LA SECONDE TOURNÉE DE PRÉDICATION
LA seconde tournée de prédication publique en Galilée commença le
dimanche 3 octobre de l'an 28 et continua pendant près de trois mois pour
prendre fin le 30 décembre. Participèrent à cet effort Jésus et
ses douze apôtres, assistés du corps nouvellement recruté de 117
évangélistes et de nombreuses autres personnes intéressées. Au cours de
cette tournée, ils visitèrent Gadara, Ptolémaïs, Japhia, Dabaritta,
Méguiddo, Jizréel, Scythopolis, Tarichée, Hippos, Gamala,
Bethsaïde-Juliade, et un grand nombre d'autres villes et villages.
Avant de partir ce dimanche matin, André et Pierre demandèrent à Jésus
de fixer définitivement les attributions des nouveaux évangélistes, mais
le Maître refusa en disant qu'il n'entrait pas dans son domaine de faire
des choses que d'autres pouvaient accomplir d'une façon acceptable. Après
en avoir dûment délibéré, les apôtres décidèrent que Jacques Zébédée
fixerait les attributions. À la fin des commentaires de Jacques, Jésus dit
aux évangélistes: « Allez maintenant faire le travail dont vous avez été
chargés, et plus tard, quand vous vous serez montrés compétents et
fidèles, je vous conférerai l'ordination pour prêcher l'évangile du
royaume ».
Au cours de cette tournée, seuls Jacques et Jean voyagèrent avec Jésus.
Pierre et les autres apôtres emmenèrent chacun une douzaine
d'évangélistes, et gardèrent avec ceux-ci un contact étroit tout en
poursuivant leur oeuvre de prédication et d'enseignement. Aussitôt que des
croyants étaient prêts à entrer dans le royaume, les apôtres leur
administraient le baptême. Jésus et ses deux compagnons voyagèrent
beaucoup au cours de ces trois mois, visitant souvent deux villes le même
jour afin d'observer l'activité des évangélistes et de les encourager dans
leurs efforts pour établir le royaume. Cette seconde tournée de
prédication fut surtout un effort pour faire acquérir une expérience
pratique au corps des 117 évangélistes frais émoulus.
Durant cette période, et ultérieurement jusqu'à l'époque où Jésus et
les douze partirent finalement pour Jérusalem, David Zébédée entretint
pour l'oeuvre du royaume un quartier général dans la maison de son père à
Bethsaïde. Ce fut le siège central des opérations de Jésus sur terre, et
une station de relais pour le service de messagers que David assurait
entre les croyants des diverses parties de la Palestine et des régions
adjacentes. Il accomplit tout cela de sa propre initiative, mais avec
l'approbation d'André. David employait quarante à cinquante messagers au
service des renseignements du royaume, qui grandissait et s'étendait
rapidement. Tout en assurant ce service, il gagnait partiellement sa vie
en consacrant une partie de son temps à son ancien métier de pêcheur.
1. -- LA GRANDE RENOMMÉE DE JÉSUS
Au moment où le camp de Bethsaïde fut levé, la renommée de Jésus,
spécialement en tant que guérisseur, s'était répandue dans toutes les
régions de la Palestine, dans toute la Syrie, et dans les pays
avoisinants. Pendant des semaines après le départ de Bethsaïde, des
malades continuèrent à arriver. Faute de rencontrer le Maître, ils
apprenaient de David où il se trouvait et partaient à sa recherche. Au
cours de cette tournée, Jésus n'accomplit délibérément aucun acte de
guérison soi-disant miraculeuse. Néanmoins, des douzaines de personnes
souffrantes virent leur santé et leur bonheur rétablis grâce au pouvoir
reconstituant de la foi intense qui les poussait à rechercher la guérison.
À l'époque de cette mission, une série spéciale et inexpliquée de
phénomènes de guérison commença à se produire et continua jusqu'à la fin
de la vie terrestre de Jésus. Au cours de cette tournée de trois mois,
plus de cent hommes, femmes, et enfants de Judée, d'Idumée, de Galilée, de
Syrie, de Tyr, et de Sidon bénéficièrent de la guérison inconsciente par
Jésus, et lorsqu'ils rentrèrent chez eux, ils contribuèrent à augmenter
encore sa renommée. Ils le firent, bien que Jésus, chaque fois qu'il
observait un de ces cas de guérison spontanée, eût directement recommandé
au bénéficiaire de « n'en parler à personne ».
On ne nous a jamais révélé exactement ce qui s'était passé dans ces cas
de guérison spontanée ou inconsciente. Le Maître n'expliqua jamais à ses
apôtres comment elles s'effectuaient. En plusieurs occasions il se borna à
dire: « Je perçois qu'un pouvoir est sorti de moi » (1). En une occasion,
après avoir été touché par un enfant malade, il remarqua: « Je perçois que
de la vie est sortie de moi ».
