JEAN LE BAPTISTE
JEAN le Baptiste naquit le 25 mars de l'an 7 avant l'ère chrétienne,
conformément à la promesse que Gabriel avait faite à Élisabeth en juin de
l'année précédente. Durant cinq mois Élisabeth garda le secret sur la
visitation de Gabriel lorsqu'elle en parla à son mari, Zacharie fut très
trouble; il ne crut pleinement au récit qu'après avoir eu un rêve insolite
environ six semaines avant la naissance de Jean. En dehors de la visite de
Gabriel à Élisabeth et du rêve de Zacharie, il n'y eut rien d'anormal ni
de surnaturel en liaison avec la naissance de Jean le Baptiste.
Au huitième jour, Jean fut circoncis conformément à la coutume juive.
Il grandit comme un enfant ordinaire, jour après jour et année après
année, dans le petit village connu à cette époque sous le nom de Ville de
Juda, à sept kilomètres environ à l'ouest de Jérusalem.
L'événement le plus mémorable de la première enfance de Jean fut la
visite qu'il fit avec ses parents à Jésus et à la famille de Nazareth.
Cette visite eut lieu au mois de juin de l'an 1 avant l'ère chrétienne,
alors que Jean avait un peu plus de six ans.
Après leur retour de Nazareth, les parents de Jean commencèrent à
l'instruire méthodiquement. Il n'y avait pas d'école de synagogue dans ce
petit village, mais Zacharie était prêtre, donc assez instruit, et
Élisabeth était beaucoup plus cultivée que la moyenne des femmes de Judée.
Elle aussi appartenait au monde ecclésiastique, car elle était une
descendante des « filles d'Aaron » (1). Jean étant enfant unique, ses
parents consacrèrent beaucoup de temps à son éducation mentale et
spirituelle. Zacharie n'avait que de courtes périodes de service au
temple, de sorte qu'il passait de longues heures à instruire son fils.
(1) Luc I-5.
Zacharie et Élisabeth possédaient une petite ferme où ils élevaient des
moutons. Ce domaine n'assurait pas entièrement leur subsistance, mais
Zacharie recevait des appointements réguliers prélevés sur les fonds du
temple destinés a la prêtrise.
1. -- JEAN DEVIENT NAZIRÉEN
Il n'y avait pas sur place d'école d'où Jean pût sortir à l'âge de
quatorze ans avec un diplôme, mais ses parents avaient choisi cette année
comme appropriée pour qu'il prononce les voeux officiels du naziréat. En
conséquence, Zacharie et Élisabeth emmenèrent leur fils à Engaddi, près de
la mer Morte. C'était le quartier général de la confrérie naziréenne dans
le sud, et c'est là que le garçon fut dûment et solennellement admis dans
cet ordre comme membre à vie. Après les cérémonies et après qu'il eut fait
voeu de s'abstenir de toute boisson enivrante, de laisser pousser ses
cheveux, et de ne pas toucher un mort, la famille se rendit à Jérusalem
où, devant le temple, Jean acheva de faire les offrandes exigées de ceux
qui prononçaient les veux du naziréat.
Jean prononça les mêmes voeux perpétuels que ses illustres
prédécesseurs, Samson et le prophète Samuel. Un Naziréen pour la vie était
considéré comme une personnalité sacro-sainte. Les Juifs lui accordaient à
peu près le même respect et la même vénération qu'au grand-prêtre, et cela
n'avait rien d'étonnant, car les Naziréens consacrés pour la vie étaient,
avec les grands-prêtres, les seules personnes ayant le droit d'entrer dans
le saint des saints du temple.
Jean revint de Jérusalem chez qui pour garder les moutons de son père.
Il grandit et devint un homme vigoureux doué d'un noble caractère.
À seize ans, à la suite de lectures au sujet d'Élie, Jean fut très
impressionné par le prophète du Mont Carmel et décida d'adopter sa façon
de s'habiller. À partir de ce jour-là, Jean porta toujours un vêtement de
poil et une ceinture de cuir. A cet âge, Jean avait déjà six pieds de haut
et à peu près toute sa taille. Avec ses cheveux flottants et le style
particulier de son vêtement, il pressentait vraiment un aspect
pittoresque. Ses parents plaçaient de grands espoirs en leur fils unique,
un enfant de la promesse et un Naziréen pour la vie.
2. -- LA MORT DE ZACHARIE
Après une maladie de plusieurs mois, Zacharie mourut en juillet de l'an
12, alors que Jean venait d'avoir dix-huit ans. Jean fut très embarrassé,
car le voeu du naziréat interdisait le contact avec les morts, même de sa
propre famille. Bien que Jean se fût efforcé de se conformer aux
astreintes de son voeu concernant la contamination par les morts, il
doutait d'avoir pleinement obéi aux exigences de l'ordre naziréen. Après
l'enterrement de son père, il se rendit donc à Jérusalem où, dans le coin
naziréen de la cour des femmes, il offrit les sacrifices requis pour sa
purification.
En septembre de cette année-là Élisabeth et Jean firent un voyage à
Nazareth pour rendre visite à Marie et à Jésus. Jean s'était à peu près
décidé à entreprendre l'oeuvre de sa vie, mais il fut rappelé, non
seulement par les paroles de Jésus mais par son exemple, au devoir de
prendre soin de sa mère et d'attendre la
« venue de l'heure du Père ». Après avoir dit au revoir à Jésus et à Marie
à la fin de cette agréable visite, Jean ne revit plus Jésus avant son
baptême dans le Jourdain.
Jean et Élisabeth retournèrent chez eux et commencèrent à faire des
projets d'avenir. Du fait que Jean refusait l'allocation des prêtres qui
lui était due sur les fonds du temple, au bout de deux ans ils n'eurent
plus de quoi conserver leur foyer; ils décidèrent donc de se diriger vers
le sud avec leur troupeau de moutons. En conséquence, durant l'été où Jean
eut vingt ans, ils déménagèrent pour aller à Hébron. Au lieu dénommé «
désert de Judée », Jean garda ses moutons près d'un ruisseau tributaire
d'un cours d'eau plus important qui se jetait dans la Mer Morte Engaddi.
La colonie d'Engaddi comprenait non seulement des Naziréens consacrés pour
la vie ou pour une durée déterminée, mais de nombreux autres bergers
ascétiques qui se rassemblaient dans cette région avec leurs troupeaux et
fraternisaient avec les Naziréens. Ils vivaient de l'élevage de leurs
moutons et des dons que des Juifs fortunés faisaient à l'ordre.
