SÉJOUR EN GALILÉE
DE bonne heure le samedi matin 23 février de l'an 26, Jésus descendit
des montagnes pour rejoindre le groupe des fidèles de Jean qui campaient à
Pella. Toute la journée il se mêla à la foule. Il soigna un garçon qui
s'était blessé en faisant une chute et se rendit à Pella, le village
voisin, pour remettre l'enfant aux mains de ses parents.
1. -- LE CHOIX DES QUATRE PREMIERS APÔTRES
Durant le sabbat, deux des principaux disciples de Jean passèrent
beaucoup de temps avec Jésus. De tous les partisans de Jean, un dénommé
André fut le plus profondément impressionné par Jésus; il l'accompagna à
Pella avec le blessé. Sur le chemin de retour vers le lieu où Jean
baptisait, il posa de nombreuses questions à Jésus. Au moment d'arriver à
destination, ils s'arrêtèrent tous deux pour un bref entretien durant
lequel André dit: « Je t'ai constamment observé depuis que tu es venu à
Capharnaüm, et je crois que tu es le nouvel Instructeur. Bien que je ne
comprenne pas tout ton enseignement, je suis pleinement décidé à te
suivre. Je voudrais être ton disciple et apprendre toute la vérité au
sujet du nouveau royaume ». Avec une chaleureuse confiance, Jésus
accueillit André comme premier apôtre du groupe des douze qui devaient
travailler avec lui à établir le nouveau royaume de Dieu dans le coeur des
hommes.
André avait silencieusement observé le travail de Jean le Baptiste et
croyait sincèrement en lui. Il avait un frère très capable et
enthousiaste, nommé Simon, qui était au premier rang des disciples de
Jean; on peut même dire que Simon était l'un des principaux soutiens de
Jean.
Peu après le retour de Jésus et d'André au camp, André chercha son
frère Simon et le prit à part; il l'informa qu'il était personnellement
convaincu que Jésus était le grand Instructeur, et qu'il s'était engagé à
être son disciple. Il poursuivit en disant que Jésus avait accepté son
offre de service et suggéra que lui (Simon) aille également trouver Jésus
et se propose comme compagnon au service du nouveau royaume. Simon
répondit: « Depuis que cet homme est venu travailler à l'atelier de
Zébédée, j'ai toujours pensé qu'il était envoyé par Dieu, mais que faire
vis-à-vis de Jean? Devons-nous l'abandonner? Est-ce juste? » Ils
décidèrent alors d'aller immédiatement consulter Jean, qui fut attristé à
la pensée de perdre deux de ses conseillers les plus capables et de ses
disciples les plus prometteurs, mais il répondit courageusement à leur
demande en disant: « Nous n'en sommes qu'au commencement. Mon travail va
bientôt prendre fin, et nous deviendrons tous ses disciples ». Alors André
fit signe à Jésus de venir et lui annonça en aparté que son frère désirait
entrer au service du nouveau royaume. Jésus dit: «Simon, ton enthousiasme
est louable, mais dangereux pour le travail du royaume. Je te préviens
qu'il faut être plus réfléchi dans tes paroles. Je vais changer ton nom en
celui de Pierre ».
Les parents du garçonnet blessé qui vivaient à Pella avaient demandé à
Jésus de passer la nuit chez eux et de s'y considérer comme chez lui, et
Jésus avait accepté. Avant de quitter André et son frère, il leur dit:
« Demain nous irons en Galilée ».
Après que Jésus fut retourné à Pella pour la nuit, et tandis qu'André
et Simon discutaient encore la nature de leur fonction dans le prochain
royaume, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, arrivèrent sur les lieux.
Ils venaient de rentrer de leur longue et vaine recherche de Jésus dans
les montagnes. Lorsqu'ils entendirent Simon Pierre leur raconter comment
lui et son frère André étaient devenus les premiers conseillers agréés du
nouveau royaume, et qu'ils devaient partir le lendemain matin avec leur
Maître pour la Galilée, Jacques et Jean furent tous deux attristés. Ils
connaissaient Jésus depuis assez longtemps et l'aimaient. ils l'avaient
cherché plusieurs jours dans les montagnes, et maintenant ils revenaient
pour apprendre que d'autres avaient été choisis avant eux. Ils demandèrent
où était allé Jésus et se hâtèrent de le rejoindre.
Jésus dormait lorsqu'ils atteignirent sa demeure, mais ils le
réveillèrent en disant: « Pendant que nous, qui avons si longtemps vécu
avec toi, nous explorions les montagnes à ta recherche, comment se fait-il
que tu aies donné la préférence à d'autres et choisi André et Simon comme
tes premiers apôtres pour le nouveau royaume? » Jésus répondit: « Ayez le
coeur calme, et demandez-vous qui vous a ordonné de rechercher le Fils de
l'Homme pendant qu'il vaquait aux affaires de son Père ». Après qu'ils lui
eurent raconté les détails de leur longue recherche dans les montagnes,
Jésus poursuivit ses instructions: « Vous devriez apprendre à chercher
dans votre coeur, et non dans les montagnes, le secret du nouveau royaume.
Ce que vous cherchiez était déjà présent dans votre âme. Vous êtes en
vérité mes frères -- vous n'aviez pas besoin ,que je vous agrée -- vous
apparteniez déjà au royaume. Ayez bon espoir et préparez-vous aussi à nous
accompagner demain matin en Galilée ». Jean s'enhardit alors à demander: «
Mais, Maître, Jacques et moi serons-nous tes associés dans le nouveau
royaume au même titre qu'André et Simon? » Jésus posa une main sur
l'épaule de chacun d'eux et dit: « Mes frères, vous étiez déjà avec moi
dans l'esprit du royaume, même avant que les deux autres aient demandé à y
être admis. Vous, mes frères, vous n'avez pas besoin de présenter une
requête pour entrer dans le royaume; vous y avez été avec moi depuis le
commencement. Devant les hommes, d'autres peuvent avoir priorité sur vous,
mais dans mon coeur je vous admettais aussi dans les conseils du royaume
avant même que vous ayez songé à me le demander. Vous auriez même pu être
les premiers devant les hommes si vous ne vous étiez pas absentés pour la
tâche bien intentionnée, mais fixée par vous-mêmes, de rechercher
quelqu'un qui n'était nullement perdu. Dans le royaume à venir, ne vous
occupez pas des choses qui entretiennent votre anxiété, mais plutôt de
faire la volonté du Père qui est aux cieux.
Jacques et Jean acceptèrent de bonne grâce la réprimande et ne furent
plus jamais envieux d'André et de Simon. Ils se préparèrent à partir le
lendemain matin pour la Galilée avec les deux autres apôtres. À partir de
ce jour-là, le mot apôtre fut employé pour distinguer la famille élue des
conseillers de Jésus d'avec la vaste multitude des disciples croyants qui
le suivirent ultérieurement.