(1) Cf. Marc V-30 et Luc VIII-46.
En l'absence d'indications directes du Maître sur la nature de ces
cures spontanées, il serait présomptueux de notre part d'expliquer comment
elles furent accomplies, mais il nous est permis de donner notre opinion
sur ces phénomènes de guérison. Nous croyons qu'un grand nombre des cures
apparemment miraculeuses qui se produisirent au cours du ministère
terrestre de Jésus résultèrent de la conjugaison des trois puissantes
influences suivantes:
1. La présence d'une foi solide, dominante, et vivante
dans le coeur de l'être humain qui cherchait avec persistance à être
guéri, accompagnée du fait que cette guérison était désirée pour ses
bienfaits spirituels plutôt que pour un rétablissement purement physique.
2. L'existence, concomitante avec cette foi humaine, de la
grande sympathie et de la grande compassion du Fils Créateur incarné et
dominé par la miséricorde; ce Fils de Dieu possédait réellement dans sa
personne des pouvoirs et des prérogatives de guérison créatifs à peu près
illimités et indépendants du temps.
3. En même temps que la foi de la créature et la vie du
Créateur, il faut également noter que ce Dieu-homme était l'expression
personnifiée de la volonté du Père. Lors du contact entre le besoin humain
et le pouvoir divin capable de le satisfaire, si le Père n'exprimait pas
de volonté différente, les deux ne faisaient plus qu'un; la guérison se
produisait alors sans que le Jésus humain en eût conscience, mais elle
était immédiatement reconnue par sa nature divine. Donc, il faut expliquer
bon nombre de ces cas de guérison par l'opération d'une grande loi que
nous connaissons depuis longtemps, à savoir: ce que le Fils Créateur
désire et que le Père éternel veut EXISTE.
Nous sommes donc d'avis qu'en la présence personnelle de Jésus
certaines formes de foi humaine profonde contraignaient
littéralement et véritablement la manifestation de guérison par certaines
forces et personnalités créatives de l'univers, alors
intimement associées au Fils de l'Homme. Jésus permit fréquemment que des
hommes se guérissent eux-mêmes en sa présence par la puissance de leur foi
personnelle.
Beaucoup d'autres recherchèrent la guérison pour des buts purement
égoïstes. Une riche veuve de Tyr, accompagnée de sa suite, vint pour être
guérie de ses infirmités qui étaient nombreuses. En suivant Jésus à
travers la Galilée, elle continua à lui offrir de plus en plus d'argent,
comme si le pouvoir de Dieu pouvait être acheté aux enchères. Elle ne
s'intéressa jamais à l'évangile du royaume; elle ne recherchait que la
guérison de ses maladies physiques.
2. -- LE COMPORTEMENT DU PUBLIC
Jésus comprenait la pensée des hommes; il connaissait le fond de leur
coeur. Si ses enseignements avaient été transmis tels qu'il les présenta,
avec pour seul commentaire l'interprétation inspirée de sa vie terrestre,
toutes les nations et toutes les religions du monde auraient rapidement
embrassé l'évangile du royaume. Les efforts bien intentionnés des premiers
disciples de Jésus pour réaffirmer ses enseignements sous une forme plus
acceptable pour certaines nations, races, et religions eurent simplement
pour effet de rendre l'évangile moins acceptable pour toutes les autres
nations, races, et religions.
Dans ses efforts pour attirer l'attention favorable de certains groupes
de son époque sur les enseignements de Jésus, l'apôtre Paul écrivit de
nombreuses lettres d'instructions et de recommandations. D'autres
éducateurs de l'évangile en firent autant, mais aucun d'eux n'imagina que
ces écrits seraient ultérieurement réunis par ceux qui voudraient les
présenter comme représentant les enseignements de Jésus. En conséquence,
bien que le soi-disant christianisme contienne plus d'éléments de
l'évangile du Maître que toute autre religion, il contient aussi beaucoup
de données que Jésus n'enseigna pas. Outre l'incorporation dans le
christianisme de nombreux enseignements des mystères persans et de
beaucoup d'éléments de la philosophie grecque, deux grandes fautes furent
commises:
1. L'effort pour relier directement l'enseignement de
l'évangile à la théologie juive; il se traduisit par les doctrines
chrétiennes de l'expiation, enseignant que Jésus était le Fils dont le
sacrifice satisferait la sévère justice du Père et apaiserait le courroux
divin. Ces enseignements naquirent de tentatives louables pour rendre
l'évangile du royaume plus acceptable aux Juifs incroyants. Ces efforts
échouèrent en ce qui concerne le ralliement des Juifs; ils ne réussirent
qu'à embrouiller et à aliéner de nombreuses âmes sincères de toutes les
générations ultérieures.
