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LE RETOUR DE ROME
EN se préparant à quitter Rome, Jésus ne fit d'adieux à aucun de ses
amis. Le scribe de Damas était apparu à Rome sans être annoncé et en
disparut discrètement de la même manière. Il fallut une année entière
avant que ceux qui le connaissaient et l'aimaient renoncent à l'espoir de
le revoir. Avant la fin de la seconde année, de petits groupes de ceux qui
l'avaient connu se rassemblèrent en raison de leur intérêt commun pour ses
enseignements et de leur souvenir mutuel des bons moments passés avec lui.
Ces petits groupes de Stoïciens, de Cyniques, et d'adeptes des cultes des
mystères continuèrent à tenir des réunions sporadiques et officieuses
jusqu'à l'époque où apparurent à Rome les premiers évangélistes de la
religion chrétienne.
Gonod et Ganid avaient fait tant d'achats à Alexandrie et à Rome qu'ils
envoyèrent tous leurs bagages d'avance à Tarente par un convoi de bêtes de
somme, tandis que les trois voyageurs traversaient paisiblement l'Italie à
pied par la grande Voie Appienne. Au cours de ce voyage, ils rencontrèrent
toutes sortes d'êtres humains. Beaucoup de nobles citoyens romains et de
colons grecs vivaient le long de cette route, mais déjà la progéniture
d'un grand nombre d'esclaves de souche inférieure commençait à faire son
apparition.
Un jour ils s'arrêtèrent pour déjeuner, à peu près à moitié chemin de
Tarente, Ganid posa à Jésus une question directe sur ce qu'il pensait du
système des castes aux Indes. Jésus répondit: « Bien que les êtres humains
diffèrent les uns des autres sous beaucoup de rapports, tous les mortels
se trouvent sur un pied d'égalité devant Dieu et le monde spirituel. Aux
yeux de Dieu, il n'y a que deux groupes de mortels, ceux qui désirent
faire sa volonté et ceux qui ne le désirent pas. Quand l'univers contemple
un monde habité, il discerne également deux grandes classes d'hommes, ceux
qui connaissent Dieu et ceux qui ne le connaissent pas. Ceux qui ne
peuvent pas connaître Dieu sont comptés parmi les animaux du royaume. On
peut à juste titre diviser les hommes en de nombreuses classes selon leurs
différentes qualifications, car on peut les considérer du point de vue
physique, mental, social, professionnel, ou moral; mais devant la barre du
tribunal de Dieu. ces différentes classes de mortels apparaissent sur un
pied d'égalité. En vérité, Dieu ne fait pas acception de personnes. Bien
que l'on ne puisse éviter de reconnaître chez les hommes des aptitudes et
des dons diversifiés en matière intellectuelle, sociale, et morale, il ne
faudrait faire aucune distinction de cet ordre dans la confraternité
spirituelle des hommes quand ils sont réunis pour adorer en présence de
Dieu ».
1. -- MISÉRICORDE ET JUSTICE
Un incident très intéressant se produisit un après-midi au bord de la
route alors que le trio approchait de Tarente. Ils virent un adolescent
grossier et brutal attaquer un garçon plus petit. Jésus se hâta d'aider la
jeune victime, et quand il l'eut tirée de ce mauvais pas, il maintint
étroitement l'agresseur jusqu'à ce que le petit garçon se fût échappé. Dès
que Jésus eut lâché le jeune brutal, Ganid fonça sur lui et se mit à lui
infliger une bonne correction. Au grand étonnement de Ganid, Jésus
intervint. Lorsqu'il eut réfréné Ganid et permis au garçon effrayé de
s'enfuir, Ganid ne tarda pas à reprendre son souffle et s'écria avec
agitation: « Maître, je n'arrive pas à te comprendre. Si
la miséricorde demande que tu sauves le petit garçon, la justice
n'exige-t-elle pas que l'agresseur plus fort soit puni? » Au cours de sa
réponse, Jésus dit:
« Ganid, il est bien vrai que tu ne comprends pas. Le ministère de la
miséricorde est toujours une affaire individuelle, tandis que la justice
et ses châtiments sont la fonction de groupes administratifs de la
société, du gouvernement, ou de l'univers. En tant qu'individu, je suis
tenu de montrer de la miséricorde; il fallait que j'aille au secours du
garçon attaqué, et en toute logique j'ai le droit d'employer la force
suffisante pour paralyser l'agresseur. C'est précisément ce que j'ai fait.
J'ai délivré le garçon attaqué, et là se termine le ministère de
miséricorde. Ensuite, j'ai maintenu l'agresseur assez longtemps pour
permettre à sa victime plus faible de s'enfuir, après quoi je me suis
retiré de la bagarre. Je ne me suis pas mis à juger l'attaquant en
évaluant ses mobiles -- à apprécier tous les éléments que comportait son
attaque -- puis à infliger la punition que ma pensée aurait pu dicter pour
le juste châtiment de son méfait. Ganid, la miséricorde peut être
prodigue, mais la justice est précise. Rends-toi compte qu'il y a peu de
chances de voir deux personnes se mettre d'accord sur la sanction
susceptible de satisfaire les exigences de la justice. L'une voudra
imposer quarante coups de fouet, une autre vingt, tandis qu'une troisième
recommandera la réclusion comme juste punition. Ne peux-tu voir que, sur
cette terre, il vaut mieux que ces responsabilités retombent sur la
collectivité ou qu'elles soient administrées par des représentants choisis
de cette collectivité? Dans l'univers, le droit de juger appartient à ceux
qui connaissent pleinement les antécédents et les motifs de tous les
méfaits. Dans une société civilisée et dans un univers organisé,
l'administration de la justice présuppose le prononcé d'une juste sentence
après un jugement équitable, et ces prérogatives sont dévolues aux corps
judiciaires des mondes et aux administrateurs omniscients des univers
supérieurs de toute la création ».
Durant des jours ils s'entretinrent du problème consistant à manifester
la miséricorde et à administrer la justice. Ganid comprit, au moins dans
une certaine mesure, pourquoi Jésus ne voulait pas se battre
personnellement, mais il posa une dernière question à laquelle il ne reçut
jamais de réponse satisfaisante. Il demanda: « Maître, si une créature
plus forte que toi et méchante t'attaquait et menaçait de te détruire,
comment agirais-tu? Ne ferais-tu aucun effort pour te défendre? » Jésus ne
pouvait répondre d'une manière complète et satisfaisante à la question du
jeune homme, car il ne voulait pas lui révéler que lui (Jésus) vivait sur
terre pour donner à un univers qui le contemplait l'exemple de l'amour du
Père du Paradis. Il répondit néanmoins ceci:
« Ganid, je comprends bien pourquoi certains de ces problèmes te
rendent perplexe, et je vais m'efforcer de répondre à ta question.
