L'ORDINATION DES DOUZE
UN peu avant midi, le dimanche 12 janvier de l'an 27, Jésus réunit les
apôtres pour leur ordination comme prédicateurs publics de l'évangile du
royaume. Les douze s'attendaient à être appelés d'un jour à l'autre; ce
matin-là, ils ne s'éloignèrent donc pas beaucoup du rivage pour pêcher.
Plusieurs d'entre eux étaient restés au bord de l'eau, réparant leurs
filets et bricolant avec leur attirail de pêche.
Lorsque Jésus descendit au rivage pour réunir les apôtres, il appela
d'abord André et Pierre qui pêchaient assez près du bord. Il fit signe
ensuite à Jacques et Jean qui rendaient visite à leur père Zébédée sur un
bateau peu éloigné et raccommodaient leurs filets, puis il rassembla deux
par deux les autres apôtres. Lorsqu'il eut réuni les douze il partit avec
eux pour les montagnes du nord de Capharnaüm et se mit à les instruire
pour les préparer à leur ordination officielle.
Pour une fois, les douze apôtres se taisaient; même Pierre était
d'humeur à réfléchir. Enfin l'heure si longtemps attendue était arrivée!
Ils partaient seuls avec le Maître pour participer à une sorte de
cérémonie solennelle de consécration, à la fois personnelle et collective,
à l'oeuvre sacrée de représenter leur Maître dans la proclamation de la
venue du royaume de son Père.
1. -- INSTRUCTION PRÉLIMINAIRE
Avant le service officiel d'ordination, Jésus fit un exposé aux douze
apôtres assis autour de lui. Il leur dit: « Mes frères, l'heure du royaume
est arrivée. Je vous ai amenés ici seuls avec moi pour vous présenter au
Père comme ambassadeurs du royaume. Certains d'entre vous m'ont entendu
parler de ce royaume dans la synagogue au moment où vous fûtes appelés.
Chacun de vous en a appris davantage sur le royaume du Père depuis que
vous m'avez accompagné en travaillant dans les villes qui entourent la Mer
de Galilée. Maintenant j'ai quelque chose de plus à vous dire à ce sujet.
« Le nouveau royaume que mon Père est sur le point d'établir dans le
coeur de ses enfants terrestres est destiné à être un empire éternel. Il
n'y aura point de fin à ce règne de mon Père dans le coeur de ceux qui
désirent faire sa volonté divine. Je vous déclare que mon Père n'est pas
le Dieu des Juifs ou des Gentils. De nombreux élus viendront de l'orient
et de l'occident siéger avec nous dans le royaume du Père, tandis que bien
des enfants d'Abraham refuseront d'entrer dans cette nouvelle
confraternité où l'esprit du Père règne dans le coeur des enfants des
hommes.
« La puissance de ce royaume ne consistera ni dans la force des armées
ni dans le pouvoir des richesses, mais plutôt dans la gloire de l'esprit
divin qui viendra enseigner la pensée et diriger le coeur des citoyens,
nés à nouveau, de ce royaume céleste -- les fils de Dieu. C'est la
fraternité de l'amour où règne la droiture, et dont le cri de ralliement
sera: Paix sur terre et bonne volonté envers tous les hommes. Ce royaume,
que vous allez si prochainement proclamer, est le désir des hommes de bien
de tous les âges, l'espoir de toute la terre, et l'accomplissement des
sages promesses de tous les prophètes.
« Mais pour vous, mes enfants, et pour tous ceux qui voudront vous
suivre, une sévère épreuve est instaurée. Seule la foi vous permettra de
franchir les portes du royaume, et il vous faudra produire les fruits de
l'esprit de mon Père si vous souhaitez poursuivre l'ascension dans la vie
progressive de la communauté divine. En vérité, en vérité, je vous le dis,
ceux qui disent » Seigneur, Seigneur » n'entreront pas tous dans le
royaume du ciel, mais plutôt ceux qui font la volonté de mon Père qui est
aux cieux.
« Votre message au monde sera: Cherchez d'abord le royaume de Dieu et
sa droiture, et quand vous les aurez trouvés, tous les autres éléments
essentiels à la survie éternelle vous seront assurés en même temps.
Maintenant je voudrais vous faire comprendre que ce royaume de mon Père ne
viendra ni avec un étalage extérieur de pouvoir, ni avec des
démonstrations malséantes. Il ne faut pas partir d'ici et proclamer le
royaume en disant: « il est ici » ou «il est là », car le royaume que vous
prêchez est Dieu en vous.
« Quiconque veut être grand dans le royaume de mon Père doit devenir un
ministre pour tous; et si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il
devienne le serviteur de ses frères. Quand vous serez véritablement reçus
comme citoyens du royaume céleste, vous ne serez plus des serviteurs, mais
des fils, des fils du Dieu vivant. C'est ainsi que ce royaume progressera
dans le monde jusqu'à ce qu'il ait rompu toutes les barrières et amené
tous les hommes à connaître mon Père et à croire à la vérité libératrice
que je suis venu proclamer. Dès maintenant le royaume est à portée de la
main, et plusieurs d'entre vous ne mourront pas sans avoir vu le règne de
Dieu advenir en grande puissance.
« Ce que vos yeux aperçoivent maintenant, ce petit début de douze
hommes quelconques, se multipliera et croîtra jusqu'à ce que finalement
toute la terre soit remplie des louanges de mon Père. C'est moins par les
paroles que vous prononcerez mais plutôt par la vie que vous vivrez que
les hommes sauront que vous avez été avec moi et que vous avez appris les
réalités du royaume. Je ne voudrais imposer à vos pensées aucun fardeau
trop lourd, mais je vais charger vos âmes de la responsabilité solennelle
de me représenter dans le monde quand je vous quitterai bientôt, de même
que je représente mon Père dans ma présente vie incarnée ». Et lorsque
Jésus eut fini de parler, il se leva.
2. - L'ORDINATION
Jésus commanda ensuite aux douze hommes, qui venaient d'écouter sa
déclaration au sujet du royaume, de s'agenouiller en cercle autour de lui.
Le Maître posa alors ses mains sur la tête de chaque apôtre en commençant
par Judas Iscariot et en finissant par André. Après les avoir bénis, il
étendit les mains et pria:
« Mon Père, je t'amène maintenant ces hommes, mes messagers. Parmi nos
enfants sur terre, j'ai choisi ces douze pour aller me représenter comme
je suis venu te représenter. Aime-les et accompagne-les comme tu m'as aimé
et accompagné. Et maintenant, mon Père, donne-leur la sagesse, car je
place toutes les affaires du royaume à venir entre leurs mains. Si telle
est ta volonté, je voudrais rester quelque temps sur terre pour les aider
dans leurs travaux pour le royaume. À nouveau, mon Père, je te remercie
pour ces hommes et je les remets à ta garde, tandis que je vais achever
l'oeuvre que tu m'as donnée a accomplir ».
Lorsque Jésus eut fini de prier, les apôtres restèrent chacun incliné à
sa place. Il s'écoula plusieurs minutes avant que même Pierre osât lever
les yeux pour regarder le Maître. Un à un ils embrassèrent Jésus, mais
aucun d'eux ne dit rien. Un grand silence envahit la place, tandis qu'une
foule d'êtres célestes contemplait d'en haut cette scène solennelle et
sacrée -- le Créateur d'un univers plaçant les affaires de la
confraternité divine des hommes sous la direction de penseurs humains.
3. -- LE SERMON D'ORDINATION
Jésus reprit alors la parole et dit: « Maintenant que vous êtes
ambassadeurs du royaume de mon Père, vous êtes devenus une classe d'hommes
séparés et distincts de tous les autres habitants de la terre. Vous
n'existez plus en tant qu'hommes parmi les hommes, mais en tant que
citoyens éclairés d'un autre pays céleste parmi les créatures ignorantes
de ce monde enténébré. Il ne suffit plus que vous viviez comme avant cette
heure; il vous faut désormais vivre comme ceux qui ont goûté les gloires
d'une vie préférable et ont été renvoyés sur terre comme ambassadeurs du
Souverain de ce monde nouveau et meilleur. On attend davantage du
professeur que de l'élève; on exige plus du maître que du serviteur. On
demande plus aux citoyens du royaume céleste qu'à ceux du règne terrestre.
Certaines choses que je vais vous dire pourront vous sembler dures, mais
vous avez choisi de me représenter dans le monde comme moi-même je
représente actuellement le Père. Étant mes agents sur terre, vous serez
obligés de vous conformer aux enseignements et aux pratiques qui reflètent
mes idéaux de vie humaine sur les mondes de l'espace, et dont je donne
l'exemple dans ma vie terrestre révélant le Père qui est aux cieux.
« Je vous envoie dans le monde pour annoncer la liberté aux captifs
spirituels et la joie aux prisonniers de la crainte, et pour guérir les
malades selon la volonté de mon Père céleste. Quand vous trouverez
certains de mes enfants dans la détresse, parlez-leur d'une manière
encourageante en disant:
« Heureux les pauvres en esprit, les humbles, car les trésors du
royaume des cieux sont à eux.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de droiture, car ils seront
rassasiés.