2. La seconde grande bévue des premiers disciples du
Maître, une erreur que toutes les générations ultérieures ont perpétuée,
fut d'organiser la doctrine chrétienne aussi complètement autour de la
personne de Jésus. Cet accent excessif mis sur la personnalité de
Jésus dans la théologie du christianisme a contribué à obscurcir ses
enseignements. Tout cela a rendu de plus en plus difficile aux Juifs, aux
Mahométans, aux Hindous, et aux autres religions orientales d'accepter la
doctrine de Jésus. Nous ne voudrions pas minimiser la place de sa personne
dans une religion qui peut porter son nom, mais nous ne voudrions pas non
plus permettre à cette considération d'éclipser sa vie inspirante ou de
supplanter son message de salut: la paternité de Dieu et la fraternité des
hommes.
Les propagateurs de la religion de Jésus devraient approcher les autres
religions en reconnaissant les vérités qu'elles détiennent en commun (et
dont beaucoup proviennent directement ou indirectement du message de
Jésus) tout en s'abstenant d'insister pareillement sur les différences.
À ce moment-là, la renommée de Jésus reposait principalement sur sa
réputation de guérisseur, mais il ne s'ensuivait pas qu'il dut toujours en
être ainsi. À mesure que le temps passait, on le rechercha de plus en plus
pour son aide spirituelle. Toutefois, c'étaient les cures physiques qui
exerçaient sur le peuple l'attrait le plus direct et le
plus immédiat. L'aide de Jésus était de plus en plus demandée par les
victimes de l'esclavage moral et des obsessions mentales; il leur
enseignait invariablement le chemin de la délivrance. Des pères
recherchaient ses conseils pour diriger leurs fils, et des mères lui
demandaient secours pour orienter leurs filles. Ceux qui siégeaient dans
les ténèbres venaient vers lui, et il leur révélait la lumière de la vie.
Il prêtait toujours l'oreille aux infortunes de l'humanité, et il aidait
toujours quiconque recherchait son ministère.
Pendant que le Créateur lui-même était sur terre, incarné dans la
similitude d'une chair mortelle, il était inévitable que des choses
extraordinaires se produisent. Cependant, on ne devrait jamais approcher
Jésus au travers de ces événements dits miraculeux. Apprenez à approcher
les miracles par Jésus, mais ne commettez pas la faute d'approcher Jésus
par les miracles. Cette recommandation est légitime, bien que Jésus soit
l'unique fondateur de religion qui ait accompli sur terre des actes
supra-matériels.
Le trait le plus étonnant et le plus révolutionnaire de la mission
terrestre de Micaël fut son comportement envers les femmes. À une époque
et dans une génération où il était malséant pour un homme de saluer en
public même sa propre femme, Jésus osa emmener des femmes pour enseigner
l'évangile en liaison avec sa troisième tournée de prédication en Galilée.
Et il eut le courage suprême de le faire en dépit de l'enseignement
rabbinique qui proclamait: « Mieux vaut brûler les paroles de la loi que
de les remettre à des femmes ».
En une seule génération, Jésus fit sortir les femmes d'un oubli
irrespectueux et les libéra des corvées serviles des âges primitifs. La
religion qui se qualifia de chrétienne n'eut pas le courage moral de
suivre ce noble exemple dans son comportement ultérieur envers les femmes,
et c'est pour elle un objet de honte.
Les gens auxquels Jésus se mêlait le trouvaient entièrement dégagé des
superstitions de l'époque. Il était libre de préjugés religieux et n'était
jamais intolérant. Rien dans son coeur ne ressemblait à une lutte de
classes. Il se conformait à ce qui était bon dans la religion de ses
ancêtres, mais n'hésitait pas à négliger les traditions humaines de
superstition et de servitude. Il osa enseigner que les catastrophes de la
nature, les accidents du temps, et d'autres événements calamiteux ne sont
ni des châtiments du jugement divin ni des décrets mystérieux de la
Providence. Il condamna la dévotion servile à des cérémonies dépourvues de
sens, et dénonça le sophisme des cultes matérialistes. Il proclama
hardiment la liberté spirituelle des hommes et osa enseigner que les
mortels incarnés sont, en fait et en vérité, des fils du Dieu vivant.