Avec le temps, Jean retourna moins souvent à Hébron et fit des visites
plus fréquentes à Engaddi. Il était si complètement différent de la
majorité des Naziréens qu'il trouvait très difficile de s'incorporer a
leur confrérie. Mais il aimait beaucoup Abner, chef et dirigeant reconnu
de la colonie d'Engaddi.
3. -- LA VIE D'UN BERGER
Le long de la vallée du petit ruisseau, Jean ne bâtit pas moins d'une
douzaine d'abris et de parcs pour la nuit, consistant en empilages de
pierres d'où il pouvait surveiller et protéger ses troupeaux de moutons et
de chèvres. La vie de berger de Jean qui laissait de grands loisirs pour
penser. Il avait de longues conversations avec un orphelin de Bethsur
nommé Ezda, qu'il avait en quelque sorte adopté. Ezda gardait les
troupeaux quand Jean allait à Hébron pour voir sa mère et vendre des
moutons, et aussi quand il se rendait à Engaddi pour les services de
sabbat. Jean et Ezda vivaient très simplement, se nourrissant de viande de
mouton, de lait de chèvre, de miel sauvage, et des sauterelles comestibles
de cette région. Ce menu régulier était complété par des provisions
apportées de temps en temps d'Hébron et d'Engaddi.
Élisabeth tenait Jean au courant des affaires de Palestine et du monde.
Jean était de plus en plus profondément convaincu que le moment approchait
rapidement où l'ancien ordre de choses devait rendre fin, et que lui-même
allait devenir l'annonciateur de l'arrivée d'un nouvel âge, « le royaume
des cieux ». Ce berger bourru avait une grande
prédilection pour les écrits du prophète Daniel. Il avait lu mille fois la
description de la grande statue (1) dont Zacharie lui avait dit qu'elle
représentait l'histoire des puissants royaumes du monde, depuis Babylone
jusqu'à Rome en passant par la Perse et la Grèce. Jean percevait que le
monde romain était déjà composé de peuples et de races tellement
polyglottes qu'il ne pourrait jamais devenir un empire fortement cimenté
et fermement consolidé. Il considérait que cet empire était déjà divisé en
Égypte, Palestine, Syrie, et autres provinces. En poursuivant sa lecture,
il voyait « qu'au temps de ces rois, le Dieu du ciel établira un royaume
qui ne sera jamais détruit; et ce royaume ne sera pas abandonné à d'autres
peuples, mais mettra en pièces tous les royaumes et subsistera
éternellement » (2). « Et il lui fut donné une
domination, une gloire, et un royaume afin que tous les peuples, nations,
et langues le servent. Sa domination est un règne perpétuel qui ne
disparaîtra jamais, et son royaume ne sera jamais détruit » (3). « Et le
règne et la domination et la grandeur sous le ciel entier seront donnés au
peuple des saints du Très Haut, de qui le royaume est éternel, et toutes
les dominations le serviront et lui
obéiront » (4).
(1) Daniel II-31. |
(2) Daniel II-44. |
(3) Daniel VII-14. |
(4) Daniel VII-27. |
Jean ne fut jamais tout à fait capable de s'élever au-dessus de la
confusion produite par les dires de ses parents sur Jésus et par les
passages cités qu'il trouvait dans les Écritures. Dans Daniel, il lisait:
« J'ai eu des visions nocturnes, et voici, quelqu'un de semblable au Fils
de l'Homme venait sur les nuées du ciel, et on lui donnait la domination,
la gloire, et un royaume » (5). Mais ces paroles du prophète ne cadraient
pas avec ce que ses parents lui avaient enseigné. Ses conversations avec
Jésus, quand il lui avait rendu visite à l'âge de dix-huit ans, ne
correspondaient pas non plus avec ces citations des Écritures. Nonobstant
cette confusion, sa mère lui affirma, durant toute la période où il était
dans la perplexité, que son lointain cousin Jésus de Nazareth était le
véritable Messie, qu'il était venu pour siéger sur le trône de David, et
que lui (Jean) deviendrait son premier précurseur et son principal
soutien.
(5) Daniel VII-13.
À la suite de tout ce qu'il avait entendu dire du vice et de la
perversité de Rome, des moeurs dissolues et de la stérilité morale de
l'empire, et aussi par suite de ce qu'il savait des mauvaises actions
d'Hérode Antipas et des gouverneurs de la Judée, Jean avait tendance à
croire que la fin de l'âge était imminente. Il semblait à ce rude et noble
enfant de la nature que le monde était mûr pour la fin de l'âge matériel
humain et l'aurore de l'âge nouveau et divin -- le royaume des cieux. Jean
eut dans son coeur le sentiment croissant qu'il serait le dernier des
anciens prophètes et le premier des nouveaux. Il sentait monter en lui
l'impulsion vibrante de se montrer et de proclamer à tous les hommes: «
Repentez-vous! Mettez-vous en règle avec Dieu! Soyez prêts pour la fin;
préparez-vous à l'apparition de l'ordre nouveau et éternel des affaires
terrestres, le royaume des cieux.
4. -- LA MORT D'ÉLISABETH
Le 17 août de l'an 22, alors que Jean était âgé de vingt-huit ans, sa
mère mourut subitement. Connaissant les interdictions naziréennes au sujet
du contact avec les morts, même dans sa propre famille, les amis
d'Élisabeth prirent toutes les dispositions pour l'enterrement avant
d'envoyer chercher Jean. Lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de sa
mère, il ordonna à Ezda de conduire ses troupeaux à Engaddi et partit pour
Hébron.
À son retour à Engaddi après les funérailles de sa mère, il fit don de
ses troupeaux à la confrérie et se détacha du monde extérieur pour une
période de jeûne et de prière. Jean ne connaissait que les anciennes
méthodes pour approcher la divinité; il ne connaissait que l'histoire de
personnalités telles qu'Élie, Samuel, et Daniel. Élie était son idéal
comme prophète. Élie avait été le premier instructeur d'Israël considéré
comme un prophète, et Jean croyait sincèrement que lui-même devait être le
dernier de cette longue et illustre série de messagers du ciel.