D'abord, dans toute attaque éventuelle dirigée contre ma personne, je
déterminerais si l'agresseur est ou non un fils de Dieu -- mon frère
terrestre. Si j'estimais que cette créature est dépourvue de jugement
moral et de raison spirituelle, je me défendrais sans hésitation jusqu'à
la limite de ma force de résistance, sans me préoccuper des conséquences
pour l'attaquant. Mais si ce compagnon avait statut de fils, je ne me
battrais pas ainsi contre lui, même en cas de légitime défense. Autrement
dit, je ne le punirais pas d'avance et sans jugement pour m'avoir attaqué.
Par tous les artifices possibles, je chercherais à l'empêcher et à le
dissuader de lancer son attaque, et à la modérer au cas où je ne
réussirais pas à la faire avorter. J'ai une confiance absolue dans la
surveillance supérieure exercée par mon Père céleste. Je suis voué à faire
sa volonté. Je ne crois pas que l'on puisse réellement me nuire, ni
que l'oeuvre de ma vie puisse vraiment être mise en péril par un effort
quelconque de mes ennemis contre moi, et par ailleurs nous n'avons
certainement à craindre aucune violence de la part de nos amis. Je suis
absolument convaincu que l'univers entier est bien disposé à mon égard et
je persiste à croire à cette toute-puissante vérité avec une confiance
totale, malgré toutes les apparences contraires ».
Mais Ganid n'était pas entièrement satisfait. Il revint maintes fois
sur le sujet. Jésus lui raconta certaines de ses expériences d'enfant et
lui parla de Jacob, le fils du maçon. En apprenant comment Jacob s'était
érigé lui-même en défenseur de Jésus, Ganid dit: « Oh, je commence à
comprendre! Tout d'abord il est très rare qu'un être humain normal veuille
attaquer une personne aussi bonne que toi. Même si quelqu'un était assez
fou pour le faire, il est à peu près sûr qu'il y aurait à proximité
quelqu'un d'autre pour voler a ton secours, comme tu le fais toujours
toi-même pour toute personne que tu vois dans la détresse. Maître, je suis
d'accord avec toi dans mon coeur, mais dans ma tête je pense encore que si
j'avais été Jacob, j'aurais pris plaisir à punir les grossiers personnages
qui prétendaient t'attaquer simplement parce qu'ils croyaient que tu ne te
défendrais pas. Je suppose que tu voyages assez en sécurité à travers la
vie, car tu passes beaucoup de temps à aider autrui et à secourir tes
semblables dans l'affliction -- eh bien, il est fort probable qu'il y aura
toujours quelqu'un à portée de la main pour te défendre ». Et Jésus
répondit: « Cette épreuve n'est pas encore arrivée, Ganid, et quand elle
viendra, il faudra nous conformer à la volonté du Père ». Ce fut à peu
près tout ce que le jeune homme réussit à tirer de son récepteur sur le
sujet difficile de l'auto-défense et de la non-résistance. En une autre
occasion, Ganid obtint de Jésus l'opinion que la société organisée avait
parfaitement le droit d'employer la force pour faire exécuter ses justes
ordonnances.
2. -- L'EMBARQUEMENT À TARENTE
Tandis qu'ils s'attardaient au point d'accostage du bateau en attendant
le déchargement d'une partie de sa cargaison, les trois voyageurs
remarquèrent un homme qui maltraitait sa femme. Selon son habitude, Jésus
intervint en faveur de la personne attaquée. Il s'avança derrière le mari
furieux, lui tapa gentiment sur l'épaule, et lui dit: « Mon ami, puis-je
te parler en tête-à-tête pendant quelques instants? » L'homme en colère
fut interloqué par cette approche, et après un moment d'hésitation
embarrassée il balbutia: « Euh -- pourquoi
-- oui, que me veux-tu? Jésus le conduisit à l'écart et lui dit « Mon ami,
j'imagine qu'il a dû t'arriver quelque chose de terrible. Je désire
vivement t'entendre raconter ce qui a pu advenir à un homme fort comme toi
pour l'amener à se livrer à des voies de fait sur sa femme, la mère de ses
enfants, et cela en public. Je suis certain que tu as le sentiment d'avoir
une bonne raison pour justifier cette attaque. Qu'est-ce que ta femme a
fait pour mériter un pareil traitement de la part de son mari? En te
regardant, je crois discerner sur ton visage l'amour et la justice, sinon
le désir de montrer de la miséricorde. Je m'aventure à dire que si tu
m'avais trouvé sur le côté de la route, attaqué par des voleurs, tu te
serais précipité sans hésitation à mon secours. J'ose affirmer que tu as
accompli bien des actes de bravoure de cet ordre au cours de ta vie.
Maintenant, mon ami, dis-moi de quoi il s'agit. Ta femme a-t-elle fait
quelque chose de mal, ou bien as-tu sottement perd la tête et l'as-tu
frappée dune manière irréfléchie? » Le coeur de l'homme fut touché, moins
par les paroles de Jésus que par le regard affectueux et le sourire
compatissant accompagnant la conclusion de ses remarques. L'homme dit: «
Je perçois que tu es un prêtre des Cyniques, et je te suis reconnaissant
de m'avoir refréné. Ma femme n'a pas fait grand-chose de mal; elle est une
bonne épouse, mais elle m'irrite par la manière dont elle me cherche noise
en public, et je perds alors mon sang-froid. Je suis désolé de mon manque
de contrôle sur moi-même, et je promets de remplir l'engagement que
j'avais pris envers l'un de tes frères qui m'avait enseigné la meilleure
voie il y a bien des années. Je te le promets ».
Alors, en lui disant adieu, Jésus ajouta: « Mon frère, n'oublie jamais
qu'un homme n'a pas d'autorité légitime sur une femme à moins que la femme
ne lui ait spontanément et volontairement donné cette autorité. Ton épouse
s'est engagée à traverser la vie avec toi, à t'aider dans les luttes que
cette vie comporte, et à assumer la majeure partie du fardeau consistant à
mettre au monde et à élever tes enfants. En retour, il est simplement
équitable qu'elle reçoive de toi la protection spéciale qu'un homme peut
donner à sa femme, à sa partenaire obligée de porter, de mettre au monde,
et de nourrir leurs enfants. La considération et les soins affectueux
qu'un homme est disposé à accorder à sa femme et à ses enfants indiquent
la mesure dans laquelle cet homme a atteint les niveaux supérieurs de
conscience créative et spirituelle. Ne sais-tu pas que les hommes et les
femmes sont partenaires de Dieu, en ce sens qu'ils coopèrent pour créer
des êtres qui grandissent jusqu'à posséder de potentiel d'âmes
immortelles? Le Père céleste traite comme un égal l'Esprit-Mère des
enfants de l'univers. Il est divin de partager la vie et tout ce qui s'y
rapporte sur un pied d'égalité avec la mère et compagne qui participe si
pleinement à l'expérience divine de vous reproduire dans la vie de vos
enfants. Si seulement tu peux aimer tes enfants comme Dieu t'aime, tu
aimeras et tu chériras ta femme comme le Père céleste honore et exalte
l'Esprit Infini, mère de tous les enfants spirituels d'un vaste univers ».