Jésus transcenda tous les enseignements de ses ancêtres lorsqu'il
substitua audacieusement des coeurs purs à des mains propres comme signes
de la vraie religion. Il remplaça la tradition par la réalité et balaya
toutes les prétentions de la vanité et de l'hypocrisie. Et cependant cet
intrépide homme de Dieu ne donna pas libre cours à des critiques
destructives, et ne manifesta pas un complet dédain pour les usages
religieux, sociaux, économiques, et politiques de son temps. Il n'était
pas un révolutionnaire militant; il était un évolutionniste progressif. Il
ne se lança dans la destruction de ce qui existait qu'en offrant
simultanément à ses compagnons la chose supérieure qui devrait existez.
Jésus obtint l'obéissance de ses disciples sans l'exiger. Parmi tous
les hommes qui reçurent son appel personnel, trois seulement refusèrent
cette invitation à devenir ses disciples. Il exerçait un pouvoir
d'attraction particulier sur les hommes, mais n'était pas un dictateur. Il
commandait la confiance, et jamais personne ne fut froissé de recevoir un
ordre de lui. Il assumait une autorité absolue sur ses disciples, mais nul
n'y fit jamais d'objection. Il permettait à ses disciples de l'appeler
Maître.
Jésus était admiré par tous ceux qu'il rencontrait, sauf par ceux qui
entretenaient des préjugés religieux bien enracinés et par ceux qui
croyaient discerner un danger politique dans ses enseignements. Ses
auditeurs étaient étonnés de l'originalité et de l'autorité de ses leçons.
Ils s'émerveillaient de sa patience envers les arriérés ou les gêneurs qui
l'interrogeaient. Il inspirait de l'espoir et de la confiance à tous ceux
qui bénéficiaient de son ministère. Seuls le craignaient ceux qui ne
l'avaient jamais rencontré, et seuls le haïssaient ceux qui le
considéraient comme le champion d'une vérité destinée à détruire le mal et
l'erreur qu'ils avaient décidé de maintenir à tout prix dans leur coeur.
Sur ses amis comme sur ses ennemis, il exerçait une forte et
particulière influence de fascination. Des multitudes le suivaient pendant
des semaines, rien que pour entendre ses paroles bienveillantes et
constater la simplicité de sa vie. Des hommes et des femmes dévoués
aimaient Jésus d'une affection presque surhumaine, et mieux ils le
connaissaient, plus ils l'aimaient. Ceci est resté vrai. Même aujourd'hui
et dans tous les âges futurs, mieux un homme connaîtra ce Dieu humain,
plus il l'aimera et voudra le suivre.
3. -- L'HOSTILITÉ DES CHEFS RELIGIEUX
Malgré l'accueil favorable de Jésus et de ses enseignements par le
commun du peuple, les chefs religieux de Jérusalem étaient de plus en plus
alarmés et hostiles. Les pharisiens avaient élaboré une théologie
systématique et dogmatique. Jésus enseignait selon les besoins du moment;
il ne professait pas de système. Il s'appuyait moins sur la loi que sur la
vie, et enseignait par paraboles. (Quand il employait une parabole pour
illustrer son message, il n'utilisait qu'un seul trait de
l'histoire à cet effet. Beaucoup d'idées fausses sur l'enseignement de
Jésus proviennent de tentatives pour transformer ses paraboles en
allégories.)
Les chefs religieux de Jérusalem étaient presque devenus fous de rage à
la suite de la récente conversion du jeune Abraham et de la désertion des
trois espions qui avaient été baptisés par Pierre et accompagnaient
maintenant les évangélistes dans la seconde tournée de prédication en
Galilée. Les dirigeants juifs étaient de plus en plus aveuglés par la peur
et les préjugés, en même temps que leur coeur se durcissait par le rejet
continuel des attrayantes vérités de l'évangile du royaume. Quand les
hommes se ferment à l'esprit qui habite en eux, on ne peut presque rien
faire pour modifier leur comportement.
Lors de sa première rencontre avec les évangélistes au camp de
Bethsaïde, Jésus leur avait dit en terminant son allocution: « N'oubliez
pas que corporellement et mentalement -- c'est-à-dire émotivement -- la
réaction des hommes est individuelle. Leur seule caractéristique
uniforme est d'être habités par un esprit intérieur (1). Bien que ces
esprits divins puissent varier quelque peu par la nature et l'étendue de
leur expérience, ils réagissent uniformément à tous les appels spirituels.
L'humanité ne pourra jamais parvenir à l'unité et à la fraternité
autrement que par cet esprit et en faisant appel à lui ».
(1) Un Ajusteur de Pensée ou
Moniteur de Mystère. Voir les Fascicules 107 à 111 (Tome II).