Durant deux ans et demi, Jean vécut à Engaddi; il persuada la majeure
partie de la confrérie que « la fin de l'âge était toute proche » et que «
le royaume des cieux était sur le point d'apparaître ». Tout son
enseignement primitif était basé sur l'idée et le concept courants du
Messie promis à la nation juive pour la libérer de la domination de ses
chefs Gentils.
Durant toute cette période, Jean lut assidûment les écrits sacrés qu'il
trouva au foyer naziréen d'Engaddi. Il fut spécialement impressionné par
Isaïe, et aussi par Malachie, le dernier en date des prophètes à cette
époque. Il lut et relut les cinq derniers chapitres d'Isaïe et crut à
leurs prophéties. Après quoi il lut dans Malachie: « Voici, je vous
enverrai Élie, le prophète, avant le grand et terrible jour du Seigneur.
Il ramènera le coeur des pères vers les enfants et le coeur des enfants
vers leurs pères, de crainte que je ne vienne frapper la terre d'une
malédiction » (1). Ce fut uniquement cette promesse du retour d'Élie faite
par Malachie qui détourna Jean d'aller prêcher en public au sujet du
royaume imminent, et d'exhorter ses compatriotes juifs à fuir le courroux
à venir. Jean était mûr pour proclamer le message du royaume à venir, mais
l'attente de la venue d'Élie le retint pendant plus de deux ans. Il savait
qu'il n'était pas Élie. Que voulait dire Malachie? Sa prophétie était-elle
littérale ou symbolique? Comment pouvait-il connaître la vérité?
Finalement il osa penser que, du moment que le premier prophète s'était
appelé Élie le dernier pouvait finalement être connu sous le même nom. Il
avait néanmoins des doutes, et ces doutes étaient suffisants pour
l'empêcher de s'appeler lui-même Élie.
(1) Malachie IV-5.
Ce fut l'influence d'Élie qui fit adopter à Jean ses méthodes d'attaque
directe et brusquée contre les péchés et les vices de ses contemporains.
Il essaya de se vêtir comme Élie et s'efforça de parler comme lui. Sous
tous ses aspects extérieurs, il ressemblait au prophète de jadis. Il était
un enfant de la nature tout aussi résolu et pittoresque, un prédicateur de
la droiture tout aussi intrépide et audacieux. Jean n'était pas illettré;
il connaissait bien les saintes Écritures juives, mais il était peu
cultivé. Il avait des idées claires, il était un puissant orateur et un
accusateur enflammé. Il n'était guère un modèle pour son époque, mais il
était fort éloquent dans sa censure.
À la fin, il élabora une méthode pour proclamer le nouvel âge, le
royaume de Dieu. Il décida qu'il allait devenir le précurseur du Messie.
Il balaya tous ses doutes et partit d'Engaddi, en mars de l'an 25, pour
débuter dans sa brillante mais courte carrière de prédicateur public.
5. -- LE ROYAUME DE DIEU
Pour comprendre son message, il faut tenir compte du statut du peuple
juif au moment où Jean entra en action. Pendant près de cent ans, Israël
avait été dans une impasse. Les Juifs étaient embarrassés pour expliquer
leur continuelle soumission a des suzerains Gentils. Moïse n'avait-il pas
enseigné que la droiture était toujours récompensée par la prospérité et
le pouvoir? N'étaient-ils pas le peuple élu de Dieu? Pourquoi le trône de
David était-il abandonné et vacant? À la lumière des doctrines mosaïques
et des préceptes des prophètes, les Juifs trouvaient difficile d'expliquer
la longue continuité de leurs malheurs nationaux.
Environ cent ans avant l'époque de Jésus et de Jean, une nouvelle école
d'éducateurs religieux apparut en Palestine, celle des apocalyptistes. Ces
nouveaux éducateurs élaborèrent un système de croyance qui expliquait les
souffrances et les humiliations des Juifs par le motif qu'ils payaient les
conséquences des péchés de la nation. Ils retombaient sur les raisons bien
connues destinées à expliquer leur captivité antérieure à Babylone et
ailleurs. Mais, enseignaient les apocalyptistes, Israël devait reprendre
courage; les temps de son affliction étaient à peu près passés; le
châtiment disciplinaire du peuple élu de Dieu touchait à sa fin; la
patience de Dieu envers les Gentils était presque à bout. La fin de la
souveraineté romaine était synonyme de la fin de l'âge et, dans un certain
sens, de la fin du monde. Ces nouveaux éducateurs s'appuyaient fortement
sur les prédictions de Daniel et enseignaient avec persistance que la
création était sur le point d'arriver à son stade final; les royaumes de
ce monde allaient devenir le royaume de Dieu. Telle était, pour les
penseurs juifs de cette époque, le sens de l'expression « le royaume des
cieux » constamment employée dans les enseignements de Jésus et de Jean.
Pour les Juifs de Palestine, les mots « royaume des cieux » n'avaient
qu'une seule signification: un État absolument juste dans lequel Dieu (le
Messie) gouvernerait les nations de la terre avec la même perfection de
pouvoir qu'il gouvernait dans le ciel --
« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
À l'époque de Jean, tous les Juifs se demandaient avec anxiété: « Quand
donc le royaume viendra-t-il enfin? » Ils avaient le sentiment général que
la fin du gouvernement par les Gentils était proche. Le monde juif tout
entier espérait vivement et s'attendait ardemment à voir la réalisation du
désir des âges se produire durant la vie de cette génération.
Les Juifs différaient grandement dans leurs appréciations de la nature
du royaume a venir, mais ils partageaient la croyance commune que
l'événement était imminent, à portée de la main, et même en cours. Nombre
de ceux qui lisaient l'Ancien Testament espéraient littéralement voir un
nouveau roi en Palestine régnant sur une nation juive régénérée, délivrée
de ses ennemis, et présidée par le successeur du Roi David, le Messie qui
serait rapidement reconnu comme le juste et légitime souverain du monde
entier. Un autre groupe de Juifs pieux, moins nombreux, avait un point de
vue immensément différent sur ce royaume de Dieu. Il enseignait que le
royaume à venir n'était pas de ce monde, que le monde approchait d'une fin
certaine et que « de nouveaux cieux et une nouvelle terre » devaient
annoncer l'établissement du royaume de Dieu; que ce royaume serait un
empire perpétuel, que l'état de péché devait prendre fin, et que les
citoyens du nouveau royaume deviendraient immortels dans la jouissance de
cette félicité éternelle.