Tard dans la soirée. Jacques, Jean, André, et Simon eurent un entretien
avec Jean le Baptiste. Avec des larmes aux yeux mais une voix ferme, le
vaillant prophète judéen abandonna deux de ses principaux disciples pour
leur permettre de devenir les apôtres du Prince galiléen du royaume à
venir.
2. -- LE CHOIX DE PHILIPPE ET DE NATHANAEL
Le dimanche matin 24 février de l'an 26, Jésus prit congé de Jean le
Baptiste au bord du fleuve près de Pella, et ne le revit plus jamais sur
terre.
Ce jour-là, tandis que Jésus et ses quatre disciples-apôtres partaient
pour la Galilée, un grand tumulte s'éleva dans le camp des fidèles de
Jean. Leur premier discorde était sur le point d'éclater. La veille, Jean
avait positivement annoncé à André et à Ezra que Jésus était le
Libérateur. André décida de suivre Jésus, mais Ezra récusa le charpentier
de Nazareth aux manières affables en disant à ses compagnons: « Le
prophète Daniel a annoncé que le Fils de l'Homme viendrait sur les nuées
du ciel, en puissance et en grande gloire. Ce charpentier de Galilée, ce
constructeur de bateaux de Capharnaüm, ne saurait être le Libérateur. Un
tel don de Dieu peut-il sortir de Nazareth? Ce Jésus est un cousin de
Jean, et notre maître a été trompé par excès de sentimentalité. Restons à
l'écart de ce faux Messie ». Lorsque Jean le réprimanda pour ces propos,
Ezra se retira avec de nombreux disciples et partit hâtivement vers le
sud. Ce groupe continua à baptiser au nom de Jean et fonda finalement une
secte dont les membres avaient foi en Jean mais refusaient d'accepter
Jésus. Un reste de ce groupe persiste encore aujourd'hui en Mésopotamie.
Tandis que ces troubles couvaient parmi les partisans de Jean, Jésus et
ses quatre discples-apôtres avançaient rapidement vers la Galilée. Avant
de traverser le Jourdain pour aller à Nazareth par Naïn, Jésus regarda
devant lui la route montante et vit venir vers lui un certain Philippe de
Bethsaïde, accompagné d'un ami. Jésus avait connu Philippe autrefois, et
les quatre apôtres le connaissaient également. Philippe faisait route avec
son ami Nathanael pour voir Jean à Pella et pour mieux s'informer de
l'avènement éventuel du royaume de Dieu; il fut enchanté de saluer Jésus
qu'il avait toujours admiré depuis la première visite de celui-ci à
Capharnaüm. Par contre Nathanael, qui vivait à Cana en Galilée, ne
connaissait pas Jésus. Philippe s'avança pour saluer ses amis, tandis que
Nathanael se reposait à l'ombre d'un mûrier sur le bord de la route.
Pierre prit Philippe à part et lui expliqua que lui-même, André et
Jacques, et Jean étaient tous devenus des collaborateurs de Jésus dans le
nouveau royaume; il incita vivement Philippe à s'enrôler au service de la
cause. Philippe se trouva dans une impasse. Que devait-il faire? Ici, sans
le moindre préavis -- sur la route voisine du Jourdain -- se posait la
plus importante question de la vie d'un homme, et il fallait prendre une
décision immédiate. Tandis que Philippe se trouvait engagé dans une
sérieuse conversation avec Pierre, André, et Jean, Jésus esquissait à
Jacques la route à suivre à travers la Galilée jusqu'à Capharnaüm.
Finalement, André suggéra à Philippe: « Pourquoi ne pas demander au
Maître?
Philippe se rendit subitement compte que Jésus était réellement un
grand homme, peut-être le Messie, et il décida de se conformer à la
décision de Jésus en la matière. Il alla droit à lui et lui demanda: «
Maître, dois-je aller vers Jean ou me joindre à mes amis qui te
suivent? » Et Jésus répondit: « Suis-moi ». Philippe fut galvanisé par la
certitude qu'il avait découvert le Libérateur.
Philippe fit alors signe au groupe de rester sur place, tandis qu'il
courait annoncer sa décision à son ami Nathanael, resté en arrière sous le
mûrier et réfléchissant à tout ce qu'il avait entendu au sujet de Jean le
Baptiste, du royaume à venir, et du Messie attendu. Philippe fit irruption
dans cette méditation en s'écriant: « J'ai trouvé le Libérateur, celui
dont Moïse et les prophètes on parlé et que Jean a proclamé ». Nathanael
leva les yeux et s'enquit: « D'ou vient ce maître? » Et Philippe répliqua:
« C'est Jésus de Nazareth, le fils de Joseph, le charpentier, venu plus
récemment demeurer à Capharnaüm » Alors Nathanael, quelque peu choqué,
demanda: «Quelqu'un d'aussi remarquable peut-il sortir de Nazareth? » Mais
Philippe le prit par le bras en disant: « Viens et vois ».
Philippe conduisit Nathanael à Jésus, qui regarda en face avec
bienveillance cet homme sincère qui doutait et dit: «
Voici un véritable Israélite en qui il n'y a pas de fausseté. Suis moi ».
Nathanael se tourna vers Philippe et dit: « Tu as raison. Il est en vérité
un conducteur d'hommes. Je le suivrai aussi si j'en suis digne ». Jésus
fit un signe de tête affirmatif à Nathanael et répéta: « Suis moi » (1).
(1) Cf. Jean I-46 à 49.
Jésus avait maintenant rassemblé la moitié de son futur corps de
collaborateurs intimes, cinq qui le connaissaient depuis longtemps, et un
étranger, Nathanael. Sans plus attendre, ils traversèrent le Jourdain,
passèrent par le village de Naïn, et arrivèrent tard dans la soirée à
Nazareth.
Ils passèrent tous la nuit chez Joseph dans la maison d'enfance de
Jésus. Les compagnons de Jésus ne comprirent pas très bien pourquoi leur
maître récemment découvert était si préoccupé de détruire complètement
tous les vestiges de son écriture qui subsistaient dans la maison sous la
forme des dix commandements et d'autres devises et préceptes. Mais cette
façon d'agir, ajoutée au fait qu'ils ne le virent jamais écrire -- sauf
dans la poussière ou sur le sable -- fit une profonde impression sur leur
pensée.
3. -- LA VISITE À CAPHARNAÜM
Le lendemain, Jésus envoya ses apôtres à Cana, car ils étaient tous
invités au mariage de Naomi, une jeune fille très en vue de cette ville,
tandis que lui-même se préparait à rendre une visite hâtive à sa mère à
Capharnaüm, en s'arrêtant d'abord à Magdala pour voir son frère Jude.