En montant à bord du voilier, ils se retournèrent pour contempler la
scène du couple qui, les larmes aux yeux, se tenait silencieusement
enlacé. Ayant entendu la dernière partie du message de Jésus à cet homme
Gonod passa toute la tournée à méditer sur le sujet et résolut de
réorganiser son foyer des son retour aux Indes.
Le voyage jusqu'à Nicopolis fut agréable mais lent, car le vent n'était
pas favorable. Les trois compagnons passèrent de nombreuses heures à
résumer leurs expériences à Rome et à se remémorer tout ce qui leur était
arrivé depuis leur première rencontre à Jérusalem. Ganid se pénétrait de
l'esprit d'entraide personnelle. Il commença à l'exercer sur le nautonier,
mais le second jour il perdit pied dans les eaux profondes de la religion
et appela Jésus a la rescousse pour s'en tirer.
Ils passèrent plusieurs jours à Nicopolis, la ville fondée par Auguste
une cinquantaine d'années auparavant comme « cité de victoire » pour
commémorer la bataille d'Actium; c'était le lieu où Auguste avait campé
avec son armée avant la bataille. Ils logèrent dans la maison d'un certain
Jéramy, un prosélyte grec de la foi juive qu'ils avaient rencontré à bord.
Plus tard l'Apôtre Paul passa tout l'hiver avec le fils de Jéramy dans
cette même maison au cours de son troisième voyage missionnaire. De
Nicopolis, Jésus, Gonod, et Ganid firent voile sur le même bateau pour
Corinthe, capitale de la province romaine d'Achaïe.
3. -- À CORINTHE
Lors de leur arrivée à Corinthe, Ganid commençait à s'intéresser
beaucoup à la religion juive. Il n'y avait donc rien d'anormal à ce qu'un
jour, en passant devant la synagogue et en voyant les gens y entrer, il
demandât à Jésus de l'emmener à l'office. Ce jour-là, ils entendirent un
savant rabbi discourir sur la « Destinée d'Israël ». Après le service, ils
rencontrèrent un certain Crispus, principal chef de la synagogue. Ils
retournèrent maintes fois aux offices de cette synagogue, mais surtout
pour revoir Crispus. Ganid se prit d'une grande affection pour lui, sa
femme, et leur famille de cinq enfants. Il prit plaisir à observer comment
un Juif menait sa vie de famille.
Tandis que Ganid étudiait ce point, Jésus enseignait Crispus les
meilleures voies de la vie religieuse. Jésus eut plus de vingt entretiens
avec ce Juif clairvoyant. Il n'y a rien de surprenant à ce que, quelques
années plus tard, Crispus et toute sa famille aient embrassé la nouvelle
religion après que Paul eut prêché dans cette même synagogue, que les
Juifs eurent rejeté son message et voté l'interdiction pour lui d'y
poursuivre ses prédications, et que Paul se fût alors tourne vers les
Gentils. Crispus devint l'un des principaux soutiens de l'Église
chrétienne que Paul organisa ensuite à Corinthe.
Durant dix-huit mois, Paul prêcha à Corinthe où il fut rejoint plus
tard par Silas et Timothée. Au cours de cette période, il rencontra
beaucoup d'autres personnes qui avaient été instruites par le « précepteur
juif du fils d'un marchand hindou ».
À Corinthe, Jésus, Gonod, et Ganid prirent contact avec des gens de
toutes les races venant des trois continents. Après Alexandrie et Rome,
Corinthe était la ville la plus cosmopolite de l'empire méditerranéen.
Bien des spectacles y attiraient l'attention, et Ganid ne se lassa jamais
de visiter la citadelle qui se dressait à six cents mètres au-dessus de la
mer. Il passa aussi une grande partie de ses loisirs dans la synagogue et
chez Crispus. Ganid fut d'abord choqué, puis séduit par le statut de la
femme dans les foyers juifs; ce fut une révélation pour ce jeune Hindou.
Jésus et Ganid furent souvent les hôtes d'un autre foyer juif, celui de
Justus, un pieux marchand, qui vivait dans une maison contiguë à la
synagogue. L'Apôtre Paul séjourna plus tard dans cette maison (1) et
entendit maintes fois raconter les visites du jeune hindou et de son
précepteur juif. Paul et Justus se demandaient ce qu'avait bien pu devenir
ce sage et brillant éducateur hébreu.
(1) Actes XVIII-7.
Au cours de leur séjour à Rome, Ganid avait remarqué que Jésus refusait
de l'accompagner aux bains publics. Le jeune homme essaya plusieurs fois
ensuite d'inciter Jésus à donner son opinion sur les relations entre
sexes. Jésus répondait aux questions du garçon, mais ne paraissait jamais
enclin a s'étendre sur ce sujet. Un soir, tandis qu'ils se promenaient à
Corinthe près de l'endroit où le mur de la citadelle descendait jusqu'à la
mer, ils furent accostés par deux filles publiques. Ganid était à juste
titre imbu de l'idée que Jésus était un homme de haut idéal, abhorrant
tout ce qui touchait à l'impureté ou avait un relent de mal; en
conséquence, il parla sèchement à ces à femmes en les invitant
grossièrement à s'en aller. Voyant cela, Jésus dit à Ganid: « Tu as de
bonnes intentions, mais tu ne devrais pas te permettre de parler ainsi aux
enfants de Dieu, même s'il se trouve que ce sont ses enfants dévoyés. Qui
sommes-nous pour juger ces femmes? Connais-tu toutes les circonstances qui
les ont amenées à recourir à de pareilles méthodes pour se procurer leur
subsistance? Reste ici avec moi; nous allons aborder ces questions ». Les
prostituées furent encore plus étonnées que Ganid par ses paroles.
Le groupe se tenait debout, éclairé par la lune, et Jésus poursuivit: «
Dans chaque pensée humaine vit un esprit divin, don du Père céleste. Ce
bon esprit s'efforce toujours de nous conduire à Dieu, de nous aider à
trouver Dieu et à le connaître. Mais les mortels sont également soumis à
bien des tendances physiques naturelles que le Créateur a placées en eux
pour servir le bien-être individuel et racial. Or les hommes et les femmes
s'embrouillent bien souvent dans leurs efforts pour se comprendre et
attaquer les multiples difficultés rencontrées pour gagner leur vie dans
un monde si largement dominé par l'égoïsme et le péché. Ganid, je perçois
que ni l'une ni l'autre de ces femmes n'est volontairement dépravée. Je
peux dire d'après leur visage qu'elles ont subi de grande chagrins; elles
ont beaucoup souffert sous les coups d'un destin apparemment cruel; elles
n'ont pas choisi intentionnellement cette sorte de vie. Dans un
découragement frisant le désespoir, elles ont succombé à la pression du
moment et accepté ce procédé déplaisant pour gagner de quoi vivre, comme
meilleur moyen de se tirer d'une situation qui leur paraissait désespérée.