Ils étaient tous d'accord sur le point qu'une purge radicale ou une
discipline purifiante devraient nécessairement précéder l'établissement du
nouveau royaume sur terre. Ceux qui s'attachaient à la lettre enseignaient
qu'une guerre mondiale s'ensuivrait et que tous les incroyants seraient
anéantis, tandis que les fidèles remporteraient une victoire éternelle.
Les spiritualistes enseignaient que le royaume serait inauguré par le
grand jugement de Dieu qui reléguerait les impies à leur châtiment bien
mérité et a leur destruction finale, et qui élèverait en même temps les
saints croyants du peuple élu à de hautes places d'honneur et d'autorité
auprès du Fils de l'Homme, lequel régnerait au nom de la Déité sur les
nations rachetées. Ce dernier groupe croyait même que beaucoup de pieux
Gentils pourraient être admis comme membres du nouveau royaume.
Quelques Juifs s'en tenaient à l'opinion que Dieu pourrait peut-être
établir ce nouveau royaume par intervention divine et directe, mais la
grande majorité croyait que Dieu interposerait un truchement
représentatif, le Messie. C'était la seule signification possible que le
mot Messie pouvait avoir dans la pensée des Juifs de la génération de
Jésus et de Jean. Messie ne pouvait absolument pas désigner un
homme qui se bornerait à enseigner la volonté de Dieu ou à proclamer la
nécessité d'une vie de droiture. À tous les saints personnages de cette
sorte, les Juifs donnaient le nom de prophètes. Le Messie devait
être plus qu'un prophète; le Messie devait amener l'établissement du
nouveau royaume, le royaume de Dieu. Nulle personnalité échouant dans
cette entreprise ne pouvait être le Messie au sens juif traditionnel.
Qui serait ce Messie? À nouveau, les éducateurs juifs différaient
d'opinion. Les anciens s'accrochaient à la doctrine du Fils de David. Les
nouveaux enseignaient que le prochain souverain pourrait aussi être une
personnalité divine ayant longtemps siégé au ciel à la droite de Dieu,
puisque le royaume à venir était un royaume céleste. Si étrange que cela
paraisse, ceux qui concevaient ainsi le souverain du nouveau royaume ne
l'imaginaient pas comme un Messie humain, comme simplement un homme,
mais comme « Fils de l'Homme » -- un Fils de Dieu -- un Prince céleste
longtemps maintenu en attente pour assumer ainsi la souveraineté sur la
terre rendue nouvelle. Tel était l'arrière-plan religieux du peuple juif
au moment où Jean entra en scène en proclamant: « Repentez-vous, car le
royaume des cieux est à portée de la main! »
Il devient donc clair que l'annonce par Jean du royaume à venir n'avait
pas moins d'une demi-douzaine de significations différentes dans la pensée
des auditeurs de ses sermons passionnés. Mais quel que fût le sens qu'il
attachaient aux phrases employées par Jean, chacun des groupes qui
attendaient le royaume des Juifs étaient intrigué par les proclamations de
ce prédicateur de droiture et de repentir, sincère, enthousiaste, et
expéditif, qui exhortait si solennellement sont auditoire à « fuir le
courroux à venir.
6. -- JEAN COMMENCE À PRÊCHER
Aux premiers jours de mois de mars de l'an 25, Jean fit le tour de la
côte occidentale de la Mer Morte et remonta le cours du Jourdain jusqu'en
face de Jéricho, à l'ancien gué par lequel Josué et les enfants d'Israël
avait passé lorsqu'ils entrèrent pour la première fois dans la terre
promise. Jean alla sur l'autre rive, s'installa près de l'accès du gué, et
commença à prêcher aux passants qui traversaient le Jourdain dans un sens
ou dans l'autre. C'était le gué le plus fréquenté du fleuve.
Tous ceux qui écoutaient Jean se rendaient compte qu'il était plus
qu'un prédicateur. La majorité des auditeurs de cet homme étrange, surgi
du désert de Judée, repartaient en croyant avoir entendu la voix
d'un prophète. Il n'y avait rien d'étonnant à ce que les âmes de ces Juifs
lassés mais plein d'espoir fussent profondément remués par un tel
phénomène. Dans toute l'histoire juive, jamais les pieux enfants
d'Abraham n'avaient autant désiré la « consolation d'Israël », ni plus
ardemment anticipé la « restauration du royaume ». À aucune époque de la
vie du peuple juif le message de Jean -- le royaume des cieux est à portée
de la main -- n'aurait pu exercer un attrait aussi profond et aussi
universel qu'au moment même où Jean apparut si mystérieusement sur la rive
de ce gué méridional du Jourdain.
Il était pâtre, comme Amos. Il était vêtu, comme jadis Élie; il
fulminait ses recommandations et lançait ses avertissements avec «
l'esprit et le pouvoir d'Élie ». Il n'est pas surprenant que cet étonnant
prédicateur ait créé de puissant remous dans toute la Palestine à mesure
que les voyageurs apportaient au loin la nouvelle de ses sermons au bord
du Jourdain.
Le travail de ce Naziréen comportait encore une autre caractéristique
nouvelle: il baptisait chacun de ses fidèles dans le Jourdain «
pour la rémission des péchés ». Bien que le baptême ne fût pas une
cérémonie nouvelle chez les Juifs. ils ne l'avaient jamais vu pratiquer
comme par Jean. Depuis longtemps il était courant de baptiser ainsi des
prosélytes Gentils pour les admettre dans la cour extérieur du temple,
mais jamais on avait demandé aux Juifs eux-même de se soumettre au baptême
de repentance. Quinze mois seulement s'écoulèrent entre le moment où Jean
commença à prêcher et à baptiser et l'époque de son arrestation et de son
emprisonnement à l'instigation d'Hérode Antipas, mais durant ce court laps
de temps il baptisa plus de cent mille pénitents.
Jean prêcha quatre mois au gué de Béthanie avant de partir vers le nord
en remontant le Jourdain. Des dizaines de milliers d'auditeurs, dont
quelque curieux, mais la plupart sincère et sérieux, venaient l'écouter de
toutes les parties de la Judée, de la Pérée, et de la Samarie.
Quelques-uns vinrent même de Galilée. En mai de cette année, tandis que
Jean s'attardait encore au gué de Béthanie, les prêtres et les Lévites
envoyèrent une délégation pour lui demander s'il prétendait être le Messie
et en vertu de quelle autorité il Prêchait. Jean répondit à ces enquêteurs
en disant: Allez dire à vos maîtres que vous avez entendu la voix de
quelqu'un qui crie dans le désert, comme le prophète l'a annoncé: «
Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez une route pour notre Dieu.
Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront
abaissées; les terrains raboteux seront changé en plaines et les défilés
étroits en vallons, et toute chair verra le salut de Dieu » (1).
(1) Isaïe XL-3 et Luc III-4 et 5.
Jean était un prédicateur héroïque, mais manquant de doigté. Un jour
qu'il prêchait et baptisait sur la rive occidentale du Jourdain, un groupe
de pharisiens et un certain nombre de sadducéens s'avancèrent et se
présentèrent au baptême. Avant de les faire descendre dans l'eau, Jean
s'adressa collectivement à eux en ces termes: « Qui vous a conseillé de
fuir la colère à venir, telles des vipères devant le feu? Je vous
baptiserai, mais je vous préviens que vos actes doivent démontrer un
repentir sincère si vous voulez recevoir la rémission de vos péchés. Ne
venez pas me dire qu'Abraham est votre père. Je vous déclare que, des
douze pierres qui sont devant vous, Dieu peut faire naître des enfants
dignes d'Abraham. Déjà la cognée est mise à la racine même des arbres.
Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est destiné à être coupé et
jeté au feu » (2). (Les douze pierres auxquelles il faisait allusion
étaient les célèbres pierres commémoratives dressées par Josué en souvenir
du passage des douze tribus à ce même gué par où elles entrèrent pour la
première fois dans la terre promise.)
(2) Matthieu III-7 à 10.
Jean dirigeait pour ses disciples des cours dans lesquels il leur
enseignait les détails de leur nouvelle vie et s'efforçait de répondre à
leurs nombreuses questions. Il conseillait aux éducateurs d'enseigner
l'esprit aussi bien que la lettre de la loi. Il ordonnait aux riches de
nourrir les pauvres. Aux collecteurs d'impôts il disait: «
N'extorquez pas plus que les sommes assignées ». Aux soldats il disait: «
N'exercez pas de violences et n'exigez rien indûment -- contentez-vous de
votre solde ». Et à tout le monde il conseillait: « Préparez-vous pour la
fin de l'âge -- le royaume du ciel est à portée de la main ».
7. -- JEAN VOYAGE VERS LE NORD
Jean avait encore des idées confuses sur le royaume à venir et sur son
roi. Plus il prêchait et plus il s'embrouillait; mais jamais son
incertitude intellectuelle au sujet de la nature du royaume attendu ne
diminua le moins du monde sa conviction que l'avènement du royaume dans
l'immédiat était certain. Jean pouvait être confus en pensée, mais jamais
en esprit. Il ne doutait pas de la venue du royaume, mais il était loin de
savoir réellement si Jésus devait être ou non le souverain de ce royaume.
Tant que Jean s'attachait à l'idée de la restauration du trône de David,
l'affirmation émise par ses parents que Jésus, né dans la ville de David,
devait être le libérateur longtemps attendu lui paraissait logique. Mais
dans les moments où il penchait davantage vers la doctrine d'un royaume
spirituel et de la fin de l'âge temporel sur terre, il était cruellement
dans le doute au sujet du rôle que Jésus jouerait dans ces événements.
Parfois il remettait tout en question, mais pas pour longtemps. Il
désirait réellement faire le tour du problème avec son cousin, mais cela
était contraire à l'accord établi entre eux.
Tandis que Jean voyageait vers le nord, il pensait beaucoup à Jésus. Il
s'arrêta dans plus d'une douzaine d'endroits en remontant le Jourdain.
Répondant à la question directe que lui posaient ses disciples: « Es-tu
le-Messie qui doit venir? » il parla « d'un autre qui doit venir après moi
» en faisant d'abord allusion à Adam. Il poursuivit en disant: « Il en
viendra un autre après moi qui est plus grand que moi, et devant qui je ne
suis pas digne de me baisser pour délacer ses sandales. Je vous baptise
d'eau, mais lui vous baptisera du Saint-Esprit. Il a sa pelle à la main
pour nettoyer complètement son aire de battage. Il engrangera le blé, mais
il brûlera la paille au feu du jugement » (1).
(1) Matthieu III-11 et 12.
En réponse aux questions de ses disciples, Jean continua à amplifier
ses enseignements, ajoutant de jour en jour plus d'indications utiles et
encourageantes par comparaison avec son énigmatique message initial:
«Repentez-vous et soyez baptisés ». A cette époque, des foules arrivèrent
de Galilée et de la Décapole. Des dizaines de disciples sincères
s'attardaient jour, après jour auprès de leur maître adoré.
8. -- LA RENCONTRE DE JÉSUS ET DE JEAN
Au mois de décembre de l'an 25, lorsque Jean attegnit le voisinage de
Pella dans sa remontée du Jourdain, sa réputation s'était répandue dans
toute la Palestine et son oeuvre était devenue le principal sujet de
conversation dans toutes les villes voisines du lac de Galilée. Jésus
avait parlé favorablement du message de Jean, ce qui avait amené nombre
d'habitants de Capharnaüm à se joindre au culte de repentance et de
baptême de Jean. Jacques et Jean, les pêcheurs fils de Zébédée, étaient
descendus au gué en décembre, peu après que Jean se fût installé pour
prêcher à proximité de Pella, et s'étaient offerts au baptême. Ils
allaient voir Jean une fois par semaine et rapportaient à Jésus des
comptes rendus directs et récents sur l'oeuvre du prédicateur.
Jacques et Jude, les frères de Jésus, avaient parlé d'aller trouver
Jean pour être baptisés. Maintenant que Jude était venu à Capharnaüm pour
les offices du sabbat, et après que tous deux eurent écouté le discours de
Jésus dans la synagogue, il décida avec Jacques de demander conseil à
Jésus au sujet de leurs plans. Cela se passait le samedi soir 12 janvier
de l'an 26. Jésus les pria de retarder la discussion jusqu'au lendemain,
où il leur donnerait sa réponse. Il dormit très peu cette nuit-là, et
resta en communion étroite avec le Père céleste. Il avait pris des
dispositions pour déjeuner à midi avec ses frères et leur donner son avis
sur le baptême par Jean. Ce dimanche matin, Jésus travailla comme
d'habitude au chantier naval. Jacques et Jude avaient apporté le déjeuner
et l'attendaient dans le hangar des bois, car l'heure de la pause de midi
n'avait pas encore sonné, et ils savaient que Jésus était fort ponctuel.