Avant de quitter Nazareth, les nouveaux disciples de Jésus racontèrent
à Joseph et à d'autres membres de la famille de Jésus les merveilleux
événements de ce récent passé et exprimèrent franchement leur croyance que
Jésus était le libérateur longtemps attendu. Les membres de la famille de
Jésus débattirent la question, et Joseph dit: « Après tout, il se peut que
Mère ait eu raison -- que notre étrange frère soit le roi à venir ».
Jude avait assisté au baptême de Jésus et, avec son frères Jacques, il
s'était mis à croire fermement à la mission terrestre de Jésus. Jacques et
Jude étaient tous deux très perplexes au sujet de la nature de la mission
de leur frère; par contre, l'ancienne espérance que Jésus était le Messie,
le fils de David, renaissait chez sa mère, et elle encourageait ses autres
fils à avoir foi en leur frère en tant que libérateur d'Israël.
Jésus arriva le lundi soir à Capharnaüm, mais ne se rendit pas à son
propre foyer où vivaient Jacques et sa mère; il alla directement chez
Zébédée. Tous ses amis de Capharnaüm virent un grand et agréable
changement en lui. Une fois de plus il paraissait relativement gai et plus
semblable à ce qu'il avait été durant ses premières années à Nazareth. Au
cours des années antérieures à son baptême et des périodes d'isolement qui
l'avaient immédiatement précédé et suivi, Jésus était devenu de plus en
plus grave et réservé. Maintenant, tout son entourage le retrouvait comme
autrefois. Il y avait en lui quelque chose de majestueux, d'imposant, un
aspect divin, mais il était à nouveau allègre et joyeux.
Marie frémissait d'espérance. Elle croyait que la promesse de Gabriel
était près de se réaliser. Elle s'attendait à avoir bientôt toute la
Palestine saisie et frappée de stupeur par la révélation miraculeuse de
son fils en tant que roi surnaturel des Juifs. Mais aux nombreuses
questions que lui posèrent sa mère, Jacques, Jude, et Zébédée, Jésus se
borna à répondre en souriant: « Il est préférable que je reste ici pendant
un temps; il faut que je fasse la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Le lendemain mardi, ils allèrent tous à Cana pour le mariage de Naomi,
qui devait avoir lieu le jour suivant. Malgré les avertissements réitérés
de Jésus de ne parler de lui à personne « jusqu'à ce que l'heure du Père
soit venue », ils persistèrent à répandre discrètement la nouvelle qu'ils
avaient trouvé le Libérateur. Chacun d'eux s'attendait avec confiance à ce
que Jésus assume pour la première fois son autorité messianique lors du
prochain mariage à Cana, et à ce qu'il inaugure son règne avec une grande
puissance et une sublime grandeur. Ils se rappelaient ce qu'on leur avait
dit des phénomènes qui avaient accompagné son baptême, et ils croyaient
que sa future carrière sur terre serait marquée par des manifestations
croissantes de merveilles surnaturelles et de démonstrations miraculeuses.
En conséquence, tout le pays se prépara à se réunir à Cana pour les noces
de Naomi et de Johab, fils de Nathan.
Marie n'avait pas été aussi joyeuse depuis des années. Elle se rendit à
Cana dans l'état d'esprit d'une reine-mère allant assister au couronnement
de son fils. Depuis que Jésus avait eu treize ans, jamais sa famille et
ses amis ne l'avaient vu aussi insouciant et heureux, aussi prévenant et
compréhensif des voeux et désirs de ses compagnons, aussi touchant de
sympathie. Ils chuchotaient donc par petits groupes, se demandant ce qui
allait arriver. Quel serait le prochain acte de cet étrange personnage?
Comment inaugurerait-il la gloire du royaume à venir? Et ils étaient tous
surexcités à l'idée qu'ils allaient assister à la révélation de la
puissance et du pouvoir du Dieu d'Israël.
4. -- LES NOCES DE CANA
Le mercredi vers midi, près d'un millier de convives étaient arrivés à
Cana, plus de quatre fois le nombre des invités aux noces. Les Juifs
avaient coutume de célébrer les mariages le mercredi, et les invitations
avaient été envoyées un mois à d'avance. Dans la matinée et au début de
l'après-midi, la fête ressembla plus à une réception publique pour Jésus
que des noces. Chacun voulait saluer ce Galiléen presque célèbre qui les
accueillait tous cordialement, jeunes et vieux, Juifs et Gentils. Tout le
monde se réjouit lorsque Jésus accepta de conduire la procession précédant
le mariage.
Jésus était désormais tout à fait conscient de soi au sujet de son
existence humaine, de sa préexistence divine, et du statut de ses natures
humaine et divine conjuguées ou fusionnées. Avec un parfait équilibre, il
pouvait à tout moment jouer son rôle humain ou reprendre immédiatement les
prérogatives personnelles de sa nature divine.
Tandis que la journée s'avançait, Jésus se rendit de plus en plus
compte que les convives s'attendaient à le voir accomplir quelque miracle;
il comprit plus spécialement que sa famille et ses six disciples-apôtres
comptaient sur lui pour annoncer son prochain royaume d'une manière
appropriée par une manifestation saisissante et surnaturelle.
Tôt dans l'après-midi, Marie appela Jacques, et ensemble ils
s'enhardirent à interroger Jésus pour lui demander s'il voulait les mettre
dans sa confidence et les renseigner sur l'heure et le lieu de la fête où
il avait projeté une manifestation « surnaturelle ». Aussitôt qu'ils
eurent abordé cette question avec Jésus, ils virent qu'ils avaient suscité
son indignation caractéristique. Il répondit simplement: « Si
vous m'aimez, ayez la patience de demeurer avec moi pendant que j'attends
de connaître la volonté de mon Père céleste ». Mais l'éloquence de son
reproche résidait dans l'expression de son visage.
Jésus fut humainement très déçu par cette initiative de sa mère, et il
fut dégrisé par sa propre réaction à la suggestion de se prêter au caprice
d'une manifestation extérieure de sa divinité. C'était précisément l'une
des choses qu'au cour de son récent isolement dans les montagnes il avait
décidé de ne pas faire. Durant plusieurs heures, Marie fut très déprimée.
Elle dit à Jacques: « Je ne puis le comprendre. Que signifie tout cela?
N'y aurait-il pas de fin à son étrange conduite? » Jacques et Jude
tentèrent de consoler leur mère, tandis que Jésus se retirait pour une
heure de solitude. Mais il revint à la réunion, à nouveau allègre et
joyeux.