« Heureux les débonnaires, car ils hériteront de la terre.
« Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu.
« Et dites encore à mes enfants ces paroles supplémentaires de
consolation spirituelle et de promesse:
« Heureux les affligés, car ils seront consolés. Heureux ceux qui
pleurent, car ils connaîtront l'esprit d'allégresse.
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
« Heureux les pacificateurs, car on les appellera fils de Dieu.
« Heureux les persécutés à cause de leur droiture, car le royaume des
cieux leur appartient. Soyez heureux quand les hommes vous insulteront et
vous persécuteront et diront faussement toutes sortes de méchancetés
contre vous. Réjouissez-vous et soyez dans un bonheur extrême, car votre
récompense sera grande dans les cieux.
« Mes frères, tandis que je vous envoie au-dehors, vous êtes le sel de
la terre, un sel ayant un goût de salut. Mais si ce sel a perdu sa saveur,
avec quoi l'assaisonnera-t-on? Il n'est désormais plus bon à rien qu'à
être jeté et foulé aux pieds par les hommes.
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne
peut être cachée. Les hommes n'allument pas non lus une chandelle pour la
mettre sous un boisseau, mais sur un chandelier; et elle donne de la
lumière à tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière brille
devant les hommes de telle sorte qu'ils puissent voir vos bonnes oeuvres
et être amenés à glorifier votre Père qui est aux cieux.
« Je vous envoie dans le monde pour me représenter et agir comme
ambassadeurs du royaume de mon Père. En allant proclamer la bonne
nouvelle, mettez votre confiance dans le Père dont vous êtes les
messagers. Ne résistez pas à l'injustice par la force; ne mettez pas votre
confiance dans votre vigueur corporelle. Si votre prochain vous frappe sur
la joue droite, tendez-lui aussi la gauche. Acceptez l'injustice plutôt
que de recourir a la loi entre vous. Occupez-vous avec tendresse et
miséricorde de tous ceux qui sont dans le malheur et le besoin.
« Je vous le dis: aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous
haïssent, et priez pour ceux qui se servent de vous avec dédain. Faites
aux hommes tout ce que vous croyez que je leur aurais fait.
« Votre Père céleste fait briller le soleil sur les méchants aussi bien
que sur les bons; de même il envoie la pluie sur les justes et les
injustes. Vous êtes les fils de Dieu, et plus encore, vous êtes maintenant
les ambassadeurs du royaume de mon Père. Soyez miséricordieux comme Dieu
est miséricordieux, et dans l'éternel futur du royaume vous serez
parfaits, de même que votre Père céleste est parfait.
« Vous êtes chargés de sauver les hommes et non de les juger. A la fin
de votre vie terrestre, vous espérerez tous être traités avec miséricorde.
Je vous demande donc, durant votre vie humaine, de témoigner de la
miséricorde à tous vos frères incarnés. Ne commettez pas la faute
d'essayer d'ôter une paille de l'oeil de votre frère alors qu'il y a une
poutre dans le votre. Après avoir jeté la poutre de votre propre oeil,
vous verrez d'autant plus clair pour ôter la paille de l'oeil de votre
frère.
« Discernez clairement la vérité; vivez avec intrépidité la vie de
droiture; c'est ainsi que vous serez mes apôtres et les ambassadeurs de
mon Père. Vous avez entendu dire que si des aveugles conduisent des
aveugles, ils tomberont tous dans la fosse. Si vous voulez guider d'autres
hommes vers le royaume, il faut vous-mêmes marcher dans la claire lumière
de la vérité vivante. Dans toutes les affaires du royaume, je vous exhorte
à montrer un juste jugement et une sagesse pénétrante. N'offrez pas les
choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de
crainte qu'ils ne piétinent vos joyaux et ne se retournent pour vous
déchirer.
« Je vous mets en garde contre les faux prophètes qui viendront vers
vous habillés en moutons, alors qu'à l'intérieur ils ressemblent à des
loups dévorants. Vous les connaîtrez à leurs fruits. Les hommes
cueillent-ils des raisins sur des ronces ou des figues sur des chardons?
Tout bon arbre produit de bons fruits, mais l'arbre corrompu porte de
mauvais fruits. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est bientôt
abattu et jeté au feu. Pour entrer dans le royaume des cieux, c'est le
mobile qui compte. Mon Père regarde dans le coeur des hommes et juge selon
leurs désirs intérieurs et leurs intentions sincères.
« Au grand jour du jugement du royaume, beaucoup me diront:
«N'avons-nous pas prophétisé en ton nom et accompli par ton nom bien des
oeuvres merveilleuses? » Je serai obligé de leur dire: « Je ne vous ai
jamais connus; éloignez-vous de moi, vous qui êtes de faux éducateurs ».
Mais quiconque écoute le devoir et exécute sincèrement sa mission de me
représenter devant les hommes comme j'ai représenté mon Père devant vous
trouvera d'abondantes occasions d'entrer à mon service et dans le royaume
du Père céleste ».
Jamais auparavant les apôtres n'avaient entendu Jésus s'exprimer de
cette manière, car il venait de leur parler avec une autorité suprême. Ils
descendirent de la montagne au coucher du soleil, mais aucun d'eux ne posa
de question à Jésus.
4. -- VOUS ÊTES LE SEL DE LA TERRE
Ce que l'on appelle le « Sermon sur la Montagne » n'est pas l'évangile
de Jésus. Ce sermon contient nombre d'instructions utiles, mais c'était
celui de Jésus conférant l'ordination aux douze apôtres. C'était la
délégation personnelle du Maître à ceux qui devaient aller prêcher
l'évangile et qui aspiraient à représenter Jésus dans le monde des hommes,
comme lui-même représentait son Père avec tant d'éloquence et de
perfection.
« Vous êtes le sel de la terre, un sel ayant un goût de salut. Mais
si ce sel a perdu sa saveur, avec quoi l'assaisonnera-t-on? Il n'est
désormais plus bon à rien qu'à être jeté et foulé aux pieds par les hommes
».
Au temps de Jésus le sel était précieux. On l'utilisait même comme
monnaie. Le mot moderne « salaire » dérive étymologiquement de sel. Non
seulement le sel donne du goût à la nourriture, mais encore il la
conserve. Il donne plus de saveur à d'autres aliments et il sert tout en
étant dépensé.
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne
ne peut être cachée. Les hommes n'allument pas non plus une chandelle pour
la mettre sous un boisseau, mais sur un chandelier; alors elle donne de la
lumière à tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière brille
ainsi devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et soient
amenés à glorifier votre Père qui est aux cieux ».
Bien que la lumière dissipe les ténèbres, elle peut aussi devenir «
aveuglante » au point de troubler et de décevoir. Nous sommes exhortés à
laisser notre lumière briller de telle sorte que nos semblables soient
guidés dans de nouveaux sentiers divins de vie rehaussée. Notre lumière ne
doit pas briller de manière à attirer l'attention sur nous. Vous pouvez
aussi utiliser votre activité comme « réflecteur » efficace pour diffuser
cette lumière de vie.
Les caractères forts ne se forment pas en ne faisant pas le mal, mais
plutôt en faisant réellement le bien. Le désintéressement est l'insigne de
la grandeur humaine. Les plus hauts niveaux d'épanouissement de soi sont
atteints par l'adoration et le service. La personne heureuse et efficace
est motivée par l'amour de bien faire et non par la peur de mal faire.
« Vous les connaîtrez à leurs fruits ». La personnalité est
fondamentalement invariante. Ce qui change -- ce qui grandit -- c'est le
caractère moral. L'erreur majeure des religions modernes est la négation.
L'arbre qui ne porte pas de fruits est « abattu et jeté au feu ». La
valeur morale ne peut provenir d'une simple répression -- de l'obéissance
à l'injonction « Tu ne feras pas ». La peur et la honte sont des mobiles
sans valeur pour la vie religieuse. La religion n'est valable que si elle
révèle la paternité de Dieu et rehausse la fraternité des hommes.
Une personne se forme une philosophie efficace de la vie en conjuguant
la clairvoyance cosmique avec ses propres réactions émotionnelles envers
son entourage social et économique. Rappelez-vous ceci: les tendances
héréditaires ne peuvent as être fondamentalement modifiées, mais les
réponses à ces tendances peuvent être changées. Il est donc possible de
modifier la nature morale, d'améliorer le caractère. Dans un caractère
fort, les réactions émotives sont intégrées et coordonnées, ce qui produit
une personnalité unifiée. Le manque d'unification affaiblit la nature
morale et engendre l'insatisfaction.
À défaut de but méritoire, la vie devient sans intérêt et inutile, et
il en résulte bien des chagrins. Le discours de Jésus à l'ordination des
douze constitue une philosophie magistrale de la vie. Jésus exhorta ses
disciples à exercer leur foi par l'expérience. Il les avertit qu'il ne
fallait pas se borner à dépendre d'un assentiment intellectuel, de la
crédulité, ou de l'autorité établie.