Juste avant le repos de midi, Jésus déposa ses outils, enleva son
tablier de travail, et annonça simplement aux trois ouvriers travaillant
dans la même pièce que lui: « Mon heure est venue ». Il alla trouver ses
frères Jacques et Jude en répétant: « Mon heure est venue - allons voir
Jean ». Ils partirent immédiatement pour Pella en mangeant leur déjeuner
en cours de route. C'était le dimanche 13 janvier. Ils s'arrêtèrent pour
la nuit dans la vallée du Jourdain et arrivèrent le lendemain vers midi
sur les lieux où Jean donnait le baptême.
Jean venait de commencer à baptiser les candidats du jour. Des dizaines
de repentants faisaient queue en attendant leur tour lorsque Jésus et ses
deux frères prirent position. Dans cette file d'hommes et de femmes
sincères qui s'étaient mis à croire aux prédications de Jean sur le
royaume à venir. Jean s'était enquis de Jésus auprès des fils de Zébédée.
Il avait appris les commentaires de Jésus au sujet de ses sermons. Jour
après jour il s'attendait à le voir arriver, mais il ne pensait pas
l'accueillir dans la file des candidats au baptême.
Absorbé par les détails du baptême rapide d'un aussi grand nombre de
convertis, Jean ne leva pas les yeux pour voir Jésus avant que le Fils de
l'Homme ne fût en face de lui. Lorsque Jean reconnut Jésus, il interrompit
les cérémonies pendant un moment tandis qu'il saluait son cousin et lui
demandait: « Mais pourquoi descends-tu dans l'eau pour me saluer? » Jésus
répondit: « Pour me soumettre à ton baptême ». Jean répliqua: « Mais c'est
moi qui ai besoin d'être baptisé par toi. Pourquoi viens-tu vers moi? »
Jésus lui murmura: « Supporte de me baptiser maintenant, car il convient
que nous donnions cet exemple à mes frères qui se tiennent ici avec moi,
et aussi pour que les gens puissent savoir que mon heure est venue ».
Jésus avait parlé péremptoirement et avec autorité. Jean tremblait
d'émotion en se préparant à baptiser Jésus de Nazareth dans le Jourdain, à
midi, ce 14 janvier de l'an 26. C'est ainsi que Jean baptisa Jésus et ses
deux frères Jacques et Jude. Aussitôt après, il renvoya les autres
postulants en annonçant qu'il reprendrait les baptêmes le lendemain dans
la journée. Tandis que les gens s'en allaient, les quatre hommes encore
debout dans l'eau entendirent un son étrange. Bientôt une apparition se
montra quelques instants immédiatement au-dessus de la tête de Jésus, et
ils entendirent une voix qui disait: « Celui-ci est mon fils bien-aimé en
qui mon âme prend plaisir » (1). Un grand changement se produisit dans
l'expression du visage de Jésus. Sortant de l'eau en silence, il prit
congé d'eux et se dirigea vers les montagnes de l'est. Nul ne le revit
pendant quarante jours.
(1) Matthieu III-17.
Jean accompagna Jésus assez longtemps pour lui raconter l'histoire de
la visitation de Gabriel à Marie avant leur naissance à tous deux, telle
qu'il l'avait entendue si souvent de la bouche de sa mère. Il laissa Jésus
poursuivre sa route après lui avoir dit: « Maintenant je sais que tu es le
Libérateur ». Mais Jésus ne répondit pas.
9. -- QUARANTE JOURS DE PRÉDICATION
Lorsque Jean revint vers ses disciples (il en avait maintenant
vingt-cinq ou trente qui demeuraient constamment avec lui) il les trouva
en sérieuse conférence, en train de discuter ce qui venait d'arriver en
liaison avec le baptême de Jésus. Ils furent encore plus étonnés lorsque
Jean leur apprit la visitation de Gabriel à Marie avant la naissance de
Jésus, et le fait que Jésus ne lui avait pas répondu un mot quand il lui
en avait parlé. Il ne pleuvait pas ce soir-là, et le groupe d'au moins
trente personnes s'entretint longtemps dans la nuit étoilée. Les membres
de ce groupe se demandaient où Jésus était allé et quand ils le
reverraient.
Après l'expérience de ce jour, la prédication de Jean prit un nouveau
ton de certitude dans ses proclamations concernant le royaume à venir et
le Messie attendu. Les quarante jours passés dans l'attente de Jésus
furent une période angoissante, mais Jean continuait de prêcher avec une
puissante conviction. À cette époque, ses disciples commencèrent aussi à
prêcher aux foules débordantes qui se pressaient autour de Jean sur la
rive du Jourdain.
Au cours de ces quarante jours d'attente, de nombreuses rumeurs se
répandirent dans le pays, et même jusqu'à Tibériade et Jérusalem. Des
milliers de personnes venaient au camp de Jean pour voir la nouvelle
attraction, le prétendu Messie, mais Jésus était pas visible. Quand les
disciples de Jean affirmaient que l'étrange homme de Dieu s'en était allé
dans les montagnes, beaucoup de visiteurs mettaient toute l'histoire en
doute.
Environ trois semaines après que Jésus les eût quittés, une nouvelle
députation de prêtres et de pharisiens de Jérusalem arriva sur les lieux à
Pella. Ils demandèrent directement à Jean s'il était Élie ou le prophète
promis par Moïse, et lorsque Jean leur dit qu'il ne l'était pas, ils
s'enhardirent jusqu'à lui demander: « Es-tu le Messie? » Et Jean répondit:
«Je ne le suis pas ». Alors ces hommes de Jérusalem lui dirent: « Si tu
n'es ni Élie, ni le prophète, ni le Messie, alors pourquoi baptises-tu les
gens et crées-tu toute cette agitation? » Et Jean répliqua: « Il
appartient à ceux qui m'ont entendu et ont reçu mon baptême de dire qui je
suis, mais je vous déclare que si je baptise d'eau, il y a eu quelqu'un
parmi nous qui reviendra vous baptiser du Saint-Esprit.
Ces quarante jours furent une période difficile pour Jean et ses
disciples. Quels devaient être les rapports entre Jean et Jésus? Cent
questions à discuter étaient soulevées. La politique et les ambitions
égoïstes commencèrent à faire leur apparition. Des discussions acharnées
s'élevèrent autour des diverses idées et conceptions du Messie.