Le mariage eut lieu dans une atmosphère d'attente silencieuse mais, à
la fin de la cérémonie, l'hôte d'honneur n'avait ni fait un geste ni dit
un mot. Alors on chuchota que le charpentier et constructeur de bateaux,
proclamé par Jean comme « le Libérateur », abattrait son jeu durant les
fêtes du soir, probablement au dîner de noces. Mais Jésus ôta toute
espérance d'une démonstration de cet ordre de la pensée de ses six
disciples-apôtres en les réunissant juste avant le dîner pour leur dire
très sérieusement: « Ne croyez pas que je sois venu en
ce lieu pour satisfaire les curieux ou convaincre ceux qui doutent. Nous
sommes plutôt ici pour attendre la volonté de notre Père qui est aux cieux
». Lorsque Marie et les autres le virent en consultation avec ses apôtres.
ils furent au contraire persuadés qu'un événement extraordinaire était
imminent. Ils s'assirent tous à la table du souper pour jouir en bonne
compagnie du repas et de la soirée de fête.
Le père du marié avait fourni du vin en abondance pour tous les hôtes
invités aux noces, mais comment aurait-il pu savoir que le mariage de son
fils allait devenir un événement aussi étroitement lié à la manifestation
attendue de Jésus en tant que libérateur messianique? Il était enchanté
d'avoir l'honneur de compter le célèbre Galiléen parmi ses hôtes, mais
avant la fin du dîner les serviteurs lui apportèrent la nouvelle
déconcertante que l'on se trouvait à court de vin. Lorsque le dîner
officiel fut terminé et que les invités commencèrent à se répandre dans le
jardin, la mère du marié fit à Marie la confidence que la provision de vin
était épuisée. Marie lui répondit avec confiance: « Ne vous faites pas de
souci -- je vais en parler à mon fils. Il nous aidera ». Et elle osa le
faire, malgré le blâme reçu quelques heures auparavant.
Pendant bien des années, Marie s'était toujours tournée vers Jésus pour
être aidée dans chacune des crises de leur vie de famille à Nazareth, de
sorte qu'elle avait tout naturellement pensé à lui dans les circonstances
présentes. Mais cette mère ambitieuse avait encore d'autres raisons pour
faire appel à son fils en cette occasion. Jésus se tenait seul dans un
coin du jardin. Sa mère s'approcha de lui et dit: « Mon fils, ils n'ont
plus de vin ». Et Jésus répondit: « Ma bonne mère, en quoi cela me
concerne-t-il? » Marie dit: « Mais je crois que ton heure est venue. Ne
peux-tu nous aider? » Jésus répliqua: « À nouveau , je déclare que je ne
suis pas venu pour agir de cette manière. Pourquoi me déranges-tu encore
avec cette affaire ». Alors, fondant en larmes, Marie le supplia: « Mais,
mon fils, je leur ai promis que tu nous aiderais. Ne veux-tu, s'il te
plaît, faire quelque chose pour moi? » Et Jésus conclut: « Femme, pourquoi
te permets-tu de faire de telles promesses? Veille à ne pas recommencer.
En toutes choses il faut que nous attendions la volonté du Père qui est
aux cieux ».
Marie fut accablée; elle était abasourdie! Tandis qu'elle se tenait
immobile devant lui et qu'un flot de larmes coulait sur son visage, le
coeur humain de Jésus fut ému d'une profonde compassion pour la femme qui
l'avait porté dans son sein. Il se pencha vers elle, posa tendrement sa
main sur sa tête, et lui dit: « Allons, allons, Maman Marie, ne te
chagrine pas de mes paroles apparemment dures. Ne t'ai-je pas dit maintes
fois que je suis venu uniquement pour faire la volonté de mon Père
céleste? Je ferais avec joie ce que tu me demandes si cela faisait partie
de la volonté du Père ». Et Jésus s'arrêta court. Il hésitait. Marie parut
avoir le sentiment qu'il se produisait quelque chose. Se relevant d'un
bond, elle jeta ses bras autour du cou de Jésus, l'embrassa, et se
précipita dans la salle des serviteurs en leur disant: « Quoi que mon fils
vous dise, faites-le ». Mais Jésus ne dit rien. Il se rendait maintenant
compte qu'il en avait déjà trop dit -- ou plutôt qu'il avait trop désiré
en pensée.
Marie dansait de joie. Elle ne savait pas comment le vin serait
produit, mais elle croyait fermement avoir finalement persuadé son fils
premier-né d'affirmer son autorité, d'oser se mettre en avant pour prendre
position et faire montre de son pouvoir messianique. À cause de la
présence et de l'association de certaines puissances et personnalités de
l'univers, totalement ignorées de tous les convives, elle ne devait pas
être déçue. Le vin que Marie désirait et que Jésus, le Dieu l'homme,
souhaitait humainement par sympathie, était en route.
Il y avait à proximité six jarres de pierre remplies d'eau et contenant
une centaine de litres chacune. Cette eau était destinée à servir dans les
cérémonies finales de purification de la célébration du mariage.
L'agitation des serviteurs autour de ces énormes récipients de pierre,
sous la direction active de sa mère, attira l'attention de Jésus. Il
s'approcha et vit qu'ils en tiraient du vin à pleins brocs.
Jésus se rendit graduellement compte de ce qui était arrivé. De toutes
les personnes présentes aux noces de Cana, c'est lui qui fut le plus
surpris. Les autres s'attendaient toutes à lui voir accomplir un miracle,
mais c'était précisément ce qu'il avait l'intention de ne pas faire. Alors
le Fils de l'Homme se souvint de l'avertissement de son Ajusteur de Pensée
Personnalisé, dans les montagnes. Il se rappela comment l'Ajusteur l'avait
prévenu que nulle puissance ou personnalité ne pouvait le priver de sa
prérogative de créateur qui le rendait indépendant du temps. En cette
occasion, des transformateurs de pouvoir, des médians, et toutes les
autres personnalités utiles étaient assemblés près de l'eau et des autres
matériaux nécessaires; en face du souhait exprimé par le Souverain
Créateur de l'Univers, l'apparition immédiate de vin était
inéluctable. La certitude de cet événement était doublée par le fait que
l'Ajusteur Personnalisé avait signifié que l'exécution du désir du Fils ne
contrevenait en aucune manière à la volonté du Père.
Ce ne fut en aucun sens un miracle. Nulle loi de la nature ne fut
modifiée, abrogée, ou même transcendée. Rien d'autre ne se produisit que
l'abrogation du temps en liaison avec l'assemblage céleste des
éléments chimiques indispensables pour élaborer du vin. À Cana, en cette
occasion, les agents du Créateur firent du vin exactement comme ils le
font par le processus naturel ordinaire, sauf qu'ils le firent
indépendamment du temps et avec l'intervention d'agents supra-humains pour
réunir dans l'espace les ingrédients organiques nécessaires.