Ganid, certaines personnes sont réellement perverses dans leur coeur et
choisissent délibérément des moyens méprisables. Mais dis-moi, en
regardant ces visages maintenant inondés de larmes, y vois-tu quelque
chose de mauvais ou de méchant? » Tandis que Jésus attendait sa réponse,
la voix de Ganid s'étouffait dans un balbutiement. « Non, Maître, je ne
vois rien de tel et je m'excuse de ma grossièreté -- je les supplie de me
pardonner ». Alors Jésus dit: « Je t'annonce de leur part qu'elles t'ont
pardonné, de même que je dis de la part de mon Père céleste que lui leur a
pardonné. Maintenant, accompagnez moi tous les trois vers la maison d'un
ami où nous trouverons du repos et ferons des plans pour une vie nouvelle
et meilleure dans l'avenir ». Jusque-là, les femmes stupéfaites n'avaient
pas dit un mot; elles se regardèrent et suivirent silencieusement les
hommes qui montraient le chemin.
Imaginez la surprise de la femme de Justus quand à cette heure tardive
Jésus apparut avec Ganid et les deux étrangères en disant: « Nous nous
excusons d'arriver à cette heure, mais Ganid et moi nous aimerions manger
un morceau et le partager avec ces nouvelles amies qui ont également
besoin de nourriture. En outre, nous venons vers toi avec l'idée que cela
t'intéressera de participer à notre discussion sur la meilleure manière
d'aider ces deux femmes à prendre un nouveau départ dans la vie. Elle
peuvent te raconter leur histoire, mais je suppose qu'elles ont eu bien
des difficultés; leur présence même dans ta maison témoigne combien
sérieusement elles désirent connaître des gens de bien, et combien
volontiers elles saisiront l'occasion de montrer au monde entier et même
aux anges du ciel -- qu'elles peuvent devenir de braves et nobles femmes
».
Lorsque Marthe, la femme de Justus, eut disposé la nourriture sur la
table, Jésus prit congé d'une manière inattendue en disant: « Il est tard,
et le père du jeune homme va nous attendre; veuillez bien nous excuser de
vous laisser ensemble -- trois dames -- les filles bien-aimées du Très
Haut. Je prierai pour votre gouverne spirituelle pendant que vous allez
faire plans pour leur vie nouvelle et meilleure sur terre et pour leur vie
éternelle dans le grand au-delà ».
Jésus et Ganid prirent donc congé des dames. Jusque là, les deux
prostituées n'avaient rien dit, et Ganid était également incapable de
parler. Pendant quelques instants il en fut de même pour Marthe, mais elle
s'éleva bientôt à la hauteur des circonstances et fit pour les étrangères
tout ce que Jésus avait espéré. La plus âgée des deux mourut très peu de
temps après avec de brillantes espérances de survie éternelle; la plus
jeune travailla avec Justus au siège de ses affaires et devint plus tard,
pour toute sa vie, membre de l'Église chrétienne de Corinthe.
Dans la maison de Crispus, Jésus et Ganid rencontrèrent plusieurs fois
un certain Gaïus, qui devint plus tard un fidèle soutien de Paul. Durant
leurs deux mois à Corinthe, ils eurent des conversations familières avec
des dizaines de personnalités dignes d'intérêt. À la qui te de ces
contacts, apparemment dus au hasard, plus de la moitié des intéressés
devinrent ultérieurement membres de la communauté chrétienne.
Lors de son premier passage à Corinthe, Paul n'avait pas eu l'intention
d'y rester longtemps, mais il ne savait pas à quel point le précepteur
juif avait bien préparé la voie ses travaux. Il découvrit en outre qu'Aquilas
et Priscilla avaient déjà suscité un grand intérêt pour sa doctrine.
Aquilas était l'un des Cyniques avec qui Jésus était entré en contact à
Rome; lui et sa femme étaient des réfugiés juifs de Rome, et ils se
rallièrent rapidement aux enseignements de Paul, qui vécut et travailla
avec eux, car ils étaient aussi des fabricants de tentes (2). Ce fut en
raison de ces circonstances que Paul prolongea son séjour à Corinthe.
(2) Actes XVIII-1 à 3.
4. -- TRAVAIL PERSONNEL À CORINTHE
Jésus et Ganid firent de nombreuses autres expériences intéressantes à
Corinthe. Ils eurent des discussions serrées avec un grand nombre de
personnes qui profitèrent grandement des exposés de Jésus.
À un meunier, Jésus apprit à moudre les grains de vérité dans le moulin
de l'expérience vivante, de manière à rendre les obligations difficiles de
la vie divine aisément acceptables, même par des compagnons faibles et
débiles. Jésus dit: « Donne le lait de la vérité à ceux qui sont dans
l'enfance de la perception spirituelle. Dans ta vie et dans ton affectueux
ministère, sers la nourriture spirituelle sous forme attrayante et adaptée
a la capacité de réception de celui qui t'interroge ».
À un centurion romain, Jésus dit: « Rends à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. Il n'a pas de conflit entre le sincère
service de Dieu et le loyal service de César, à moins que César n'ait la
prétention de s'arroger l'hommage auquel seule la Déité peut prétendre. La
loyauté envers Dieu, si tu parviens à le connaître, te rendra d'autant
plus loyal et fidèle dans ta dévotion à un empereur digne de ce nom ».
Au chef sincère du culte mithriaque, Jésus dit: « Tu fais bien de
rechercher une religion de salut éternel, mais tu te trompes en espérant
trouver cette glorieuse vérité dans les mystères établis par les hommes et
dans les philosophies humaines. Ne sais-tu pas que le mystère du salut
éternel réside dans ta propre âme? Ne sais-tu pas que le Dieu du ciel a
envoyé son esprit vivre en toi, et que tous les hommes qui aiment la
vérité et servent Dieu seront conduits par cet esprit hors de cette vie,
par les portes de la mort, jusqu'aux hauteurs éternelles de lumière ou
Dieu attend de recevoir ses enfants? Et n'oublie jamais que ceux qui
connaissent Dieu sont les fils le Dieu s'ils aspirent à lui ressembler ».
À un maître épicurien, il dit: « Tu fais bien de choisir le meilleur et
d'apprécier ce qui est bon, mais es-tu sage quand tu omets de discerner
les grands facteurs de la vie temporelle incorporés dans les royaumes
spirituels issus de la conscience de la présence de Dieu dans le coeur
humain? Dans toute expérience humaine, l'essentiel est la conscience de
connaître le Dieu dont l'esprit vit en toi et cherche à te faire avancer
dans le long et presque interminable voyage pour atteindre la présence
personnelle de notre Père commun, le Dieu de toute la création, le
Seigneur des univers ».
À un entrepreneur et constructeur grec. il dit: « Mon ami, en même
temps que tu construis les édifices matériels des hommes développe un
caractère spirituel ressemblant à l'esprit divin intérieur de ton âme. Ne
laisse pas ta réussite comme constructeur temporel l'emporter sur tes
accomplissements comme fils spirituel du royaume des cieux. Pendant que tu
bâtis les maisons du temps pour autrui, ne néglige pas de t'assurer ton
propre droit de séjour dans les maisons de l'éternité. N'oublie jamais
qu'il existe une cité dont les fondements sont la droiture et la vérité,
et dont le constructeur et créateur est Dieu ».