Mais beaucoup de dirigeants juifs avaient fermé les portes de leur
coeur à l'appel spirituel du royaume. À partir de ce jour, ils ne
cessèrent plus de faire des plans et de comploter pour anéantir le Maître.
Ils étaient convaincus qu'il fallait arrêter, condamner, et exécuter Jésus
en tant que criminel religieux, violateur des enseignements capitaux de la
loi juive.
4. -- LES PROGRÈS DE LA TOURNÉE DE PRÉDICATION
Jésus oeuvra très peu en public durant cette tournée de prédication,
mais il dirigea de nombreuses classes du soir pour les croyants dans la
plupart des villes et villages où il séjourna avec Jacques et Jean. À
l'une de ces sessions du soir, un des plus jeunes évangélistes posa à
Jésus une question sur la colère, et dans sa réponse le Maître lui donna
entre autres les indications suivantes:
« La colère est une manifestation matérielle qui représente, d'une
manière générale, la mesure dans laquelle la nature spirituelle n'a pas
réussi à dominer les natures intellectuelle et physique conjuguées. La
colère indique votre manque d'amour fraternel tolérant, plus votre manque
de respect de soi et de maîtrise de soi. La colère épuise la santé, avilit
la pensée, et handicape l'instructeur spirituel de l'âme de l'homme.
N'avez-vous pas lu dans les Écritures que « le courroux tue l'homme
stupide » où que l'homme se déchire lui-même dans sa colère »? Et que «
celui qui est lent à la colère possède une grande compréhension », tandis
que « quiconque s'irrite rapidement exalte la folie »?
Vous savez tous « qu'une réponse douce détourne le courroux» et que « des
paroles dures excitent la colère » (1). « La retenue ajourne la colère »,
et « celui qui ne se contrôle pas lui-même ressemble à une ville désarmée
sans remparts ». « Le courroux est cruel et la colère est outrageante ». «
Les hommes irrités fomentent la dispute, tandis que les furieux
multiplient leurs transgressions ». « Ne vous précipitez pas, car la
colère repose dans le sein des fous ». Avant de terminer, Jésus dit
encore: «Que votre coeur soit dominé par l'amour, afin que votre guide
spirituel n'ait pas trop de peine à vous délivrer de la tendance à laisser
éclater des accès de colère animale incompatibles avec le statut de
filiation divine ».
(1) Proverbes XV-1, etc...
À la même occasion, le Maître exposa au groupe l'avantage de posséder
un caractère bien équilibré.
Il reconnut la nécessité pour la plupart des hommes de se consacrer à la
maîtrise d'une profession quelconque, mais il déplora toutes les tendances
à la spécialisation excessive conduisant à l'étroitesse de pensée et à la
limitation des activités de la vie. Il attira l'attention sur le fait que
toute vertu, si elle est portée à l'extrême, peut devenir un vice. Jésus
prêcha toujours la tolérance et enseigna le bon sens l'adaptation
appropriée aux problèmes de la vie. Il fit remarquer qu'un excès de
compassion et de pitié peut dégénérer en une grave instabilité émotive, et
que l'enthousiasme peut pousser au fanatisme. Il analysa le caractère d'un
de leurs anciens compagnons que son imagination avait entraîné dans des
entreprises visionnaires et irréalisables. En même temps, il les mit en
garde contre la stagnation d'une médiocrité trop conservatrice.
Puis Jésus discourut sur les dangers du courage et de la foi, et la
manière dont ces qualités conduisent parfois des âmes irréfléchies à la
témérité et à la présomption. Il montra également comment la prudence et
la discrétion, quand elles sont poussées trop loin, conduisent à la
lâcheté et à l'insuccès. Il exhorta ses auditeurs à s'efforcer d'être
originaux, tout en évitant la tendance à l'excentricité. Il plaida en
faveur de la sympathie dépourvue de sentimentalité et de la piété sans
papelardise. Il enseigna un respect dégagé de la peur et de la
superstition.
Ce ne fut pas tant l'enseignement de Jésus sur l'équilibre du caractère
qui impressionna ses collaborateurs, mais plutôt le fait que sa propre vie
donnait un témoignage éloquent de cet enseignement. Il vécut au milieu de
la tension et de l'orage, mais ne chancela jamais. Ses ennemis lui
tendirent continuellement des pièges, mais ne réussirent jamais à l'y
prendre. Les sages et les érudits s'efforcèrent de le trouver en défaut,
mais il ne trébucha pas. Ils cherchèrent à l'embrouiller dans des
discussions, mais ses réponses étaient toujours claires, pleines de
dignité, et définitives. Quand il était interrompu dans ses discours par
de multiples questions, ses réponses étaient toujours significatives et
concluantes. Jamais il n'eut recours à de viles tactiques pour faire face
à la pression continuelle de ses ennemis qui recouraient à toutes sortes
de mensonges, d'injustices, et d'iniquités dans leurs attaques contre lui.