De plus, il était évident que l'accomplissement de ce soi-disant
miracle n'était pas contraire à la volonté du Père du Paradis; autrement
il ne se serait pas produit, puisque Jésus s'était déjà soumis en toutes
choses à la volonté du Père.
Lors que les serviteurs tirèrent ce nouveau vin et l'apportèrent au
garçon d'honneur « ordonnateur du festin », il le goûta puis
appela l'époux en lui disant: « La coutume est de servir d'abord le bon
vin et ensuite, quand les convives ont bien bu, on apporte le fruit
inférieur de la vigne; mais toi tu as gardé le meilleur vin jusqu'à la fin
des réjouissances » (1).
(1) Cf. Jean II-3 à 10.
Marie et les disciples se réjouirent grandement du miracle supposé,
qu'ils croyaient avoir été accompli intentionnellement, mais Jésus se
retira dans un coin abrité du jardin et s'engagea dans une brève et
sérieuse méditation. Il conclut finalement que l'incident dépassait en la
circonstance son contrôle personnel et qu'il était inévitable puisqu'il
n'était pas contraire à la volonté de son Père. Lorsqu'il retourna vers
les convives, ils le regardèrent avec une crainte respectueuse; ils les
prenaient tous pour le Messie. Mais Jésus était cruellement embarrassé. Il
savait qu'ils croyaient en lui uniquement à cause de l'événement insolite
dont le hasard les avait rendus témoins. Il se retira pendant un bon
moment sur la terrasse de la maison pour méditer à nouveau sur tout cela.
Jésus comprit alors qu'il devait se tenir constamment sur ses gardes,
de crainte qu'en se laissant trop aller à la compassion et à la pitié il
ne devienne responsable d'autres incidents de cet ordre. Néanmoins, bien
des événements similaires se produisirent avant que le Fils de l'Homme eût
quitté définitivement sa vie incarnée.
5. -- RETOUR À CAPHARNAÜM
De nombreux invités restèrent à Cana durant toute la semaine des
festivités du mariage, mais Jésus avec ses disciples-apôtres nouvellement
choisis -- Jacques, Jean, André, Pierre, Philippe, et Nathanael -- partit
de très bonne heure le lendemain matin sans prendre congé de personne. La
famille de Jésus et ses amis de Cana furent désolés de la soudaineté de
son départ, et Jude, le plus jeune frère de Jésus, partit à sa recherche.
Jésus et ses apôtres allèrent directement à la maison de Zébédée à
Bethsaïde. Au cours du trajet avec ses disciples récemment choisis, Jésus
discuta de nombreuses questions importantes concernant le royaume à venir;
il leur recommanda spécialement de ne jamais parler de la transformation
de l'eau en vin. Il leur conseilla aussi d'éviter, dans leur futur
apostolat, les villes de Séphoris et de Tibériade.
Après le souper du soir au foyer de Zébédée et de Salomé, Jésus tint
l'une des plus importantes conférences de sa carrière terrestre. Seuls les
six apôtres assistaient à la réunion; Jude arriva au moment où ils
allaient se séparer. Ces six hommes sélectionnés avaient voyagé avec Jésus
de Cana à Bethsaïde en marchant pour ainsi dire sans fouler le sol. Ils
vivaient dans l'attente et se passionnaient à l'idée d'avoir été choisis
comme associés immédiats du Fils de l'Homme. Mais lorsque Jésus se mit à
leur expliquer clairement qui il était, ce que devait être sa mission
terrestre, et comment elle risquait de se terminer, ils furent abasourdis.
Ils ne pouvaient saisir ce qu'il leur racontait. Ils en restaient muets;
Pierre lui-même fut écrasé au delà de toute expression. Seul André, le
profond penseur, osa répondre quelque chose aux recommandations de Jésus.
Quand Jésus perçut qu'ils ne comprenaient pas son message, quand il vit
que leurs idées sur le Messie juif étaient si complètement cristallisées,
il les envoya se reposer tandis que lui-même allait se promener et
s'entretenir avec son frère Jude. Avant de prendre congé de Jésus, Jude
lui dit avec beaucoup d'émotion: « Mon frère-père, je ne t'ai jamais
compris. Je ne sais pas avec certitude si tu es ce que notre mère nous a
enseigné. Je ne comprends pas pleinement le royaume à venir, mais je sais
que tu es un puissant homme de Dieu. J'ai entendu la voix au Jourdain, et
je crois en toi, qui que tu sois ». Après avoir ainsi parlé, Jude partit
pour se rendre à Magdala dans son propre foyer.
Cette nuit-là, Jésus ne dormit pas. S'enveloppant dans ses couvertures
de voyage, il alla s'asseoir au bord du lac en pensant et en réfléchissant
jusqu'à l'aube du lendemain. Au cours des longues heures de cette nuit de
méditation, Jésus en vint à comprendre clairement qu'il ne pourrait jamais
amener ses disciples à le voir sous un autre jour que celui du Messie
longtemps attendu. Enfin il reconnut qu'il n'y avait pas moyen de lancer
son message au sujet du royaume autrement qu'en accomplissant la
prédiction de Jean et en tant que libérateur attendu par les Juifs. Après
tout, bien qu'il ne fût pas le Messie du type davidique, il représentait
vraiment l'accomplissement des prophéties des clairvoyants les plus
spirituellement orientés de jadis. Jamais plus il ne nia formellement
qu'il était le Messie. Il décida de laisser à la volonté du Père le soin
de débrouiller cette situation compliquée.
Le lendemain matin, Jésus rejoignit ses amis au petit déjeuner, mais
ils formaient un groupe sans entrain. Il s'entretint avec eux et, à la fin
du repas, il les groupa autour de lui en disant: « C'est la volonté de mon
Père que nous restions dans le voisinage durant un certain temps. Vous
avez entendu Jean dire qu'il était venu préparer le chemin du royaume. Il
convient donc que nous attendions la fin des prédications de Jean. Quand
le précurseur du Fils de l'Homme aura achevé son oeuvre, nous commencerons
à proclamer la bonne nouvelle du royaume ». Il ordonna à ses apôtres de
retourner à leurs filets, tandis que lui-même se préparait à accompagner
Zébédée au chantier naval. Il leur promit de les revoir à la synagogue où
il devait parler le lendemain, jour de sabbat, et leur fixa un rendez-vous
pour une conférence l'après-midi de ce même sabbat.
6. -- LES ÉVÉNEMENTS D'UN JOUR DE SABBAT
La première apparition en public de Jésus après son baptême eut lieu
dans la synagogue de Capharnaüm le 2 mars de l'an 26, un jour de sabbat.