À un juge romain, Jésus dit: « Pendant que tu juges des hommes,
rappelle-toi que tu comparaîtras aussi un jour devant le tribunal des
Souverains d'un univers. Juge avec justice, et même avec miséricorde, car
un jour tu souhaiteras ardemment la considération miséricordieuse de
l'Arbitre Suprême. Juge comme tu voudrais être jugé dans des circonstances
semblables, et tu seras ainsi guidé par l'esprit de la loi aussi bien que
par sa lettre. De même que tu accordes une justice dominée par l'équité,
et à la lumière des besoins de ceux qui sont amenés devant toi, de même tu
auras le droit de t'attendre à une justice tempérée parla miséricorde
quand tu te trouveras un jour devant le Juge de toute la terre ».
À la tenancière de l'auberge grecque, il dit: « Offre ton hospitalité
comme une personne qui reçoit les enfants du Très Haut. Élève la corvée de
ton travail quotidien au niveau supérieur des beaux-arts par la conscience
croissante que tu sers Dieu en servant les personnes que Dieu habite par
son esprit venu vivre dans le coeur des hommes. Cherche ainsi à
transformer leurs pensées et à conduire leur âme à la connaissance du Père
paradisiaque qui a octroyé tous ces dons d'esprit divin ».
Jésus eut de nombreuses rencontres avec un marchand chinois. En prenant
congé de lui, il lui fit les recommandations suivantes: « N'adore que
Dieu, qui est ton véritable ancêtre spirituel. Souviens-toi que l'esprit
du Père vit toujours en toi et oriente toujours ton âme vers le ciel. Si
tu suis même inconsciemment les directives de cet esprit immortel, tu es
certain de gravir le chemin élevé qui conduit à trouver Dieu. Quand tu
réussiras à atteindre le Père céleste, ce sera parce qu'en le cherchant tu
t'es mis à lui ressembler de plus en plus. Donc, adieu Chang, mais
seulement pour un temps, car nous nous rencontrerons à nouveau dans les
mondes de lumière où le Père des âmes spirituelles a ménagé de nombreux
points d'arrêt charmants pour ceux qui se dirigent vers le Paradis ».
À un voyageur venant d'Angleterre, il dit: « Mon frère, je perçois que
tu es à la recherche de la vérité. Je suggère la possibilité que l'esprit
du Père de toute vérité demeure en toi. As-tu jamais sérieusement essayé
de parler à l'esprit de ta propre âme? Assurément la chose est difficile,
et il est rare qu'elle procure la conscience d'une réussite; mais toute
tentative honnête de la pensée matérielle pour communiquer avec son esprit
intérieur aboutit a un certain succès, bien que la majorité de ces
magnifiques expériences doive rester longtemps des enregistrements
superconscients dans les âmes humaines connaissant Dieu.
À un garçon fuyant, Jésus dit: « Rappelle-toi qu'il y a deux êtres
auxquels tu ne peux échapper -- Dieu et toi-même. Où que tu ailles, tu
t'emmènes toi-même et tu emmènes l'esprit du Père céleste qui vit dans ton
coeur. Mon fils, n'essaye plus de te tromper toi-même; attelle-toi à la
pratique courageuse de faire face aux événements de la vie; appuie-toi
fermement sur l'assurance de ta filiation avec Dieu et sur la certitude
d'une vie éternelle, comme je te l'ai indiqué. Aie dorénavant l'intention
d'être réellement un homme, un homme décidé à affronter bravement et
intelligemment la vie ».
À un criminel condamné, il dit à la dernière heure: « Mon frère, tu as
passé par un mauvais moment. Tu t'es égaré, tu t'es empêtré dans le filet
du crime. D'après ce que tu m'as dit, je sais que tu n'avait pas projeté
de faire la chose qui est sur le point de te coûter la vie temporelle.
Mais tu as commis cette mauvaise action, et tes concitoyens t'ont jugé
coupable; ils ont décidé que tu devais mourir. Ni toi ni moi nous ne
pouvons contester à l'État le droit de se défendre de la manière qu'il
choisit. Il ne paraît pas y avoir d'échappatoire humaine au châtiment de
tes méfaits. Tes semblables sont obligés de te juger d'après ce que tu as
fait, mais il existe un Juge auprès de qui tu peux faire appel pour être
pardonné, et qui te jugera d'après tes vrais mobiles et tes meilleures
intentions. Ne crains pas le jugement de Dieu si ton repentir est
authentique et ta foi sincère. Le fait que ton erreur entraîne la peine de
mort imposée par les hommes ne porte pas préjudice aux chances que
conserve ton âme d'obtenir justice et miséricorde devant les tribunaux
célestes.
Jésus prit plaisir à de multiples entretiens familiers avec un grand
nombre d'âmes assoiffées, trop nombreuses pour être mentionnées dans cet
exposé. Les trois voyageurs profitèrent beaucoup de leur séjour à
Corinthe. À l'exception d'Athènes, qui était plus renommée comme centre
d'éducation, Corinthe était la plus importante ville de Grèce à cette
époque de l'empire romain. Leur séjour de deux mois dans ce centre
commercial florissant leur procura à tous trois l'occasion de gagner une
précieuse expérience. Leur passage dans cette ville fut l'un des arrêts
les plus intéressants sur la route du retour de Rome.
Gonod avait de nombreux correspondants à Corinthe, mais enfin il
termina ses affaires, et le trio se prépara à faire voile pour Athènes.
Ils voyagèrent sur un petit bateau que l'on pouvait transporter par voie
terrestre de l'un des ports de Corinthe à l'autre, sur une distance de
seize kilomètres.
5. -- À ATHÈNES — DISCOURS SUR LA SCIENCE
Ils arrivèrent peu après à l'antique centre de l'éducation et de la
science grecques. Le coeur de Ganid battait à l'idée de se trouver à
Athènes, d'être en Grèce, au centre culturel de l'ancien empire
d'Alexandre qui avait étendu ses frontières jusqu'à son propre pays des
Indes. Il y avait peu d'affaires à traiter, de sorte que Gonod passa la
majeure partie de son temps avec Jésus et Ganid, visitant les nombreux
endroits intéressants et écoutant les discussions passionnantes entre le
garçon et son maître aux talents variés.
Une grande université florissait encore à Athènes, et le trio fit de
fréquentes visites à ses salles d'enseignement. Jésus et Ganid avaient
déjà analysé à fond les enseignements de Platon quand ils avaient assisté
à des conférences au musée d'Alexandrie. Les trois hommes apprécièrent
grandement les arts grecs, dont on pouvait encore trouver des traces
éparses dans la ville.