L'éducation devrait être une technique pour apprendre (découvrir) les
meilleures méthodes de satisfaire nos impulsions naturelles et
héréditaires. Le bonheur est la résultante finale de ces techniques
améliorées pour satisfaire les sentiments. Le bonheur dépend peu de
l'entourage, bien qu'une ambiance agréable puisse beaucoup y contribuer.
Tout mortel désire ardemment devenir un être complet, parfait comme le
Père céleste est parfait, et cette réalisation est possible parce qu'en
dernière analyse « l'univers est vraiment paternel ».
5. -- AMOUR PATERNEL ET AMOUR FRATERNEL
Depuis le Sermon sur la Montagne jusqu'au discours du Dernier Souper,
Jésus apprit à ses disciples à manifester un amour paternel plutôt qu'un
amour fraternel. Ce dernier consiste à aimer votre prochain comme
vous-même, ce qui est une bonne application de la « règle d'or »; mais
l'affection paternelle exige que vous aimiez vos compagnons mortels comme
Jésus vous aime.
Jésus aime l'humanité d'une double affection. Il a vécu sur terre sous
une double personnalité -- humaine et divine. En tant que Fils de Dieu, il
aime les hommes d'un amour paternel -- il est leur Créateur, leur Père
dans l'univers. En tant que Fils de l'Homme, Jésus aime les mortels comme
un frère -- il était vraiment un homme parmi les hommes.
Jésus ne comptait pas sur ses disciples pour une manifestation
impossible d'amour fraternel, mais il comptait qu'ils s'efforceraient de
ressembler à Dieu -- d'être parfaits comme le Père Céleste est parfait.
Ils pourraient ainsi commencer à regarder les hommes comme Dieu regarde
ses créatures -- donc à commencer à les aimer comme Dieu les aime -- et à
manifester les débuts d'une affection paternelle. Au cours de ces
exhortations aux douze apôtres, Jésus chercha à révéler ce nouveau concept
d'amour paternel en liaison avec certains comportements émotionnels liés à
de nombreuses adaptations au milieu social.
Le Maître commença ce très important discours en attirant l'attention
sur quatre attitudes de foi, comme prélude à la description subséquente
des quatre réactions transcendantes et suprêmes d'amour paternel, en
contraste avec les limitations du simple amour fraternel.
Il parla d'abord de ceux qui étaient pauvres en esprit, qui avaient
soif de droiture, qui supportaient l'humilité, et qui avaient le coeur
pur. On pouvait espérer que ces mortels discernant l'esprit atteindraient
des niveaux suffisants d'altruisme pour être capables de tenter le
prestigieux exercice de l'affection paternelle; que même dans le deuil ils
auraient le pouvoir de témoigner de la miséricorde, de promouvoir la paix,
de supporter des persécutions; au cours de toutes ces situations
éprouvantes, on pouvait escompter qu'ils aimeraient d'un amour paternel
une humanité même peu digne d'être aimée. L'affection d'un père peut
atteindre des niveaux de dévouement qui transcendent immensément
l'affection d'un frère.
La foi et l'amour ressortant de ces béatitudes renforcent le caractère
moral et créent le bonheur. La peur et la colère affaiblissent le
caractère et détruisent le bonheur. Cet important sermon débuta par des
promesses de bonheur.
1. « Heureux les pauvres en esprit les humbles ». Pour un enfant, le
bonheur est la satisfaction immédiate de son désir d'un plaisir. L'adulte
est disposé à semer des graines de renoncement pour récolter des moissons
ultérieures de bonheur accru. À l'époque de Jésus et depuis lors, le
bonheur a été bien trop souvent associé à l'idée de posséder de la
fortune. Dans l'histoire du pharisien et du publicain qui priaient dans le
temple (1), l'un se sentait riche en esprit -- égocentrique, l'autre se
sentait « pauvre en esprit » -- humble. L'un se suffisait à lui-même,
l'autre était enseignable et cherchait la vérité. Les pauvres en esprit
recherchent des buts de richesse spirituelle -- recherchent Dieu. Ces
chercheurs de vérité n'ont pas besoin d'attendre leurs récompenses dans un
lointain futur; ils sont récompensés dès maintenant. Ils trouvent le
royaume de Dieu dans leur propre coeur et font aussitôt l'expérience du
bonheur.
(1) Luc XVIII-10.
2. « Heureux ceux qui ont faim et soif de droiture, car ils seront
rassasiés ». Seuls ceux qui se sentent pauvres en esprit auront soif de
droiture. Seuls les humbles recherchent la force divine et désirent
ardemment le pouvoir spirituel. Il est fort dangereux de pratiquer
sciemment le jeûne spirituel en vue d'accroître votre faim de dons
spirituels. Le jeûne physique devient dangereux après quatre ou cinq
jours, car on risque de perdre tout désir de nourriture. Le jeûne
prolongée, soit physique soit spirituel, tend à détruire la faim.
L'expérience de la droiture est un plaisir, et non un devoir. La
droiture de Jésus est un amour dynamique -- une affection paternelle-fraternelle. Ce n'est pas une droiture négative du type « tu ne
feras pas ». Comment pourrait-on avoir soif de quelque chose de négatif --
de quelque chose à ne pas faire?
Il n'est pas facile d'enseigner ces deux premières béatitudes à une
mentalité d'enfant, mais une pensée mûre devrait en saisir la
signification.
3. « Heureux les débonnaires, car ils hériteront de la terre ». La
mansuétude authentique n'a aucun rapport avec la peur. Elle est plutôt un
comportement de l'homme coopérant avec Dieu -- « Que ta volonté soif faite
». Elle englobe la patience et la longanimité, et elle est motivée par une
foi inébranlable en un univers amical obéissant à des lois. Elle domine
toute tentation de se rebeller contre la gouverne divine. Jésus était le
débonnaire idéal d'Urantia, et il hérita d'un vaste univers.
4. « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu ».. La pureté
spirituelle n'est pas une qualité négative, sauf par défaut d'esprit de
suspicion et de revanche. En analysant la pureté, Jésus n'avait pas
l'intention de parler exclusivement du comportement sexuel des hommes. Il
se référait davantage à la foi que les hommes devraient avoir en leurs
semblables, la foi que les parents ont en leurs enfants et qui leur permet
d'aimer leurs semblables comme un père les aimerait. Un amour de père n'a
pas besoin de cajoleries et ne cherche pas excuses au mal, mais il est
toujours opposé au cynisme. L'amour paternel a un but unique et recherche
toujours ce qu'il y a de meilleur dans l'homme; c'est le comportement des
véritables parents.
Voir Dieu -- par la foi -- signifie acquérir la vraie clairvoyance
spirituelle. La clairvoyance spirituelle met en valeur la gouverne de
l'Ajusteur, et les deux réunies vous rendent plus conscient de Dieu. Quand
vous connaissez le Père, vous êtes confirmé dans l'assurance de votre
filiation divine; vous pouvez alors aimer de plus en plus vos frères
incarnés, non seulement comme un frère -- d'un amour fraternel -- mais
aussi comme un père -- d'une affection paternelle.
Il est facile d'enseigner cette exhortation à un enfant. Les enfants
sont naturellement confiants, et les parents devraient veiller à ce qu'ils
ne perdent pas cette simple foi. Dans les rapports avec les enfants,
évitez toute tromperie et abstenez-vous de suggérer la suspicion.
Aidez-les sagement à choisir leurs héros et à sélectionner le travail de
leur vie.
Jésus continua ensuite à instruire ses disciples sur le principal but
de toutes les luttes humaines -- la perfection -- c'est-à-dire
l'aboutissement divin. Il leur disait toujours: « Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait ». Il n'exhortait pas les douze à aimer
leur prochain comme ils s'aimaient eux-mêmes. Cela eût été un
accomplissement méritoire qui aurait dénoté la réalisation de l'amour
fraternel. Jésus recommandait plutôt à ses apôtres d'aimer les hommes
comme lui-même les aimait -- d'une affection paternelle aussi bien que
fraternelle. Il illustra sa thèse en citant quatre réactions suprêmes
d'amour paternel:
1. « Heureux les affligés, car ils seront consolés ». Ce que l'on
appelle le bon sens ou la meilleure logique ne suggérerait jamais que le
bonheur puisse dériver de l'affliction. Jésus ne se référait pas aux
signes extérieurs ou ostentatoires d'affliction. Il faisait allusion à un
comportement émotif de tendresse de coeur. C'est une grande erreur que
d'enseigner aux garçons et aux jeunes hommes qu'il n'est pas viril de
montrer de la tendresse ou de laisser voir que l'on éprouve des émotions
ou des souffrances physiques. La compassion est un attribut méritoire
aussi bien masculin que féminin. Il n'est pas nécessaire d'être insensible
pour être viril; c'est même la mauvaise manière de créer des hommes
courageux. Les grands hommes n'ont pas peur de s'attrister. Moïse,
l'affligé, était un plus grand homme que Samson ou Goliath. Moïse était un
chef magnifique, mais il était aussi plein de mansuétude. Le fait d'être
attentif et sensible aux besoins humains crée un bonheur authentique et
durable; en même temps ce comportement bienveillant protège l'âme des
influences destructives de la colère, de la haine, et de la suspicion.
2. « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ». La
miséricorde dénote ici la hauteur, la profondeur, et la largeur de
l'amitié la plus sincère -- la bonté affectueuse. La miséricorde est
parfois passive, mais ici elle est active et dynamique -- la suprême
qualité d'un père. Des parents aimants éprouvent peu de difficulté à
absoudre leurs enfants, même à maintes reprises. Chez un enfant non gâté,
le besoin de soulager la souffrance est naturel. Les enfants sont
naturellement bons et compatissants quand ils sont assez âgés pour
apprécier les situations réelles.
3. « Heureux les pacificateurs, car ils seront appelés fils de Dieu ».
Les auditeurs de Jésus souhaitaient ardemment un libérateur militaire, et
non des pacificateurs. Mais la paix de Jésus n'est pas un pacifisme
négatif. Confronté avec les épreuves et les persécutions, il disait: « Je
vous laisse ma paix ». « Que votre coeur ne se trouble pas, et n'ayez
point de crainte ». Voilà la paix qui empêche les conflits ruineux. La
paix personnelle intègre la personnalité. La paix sociale empêche la peur,
la convoitise, et la colère. La paix politique empêche les antagonismes de
race, les suspicions nationale, et la guerre. La pacification est la cure
de la méfiance et de la suspicion.
Il est facile d'apprendre aux enfants à agir comme pacificateurs. Ils
aiment les activités d'équipe, ils ont plaisir à jouer ensemble. À un
autre moment, le Maître a dit: « Quiconque cherche à sauver sa vie la
perdra, mais quiconque accepte de perdre sa vie la trouvera » (1).
(1) Matthieu XVI-25; Marc VIII-35; Jean
XII-25.
4. « Heureux ceux qui sont persécutés à cause de leur droiture, car le
royaume des cieux leur appartient. Soyez heureux quand les hommes vous
insulteront et vous persécuteront, et diront faussement toutes sortes de
méchancetés contre vous. Réjouissez-vous et ressentez un bonheur extrême,
car votre récompense est grande dans les cieux ».
Bien souvent, la persécution suit la paix. Mais les jeunes gens et les
adultes courageux ne fuient jamais les difficultés et les dangers. « Il
n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (2). Un
amour éternel peut facilement faire toutes ces choses -- qui ne font guère
partie de l'amour fraternel. Le progrès a toujours été le résultat final
de la persécution.
(2) Jean XV-13.
Les enfants répondent toujours au défi du courage. La jeunesse est
toujours prête à prendre des risques excessifs. Et chaque enfant devrait
apprendre de bonne heure la valeur du sacrifice.
Il est donc révélé que les béatitudes du Sermon sur la Montagne sont
fondées sur la foi et l'amour, et non sur la loi (la morale et le devoir).
L'amour paternel se complaît à rendre le bien pour le mal -- à faire du
bien en réponse à l'injustice.
6. -- LE SOIR DE L'ORDINATION
Le dimanche soir, en arrivant des montagnes du nord de Capharnaüm chez
Zébédée, Jésus et les douze prirent un repas frugal. Ensuite, tandis que
Jésus allait se promener le long du rivage, les douze parlèrent entre eux.
Après une brève conférence, et tandis que les jumeaux allumaient un petit
feu pour les réchauffer et les éclairer , André sortit à la recherche de
Jésus. Après l'avoir trouvé, il dit: « Maître, mes frères sont incapables
de comprendre ce que tu as dit sur le royaume. Nous ne nous sentons pas en
mesure d'entreprendre le travail avant que tu nous aies donné plus
d'explications. Je suis venu te demander de nous rejoindre dans le jardin
et de nous aider à comprendre le sens de tes paroles ». Et Jésus
accompagna André vers les apôtres.
Lorsqu'il fut entré dans le jardin, il les rassembla autour de lui et
poursuivit leur instruction en disant: « Vous trouvez difficile de
recevoir mon message parce que vous voudriez bâtir le nouvel enseignement
directement sur l'ancien, mais je déclare qu'il vous faut renaître. Il
vous faut repartir de zéro comme de petits enfants, être disposés à faire
confiance à mon enseignement, et croire en Dieu. Le nouvel évangile du
royaume ne peut être rendu conforme à ce qui existe. Vous avez des idées
fausses sur le Fils de Dieu et sa mission sur terre. Ne commettez pas
l'erreur de croire que je sois venu pour rejeter la loi et les prophètes.
Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir, élargir, et
illuminer. Je ne suis pas venu pour transgresser la loi, mais plutôt pour
écrire les nouveaux commandements sur les tablettes de votre coeur.
« J'exige de vous une droiture qui surpassera la droiture de ceux qui
cherchent à obtenir la faveur du Père en donnant des aumônes, en priant,
et en jeûnant. Si vous voulez entrer dans le royaume, il faut avoir une
droiture qui consiste en amour, en miséricorde, et en vérité -- le désir
sincère de faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
Alors Simon Pierre dit: « Maître, si tu as un nouveau commandement,
nous voudrions l'entendre. Révèle-nous la nouvelle voie ». Jésus répondit
à Pierre: « Vous avez entendu dire par ceux qui enseignent la loi: « Tu ne
tueras point, et quiconque tuera sera traduit en jugement. Mais je regarde
au delà de l'acte pour découvrir le mobile. Je vous déclare que quiconque
se met en colère contre son frère est en danger d'être condamné. Celui qui
nourrit de la haine dans son coeur et des plans de vengeance dans sa
pensée est en danger d'être jugé. Vous êtes obligés de juger vos
compagnons à leurs actes; le Père céleste juge d'après les intentions.
« Vous avez entendu les maîtres de la loi dire: « Tu ne commettras pas
d'adultère. « Moi je vous dis que quiconque regarde une femme avec
concupiscence a déjà commis dans son coeur un adultère avec elle. Vous ne
pouvez juger les hommes qu'à leurs actes, mais mon Père regarde dans le
coeur de ses enfants et les juge en miséricorde selon leurs intentions et
leurs désirs réels ».
Jésus était disposé à analyser les autres commandements lorsque Jean
Zébédée l'interrompit en demandant: « Maître, qu'allons-nous enseigner au
peuple sur le divorce? Permettrons-nous la un homme de répudier sa femme
comme Moïse l'a ordonné? » En réponse à cette question, Jésus dit: « Je ne
suis pas venu pour légiférer, mais pour éclairer. Je ne suis pas venu pour
réformer les royaumes de ce monde, mais plutôt pour établir le royaume des
cieux. Ce n'est pas la volonté du Père que je cède à la tentation de vous
enseigner les règles du gouvernement, du commerce, ou de la conduite
sociale; elles pourraient être bonnes pour aujourd'hui, mais loin de
convenir à la société d'une autre époque. Je suis sur terre uniquement
pour encourager la pensée, libérer l'esprit, et sauver l'âme des hommes.
Je vous dirai cependant au sujet de cette question du divorce que, si
Moïse regardait avec faveur ces procédés, il n'en était pas ainsi au temps
d'Adam et dans le Jardin d'Éden ».
Après que les apôtres eurent échangé leurs vues entre eux durant un
bref moment, Jésus poursuivit: « Il vous faut toujours reconnaître les
deux points de vue de toute conduite des mortels -- l'humain et le divin,
les voies de la chair et la voie de l'esprit, l'estimation du temps et le
point de vue de l'éternité ». Bien que les douze n'aient pu comprendre
tout ce que le Maître leur enseignait, ils furent vraiment aidés par cette
instruction.
Ensuite Jésus dit: « Vous trébucherez sur mon enseignement parce que
vous avez coutume d'interpréter mon message à la lettre; vous êtes lents à
discerner l'esprit de mon enseignement. Il faut aussi vous rappeler que
vous êtes mes messagers. Vous êtes obligés de vivre votre vie comme j'ai
vécu la mienne en esprit. Vous êtes mes représentants personnels, mais ne
vous trompez pas en espérant que les hommes vivront en tous points comme
vous. N'oubliez jamais que j'ai des brebis qui ne font pas partie de ce
troupeau, et que je suis également tenu de leur servir de modèle pour la
manière de faire la volonté de Dieu pendant la vie terrestre ».
Alors Nathanael demanda: « Maître, ne donnerons-nous aucune place à la
justice? La loi de Moïse dit: oeil pour oeil et dent pour dent. Que
dirons-nous? » Jésus répondit: « Vous rendrez le bien pour le mal. Mes
messagers ne doivent pas lutter avec les hommes, mais être doux envers
tous. Votre règle ne sera pas mesure pour mesure. Les chefs des hommes
peuvent avoir de telles lois, mais il n'en est pas ainsi dans le royaume;
la miséricorde déterminera toujours votre jugement, et l'amour votre
conduite. Si mes préceptes vous paraissent trop sévères, vous pouvez
encore rebrousser chemin. Si vous trouvez que les exigences de l'apostolat
sont trop dures, vous pouvez reprendre le sentier moins rigoureux des
disciples ».