La synagogue était bondée. À l'histoire du baptême dans le Jourdain
s'ajoutaient maintenant les récentes nouvelles de Cana au sujet de l'eau
changée en vin. Jésus donna des sièges d'honneur à ses six apôtres et fit
asseoir avec eux ses frères de sang Jacques et Jude. Sa mère était revenue
à Capharnaüm avec Jacques la veille au soir et se trouvait également là,
assise dans la section de la synagogue réservée aux femmes. Tous les
auditeurs étaient excités; ils s'attendaient à voir une manifestation
extraordinaire, un témoignage approprié de la nature et de l'autorité de
ce jour-là; mais ils allaient au devant d'une déception.
Lorsque Jésus se leva, le chef de la synagogue lui tendit le rouleau
des Écritures, et il lut dans le livre du prophète Isaïe: « Ainsi dit le
Seigneur: Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied. Où est la
maison que vous avez bâtie pour moi? Et où est le lieu de ma demeure?
Toutes ces choses, mes mains les ont faites, dit l'Éternel. Je porterai
mes regards sur celui qui est humble et repentant en esprit et qui tremble
à ma voix. Ecoutez la parole de l'Éternel, vous qui tremblez de frayeur.
Vos frères vous ont haïs et rejetés à cause de mon nom. Mais que l'Éternel
soit glorifié. Il vous apparaîtra dans la joie, et tous les autres seront
confondus. Une voix de la ville, une voix du temple, une voix de l'Éternel
dit: « Avant d'éprouver les douleurs, elle a enfanté; avant la venue des
souffrances, elle a donné le jour à un enfant mâle. Qui a jamais entendu
pareille chose? Fera-t-on produire ses fruits à la terre en un jour? Une
nation peut-elle naître en un instant? Car ainsi parle l'Éternel: Voici,
je déploierai la paix comme un fleuve, et même la gloire des Gentils
ressemblera à un torrent. Tel un homme que sa mère console, je vous
réconforterai. Vous serez consolés même dans Jérusalem; et quand vous
verrez ces choses, votre coeur se réjouira » (1).
(1) Isaïe LXVI-7 à 14.
Après avoir terminé cette lecture, Jésus rendit le rouleau au
conservateur. Avant de se rasseoir, il dit simplement: « Soyez patients,
et vous verrez la gloire de Dieu. Il en sera ainsi pour tous ceux qui
demeureront avec moi et qui apprendront de la sorte à faire la volonté de
mon Père qui est aux cieux ». Et les gens retournèrent chez eux en se
demandant ce que signifiait tout cela.
Le même après-midi, Jésus et ses apôtres montèrent dans un bateau avec
Jacques et Jude. Ils longèrent le rivage sur une certaine distance et
jetèrent l'ancre pendant que Jésus leur parlait du royaume à venir. Ils le
comprirent mieux que durant la soirée du jeudi précédent.
Jésus leur donna pour directive de reprendre leur travail régulier
jusqu'à ce que « l'heure du royaume soit arrivée ». Pour les encourager,
il leur donna l'exemple en retournant régulièrement travailler au chantier
naval. Il leur expliqua qu'ils devaient consacrer tous les soirs trois
heures à étudier et à préparer leur future mission et ajouta: « Nous
resterons tous dans le voisinage jusqu'à ce que mon Père me demande de
vous appeler. Il faut que chacun de vous retourne maintenant à son travail
accoutumé, exactement comme si rien ne s'était passé. Ne racontez rien sur
moi à personne, et rappelez-vous que mon royaume ne doit pas débuter avec
fracas et prestige, mais plutôt grâce au grand changement que mon père
aura opéré dans votre coeur et dans le coeur de ceux qui seront appelés à
se joindre à vous dans les conseils du royaume. Vous êtes désormais mes
amis; j'ai confiance en vous et je vous aime; vous deviendrez bientôt mes
associés personnels. Soyez patients, soyez doux. Obéissez toujours à la
volonté du Père. Préparez-vous à l'appel du royaume. Vous éprouverez de
grandes joies au service de mon Père, mais il faut également que vous
soyez prêts à affronter des difficultés, car je vous préviens que beaucoup
n'entreront dans le royaume qu'en passant par de grandes tribulations.
Pour ceux qui auront trouvé le royaume, leur joie sera parfaite; on les
appellera les bienheureux de la terre. Ne nourrissez pas de faux espoirs;
le monde va trébucher sur mes paroles. Même vous, mes amis, vous ne
percevez pas pleinement ce que j'expose à votre pensée confuse. Ne vous y
trompez pas nous allons oeuvrer pour une génération qui recherche des
signes. Elle exigera l'accomplissement de miracles comme preuve que je
suis envoyé par mon Père, et elle sera lente à reconnaître dans l'amour
de mon Père la justification de ma mission ».
Le soir, quand ils eurent débarqué et avant de se séparer, Jésus se
tint au bord de l'eau et pria: « Mon Père, je te remercie pour ces petits
qui croient déjà, malgré leurs doutes. Par égard pour eux, je me suis mis
à part pour faire ta volonté. Puissent-ils maintenant apprendre à ne faire
qu'un, comme nous ne faisons qu'un.
7. -- QUATRE MOIS DE FORMATION
Durant quatre longs mois -- mars, avril, mai, et juin de l'an 26 -- ce
temps d'attente se prolongea. Jésus tint plus de cent réunions longues et
sérieuses, mais gaies et joyeuses, avec ses six associés et son propre
frère Jacques. Par suite de maladies dans sa famille, Jude fut rarement en
mesure d'assister à ces séances. Jacques ne perdit pas confiance en son
frère Jésus mais, durant ces mois de retard et d'inaction, Marie désespéra
presque de son fils. Sa foi, qui s'était élevée à de telles hauteurs à
Cana, sombra dans un maximum de dépression. Elle en revenait toujours à
son exclamation maintes fois répétée: « Je ne parviens pas à le
comprendre. Je ne me représente pas ce que tout cela signifie ». Mais la
femme de Jacques contribua grandement à soutenir le courage de Marie.
Durant ces quatre mois, les sept croyants, dont l'un était son frère de
sang, firent ample connaissance avec Jésus; ils s'habituèrent à l'idée de
vivre avec ce Dieu-homme. Ils l'appelaient Rabbi, mais ils apprenaient à
ne pas le craindre. Jésus possédait une personnalité d'un charme
incomparable qui lui permettait de vivre parmi eux sans qu'ils fussent
désemparés par sa divinité. Ils trouvaient vraiment facile d'être « amis
avec Dieu », avec Dieu incarné dans la similitude d'une chair mortelle. Ce
temps d'attente mit tout le groupe de fidèles à rude épreuve. Rien,
absolument rien de miraculeux ne se produisait. Jour après jour ils
vaquaient à leurs travaux coutumiers, et soir après soir ils s'asseyaient
aux pieds de Jésus. Le groupe était cimenté par l'incomparable
personnalité du Maître et par les paroles de grâce qu'il leur adressait
quotidiennement.