Le père et le fils goûtèrent beaucoup une discussion sur la science qui
eut lieu un soir à leur auberge entre Jésus et un philosophe grec. Après
que ce pédagogue eut parlé durant près de trois heures et qu'il eut
terminé son discours, Jésus qui fit la réplique suivante que nous
traduisons en langage moderne:
Peut-être les savants mesureront-ils un jour les manifestations
d'énergie, ou de force de la gravitation, de la lumière, ou de
l'électricité, mais ces mêmes savants ne pourront jamais dire ce que
sont ces phénomènes universels. La science traite des activités
physico-énergétiques, la religion traite des valeurs éternelles. La vraie
philosophie est issue de la sagesse qui fait de son mieux pour mettre en
corrélation ces observations quantitatives et qualitatives. Les savants
basent leurs conclusions sur des considérations purement physique; ils
sont toujours en danger d'être affligés d'orgueil mathématique et
d'égoïsme statistique, sans mentionner l'aveuglement spirituel.
La logique est valable dans le monde matériel, et l'on peut se fier aux
mathématiques, mais aucune des deux ne doit être considérée comme
entièrement digne de confiance ou infaillible quand on les applique aux
problèmes de la vie. L'arithmétique dit que si un homme peut tondre un
mouton en dix minutes, dix hommes peuvent le faire en une minute. C'est un
calcul exact, mais ce n'est pas vrai, car les dix hommes n'y
parviendraient pas; ils se gêneraient tellement les uns les autres que le
travail serait considérablement ralenti.
Les mathématiques affirment que si une personne représente une certaine
unité de valeur intellectuelle et morale, dix personnes semblables
représenteront dix fois cette valeur. Mais en traitant de la personnalité
humaine, il serait plus exact de dire que l'efficacité d'une association
de personnalités est égale au carré du nombre de personnalités figurant
dans l'équation, plutôt qu'à leur simple somme arithmétique. Un groupe
social d'êtres humains opérant dans une harmonie coordonnée représente une
force beaucoup plus grande que le simple total de ses éléments.
On peut identifier la quantité comme un fait; elle devient alors
un facteur scientifique uniforme. La qualité est une affaire
d'interprétation mentale et représente une estimation de valeurs; il faut
donc qu'elle reste une expérience individuelle. Quand la science et a
religion deviendront toutes deux moins dogmatiques et toléreront mieux la
critique, la philosophie commencera alors à s'unifier dans la
compréhension intelligente de l'univers.
Il y a unité dans l'univers cosmique si l'on parvient à discerner ses
manifestations. L'univers réel est amical pour chaque enfant du Dieu
éternel. Le vrai problème est le suivant: comment la pensée humaine
peut-elle aboutir à une unité de pensée logique, véritable, et
correspondant à l'unité du cosmos? Pour être en affinité mentale avec
l'univers, il faut concevoir les faits quantitatifs et les valeurs
qualitatives comme ayant une cause commune -- le Père du Paradis. Cette
conception de la réalité donne des vues plus larges sur l'unité
intentionnelle des phénomènes de l'univers; elle révèle même un but
spirituel d'accomplissement personnel progressif. Avec ce concept de
l'unité, on peut sentir l'arrière-plan invariant d'un univers vivant où
les relations impersonnelles changent sans cesse et où les relations
personnelles évoluent continuellement.
La matière, l'esprit, et l'état intermédiaire entre eux sont trois
niveaux reliés et associés de l'unité véritable de l'univers réel. Si
divergents que puissent apparaître les phénomènes universels des faits et
des valeurs, ils sont en fin de compte unifiés dans le Suprême.
La réalité de l'existence matérielle s'attache aux énergies non
reconnues aussi bien qu'à la matière visible. Quand les énergies de
l'univers sont freinées au point d'atteindre le ralentissement nécessaire,
alors, dans des conditions favorables, ces énergies deviennent des masses.
N'oubliez pas que la pensée, seule capable de percevoir la présence des
réalités matérielles, est elle-même réelle. La cause fondamentale de
l'univers d'énergie-masse, de pensée, et d'esprit est éternelle -- elle
existe et consiste ans la nature et les réactions du Père Universel et de
ses coordonnés absolus.
Les auditeurs furent plus que stupéfaits en entendant ces paroles de
Jésus. Le philosophe grec prit congé de lui en disant: « Enfin mes yeux
ont vu un Juif qui pense à autre chose qu'à la supériorité raciale et
parle d'autre chose que de la religion ». Et ils se retirèrent tous pour
la nuit.
Le séjour à Athènes fut plaisant et profitable, mais pas
particulièrement fécond par les contacts humains. Trop d'Athéniens de ce
temps-là étaient soit intellectuellement orgueilleux de leur réputation
d'antan, soit mentalement stupides et ignorants, parce qu'ils étaient les
descendants des esclaves inférieurs amenés au cours des époque antérieures
où il y avait de la gloire en Grèce et de la sagesse dans la pensée de ses
habitants. Néanmoins, on rencontrait encore bien des intelligences
pénétrantes parmi les citoyens d'Athènes.
6. -- À ÉPHÈSE — DISCOURS SUR L'ÂME
En quittant Athènes, les voyageurs passèrent par la Troade pour se
rendre à Éphèse, capitale de la province romaine d'Asie. Ils allèrent
souvent jusqu'au fameux temple d'Artémis des Éphisiens, à environ trois
kilomètres de la ville. Artémis était la plus célèbre déesse de toute
l'Asie Mineure et la perpétuation de la déesse mère encore plus ancienne
de l'époque anatolienne. La grossière idole exposée dans l'immense temple
consacré à son adoration était censée être tombée du ciel. On avait
enseigné à Ganid, dans sa jeunesse, à respecter des statues comme symboles
de la divinité, et les vestiges de cette éducation n'avaient pas été
entièrement extirpés; il crut bien faire en achetant un petit reliquaire
d'argent en l'honneur de cette déesse le la fécondité d'Asie Mineure. Ce
soir-là, les voyageurs s'entretinrent longuement de l'adoration des objets
faits de main d'homme.
Le troisième jour de leur séjour, ils descendirent à pied le long de la
rivière pour observer le dragage du port à son embouchure. À midi, ils
parlèrent à un jeune Phénicien fort découragé qui avait le mal du pays,
mais qui était surtout envieux d'un jeune homme promu au-dessus de lui.
Jésus lui adressa des paroles d'encouragement et cita l'ancien proverbe
hébreu: « Ce sont les qualités d'un homme qui lui valent une situation et
l'amènent au contact des grands hommes ».
Parmi les villes importantes qu'ils visitèrent dans leur tour de la
Méditerranée, c'est ici que leur passage fut le moins profitable pour le
travail ultérieur des missionnaires chrétiens. C'est largement grâce aux
efforts de Paul que le christianisme prit son essor à Éphèse. Paul y
résida plus de deux ans, fabriquant des tentes pour gagner sa vie, et
faisant chaque soir des conférences sur la religion et la philosophie dans
la principale salle d'audience de l'école de Tyrannus.