Ayant entendu ces paroles saisissantes, les apôtres se réunirent entre
eux durant un moment, mais ne tardèrent pas à revenir, et Pierre dit:
«Maître, nous voulons continuer avec toi; aucun de nous ne voudrait
revenir en arrière. Nous sommes tout prêts à payer le prix supplémentaire;
nous boirons la coupe. Nous voulons être des apôtres et pas seulement des
disciples ».
Ayant entendu cette réponse, Jésus dit: « Alors soyez décidés à prendre
vos responsabilités et à me suivre. Accomplissez vos bonnes actions en
secret; quand vous donnerez une aumône, que la main gauche ne sache pas ce
qu'a fait la main droite. Quand vous prierez, allez seuls à l'écart et
n'employez ni vaines répétitions ni phrases dépourvues de sens.
Rappelez-vous toujours que le Père sait ce dont vous avez besoin avant
même que vous le lui demandiez. Ne vous adonnez pas au jeûne avec une
triste figure à montrer aux hommes. En tant qu'apôtres choisis et mis à
part pour le service du royaume, n'amassez pas de trésors sur terre, par
votre service désintéressé accumulez des trésors au ciel, car là où sont
vos trésors, là sera aussi votre coeur.
« La lampe du corps est l'oeil; si donc votre oeil est généreux, tout
votre corps sera rempli de lumière, mais si votre oeil est égoïste, tout
votre corps sera plein de ténèbres. Si la lumière même qui est en vous est
changée en ténèbres, combien profondes seront ces ténèbres! »
Alors Thomas demanda à Jésus si les apôtres devaient « continuer
d'avoir tout en commun ». Le Maître répondit: « Oui mes frères, je
voudrais que nous vivions ensemble comme une famille qui se comprend. Une
grande oeuvre vous est confiée, et je désire ardemment votre service
indivis. Vous savez qu'il a été dit à juste titre que nul ne peut servir
deux maîtres à la fois. Vous ne pouvez sincèrement adorer Dieu et en même
temps servir mammon de tout votre coeur. Maintenant que vous vous êtes
engagés sans réserve au service du royaume, ne craignez pas pour votre
vie, et souciez-vous encore bien moins de ce que vous mangerez et boirez,
ou des vêtements que vous porterez. Déjà vous avez appris qu'avec de bons
bras et un coeur fidèle on ne souffre pas de la faim. Maintenant que vous
vous préparez à consacrer toutes vos énergies au travail du royaume, soyez
assurés que le Père ne sera pas oublieux de vos besoins. Cherchez d'abord
le royaume de Dieu, et quand vous en aurez trouvé l'entrée, toutes les
choses utiles vous seront données par surcroît. Donc, ne vous souciez pas
indûment du lendemain. À chaque jour suffit sa peine ».
Voyant qu'ils étaient disposés à veiller toute la nuit pour poser des
questions, Jésus leur dit: « Mes frères, vous êtes soumis aux lois
terrestres; il vaut mieux que vous alliez vous reposer afin d'être dispos
pour le travail de demain ». Mais le sommeil avait fui leurs paupières.
Pierre s'aventura à demander à son Maître « juste un petit entretien privé
avec toi. Non que j'aie des secrets pour mes frères, mais je suis troublé,
et si par hasard je dois recevoir une réprimande de mon Maître, je la
supporterai mieux en tête-à-tête ». Jésus dit: « Viens avec moi, Pierre »,
et il le précéda dans la maison. Lorsque Pierre revint de l'entretien avec
son Maître tout réconforté et très encouragé, Jacques décida à son tour
d'aller parler à Jésus. Et ainsi de suite, jusqu'aux premières heures du
matin, les autres apôtres allèrent un à un s'entretenir avec le Maître.
Quand ils eurent tous conversé personnellement avec lui, sauf les jumeaux,
qui s'étaient endormis, André retourna vers Jésus et dit: « Maître, les
jumeaux se sont endormis près du feu dans le jardin. Dois-je les réveiller
pour leur demander s'ils veulent aussi te parler? » Jésus répondit en
souriant à André: « Ils font bien -- ne les dérange pas ». La nuit avait
passé et l'aurore d'un nouveau jour apparaissait.
7. -- LA SEMAINE APRÈS L'ORDINATION
Après quelques heures de sommeil, les douze se réunirent pour une
collation matinale, et Jésus leur dit: « Il faut maintenant que vous
commenciez à prêcher la bonne nouvelle et à instruire les croyants.
Préparez-vous à aller à Jérusalem ». Après que Jésus eut parlé, Thomas
rassembla son courage pour dire: « Je sais, Maître, que nous devrions être
prêts à entreprendre le travail, mais je crains que nous ne soyons pas
encore capables d'accomplir cette grande oeuvre. Voudrais-tu consentir à
ce que nous restions quelques jours de plus dans les parages avant
d'aborder les tâches du royaume? » Voyant que tous ses apôtres étaient
saisis de la même crainte, Jésus leur dit: « Il sera fait comme vous
l'avez demandé; nous resterons ici jusqu'au lendemain du sabbat ».
Pendant des semaines et des semaines, de petits groupes de fervents
chercheurs de la vérité, ainsi que des spectateurs curieux, étaient venus
à Bethsaïde pour voir Jésus. Déjà sa réputation s'était répandue dans le
pays; des groupes d'enquêteurs étaient venus de villes aussi éloignées que
Tyr, Sidon, Damas, Césarée, et Jérusalem. Jusque-là, Jésus avait accueilli
ces visiteurs et les avait instruits au sujet du royaume, mais le Maître
confia désormais ce travail aux douze. André choisissait l'un des apôtres
et l'affectait à un groupe de visiteurs; les douze étaient parfois tous
engagés à la fois.
Durant deux jours ils travaillèrent, enseignant dans la journée et
tenant des conférences privées tard dans la soirée. Le troisième jour,
Jésus alla rendre visite à Zébédée et à Salomé, tandis qu'il disait à ses
apôtres: «Allez à la pêche, cherchez à vous distraire sans souci, ou
peut-être allez voir vos familles ». Le jeudi, ils revinrent pour trois
journées d'enseignement complémentaire.
Durant cette semaine de préparation, Jésus répéta maintes fois à ses
apôtres les deux grands mobiles de sa mission sur terre après son baptême:
1. Révéler le Père aux hommes. |
2. Amener les hommes à être conscients de leur filiation -- à
comprendre clairement par la foi qu'ils sont les enfants du Très Haut. |
Une semaine de ces expériences variées fit faire beaucoup de progrès
aux douze; certains acquirent même trop de confiance en eux-mêmes. À la
dernière conférence, durant la soirée consécutive au sabbat, Pierre et
Jacques s'approchèrent de Jésus en lui disant: « Nous sommes prêts; allons
maintenant nous emparer du royaume ». À quoi Jésus répondit: « Puisse
votre sagesse égaler votre zèle, et votre courage compenser votre
ignorance ».
Bien que les apôtres ne comprissent pas grand'chose à l'enseignement du
Maître, ils saisissaient parfaitement la signification de la vie de charme
et de beauté qu'il vivait avec eux.
8. -- LE JEUDI APRÈS-MIDI SUR LE LAC
Jésus savait bien que ses apôtres n'assimilaient pas entièrement ses
enseignements. Il décida d'instruire Pierre, Jacques, et Jean sur certains
points spéciaux, espérant qu'ils seraient ensuite capables de clarifier
les idées de leurs compagnons. Les douze comprenaient certaines
caractéristiques de l'idée d'un royaume spirituel, mais persistaient
obstinément à rattacher directement ces nouveaux enseignements spirituels
à leurs vieilles conceptions littérales et enracinées du royaume céleste
en tant que restauration du trône de David et rétablissement d'Israël
comme puissance temporelle sur terre. En conséquence, Jésus s'éloigna du
rivage ce jeudi après-midi en emmenant Pierre, Jacques, et Jean sur un
bateau pour leur parler des affaires du royaume. Ce fut une conférence
éducative de quatre heures, embrassant des dizaines de questions et de
réponses. La manière la plus profitable de l'insérer dans ces exposés est
de remettre en ordre le résumé de cet important après-midi tel que Simon
Pierre le raconta le lendemain matin à son frère André.
1. Faire la volonté du Père. L'enseignement de Jésus de se confier aux
soins supérieurs du Père céleste n'était pas un fatalisme aveugle et
passif. Jésus cita ce jour-là, en l'approuvant, un vieux dicton hébreu
disant: « Celui qui ne veut pas travailler ne mangera pas ». Il fit
remarquer que sa propre expérience était un commentaire suffisant de ses
enseignements. Ses préceptes sur la confiance à témoigner au Père ne
doivent pas être jugés d'après les conditions sociales ou économique des
temps modernes ni de toute autre époque. Cet enseignement embrasse les
principes idéaux d'une vie proche du Père dans tous les âges et sur tous
les mondes.