Cette période d'attente et d'enseignement fut spécialement dure pour
Simon Pierre. Il chercha maintes fois à persuader Jésus de se lancer dans
la prédication du royaume en Galilée pendant que Jean continuait à prêcher
en Judée. Mais Jésus répondait toujours à Pierre: « Simon, sois patient.
Fais des progrès. Nous ne serons pas trop prêts quand le Père appellera ».
Et André calmait Pierre de temps en temps par des conseils modérés et
philosophiques. L'absence d'affectation de Jésus impressionnait
prodigieusement André. Il ne se lassait jamais d'observer comment une
personne capable de vivre si près de Dieu pouvait aussi avoir tant
d'amitié et de considération pour des hommes.
Durant ces quatre mois, Jésus ne prit que deux fois la parole dans la
synagogue. Vers la fin de ces longues semaines d'attente, les commentaires
sur son baptême et sur le vin de Cana avaient commencé à s'apaiser. Jésus
veilla à ce qu'il ne se produisit plus de pseudo-miracles durant cette
période. Cependant, malgré leur vie si tranquille à Bethsaïde, les
étranges actions de Jésus avaient été rapportées à Hérode Antipas, qui à
son tour envoya des espions pour savoir de quoi il s'agissait. Mais Hérode
était plus préoccupé par les sermons de Jean. Il décida de ne pas molester
Jésus, dont l'oeuvre se poursuivait si paisiblement à Capharnaüm. Jésus
employa ce temps d'attente à enseigner à ses apôtres le comportement
qu'ils devaient adopter vis-à-vis des divers groupes religieux et partis
politiques de Palestine. Jésus disait toujours: « Nous cherchons à les
gagner tous, mais nous n'appartenons à aucun ».
On appelait Pharisiens les scribes et les rabbis pris dans leur
ensemble. Eux-mêmes se dénommaient « les associés ». Sous beaucoup de
rapports, ils représentaient le groupe progressiste parmi les Juifs. En
effet, ils avaient adopté de nombreux enseignements ne figurant pas
clairement dans les Écritures hébraïques, tels que la croyance et la
résurrection des morts, doctrine qui avait simplement été mentionnée par
Daniel, l'un des derniers prophètes.
Le groupe des Sadducéens se composait de la prêtrise et de certains
Juifs fortunés. Ils n'étaient pas aussi rigoristes sur les détails
d'application de la loi. En réalité, les Pharisiens et les Sadducéens
étaient des partis religieux plutôt que des sectes.
Les Esséniens formaient une véritable secte religieuse ayant pris
naissance durant la révolte des Macchabées. Sous certains aspects leurs
exigences étaient plus astreignantes que celles des pharisiens. Ils
avaient adopté de nombreuses croyances et pratiques persanes; ils vivaient
en confréries dans des monastères, pratiquaient le célibat et possédaient
tout en commun. Ils se spécialisaient dans l'enseignement concernant les
anges.
Les Zélotes étaient un groupe de Juifs ardemment patriotes. Ils
soutenaient que n'importe quelle méthode était justifiée dans la lutte
pour échapper à la servitude du joug romain.
Les Hérodiens étaient un parti purement politique qui préconisait de
s'émanciper du gouvernement direct des Romains par une restauration de la
dynastie d'Hérode.
Au milieu même de la Palestine vivaient les Samaritains, avec qui « les
Juifs n'avaient pas d'affaires », bien qu'ils eussent de nombreux points
de vue semblables à ceux des Juifs.
Tous ces partis et sectes, y compris la petite confraternité naziréenne,
croyaient à la venue du Messie. Ils s'attendaient tous à un libérateur
national. Mais Jésus proclamait sans équivoque que lui et ses disciples ne
s'allieraient à aucune de ces écoles de pensée ou d'application. Le Fils
de l'Homme ne devait être ni un Naziréen ni un Essénien.
Bien que Jésus eût plus tard invité les apôtres à partir, comme l'avait
fait Jean, pour prêcher l'évangile et instruire les croyants, il mettait
l'accent sur la proclamation « de la bonne nouvelle du royaume des cieux
». Il répétait inlassablement à ses apôtres qu'ils devaient « manifester
amour, compassion, et sympathie ». Il enseigna de bonne heure à ses
partisans que le royaume des cieux était une expérience spirituelle
concernant l'intronisation de Dieu dans le coeur des hommes.
Tandis que Jésus et ses sept compagnons s'attardaient ainsi avant de
s'engager dans leur prédication, publique active, ils passaient deux
soirées par semaine à la synagogue à étudier des Écritures hébraïques.
Quelques années plus tard, après des périodes de travail intensif en
public, les apôtres regardèrent rétrospectivement ces quatre mois comme
les lus précieux et les plus profitables de leur travail en équipe avec le
Maître. Jésus enseigna à ces hommes tout ce qu'ils pouvaient assimiler. Il
ne commit pas la faute de les instruire à excès. Il ne provoqua pas la
confusion en présentant des vérités dépassant par trop leur aptitude à
comprendre.
8. -- SERMON SUR LE ROYAUME
Le 22 juin, jour de sabbat, peu avant le départ de son groupe pour sa
première tournée de prédication, et une dizaine de jours après
l'emprisonnement de Jean, Jésus occupa la chaire de la synagogue pour la
deuxième fois depuis qu'il avait amené ses apôtres à Capharnaüm.
Quelques jours avant le prêche de ce sermon sur « Le Royaume » , tandis
que Jésus travaillait au chantier naval, Pierre lui apporta la nouvelle de
l'arrestation de Jean. Jésus déposa une fois de plus ses outils, enleva
son tablier, et dit à Pierre: « L'heure du Père a sonné. Préparons-nous à
proclamer l'évangile du royaume ».
Ce mardi 18 juin de l'an 26 fut le dernier jour où Jésus travailla à un
établi de charpentier. Pierre se précipita hors de l'atelier et, dès le
milieu de l'après-midi, il avait réuni tous ses compagnons. Il les laissa
dans un bosquet près du rivage et partit à la recherche de Jésus, mais ne
put le trouver, car le Maître était allé dans un autre bosquet pour prier.
Ils ne le virent qu'à une heure avancée de la soirée, lorsqu'il revint à
la maison de Zébédée pour se restaurer. Le lendemain, Jésus envoya son
frère Jacques demander le privilège de prendre la parole dans la synagogue
lors du prochain sabbat. Le chef de la synagogue fut très heureux que
Jésus veuille bien à nouveau diriger le service.