Il est exact que beaucoup d'hommes et de femmes doivent pratiquer
assidûment un métier bien défini pour gagner leur subsistance; il est
néanmoins entièrement désirable que les êtres humains cultivent un vaste
champ de connaissances sur la vie telle quelle est vécue sur terre. Les
personnes réellement éduquées ne se satisfont pas de rester dans
l'ignorance sur la vie et les agissements de leurs semblables.
5. -- LA LEÇON
SUR LE CONTENTEMENT
Un jour où Jésus visitait le groupe d'évangélistes travaillant sous la
direction de Simon Zélotès, celui-ci demanda au Maître au cours de la
conférence du soir: « Pourquoi certaines personnes sont-elles tellement
plus heureuses et contentes que d'autres? Le contentement est-il une
affaire d'expérience religieuse? » Jésus répondit à la question de Simon
en donnant entre autres les indications suivantes:
« Simon, certaines personnes sont par nature plus heureuses que
d'autres. Cela dépend en grande, en très grande partie, de leur bonne
volonté à se laisser conduire et diriger par l'esprit du Père qui vit en
elles. N'as-tu pas lu dans les Écritures ces paroles du sage: « L'esprit
de l'homme est la lampe du Seigneur, scrutant tout son domaine intérieur »
(1)? Et aussi que des mortels ainsi guidés par l'esprit disent: « Les
cordeaux sont tombés pour moi en des lieux agréables; oui, un bon héritage
m'est échu » (2). « Un peu de ce que possède un juste vaut mieux que les
richesses de beaucoup de méchants », car « un homme de bien tire sa
satisfaction de lui-même ». « Un coeur joyeux donne de l'allégresse; il
est une fête continuelle. Mieux vaut un peu d'argent avec le respect du
Seigneur qu'un grand trésor accompagné d'ennuis. Mieux vaut un repas de
légumes avec de l'amour qu'un boeuf gras accompagné de haine (3). Mieux
valent de petites ressources avec droiture que de grands revenus sans
rectitude ». « Un coeur joyeux fait du bien comme un médicament ». « Mieux
vaut posséder une poignée de grains avec quiétude qu'une surabondance de
biens avec des chagrins et des vexations d'esprit ».
(1) Proverbes XX-27. |
(2) Psaume XVI-6. |
(3) Proverbes XV-16 et 17. |
« Les chagrins des hommes proviennent en grande partie de leurs
ambitions déçues et des blessures infligées à leur orgueil. Les hommes se
doivent à eux-mêmes de mener aussi bien que possible leur vie sur terre,
mais lorsqu'ils ont fait de sincères efforts dans ce sens, ils devraient
accepter gaiement leur sort et faire montre d'ingéniosité pour tirer le
meilleur parti de ce qui leur est échu. Une trop grande partie des
difficultés des hommes tire son origine de la profonde peur instinctive de
leur coeur. « Le méchant s'enfuit alors que nul ne le poursuit ». « Les
méchants ressemblent à une mer agitée, car elle ne peut se reposer, mais
ses eaux rejettent de la boue et de la vase; il n'y a pas de paix, dit
Dieu, pour les méchants ».
« Ne recherchez donc pas une paix trompeuse et des joies temporaires,
mais plutôt l'assurance de la foi et la sécurité de la filiation divine
qui donnent la quiétude, le contentement, et la joie suprême dans l'esprit
».
Jésus ne considérait pas ce monde comme une « vallée de larmes », mais
plutôt comme la « vallée de création des âmes », la sphère natale des
esprits éternels et immortels destinés à monter au Paradis.
6. -- LA « CRAINTE DU SEIGNEUR »
Ce fut à Gamala, durant la conférence du soir, que Philippe dit à
Jésus: « Maître, comment se fait-il que les Écritures nous ordonnent de «
craindre le Seigneur » alors que tu voudrais que nous nous tournions sans
crainte vers le Père céleste? Comment pouvons-nous concilier ces
enseignements? » Jésus répondit à Philippe en disant:
« Mes enfants, je ne suis pas surpris que vous posiez de telles
questions. Au commencement, c'est seulement par la peur que l'homme
pouvait apprendre le respect; mais je suis venu révéler l'amour du Père
afin que vous soyez incités à adorer l'Éternel par l'attrait de la
reconnaissance affectueuse d'un fils et la réciprocité de l'amour parfait
et profond du Père. Je voudrais vous délivrer de l'esclavage consistant à
vous soumettre, par peur servile, au service fastidieux d'un Roi-Dieu
jaloux et courroucé. Je voudrais vous apprendre les relations de Père à
fils entre Dieu et les hommes, de manière à vous conduire joyeusement à la
libre adoration sublime et céleste d'un Père-Dieu affectueux, juste, et
miséricordieux.