Jésus expliqua aux trois la différence entre les exigences de
l'apostolat et celles de la simple discipline. Même alors, il n'interdit
pas aux douze l'exercice de la prudence et de la provision. Il ne prêchait
pas contre la prévoyance, mais contre l'anxiété et les soucis. Il
enseignait la soumission alerte et active à la volonté de Dieu. En réponse
aux nombreuses questions des trois apôtres sur la frugalité et l'épargne,
il attira simplement leur attention sur sa vie de charpentier, de
constructeur de bateaux, et de pêcheur, et sur sa minutieuse organisation
des douze. Il chercha à leur expliquer que le monde ne doit pas être
considéré comme un ennemi, et que les circonstances de la vie constituent
une loi divine opérant auprès des enfants des hommes.
Jésus éprouva de grandes difficultés à leur faire comprendre sa
pratique personnelle de non-résistance. Il refusait absolument de se
défendre, et il semblait aux apôtres que Jésus les verrait avec plaisir
suivre la même politique. Or il leur apprenait à ne pas résister au mal, à
ne pas combattre les injustices et les préjudices, mais non à tolérer
passivement la malfaisance. Il rendit clair, cet après-midi-là, qu'il
approuvait le châtiment social des malfaiteurs et des criminels, et que le
gouvernement civil devait parfois employer la force pour maintenir l'ordre
social et exécuter les décisions de la justice.
Il ne cessa jamais de mettre ses disciples en garde contre la fâcheuse
pratique des représailles; il ne tolérait pas l'idée de revanche, de
rendre la pareille. Il déplorait que l'on gardât rancune. Il rejetait
l'idée d'oeil pour oeil, dent pour dent. Il désapprouvait tout le concept
de revanche privée et personnelle; il laissait ces questions au
gouvernement civil d'une part, et au jugement de Dieu d'autre part. Il
expliqua aux trois apôtres que ses enseignements s'appliquaient aux
individus et non à l'État. Il résuma les instructions qu'il avait données
jusque là sur des questions telles que:
Aimez vos ennemis -- rappelez-vous les revendications morales de la
fraternité humaine.
La futilité du mal: un tort ne se redresse pas par une vengeance. Ne
commettez pas la faute de combattre le mal avec ses propres armes.
Ayez la foi -- ayez confiance dans le triomphe final de la justice
divine et de la bonté éternelle.
2. Comportement politique. Jésus recommanda à ses apôtres d'être
prudents dans leurs remarques concernant les relations, alors tendues,
entre le peuple juif et le gouvernement romain; il leur défendit de se
laisser impliquer en aucune manière dans ces difficultés. Il prenait
toujours soin d'éviter les pièges politiques de ses ennemis, allant
jusqu'à répliquer: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »
(1). Il refusait de laisser détourner son attention de sa mission
qui était d'établir un nouveau mode de salut; il ne se permettait pas de
se consacrer à autre chose. Dans sa vie personnelle, il observait toujours
dûment toutes les lois et règles civiles; dans ses enseignements publics,
il se désintéressait des questions civiques, économiques, et sociales. Il
exposa aux trois apôtres qu'il s'intéressait uniquement aux principes de
la vie spirituelle intérieure et personnelle des hommes.
(1) Matthieu XXII-21; Marc XII-17; Luc
XX-25.
Jésus n'était donc pas un réformateur politique. Il ne venait pas pour
réorganiser le monde; même s'il l'avait fait, cela n'eût été applicable
qu'à cette époque et à cette génération. Néanmoins, il montra aux hommes
la meilleure manière de vivre, et nulle génération n'est dispensée de la
tâche de découvrir la meilleure façon d'adapter l'exemple de la vie de
Jésus à ses propres problèmes. Mais ne commettez jamais l'erreur
d'identifier les enseignements de Jésus à une théorie politique ou
économique, ni à un système social ou industriel quelconque.
3. Comportement social. Les rabbins juifs avaient longtemps débattu la
question: Qui est mon prochain? Jésus vint en présentant l'idée d'une
bonté active et spontanée, un amour si sincère du prochain qu'il
amplifiait la notion de voisinage jusqu'à y inclure le monde entier, ce
qui fait de chaque homme votre prochain. Ceci dit, Jésus s'intéressait
uniquement aux individus, et non à la masse. Il n'était pas un sociologue,
mais il travailla à briser toutes les formes d'isolement égoïste. Il
enseignait la pure sympathie, la compassion. Micaël de Nébadon est un Fils
dominé par la miséricorde. La compassion est l'essence de sa nature.
Le Maître n'a pas dit que les hommes ne devaient jamais convier leurs
amis à des repas, mais il a dit que ses disciples devraient faire des
festins pour les pauvres et les malheureux. Jésus avait un solide sens de
la justice, mais toujours tempéré de miséricorde. Il n'enseigna as a ses a
apôtres qu'ils devaient se laisser abuser par des parasites sociaux ou des
mendiants professionnels. Le moment où il fut le plus près de faire des
proclamations sociologiques fut celui où il dit: « Ne jugez pas, pour
n'être pas jugés » (2).
Il expliqua clairement que la sentimentalité aveugle pouvait être
considérée comme responsable de nombreux maux de la société. Le lendemain,
Jésus interdit franchement à Judas de prélever aucune aumône sur les fonds
apostoliques, sauf à sa requête ou à la demande conjointe de deux apôtres.
En toutes ces matières, Jésus avait coutume de dire: « Soyez sagaces comme
des serpents, mais aussi inoffensifs que des colombes » (3). Il semblait que
dans toutes les situations sociales il avait pour dessein d'enseigner la
patience, la tolérance, et le pardon.
(2) Matthieu VII-1; Luc VI-37. |
(3) Cf. Matthieu X-16. |
La philosophie de Jésus -- sur terre et dans l'au-delà -- était centrée
sur la famille. Il fonda sur la famille ses enseignements au sujet de
Dieu, tout en cherchant à corriger la tendance des Juifs à rendre des
honneurs excessifs à leurs ancêtres. Il loua la vie de famille comme le
plus haut devoir humain, mais fit comprendre que les relations de famille
ne doivent pas interférer avec les obligations religieuses. Il attira
l'attention sur le fait que la famille est une institution temporelle et
ne survit pas à la mort. Jésus n'hésita pas à abandonner sa famille
lorsqu'elle alla à l'encontre de la volonté du Père. Il enseigna la
nouvelle et plus large confraternité des hommes -- des fils de Dieu. À
l'époque de Jésus, on divorçait trop facilement en Palestine et dans tout
l'empire romain. Jésus refusa à maintes reprises de formuler ses lois sur
le mariage et le divorce, mais nombre des premiers partisans de Jésus
avaient des opinions très arrêtées sur le divorce et n'hésitaient pas à
les lui attribuer. Tous les écrivains du Nouveau Testament, sauf Jean
Marc, partageaient ces opinions plus strictes et évoluées sur le divorce.
4. Comportement économique. Jésus travailla, vécut, et commerça dans le
monde tel qu'il le trouva. Il n'était pas un réformateur économique, bien
qu'il ait fréquemment attiré l'attention sui l'injustice de la
distribution inégale des richesses, mais il n'offrit aucune solution comme
remède. Il expliqua à Pierre, Jacques, et Jean que ses apôtres ne devaient
pas détenir de biens; il ne prêchait pas contre la fortune et la
propriété, mais seulement contre leur distribution inégale et inéquitable.
Il reconnaissait le besoin de justice sociale et d'équité industrielle,
mais ne proposa aucune règle pour y parvenir.
Il n'enseigna jamais à ses disciples le renoncement aux possessions
terrestres, mais seulement à ses douze apôtres. Luc, le médecin, croyait
fermement à l'égalité sociale et contribua beaucoup à interpréter les
dires de Jésus conformément à ses croyances personnelles. Jésus n'ordonna
jamais à ses partisans d'adopter un mode de vie communautaire; il ne fit
aucune proclamation d'aucune sorte concernant ces questions.
Jésus mit fréquemment ses auditeurs en garde contre la cupidité en
déclarant que « le bonheur d'un homme ne consiste pas dans l'abondance de
ses possessions matérielles ». Il réitérait constamment sa formule: « À
quoi sert-il à un homme de gagner le monde entier et de perdre sa propre
âme » (4). Il ne lança pas d'attaques directes contre la possession des biens,
mais il insista sur le fait qu'il est éternellement essentiel de donner
priorité aux valeurs spirituelles. Dans ses enseignements ultérieurs, il
chercha à corriger beaucoup de points de vue urantiens erronés sur la vie,
en racontant de nombreuses paraboles qu'il présenta au cours de son
ministère public. Jésus n'eut jamais l'intention de formuler des théories
économiques; il savait bien que chaque époque doit élaborer ses propres
remèdes aux difficultés existantes. Si Jésus était sur terre aujourd'hui,
vivant sa vie incarnée, il décevrait grandement la majorité des hommes et
des femmes de bien, pour la simple raison qu'il refuserait de prendre
parti dans les disputes politiques, sociales, et économiques du jour. Il
resterait majestueusement sur la réserve, tout en vous enseignant à
perfectionner votre vie intérieure de manière à vous rendre infiniment
plus compétents pour attaquer la solution de vos problèmes purement
humains.