Deviendrait-il un chef militaire et un roi comme David? Frapperait-il les
armées romaines comme Josué avait frappé les Cananéens? Ou bien
viendrait-il établir un royaume spirituel? Jean se ralliait plutôt à
l'avis de la minorité, que Jésus était venu établir le royaume du ciel,
bien qu'il n'eût pas de notions tout à fait claires sur ce que devait
comporter la mission d'établir le royaume céleste.
Ce furent des journées ardues dans l'expérience de Jean, et il pria
pour le retour de Jésus. Certains disciples de Jean organisèrent des
groupes d'éclaireurs pour partir à la recherche de Jésus, mais Jean leur
interdit en disant: « Notre époque est entre les mains du Dieu du ciel; il
dirigera son Fils élu ».
Le matin du sabbat du 23 février, les disciples de Jean prenaient leur
repos du matin lorsqu'en regardant vers le nord ils virent Jésus venant
vers eux. Pendant qu'il s'approchait, Jean monta sur un grand rocher,
éleva sa voix sonore, et dit: « Voici le Fils de Dieu, le libérateur du
monde! C'est de lui que j'ai dit: « Après moi il en viendra un qui me sera
préféré, car il existait avant moi ». C'est pour cela que je suis sorti du
désert afin de prêcher la repentance et baptiser d'eau en proclamant que
le royaume des cieux est à portée de la main. Maintenant vient celui qui
va vous baptiser du Saint-Esprit. J'ai vu l'esprit divin descendre sur cet
homme et j'ai entendu la voix de Dieu déclarer « Celui-ci est mon Fils
bien aimé en qui mon âme prend son plaisir.
Jésus les pria de continuer leur repas et s'assit pour manger avec
Jean, car ses frères Jacques et Jude étaient retournés à Capharnaüm.
Le lendemain matin de bonne heure, il prit congé de Jean et de ses
disciples et repartit pour la Galilée. Il ne leur donna aucune indication
sur le moment où ils le reverraient. Aux demandes de Jean sur ses propres
prédications et sa propre mission, il se borna à répondre: « Mon Père te
guidera maintenant et dans l'avenir comme il l'a fait dans le passé ». Les
deux grands hommes se séparèrent ce matin-là sur la rive du Jourdain pour
ne jamais plus se revoir sur terre.
10. -- JEAN VOYAGE VERS LE SUD
Puisque Jésus était allé vers le nord en Galilée Jean se sentit conduit
à retourner sur ses pas. En conséquence, le dimanche matin 3 mars, Jean et
le reste de ses disciples se mirent en route vers le sud. Entre-temps, un
quart des fidèles les plus proches de Jean étaient partis pour la Galilée
à la recherche de Jésus. Une atmosphère de tristesse confuse entourait
Jean. Jamais plus il ne prêcha comme avant de baptiser Jésus. Il sentait
qu'en un certain sens la responsabilité du royaume à venir avait cessé de
reposer sur ses épaules. Il avait le sentiment que son oeuvre était à peu
près achevée. Il était triste et détaché, mais il prêchait, baptisait, et
continuait sa marche vers le sud.
Jean s'arrêta plusieurs semaines près du village d'Adam, et c'est de là
qu'il lança son attaque mémorable contre Hérode Antipas pour avoir pris
illégalement la femme d'un autre homme. Vers le mois de juin de cette
année (l'an 26), Jean était de retour au gué de Béthanie sur le Jourdain,
où il avait commencé plus d'un an auparavant à prêcher sur le royaume à
venir. Au cours des semaines qui suivirent le baptême de Jésus, le
caractère des sermons de Jean avait graduellement changé; il proclamait
maintenant la miséricorde pour les gens du commun, tandis qu'il dénonçait
avec un renouveau de véhémence la corruption des chefs politiques et
religieux.
Hérode Antipas, sur le territoire de qui Jean avait fait ses sermons,
s'alarma à l'idée de voir Jean et ses disciples provoquer une rébellion.
Hérode tenait également rigueur à Jean de ses critiques publiques sur ses
affaires de famille. Tout ceci considéré, il décida de mettre Jean en
prison. En conséquence, très tôt dans la matinée du 12 juin, avant
l'arrivée des multitudes venues pour écouter les sermons et assister aux
baptêmes, les agents d'Hérode placèrent Jean sous mandat d'arrêt. Tandis
que les semaines passaient et qu'on ne le relâchait pas, ses disciples
s'éparpillèrent dans toute la Palestine; beaucoup d'entre eux allèrent en
Galilée pour se joindre aux partisans de Jésus.
11. -- JEAN EN PRISON
Jean eut une expérience solitaire et quelque peu amère en prison. Très
peu de ses disciples étaient autorisés à lui rendre visite. Il désirait
ardemment voir Jésus, mais dut se contenter d'entendre parler de son
travail par ceux de ses propres disciples qui étaient devenus des
partisans du Fils de l'Homme. Il était souvent tenté de douter de Jésus et
de sa mission divine. Si Jésus était le Messie, pourquoi ne faisait-il
rien pour le délivrer de cet intolérable emprisonnement? Durant plus d'un
an et demi, ce rude homme de plein air languit dans une horrible geôle.
Cette expérience fut une grande épreuve pour sa foi en Jésus et sa
fidélité envers lui. En vérité, l'ensemble de cette aventure fut même une
grande épreuve pour la foi de Jean en Dieu. Maintes fois il fut tenté de
douter de l'authenticité de sa propre mission et de son expérience.
Après qu'il eût passé plusieurs mois en prison, un groupe de ses
disciples vint le voir, lui décrivit les activités publiques de Jésus, et
lui dit: « Ainsi, Maître, tu vois que celui qui était près de toi en amont
du Jourdain prospère et reçoit tous ceux qui viennent vers lui, et
pourtant il ne fait rien pour obtenir ta délivrance ». Mais Jean répondit
à ses amis: « Cet homme ne peut rien faire sans que cela qui ait été dicté
par son Père céleste. Vous vous rappelez bien ce que j'ai dit: Je ne suis
pas le Messie, mais j'ai été envoyé avant lui pour lui préparer le chemin.
C'est bien cela que j'ai fait. La fiancée appartient au fiancé, mais l'ami
du fiancé qui se tient dans le voisinage se réjouit grandement d'entendre
la voix du fiancé. Ma joie est donc parfaite. Il faut que lui grandisse et
que moi je diminue. J'appartiens à la terre et j'ai proclamé mon message.
