à concevoir clairement
l'idéal du Père Universel, Auteur de toute la création, et apogée de
l'évolution du concept de Jéhovah.
(1) Job XXXIII-23 et parallèles.
[Présenté par un Melchizédek de Nébadon.]
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