(4) Matthieu XVI-26.
Jésus voulait rendre tous les hommes semblables à Dieu, et ensuite
veiller avec sympathie pendant que ces fils de Dieu résoudraient leurs
propres problèmes politiques, sociaux, et économiques. Ce n'était pas la
fortune qu'il condamnait, mais le mal que fait la fortune à la majorité de
ses thuriféraires. Ce jeudi après-midi, Jésus dit pour la première fois à
ses disciples « qu'il y a plus de bénédiction à donner qu'à recevoir ».
5. Religion personnelle. Pour vous comme pour les apôtres, la meilleure
manière de comprendre les enseignements de Jésus est d'observer sa vie. Il
vécut une vie parfaite sur Urantia, et l'on peut comprendre ses
enseignements extraordinaires qu'en imaginant sa vie dans son arrière-plan
immédiat. C'est sa vie, et non ses leçons aux douze ou ses sermons aux
foules, qui aidera le plus à révéler le caractère divin et la personnalité
aimante du Père.
Jésus n'attaqua pas les enseignements des prophètes hébreux ou des
moralistes grecs. Il reconnaissait les nombreux éléments valables que ces
grands éducateurs représentaient, mais il était descendu sur terre pour
enseigner quelque chose de supplémentaire « la conformité volontaire de la
volonté de l'homme à celle de Dieu ». Jésus ne cherchait pas simplement à
créer des hommes religieux, des mortels entièrement occupés de sentiments
religieux et uniquement mus par des impulsions spirituelles. Si vous aviez
pu jeter seulement un regard sur lui, vous auriez su qu'il était
véritablement un homme de grand expérience dans les choses de ce monde.
Les enseignements de Jésus sous ce rapport ont été grossièrement dénaturés
et très souvent faussement présentés tout au long des siècles de l'ère
chrétienne. Vous vous êtes aussi attachés à des idées déformées sur la
mansuétude et l'humilité du Maître. Le but qu'il recherchait dans sa vie
paraît avoir été un magnifique respect de soi. Il recommandait aux hommes
de s'humilier uniquement pour leur permettre d'être vraiment grands; le
but qu'il visait réellement était une sincère humilité envers Dieu. Il
attribuait une grande valeur à la sincérité -- au coeur pur. La fidélité
était une vertu cardinale dans son évaluation d'un caractère et le courage
était l'essence même de ses enseignements. « N'ayez aucune crainte » était
son mot de passe, et la patiente endurance était son idéal de la force de
caractère. Les enseignements de Jésus constituent une religion de
vaillance, de courage, et d'héroïsme. C'est précisément pourquoi il
choisit comme représentants personnels douze hommes du commun, qui étaient
en majorité de rudes pêcheurs virils et énergiques.
Jésus parla peu des vices sociaux de son époque; il fit rarement
allusion à la culpabilité morale. Il fut un instructeur positif de la
vraie vertu. Il évita soigneusement la méthode négative de donner des
instructions; il refusa toute publicité pour le mal. Il n'était même pas
un réformateur moral. Il savait bien et enseignait à ses apôtres que les
besoins sensuels de l'humanité ne sont supprimés ni par des reproches
religieux ni par des prohibitions légales. Ses rares condamnations étaient
surtout dirigées contre l'orgueil, la cruauté, l'oppression, et
l'hypocrisie.
Jésus ne critiqua même pas les pharisiens avec véhémence comme l'avait
fait Jean le Baptiste. Il savait que bien des scribes et des pharisiens
avaient un coeur honnête; il comprenait l'emprise qui les rendaient
esclaves des traditions religieuses. Jésus insistait beaucoup sur la
nécessité de « commencer par assainir l'arbre ». Il fit bien comprendre au
trio qu'il attachait de la valeur à la vie entière, et pas seulement à
quelques rares vertus.
La seule leçon que Jean Zébédée tira de l'enseignement de cette journée
fut que le fond de la religion de Jésus consistait à acquérir un caractère
compatissant doublé d'une personnalité mue par le désir de faire la
volonté du Père céleste.
Pierre saisit l'idée que l'évangile sur le point d'être proclamé était
réellement une nouvelle base de départ pour l'ensemble de l'humanité. Il
transmit plus tard cette impression à Paul qui s'en servit pour formuler
sa doctrine du Christ sous l'aspect du « second Adam ».
Quant à Jacques, il comprit la passionnante vérité que Jésus voulait
voir vivre ses enfants sur terre comme s'ils étaient déjà des citoyens du
royaume céleste parachevé.
Jésus savait que tous les hommes étaient différents, et il l'enseigna à
ses apôtres. Il les exhortait constamment à s'abstenir de toute tentative
pour former les disciples et les croyants selon un modèle préétabli. Il
cherchait à permettre à chaque âme de se développer dans sa propre voie, à
titre individuel, en se perfectionnant au regard de Dieu. En réponse à
l'une des nombreuses questions de Pierre, le Maître dit: « Je voudrais
libérer les hommes de manière qu'ils puissent repartir comme de petits
enfants dans une vie nouvelle et meilleure ». Jésus répétait toujours que
la vraie bonté doit être inconsciente, qu'en faisant la charité on ne doit
pas permettre à la main gauche de savoir ce que fait la droite.
Cet après-midi, les trois apôtres furent choqués de constater que la
religion de leur Maître ne prévoyait pas d'introspection rituelle. Toutes
les religions qui ont précédé et suivi l'époque de Jésus, même le
christianisme, prévoient soigneusement une introspection consciencieuse.
Ce n'est pas le cas pour la religion de Jésus de Nazareth. La philosophie
de Jésus sur la vie est dépourvue d'introspection religieuse. Le fils du
charpentier n'enseigna jamais la réforme des caractères, mais leur
développement, déclarant que le royaume des cieux ressemble à un grain de
sénevé. Mais Jésus ne dit rien qui puisse proscrire l'analyse de soi comme
moyen de prévention contre un égotisme prétentieux.
Le droit d'entrer dans le royaume est conditionné par la foi, la
croyance personnelle. Le coût pour se maintenir dans l'ascension
progressive du royaume est la perle de grand prix; pour la posséder, un
homme vend tout ce qu'il a.
L'enseignement de Jésus est une religion à l'usage de tout le monde, et
pas seulement pour les débiles et les esclaves. Sa religion ne se
cristallisa jamais (durant son incarnation) en credos et en lois
théologiques; il ne laissa pas une ligne d'écriture derrière lui. Sa vie
et ses enseignements furent légués à l'univers comme un héritage
d'inspiration et d'idéal convenant à la gouverne spirituelle et à
l'instruction morale de tous les âges sur tous les mondes. Même
aujourd'hui, les enseignements de Jésus se tiennent en dehors de toutes
les religions, bien qu'ils constituent l'espoir vivant de chacune d'elles.
Jésus n'enseigna pas à ses apôtres que la religion est la seule
occupation terrestre digne des hommes, ce qui était la conception des
Juifs sur le service de Dieu; mais il affirma avec insistance que les
douze devaient s'occuper exclusivement de religion. Jésus n'enseigna rien
pour détourner ses fidèles de la poursuite d'une véritable culture; il
rabaissa seulement le mérite des écoles religieuses de Jérusalem
prisonnières de la tradition. Il était libéral, généreux, instruit, et
tolérant. La piété consciente de soi n'avait nulle place dans sa
philosophie pour mener une vie de droiture.
Le Maître n'offrit pas de solutions pour les problèmes non religieux de
son temps ou de tout autre âge ultérieur. Il souhaitait développer la
perspicacité spirituelle dans les réalités éternelles et stimuler
l'initiative dans l'originalité de la vie. Il s'occupa exclusivement des
besoins spirituels sous-jacents et permanents de la race humaine. Il
révéla une bonté égale à celle de Dieu. Il exalta l'amour -- la vérité, la
beauté, et la bonté -- comme idéal divin et réalité éternelle.
Le Maître vint pour créer chez l'homme un nouvel esprit, une nouvelle
volonté pour lui communiquer une nouvelle aptitude à connaître la vérité,
à éprouver de la compassion, et à choisir la bonté -- la volonté d'être en
harmonie avec la volonté de Dieu, doublée du besoin éternel de devenir
parfait comme le Père céleste est parfait.