Avant que Jésus ne prêchât son mémorable sermon sur le royaume de Dieu,
premier effort ostensible de sa carrière publique, il lut dans les
Écritures les passages suivants: « Vous serez pour moi un royaume de
prêtres, un peuple saint, Jéhovah est notre juge, Jéhovah est notre
législateur, Jéhovah est notre roi; il nous sauvera. Jéhovah est mon roi
et mon Dieu. Il est un grand roi qui règne sur toute la terre. L'amour et
la bonté sont le lot d'Israël dans ce royaume. Bénie soit la gloire de
l'Éternel, car il est notre roi. Quand Jésus eut fini de lire, il dit:
« Je suis venu proclamer l'établissement du royaume du Père. Ce royaume
inclura les âmes adoratrices des Juifs et des Gentils, des riches et des
pauvres, des hommes libres et des esclaves, car mon Père ne fait pas
acception de personnes; son amour et sa miséricorde s'étendent sur tous ».
« Le Père céleste envoie son esprit habiter la pensée des hommes. Quand
j'aurai achevé mon oeuvre terrestre, l'Esprit de Vérité lui aussi sera
répandu sur toute chair. L'esprit de mon Père et l'Esprit de Vérité vous
affermiront dans le prochain royaume de compréhension spirituelle et de
droiture divine. Mon royaume n'est pas de ce monde. Le Fils de l'Homme ne
conduira pas des armées à la bataille pour établir un trône de pouvoir ou
un royaume de gloire temporelle. À l'avènement de mon royaume, vous
connaîtrez le Fils de l'Homme comme Prince de la Paix, comme révélation du
Père éternel. Les enfants de ce monde luttent pour établir et agrandir les
royaumes de ce monde, mais mes disciples entreront dans le royaume des
cieux grâce à leurs décisions morales et à leurs victoires en esprit; et
quand ils y pénétreront, ils y trouveront la joie, la justice, et la vie
éternelle.
« Quiconque cherche d'abord à entrer dans le royaume, et s'efforce
ainsi d'acquérir une noblesse de caractère semblable à celle de mon Père,
possédera bientôt tout ce qui est nécessaire. Mais je vous le dis en toute
franchise: à moins de chercher à entrer dans le royaume avec la foi et la
confiance d'un petit enfant, vous n'y serez admis d'aucune façon.
« Ne vous laissez pas tromper par ceux qui viennent vous dire: le
royaume est ici, ou le royaume est là, car le royaume de mon
Père ne concerne pas les choses visibles et matérielles. Ce royaume est
déjà maintenant parmi vous, car si l'âme d'un homme est instruite et
conduite par l'esprit de Dieu, elle se trouve en réalité dans le royaume
des cieux. Ce royaume de Dieu est droiture, paix, et joie dans le
Saint-Esprit.
« Jean vous a en vérité baptisés en signe de repentance et pour la
rémission de vos péchés, mais quand vous entrerez dans le royaume céleste,
vous recevrez le baptême du Saint-Esprit.
« Dans le royaume de mon Père, il n'y aura ni Juifs ni Gentils, mais
seulement ceux qui cherchent la perfection en servant, car je déclare que
quiconque veut être grand dans le royaume de mon Père doit d'abord devenir
le serviteur de tous. Si vous acceptez de servir vos semblables, vous
siégerez avec moi dans mon royaume, de même que je siégerai bientôt auprès
de mon Père dans son royaume pour avoir servi dans la similitude d'une
créature.
« Ce nouveau royaume ressemble à une graine qui pousse dans la bonne
terre d'un champ. Il n'atteint pas rapidement sa pleine maturité. Il y a
un intervalle de temps entre l'établissement du royaume dans l'âme d'un
homme et l'heure où le royaume mûrit dans sa plénitude pour devenir le
fruit d'une droiture perpétuelle et d'un salut éternel.
« Le royaume que je proclame n'est pas un règne de puissance et
d'abondance. Le royaume des cieux ne consiste ni en aliments ni en
boissons, mais en une vie de droiture progressive et de joie croissante en
accomplissant le service de mon Père qui est aux cieux. Car le Père
n'a-t-il pas dit des enfants de la terre: « Ma volonté est qu'ils
finissent par devenir parfaits, comme moi-même je suis parfait ».
« Je suis venu prêcher la bonne nouvelle de l'avènement du royaume. Je
ne suis pas venu accroître les lourds fardeaux de ceux qui vaudraient
entrer dans ce royaume. Je proclame le chemin nouveau et meilleur. Ceux
qui sont capables d'entrer dans le royaume à venir jouiront du repos
divin. Quoi qu'il vous en coûte en biens matériels, quel que soit le prix
que vous aurez payé pour entrer dans le royaume des cieux, vous recevrez
sur terre beaucoup plus que l'équivalent en joie et en avancement
spirituel, et vous aurez mérité la vie éternelle dans l'âge à venir.
« L'entrée dans le royaume du Père ne dépend ni d'armées en marche, ni
du renversement de royaumes de ce monde, ni de la délivrance
des captifs. Le royaume du ciel est à portée de la main; tous ceux qui y
entrent y trouveront une abondante liberté et un joyeux salut.
« Ce royaume est un empire perpétuel. Ceux qui entrent dans le royaume
monteront jusqu'à mon Père; ils atteindront certainement sa droite en
gloire au Paradis. Tous ceux qui entrent dans le royaume des cieux
deviendront fils de Dieu, et dans les temps à venir ils s'élèveront à
jusqu'au Père. Je ne suis pas venu appeler les prétendus justes, mais les
pécheurs et tous ceux qui ont faim et soif de la droiture de la perfection
divine.
« Jean est venu, prêchant la repentance pour vous préparer au royaume;
maintenant je viens, proclamant que la foi, le don de Dieu, est le prix à
payer pour entrer dans le royaume des cieux. Il vous suffit de croire que
mon Père vous aime d'un amour infini, et dès lors vous vous trouvez dans
le royaume de Dieu ».
Après avoir ainsi parlé, Jésus s'assit. Tous ceux qui l'avaient entendu
furent étonnés de ses paroles. Ses disciples s'émerveillaient. Mais le
peuple n'était pas prêt à recevoir la bonne nouvelle de la bouche de ce
Dieu fait homme. Environ un tiers de ses auditeurs crut au message, même
sans l'avoir tout à fait compris; un autre tiers se prépara dans son coeur
à rejeter ce concept purement spirituel du royaume attendu, tandis que le
tiers restant était incapable de saisir cet enseignement, beaucoup parmi
ce dernier tiers croyant sincèrement que l'orateur avait « perdu son bon
sens ».
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