Jésus de Nazareth est venu du ciel sur la terre, et il est au-dessus de
nous tous. Le Fils de l'Homme est descendu d'auprès de Dieu, et ce sont
les paroles de Dieu qu'il vous annoncera, car le Père céleste ne mesure
pas l'esprit qu'il donne à son propre Fils. Le Père aime le Fils et
remettra bientôt toutes choses entre ses mains. Quiconque croit au Fils a
la vie éternelle. Et les paroles que je prononce sont véritables et
immuables.
Les disciples furent tellement stupéfaits de la déclaration de Jean
qu'ils partirent en silence. De son côté, Jean était fort agité, car il
percevait qu'il venait d'émettre une prophétie. Jamais plus il ne douta
complètement de la mission et de la divinité de Jésus, mais il était
affreusement déçu que Jésus ne lui fasse rien dire, ne vienne pas le voir,
et n'exerce aucun de ses grands pouvoirs pur le faire sortir de prison. Or
Jésus était au courant de tout. Il avait beaucoup d'amour pour Jean, mais
il se rendait maintenant compte de la nature divine de Jean et connaissait
pleinement les grands événements qui se préparaient pour Jean quand il
quitterait ce monde. Sachant également que l'oeuvre terrestre de Jean
était achevée, il se contraignit à ne pas intervenir dans l'aboutissement
naturel de la carrière de ce grand prédicateur-prophète.
Cette longue incertitude en prison était humainement intolérable.
Quelques jours avant sa mort, Jean envoya de nouveau à Jésus deux
messagers de confiance pour qui demander: « Mon travail est-il fait?
Pourquoi dois-je languir en prison? Es-tu vraiment le Messie ou
devons-nous en chercher un autre? » Lorsque les deux disciples eurent
remis le message à Jésus, le Fils de l'Homme répondit: « Retournez vers
Jean et dites-lui que je ne l'ai pas oublié, mais qu'il supporte encore
cela, car il convient que nous menions à bien toute la justice. Dites à
Jean ce que vous avez vu et entendu -- que la bonne nouvelle est prêchée
aux pauvres -- et finalement dites au bien-aimé précurseur de ma mission
terrestre qu'il sera abondamment béni dans l'âge à venir s'il ne lui
arrive pas de douter ou de trébucher à propos de moi ». Ce fut la dernière
communication que Jean reçut de Jésus. Ce message le réconforta grandement
et contribua beaucoup à stabiliser sa foi et a le préparer à la fin
tragique de sa vie terrestre, fin qui devait suivre de si près ce jour
mémorable.
12. -- LA MORT DE JEAN LE BAPTISTE
Du fait que Jean oeuvrait en Pérée méridionale lors de son arrestation,
il fut immédiatement emmené dans la prison de la forteresse de Macharée,
où il resta incarcéré jusqu'à son exécution. Hérode gouvernait la Pérée et
la Galilée et entretenait à cette époque des résidences en Pérée, à la
fois a Juliade et à Macharée. En Galilée, sa résidence avait été déplacée
de Séphoris à Tibériade, la nouvelle capitale.
Hérode avait peur de relâcher Jean de crainte qu'il ne provoque une
rébellion. Il redoutait de le mettre à mort par crainte d'émeutes
populaires dans la capitale, car des milliers de Péréens croyaient que
Jean était un saint, un prophète. Hérode gardait donc le prédicateur
naziréen en prison, ne sachant que faire de lui. Jean avait plusieurs fois
comparu devant Hérode, mais n'avait jamais voulu accepter de quitter la
zone de juridiction d'Hérode ni de s'abstenir de toute activité publique
s'il était libéré. La nouvelle agitation, constamment croissante, au sujet
de Jésus de Nazareth avertissait Hérode que le moment était mal choisi
pour relâcher Jean. En outre, Jean était victime de la haine implacable et
acharnée d'Hérodiade, la femme illégitime d'Hérode.
En de nombreuses occasions, Hérode s'entretint avec Jean du royaume des
cieux. Il était parfois sérieusement impressionné par le message, mais
craignait de faire sortir Jean de prison. Hérode passait une grande partie
de son temps dans ses résidences de Pérée, parce que l'on construisait
encore beaucoup à Tibériade et qu'il avait une prédilection pour la
place-forte de Macharée. Il s'écoula encore plusieurs années avant que la
construction de tous les bâtiments publics et de la résidence officielle
de Tibériade ait été achevée.
Pour célébrer son anniversaire, Hérode donna une grande fête au palais
de Macharée pour ses principaux officiers et pour d'autres personnalités
haut-placées dans les conseils des gouvernements de Pérée et de Galilée.
N'ayant pas réussi à obtenir l'exécution de Jean par appel direct à
Hérode, Hérodiade s'attela maintenant à la tâche d'obtenir par ruse sa
mise à mort.
Au cours des festivités et distractions du soir, Hérodiade présenta sa
fille en la faisant danser devant les convives. Hérode fut charmé par la
chorégraphie de la demoiselle et l'appela devant lui en disant: « Tu es
charmante et j'ai pris beaucoup de plaisir à tes danses. C'est mon
anniversaire. Quelle que soit la chose que tu désires, demande-la moi et
je te la donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume ». En faisant cette
proposition, Hérode était fortement sous l'influence de ses nombreuses
libations. La jeune fille se retira pour s'enquérir auprès de sa mère de
ce qu'elle devait demander à Hérode. Hérodiade lui dit: « Va vers Hérode
et demande-lui la tête de Jean le Baptiste ». La jeune fille retourna à la
table du banquet et dit à Hérode: « Je te demande de me donner
immédiatement la tête de Jean le Baptiste sur un plateau ».
Hérode fut rempli de crainte et de tristesse, mais à cause de son
serment et de tous les témoins qui banquetaient avec lui, il ne voulut pas
refuser la requête. Il envoya alors un soldat avec l'ordre de qui apporter
la tête de Jean. C'est ainsi que Jean fut décapité dans sa prison. Le
soldat apporta la tête du prophète sur un plateau et la donna à la jeune
fille dans l'office de la salle du banquet. Et la jeune fille donna le
plateau à sa mère. Quand les disciples de Jean eurent vent de l'histoire,
ils se rendirent à la prison demander le corps de Jean. Après l'avoir
couché dans un tombeau, ils allèrent en rendre compte à Jésus.
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