9. -- LE JOUR DE LA CONSÉCRATION
Jésus consacra la journée du sabbat suivant à ses apôtres, retournant à
la montagne où il leur avait conféré l'ordination. Là, après un message
personnel d'encouragement magnifiquement touchant, il entreprit la
consécration solennelle des douze. Au cours de cet après-midi de sabbat,
Jésus les réunit autour de lui, à flanc de coteau, et les remit aux mains
de son Père céleste en vue du jour où il serait obligé de les laisser
seuls dans le monde. Il n'y eut pas de nouvel enseignement à cette
occasion, mais simplement une causerie et une communion.
Jésus passa en revue de nombreux points du sermon d'ordination qu'il
avait fait au même endroit, puis il appela les apôtres devant lui un par
un et les chargea d'aller dans le monde comme ses représentants. La
mission de consécration donnée par le Maître fut la suivante: « Allez dans
le monde entier et prêchez la bonne nouvelle de l'avènement du royaume.
Libérez les prisonniers spirituels, consolez les opprimés, et donnez vos
soins aux affligés. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ».
Jésus leur recommanda de n'emporter ni argent ni vêtements de rechange,
disant: « Le bon ouvrier mérite son salaire ». Et finalement il dit: «
Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; soyez donc
aussi prudents que des serpents et aussi inoffensifs que des colombes.
Mais prenez garde, car vos ennemis vous amèneront devant leurs conseils et
vous critiqueront sévèrement dans leurs synagogues. Vous serez traînés
devant des gouverneurs et des chefs parce que vous croyez à cet évangile,
et votre témoignage même témoignera pour moi auprès d'eux. Quand ils vous
feront passer en jugement, ne vous inquiétez pas de ce que vous direz, car
l'esprit de mon Père vous habite et parlera pour vous à ces moments-là.
Quelques-uns d'entre vous seront mis à mort, et avant que vous établissiez
le royaume sur terre vous serez haïs par bien des peuples à cause de cet
évangile; mais n'ayez aucune crainte; je serai auprès de vous et mon
esprit vous précédera dans le monde entier. La présence de mon Père
demeurera avec vous pendant que vous irez d'abord vers les Juifs et
ensuite vers les Gentils ».
Après être descendus de la montagne, ils retournèrent à leur foyer dans
la maison de Zébédée.
10. -- LE SOIR APRÈS LA CONSÉCRATION
Ce soir-là, Jésus enseigna dans la maison parce que la pluie commençait
à tomber; il parla très longuement aux douze pour essayer de leur montrer
ce qu'ils devaient être, et non ce qu'ils devaient faire. Les apôtres
connaissaient seulement une religion qui imposait de faire certaines
choses comme moyen d'atteindre la droiture -- le salut. Mais Jésus
répétait: « Dans le royaume, il faut être droit pour faire le travail ».
Bien des fois il réitéra: « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste
est parfait ». Le Maître expliquait tout le temps à ses apôtres
désorientés que le salut qu'il était venu apporter au monde ne pouvait
s'obtenir qu'en croyant, par une foi simple et sincère. Jésus dit: « Jean
a prêché un baptême de repentance, une affliction pour l'ancienne manière
de vivre. Vous allez proclamer le baptême de communion avec Dieu. Prêchez
la repentance à ceux qui ont besoin de cet enseignement, mais à ceux qui
cherchent déjà sincèrement l'entrée du royaume, ouvrez largement les
portes et dites leur d'entrer dans la joyeuse communauté des fils de Dieu
». Mais c'était une tâche difficile de persuader à ces pêcheurs de Galilée
que, dans le royaume, il faut d'abord être droit, par la foi, avant de
faire ce qui est juste dans la vie quotidienne.
Un autre grand handicap dans cette oeuvre d'enseignement des douze
était leur tendance à s'emparer de principes hautement idéalistes et
spirituels de la vérité religieuse, et à les transformer en règles
concrètes de conduite personnelle. Jésus leur présentait le magnifique
esprit du comportement de l'âme, mais les apôtres insistaient pour
traduire cet enseignement en préceptes pour leur vie courante. Bien des
fois, quand ils étaient sûrs de bien se rappeler ce que le Maître avait
dit, il était presque certain qu'ils oublieraient ce que le Maître n'avait
pas dit. Mais ils assimilèrent lentement son enseignement, parce que Jésus
était tout ce qu'il enseignait. Ce qu'ils ne purent acquérir par ses
instructions verbales, ils le gagnèrent progressivement en vivant avec
lui.
Les apôtres ne percevaient pas que leur Maître s'occupait de vivre une
vie d'inspiration spirituelle pour toutes les personnes de toutes les
époques sur tous les mondes d'un vaste univers. Malgré ce que Jésus leur
disait de temps en temps, les apôtres ne saisissaient pas l'idée qu'il
accomplissait une oeuvre non seulement sur ce monde, mais aussi pour tous
les autres mondes de son immense création. Jésus vécut sa vie terrestre
non pour établir un exemple de vie temporelle pour les hommes et les
femmes d'Urantia, mais plutôt créer un haut idéal spirituel et vivifiant
pour tous les humains sur toutes les planètes de son univers.
Le même soir, Thomas demanda à Jésus: « Maître, tu dis qu'il nous faut
devenir comme des petits enfants avant de pouvoir gagner l'entrée dans le
royaume du Père, et cependant tu nous as prévenus de ne pas nous laisser
tromper par de faux prophètes et de ne pas nous rendre coupables de jeter
nos perles aux pourceaux. Franchement, je suis déconcerté. Je n'arrive pas
à comprendre ton enseignement ». Jésus répondit à Thomas: « Combien de
temps vous supporterai-je! Vous insistez toujours pour prendre à la lettre
tout ce que j'enseigne. Quand je vous ai demandé de devenir semblables à
de petits enfants comme prix de votre entrée dans le royaume, je ne
parlais ni de la facilité à se laisser tromper, ni de la simple bonne
volonté de croire, ni de la rapidité à faire confiance à d'agréables
étrangers. Ce que désirais que vous retiriez de cet exemple, c'était la
relation entre enfant et père. Tu es l'enfant, et c'est dans le royaume de
ton Père que tu cherches à entrer. Il existe entre tout enfant normal et
son père une affection naturelle qui assure des relations compréhensives
et affectueuses, et qui exclut perpétuellement toute tendance négocier
pour obtenir l'amour et la miséricorde du Père. L'évangile que vous allez
prêcher concerne un salut provenant de la claire compréhension par la foi
de cette même et éternelle relation d'enfant à père ».
La caractéristique majeure de l'enseignement de Jésus était que la
moralité de sa philosophie dérivait des relations personnelles entre
l'individu et Dieu des rapports d'enfant à père. Jésus mettait l'accent
sur l'individu, et non sur la race ou sur la nation. C'est au cours de ce
souper que Jésus eut avec Matthieu l'entretien ou il lui expliqua que la
moralité d'un acte quelconque est déterminée par le mobile de son auteur.
La moralité de Jésus était toujours positive. La règle d'or remise au
point par Jésus exige des contacts sociaux actifs; l'ancienne règle
négative pouvait être suivie dans l'isolement. Jésus dépouilla la moralité
de toutes les règles et cérémonies, et l'éleva aux hauteurs majestueuses
de la pensée spirituelle et de la vie sincèrement droite.
La nouvelle religion de Jésus n'était pas dépourvue de portée pratique;
mais la valeur d'application de son enseignement au point de vue
politique, social, ou économique consiste en expressions naturelles de
l'expérience intérieure de l'âme manifestant les fruits de l'esprit dans
le ministère quotidien spontané d'une expérience religieuse personnelle et
authentique.
Après que Jésus et Matthieu eurent achevé de parler, Simon Zélotès
demanda: « Maître, les hommes sont-ils tous fils de Dieu? » Jésus
répondit: » Oui, Simon, tous les hommes sont fils de Dieu, et c'est la
bonne nouvelle que vous allez proclamer ». Mais les apôtres ne parvenaient
pas à comprendre cette doctrine qui était pour eux une annonce nouvelle,
étrange, et stupéfiante. Et c'était à cause de son désir d'inculquer cette
vérité à ses disciples que Jésus leur apprenait à traiter tous les hommes
comme des frères.
En réponse à une question posée par André, le Maître expliqua que la
moralité de son enseignement était inséparable de sa manière religieuse de
vivre. Il enseignait la moralité non en partant de la nature de l'homme,
mais en partant de la relation de l'homme avec Dieu.
Jean demanda à Jésus: « Maître, qu'est-ce que le royaume des cieux? »
Et Jésus répondit: » Le royaume des cieux se compose de trois éléments
essentiels: premièrement la reconnaissance du fait de la souveraineté de
Dieu; deuxièmement la croyance à la vérité de la filiation avec Dieu; et
troisièmement la foi dans l'efficacité du suprême désir humain de faire la
volonté de Dieu -- de ressembler à Dieu. Et voici la bonne nouvelle de
l'évangile: par la foi, chaque mortel peut posséder tous ces éléments
essentiels du salut ».
Maintenant que la semaine d'attente était écoulée, ils se préparèrent à
partir le lendemain matin pour Jérusalem.
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