Un penseur progressif avait des liens avec cette école locale de
philosophie. Jésus eut avec qui plusieurs entretiens profitables au cours
desquels il employa à maintes reprises le mot « âme ». Le Grec érudit
finit par qui demander ce qu'il entendait par « âme », et Jésus répondit:
L'âme est la fraction de l'homme qui reflète son identité, qui discerne
la vérité, et perçoit l'esprit; elle élève perpétuellement l'être humain
au-dessus du niveau du monde animal. La conscience intellectuelle de soi,
en elle-même et par elle-même, n'est pas l'âme. La conscience morale
de soi est la vraie compréhension humaine de soi et constitue le fondement
le l'âme humaine. L'âme est la partie de l'homme qui représente la valeur
potentielle de survie de, l'expérience humaine. Le choix moral et
l'accomplissement spirituel, l'aptitude à connaître Dieu et le besoin de
lui ressembler, sont les caractéristique de l'âme. L'âme de l'homme ne
peut exister sans pensée morale et sans activité spirituelle. Une âme
stagnante est une âme mourante. L'âme de l'homme est distincte de l'esprit
divin qui habite sa pensée. L'esprit divin arrive au moment où la pensée
de l'homme manifeste sa première activité morale, et c'est l'occasion de
la naissance de l'âme.
« Le salut ou la perte d'une âme dépendent du fait qu'elle a atteint,
ou non, le statut de survie par alliance éternelle avec l'esprit immortel
associé qui lui a été donné. Le salut consiste pour chacun à spiritualiser
sa conscience morale, qui acquiert ainsi une valeur de survie. Toutes les
formes de conflits psychiques consistent en un manque d'harmonie entre l'auto-conscience
morale ou spirituelle et l'auto-conscience purement intellectuelle.
« Quand l'âme humaine est mûrie, ennoblie, et spiritualisée, elle
approche du statut céleste en ce sens qu'elle est proche d'être une entité
intermédiaire entre le matériel et le spirituel, entre l'individualité
terrestre et l'esprit divin. L'âme évoluante d'un être humain est
difficile à décrire, et son existence est encore plus difficile à
démontrer, car on ne peut la découvrir ni par les méthodes d'investigation
physiques ni par celles de la preuve spirituelle. La science matérielle ne
peut prouver l'existence d'une âme, et les épreuves purement spirituelles
non plus. Malgré l'impuissance de la science matérielle et des critères
spirituels à découvrir l'existence de l'âme humaine, tout individu
moralement conscient connaît l'existence de son âme en tant
qu'expérience personnelle réelle et effective».
7. -- LE SÉJOUR À CHYPRE — DISCOURS SUR LA PENSÉE
Peu après, les voyageurs firent voile pour Chypre, avec un arrêt à
Rhodes. Ils prirent plaisir à ce long voyage maritime et arrivèrent à
destination le corps reposé et l'esprit détendu.
Ils avaient formé le projet de jouir d'une période de vrai repos et de
récréation au cours de cette visite à Chypre, alors que leur tour de
Méditerranée tirait à sa fin. Ils débarquèrent à Paphos et commencèrent
aussitôt à rassembler des provisions pour un séjour de plusieurs semaines
dans les montagnes voisines. Le troisième jour après leur arrivée, ils
partirent pour les hauteurs avec leurs bêtes de somme bien chargées.
Durant une quinzaine de jours, le trio s'en donna à coeur joie, puis à
l'improviste le jeune Ganid tomba gravement malade. Il souffrit pendant
deux semaines d'une fièvre maligne, allant souvent jusqu'au délire. Jésus
et Gonod eurent fort à faire pour s'occuper de lui. Jésus soigna
habilement et tendrement le garçon, et Gonod fut stupéfait de la
gentillesse et de la science que Jésus manifestait dans tous ses soins au
jeune malade. Ils étaient loin de toute habitation, et le jeune homme
était intransportable; ils prirent donc leurs dispositions au mieux pour
le guérir sur place dans la montagne.
Durant les trois semaines de convalescence de Ganid, Jésus lui raconta
nombre d'histoires intéressantes sur la nature et ses diverses fantaisies.
Ils se divertirent grandement en faisant des excursions dans les
montagnes, Ganid posant des questions, Jésus y répondant, et Gonod
s'émerveillant de tout ce qu'il entendait.
Au cours de la dernière semaine de leur séjour à la montagne, Jésus eut
avec Ganid une longue conversation sur les fonctions de la pensée humaine.
Après plusieurs heures de discussion, le garçon posa la question suivante:
«Maître, que signifie ton affirmation quand tu dis que l'homme éprouve une
forme de conscience de soi plus élevée que celle des animaux supérieurs? »
Jésus lui fit la réponse suivante que nous transposons en langage moderne:
Mon fils, je t'ai déjà beaucoup parlé de l'organe mental de l'homme et
dit l'esprit divin qui y habite, mais maintenant j'insiste sur le fait que
la conscience de soi est une réalité. Quand un animal prend conscience de
lui-même, il devient un homme primitif. Cet aboutissement résulte d'une
coordination fonctionnelle entre l'énergie impersonnelle et la pensée qui
conçoit l'esprit; c'est ce phénomène qui justifie pour une personnalité
humaine le don d'un point focal absolu, l'esprit du Père céleste.
Les idées ne sont pas simplement un enregistrement de sensations, les
idées sont des sensations conjuguées avec des interprétations réfléchies
de l'ego personnel; et l'ego est plus que la somme de ses sensations. Une
individualité qui évolue commence à manifester des symptômes approchant de
l'unité, et cette unité est délivrée de la présence intérieure d'un
fragment d'unité absolue qui anime spirituellement la pensée
auto-consciente d'origine animale.
Un simple animal ne peut avoir conscience de soi dans le temps. Les
animaux possèdent une coordination physiologique de sensations et de
récognitions associées, et la mémoire correspondante; mais aucun d'eux ne
reconnaît de sensation ayant pour lui une signification; aucun d'eux ne
fait montre d'une association intentionnelle de ces expériences physiques
conjuguées, telle qu'on en voit manifester dans les conclusions des
interprétations humaines intelligentes et réfléchies. Le fait de son
existence auto-consciente, associé à la réalité de son expérience
spirituelle subséquente, fait de l'homme un fils potentiel de l'univers et
laisse prévoir qu'il atteindra finalement l'Unité Suprême de l'univers.
L'individualité humaine n'est pas non plus la somme de ses états de
conscience successifs. Sans le fonctionnement efficace d'un facteur qui
trie et associe les états de conscience, il n'existerait pas une unité
suffisante pour justifier la dénomination d'individualité. Une pensée non
unifiée de cet ordre ne pourrait guère atteindre les niveaux conscients de
statut humain. Si les associations de conscience étaient seulement un
accident, on constaterait dans la pensée de tous les hommes la présence
d'associations incontrôlées faites à tort et à travers, comme on en
observe dans certaines phases d'aliénation mentale.
Une pensée humaine basée exclusivement sur la conscience de sensations
physiques ne saurait jamais atteindre les niveaux rituels. Cette sorte de
pensée matérielle manquerait totalement du sens des valeurs morales et
serait dépourvue du sens directeur de domination-spirituelle, qui est si
essentiel pour unifier harmonieusement la personnalité dans le temps, et
qui est inséparable de la survie de la personnalité dans l'éternité.