« La « crainte du Seigneur » a eu différentes significations dans les
âges successifs; elle a commencé par la peur, continué par l'angoisse et
la frayeur, et fini par la crainte et le respect. Partant du respect, je
voudrais maintenant vous élever à l'amour en vous le faisant
reconnaître, comprendre clairement, et apprécier. Quand l'homme ne
reconnaît que les oeuvres de Dieu, il est conduit à avoir peur du Suprême;
quand il commence à comprendre la personnalité et à connaître par
expérience le caractère du Dieu vivant, il est conduit à aimer de plus en
plus ce bon et parfait Père universel et éternel. C'est précisément ce
changement de relation entre l'homme et Dieu qui constitue la mission du
Fils de l'Homme sur terre.
« Des enfants intelligents ne cherchent pas à obtenir de larges dons de
leur père par des manifestations de crainte. L'affection du père pour ses
fils et ses filles lui a déjà dicté de leur donner une abondance de bonnes
choses. Les ayant reçues d'avance, ces enfants bien-aimés sont conduits à
aimer leur père en faisant montre de gratitude et d'appréciation pour
cette générosité bienfaisante. La bonté de Dieu conduit à la repentance;
sa bienveillance conduit à le servir; sa miséricorde conduit au salut; et
enfin l'amour de Dieu conduit à l'adorer intelligemment de tout coeur.
« Vos ancêtres craignaient Dieu parce qu'il était puissant et
mystérieux. Vous l'adorerez parce qu'il est magnifique en amour, généreux
en miséricorde, et glorieux en vérité. La puissance de Dieu fait naître la
peur dans le coeur humain, mais la noblesse et la droiture de sa
personnalité engendrent le respect, l'amour, et l'adoration spontanée. Un
fils affectueux et déférent ne craint ni ne redoute un père, même puissant
et noble. Je suis venu dans le monde pour remplacer la peur par l'amour,
le chagrin par la joie, la crainte par la confiance, l'esclavage servile
et les cérémonies dépourvues de sens par le service affectueux et le culte
appréciateur. Il reste cependant vrai pour ceux qui siègent dans les
ténèbres que « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ».
Quand la lumière brillera plus pleinement, les fils de Dieu seront amenés
a louer Dieu pour ce qu'il est, plutôt qu'à le craindre pour ce
qu'il fait.
« Quand les enfants sont jeunes et étourdis, il faut bien qu'ils soient
réprimandés pour respecter leurs parents; mais quand ils grandissent et
commencent à mieux apprécier les bienfaits du ministère et de la
protection de leurs parents, un respect compréhensif et une affection
croissante les élèvent à un niveau d'expérience où ils aiment
effectivement leurs parents pour ce qu'ils sont, plus que pour ce qu'ils
ont fait. Le père aime naturellement son enfant, mais l'enfant doit
développer son amour pour son père en commençant par la peur de ce que le
père peut faire, puis en continuant par la crainte, la frayeur, la
dépendance, et le respect, pour arriver à l'amour avec sa considération
élogieuse et affectueuse.
« On vous a enseigné qu'il faut « craindre Dieu et observer ses
commandements, car c'est là tout ce qui est demandé à l'homme ». Or je
suis venu vous donner un commandement nouveau et supérieur. Je voudrais
vous enseigner à « aimer Dieu et à apprendre à faire sa volonté, car c'est
le plus grand privilège des fils de Dieu libérés ». On a appris à vos
pères à « craindre Dieu -- le Roi Tout Puissant ». Moi je vous enseigne:
« Aimez Dieu -- le Père infiniment miséricordieux ».
« Dans le royaume des cieux, que je suis venu proclamer, il n'y a pas
de roi élevé et puissant; ce royaume est une famille divine. Le centre et
le chef, universellement reconnu et adoré sans réserve, de cette immense
famille d'êtres intelligents est mon Père et votre Père. Je suis son Fils,
et vous êtes également ses fils. Il est donc éternellement vrai que vous
et moi nous sommes frères dans l'état céleste, et cela d'autant plus que
nous sommes devenus frères incarnés dans la vie terrestre. Cessez donc de
craindre Dieu comme un roi ou de le servir comme un maître; apprenez à le
respecter comme le Créateur; honorez-le comme Père de votre jeunesse
spirituelle; aimez-le comme un défenseur miséricordieux; et finalement
adorez-le comme le Père aimant et infiniment sage de votre épanouissement
dans la maturité et l'appréciation spirituelles.
« Vos fausses conceptions du Père céleste donnent naissance à vos idées
erronées sur l'humilité et à une grande partie de votre hypocrisie.
L'homme est peut-être un ver de terre par sa nature et son origine, mais
lorsqu'il est habité par l'esprit de mon Père, il devient divin par sa
destinée. L'esprit ainsi effusé par mon Père retournera sûrement à sa
source divine et au niveau universel de son origine. Et l'âme humaine du
mortel qui sera devenu l'enfant né à nouveau de cet esprit intérieur
s'élèvera certainement avec lui jusqu'à la présence même du Père éternel.
« Certes l'humilité sied aux mortels qui reçoivent tous ces dons du
Père céleste, bien qu'une dignité divine soit attachée à tous les
candidats par la foi à l'ascension éternelle du royaume des cieux. Les
pratiques serviles et dépourvues de sens d'une fausse humilité
ostentatoire sont incompatibles avec l'appréciation de la source de votre
salut et la récognition de la destinée de vos âmes nées d'esprit. Il sied
parfaitement d'être humble devant Dieu dans le fond de votre coeur; la
résignation devant les hommes est louable; mais l'hypocrisie d'une
humilité consciente de soi et cherchant à attirer l'attention est
enfantine et indigne des fils éclairés du royaume.
« Vous faites bien d'être humbles devant Dieu et de vous contrôler
devant les hommes, mais il faut que votre humilité ait une origine
spirituelle et ne soit pas l'exhibition trompeuse d'un sens de supériorité
conscient de votre propre valeur morale. Le prophète a sagement parlé en
disant: « Marchez humblement devant Dieu », car bien que le Père Céleste
soit l'Infini et l'Éternel, il habite aussi « chez celui qui a la pensée
contrite et un esprit humble ». Mon Père dédaigne l'orgueil, exècre
l'hypocrisie, et abhorre l'iniquité. C'est pour faire ressortir la valeur
de la sincérité et de la parfaite confiance dans le soutien affectueux et
les fidèles directives du Père céleste que j'ai si souvent fait allusion
aux petits enfants, pour illustrer l'attitude mentale et la réaction
spirituelle qui sont si essentielles pour permettre aux mortels d'entrer
dans les réalités spirituelles du royaume des cieux.
« Le Prophète Jérémie a bien décrit beaucoup d'hommes en disant: « Vous
êtes proches de Dieu par la bouche, mais loin de lui dans votre coeur ».
N'avez-vous pas également lu le lugubre avertissement du prophète qui a
dit: «Les prêtres de ce monde enseignent pour un salaire, et ses prophètes
prédisent pour de l'argent. En même temps ils font profession de piété et
proclament que le Seigneur est avec eux » (1)? N'avez-vous pas été bien
mis en garde contre ceux « qui parlent de paix à leurs voisins tout en
méditant des méfaits dans leur coeur », contre ceux « qui flattent des
lèvres alors que leur coeur joue double jeu »? Parmi tous les chagrins
d'un homme confiant, il n'y en a pas de plus terrible que d'être « blessé
dans la maison d'un ami sûr».
(1) Michée III-11.
7. -- RETOUR À BETHSAÏDE
Après avoir consulté Simon Pierre et reçu l'approbation de Jésus, André
avait chargé David à Bethsaïde d'envoyer des messagers aux divers groupes
de prédicateurs, avec instruction de terminer leur tournée et de revenir à
Bethsaïde dans la journée du jeudi 30 décembre. À l'heure du souper du
soir de ce jour pluvieux, tout le groupe apostolique et les éducateurs
évangélistes étaient arrivés chez Zébédée.
Le groupe passa ensemble le jour du sabbat et logea dans des foyers de
Bethsaïde et de Capharnaüm, la ville voisine. Ensuite le groupe entier fut
gratifié de quinze jours de vacances pour que ses membres puissent se
rendre dans leur famille, visiter leurs amis, ou aller à la pêche.
Les deux ou trois jours où le groupe resta réuni à Bethsaïde furent
vraiment tonifiants et inspirants; même les anciens éducateurs furent
édifiés en entendant les jeunes prédicateurs raconter leurs expériences.
Parmi les 117 évangélistes qui participèrent à cette seconde tournée de
prédication en Galilée, 75 seulement réussirent à passer l'épreuve de
l'expérience réelle et se trouvèrent disponibles pour recevoir une
affectation à l'expiration des deux semaines de congé. Jésus resta chez
Zébédée avec André, Pierre, Jacques, et Jean et passa beaucoup de temps en
conférence avec eux au sujet de la prospérité et de l'expansion du
royaume.
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