La pensée humaine commence précocement a manifester des qualités
supra-matérielles. L'intellect humain vraiment réflectif n'est pas
entièrement lié par les limites du temps. Le fait que les individus
diffèrent tellement dans les actes de leur vie n'indique pas seulement les
dons héréditaires variés et les influences différentes de l'entourage; il
dénote aussi le degré auquel l'ego s'est unifié avec l'esprit intérieur du
Père, la mesure dans laquelle le premier s'est identifié au second.
La pensée humaine ne supporte pas bien le conflit de double allégeance.
Quand une âme subit l'expérience d'un effort pour servir à la fois le bien
et le mal, elle éprouve une tension extrême. L'âme suprêmement heureuse et
efficacement unifiée est entièrement consacrée à faire la volonté du Père
céleste. Les conflits non résolus détruisent l'unité et peuvent aboutir au
dérangement mental. Toutefois, le caractère de survie d'une âme n'est pas
favorisé par la tendance à s'assurer la paix mentale à tout prix, par
l'abandon des nobles aspirations, et par des compromis avec les idéaux
spirituels. On atteint plutôt cette paix en affirmant résolument le
triomphe de ce qui est vrai, et l'on obtient cette victoire en triomphant
du mal par la puissante force du bien.
Les trois voyageurs partirent le lendemain pour Salamine, d'où ils
s'embarquèrent pour Antioche, un port de la côte syrienne.
8. -- À ANTIOCHE
Antioche était la capitale de la province romaine de Syrie, et le
gouverneur impérial y avait sa résidence. Antioche avait un demi-million
d'habitants; c'était la troisième ville de l'empire par la superficie et
la première par la dépravation et la flagrante immoralité. Gonod avait des
affaires considérables à traiter, de sorte, que Jésus et Ganid furent
souvent laissés à eux-mêmes. Ils visitèrent tout dans cette ville
polyglotte, sauf le bocage de Daphné. Gonod et Ganid se rendirent seuls a
ce notoire autel du vice, car Jésus refusa de les y accompagner. Ces
scènes n'étaient pas trop choquantes pour des Hindous, mais elles étaient
répugnantes pour un Hébreu idéaliste.
Jésus devenait plus calme et pensif à mesure qu'il se rapprochait de la
Palestine et de la fin de leur voyage. Il rendit peu de visites à Antioche
et se promena rarement dans la ville. Après beaucoup de questions sur les
raisons pour lesquelles son précepteur manifestait si peu d'intérêt pour
Antioche, Ganid finit par amener Jésus à dire: « Cette ville n'est pas
loin de la Palestine; peut-être y reviendrai-je un jour ».
Ganid fit une expérience très intéressante à Antioche. Le jeune homme
s'était montré un élève capable et avait commencé à appliquer pratiquement
certains enseignements de Jésus. Un Hindou engagé dans les affaires de son
père à Antioche était devenu si désagréable et maussade que son renvoi
avait été envisagé. Lorsque Ganid en eut vent, il se rendit au siège des
affaires de son père et eut une longue conversation avec son compatriote.
Cet homme avait le sentiment d'avoir été placé à un poste qui ne qui
convenait pas. Ganid lui parla du Père céleste et amplifia sous bien des
rapports ses vues sur la religion. Mais dans tout ce que Ganid put dire,
ce fut un proverbe hébreu qui fit le plus de bien à son interlocuteur, et
voici cette parole de sagesse: «Quoi que ta main trouve à faire, fais-le
avec toute ta puissance ».
Après avoir préparé leurs bagages pour la caravane de chameaux, les
trois compagnons continuèrent leur route en descendant vers Sidon, puis de
là à Damas, et trois jours plus tard ils abordèrent la longue étape a
travers les sables du désert.
9. -- EN MÉSOPOTAMIE
Le passage de la caravane à travers le désert n'était pas une
expérience nouvelle pour ces grands voyageurs. Après avoir observé son
précepteur aidant a charger leurs vingt chameaux et remarqué qu'il se
portait volontaire pour conduire leur propre animal, Ganid s'écria: «
Maître, y a-t-il une chose que tu ne puisses faire? » Jésus se borna à
sourire et dit: « Un élève assidu rend sûrement hommage à son maître ». Et
ils partirent ainsi pour l'ancienne ville d'Ur.
Jésus fut très intéressé par l'histoire primitive d'Ur, lieu de
naissance d'Abraham, et fut également enchanté par les ruines et les
traditions de Suse, au point que Gonod et Ganid prolongèrent de trois
semaines leur séjour à Ur afin de donner plus de temps à Jésus pour
poursuivre ses investigations; ils cherchaient aussi à trouver la
meilleure occasion de le persuader de rentrer aux Indes avec eux.
Ce fut à Ur que Ganid eut un long entretien avec Jésus au sujet de la
différence entre la connaissance, la sagesse, et la vérité. Il fut très
séduit par les paroles d'un sage Hébreu: « La sagesse est la chose
principale; donc, acquiers la sagesse. Avec toute ta recherche de la
connaissance, acquiers la compréhension. Exalte la sagesse, et elle te
fera avancer. Elle te conduira aux honneurs pourvu que tu la pratiques »
(1).
(1) Proverbes IV-7.
Enfin arriva le jour de la séparation. Ils furent tous courageux,
spécialement le garçon, mais ce fut une rude épreuve. Ils avaient les
larmes aux yeux, mais du courage dans le coeur. En prenant congé de son
précepteur, Ganid dit: « Adieu, Maître, mais pas pour toujours. Quand je
reviendrai à Damas, je te chercherai. Je t'aime, car je crois que le Père
céleste doit un peu te ressembler; au moins je sais que tu ressembles
beaucoup à ce que tu m'as raconté de lui. Je me rappellerai ton
enseignement, mais c'est toi surtout que je n'oublierai jamais ». Quant à
Gonod, il dit: « Adieu à un grand instructeur, à un Maître qui nous a
rendus meilleurs et nous a aidés a connaître Dieu ». Et Jésus répondit: «
Que la paix soit sur vous, et puisse la bénédiction du Père céleste
demeurer toujours avec vous ».
Jésus se tint debout sur la plage et regarda la petite barque les
emmener vers le bateau à l'ancre. Le Maître quitta ainsi ses amis hindous
à Charax, pour ne plus jamais les revoir en ce monde. Eux non plus,
ici-bas, ne surent jamais que l'homme apparu plus tard comme Jésus de
Nazareth était le même qu'ils venaient de quitter -- Jésus leur
instructeur.
Aux Indes, Ganid grandit et devint un homme influent, digne successeur
de son éminent père; il répandit à l'étranger bien des nobles vérités
qu'il avait apprises de Jésus, son maître bien-aimé. Plus tard dans la
vie, lorsque Ganid entendit parler de l'étrange instructeur de Palestine
qui termina sa vie sur une croix, il reconnut bien la similitude entre
l'évangile de ce Fils de l'Homme et les enseignements de son précepteur
juif, mais il n'eut jamais l'idée que les deux étaient une seule et même
personne.
Ainsi prit fin le chapitre de la vie du Fils de l'Homme que l'on
pourrait intituler: La mission Jésus l'instructeur.
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