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LES PRODROMES DE LA CRISE DE CAPHARNAÜM
L'HISTOIRE de la guérison d'Amos, le démoniaque de Gergésa, s'était
déjà répandue à Bethsaïde et à Capharnaüm, de sorte qu'une grande
affluence attendait Jésus lorsque son bateau accosta ce mardi matin. Dans
cette foule se trouvaient les nouveaux observateurs envoyés à Capharnaüm
par le sanhédrin de Jérusalem pour trouver un motif d'arrêter et
d'inculper Jésus. Tandis que le Maître parlait avec les gens qui s'étaient
rassemblés pour l'accueillir, Jaïre (1), l'un des chefs de la synagogue,
se fraya un passage dans la foule, tomba à ses pieds, et lui demanda de
l'accompagner immédiatement en lui disant: « Maître, ma petite fille, une
enfant unique, est couchée chez moi à l'article de la mort. Je te supplie
de venir la guérir ». Après avoir entendu la requête de ce père, Jésus lui
dit: « Je vais t'accompagner ».
(1) Cf. Luc VIII-41 et les parallèles.
Tandis qu'il parlait avec Jaïre, la multitude, qui avait entendu la
supplique du père, les suivit pour voir ce qui allait se passer. Un
peu avant leur arrivée à la maison du chef, et alors qu'ils passaient
rapidement dans une rue étroite où la foule les bousculait, Jésus s'arrêta
soudain en s'écriant: « Quelqu'un m'a touché ». Les personnes proches de
lui ayant nié tout contact volontaire, Pierre dit: « Maître, tu peux voir
que cette foule te presse; elle risque de nous écraser, et cependant tu
dis que quelqu'un t'a touché. Qu'est-ce que cela signifie? » Jésus dit: «
J'ai demandé qui m'a touché, car j'ai perçu qu'une énergie vivante était
sortie de moi ». Il regarda autour de lui, et ses yeux
tombèrent sur une femme de Césarée-Philippe, nommée Véronique, qui
s'avança, s'agenouilla à ses pieds, et dit: « Durant des années j'ai été
affligée d'une hémorragie épuisante. De nombreux médecins m'ont fait
beaucoup souffrir; j'ai dépensé tout ce que je possédais, mais aucun n'a
pu me guérir. Puis j'ai entendu parler de toi et j'ai pensé que, si je
pouvais seulement toucher le bord de ton vêtement, je serais guérie. Alors
j'ai avancé avec la foule jusqu'à ce que j'aie pu approcher de toi,
Maître, et j'ai touché le bord de ton vêtement; cela m'a rendue bien
portante; je sais que j'ai été guérie de mon affliction » (2).
(2) Cf. Matthieu IX-20, Marc V-25, et Luc
VIII-43.
En entendant cela, Jésus prit la femme par la main, la relava, et lui
dit: « Ma fille, ta foi t'a guérie; va en paix ». C'était la
foi de Véronique, et non le contact, qui l'avait guérie. Ce
cas est un bon exemple des cures apparemment miraculeuses qui émaillèrent
la carrière terrestre de Jésus, mais qui, en aucun sens, ne résultèrent
d'un acte conscient de sa volonté. La suite des temps prouva que Véronique
était réellement guérie de sa maladie. Sa foi était d'une nature qui lui
permettait de saisir le pouvoir créateur résidant dans la personne du
Maître. Avec la foi quelle avait, il lui aurait suffit de s'approcher de
la personne du Maître. Il n'était nullement nécessaire quelle touchât son
vêtement; ce contact représentait simplement la partie superstitieuse de
sa croyance. Jésus avait voulu parler à Véronique pour corriger deux
erreurs susceptibles de demeurer dans sa pensée ou de subsister dans celle
des témoins de cette guérison. Il ne voulait pas que cette femme s'en
allât en pensant que l'on avait respecté sa peur lorsqu'elle avait essayé
de dérober sa guérison, ou que cette cure était due au fait d'avoir
superstitieusement touché son vêtement. Jésus désirait faire savoir à tout
le monde que c'était la foi pure et vivante de Véronique qui avait
opéré la cure.
1. -- DANS LA MAISON DE JAÏRE
Bien entendu, ce retard avait terriblement impatienté Jaïre, de sorte
que le groupe se remit en marche à une allure accélérée. Avant qu'il ne
fût entré dans la cour, l'un de ses serviteurs sortit en disant au chef: «
Ne dérange pas le Maître; ta fille est morte ». Mais Jésus ne parut pas
prêter attention aux paroles du serviteur; emmenant Pierre, Jacques, et
Jean, il se tourna vers le père désolé et lui dit: « N'aie aucune crainte,
crois seulement ». En entrant dans la maison, il vit que les joueurs de
flûte étaient déjà là avec les membres du service funéraire et faisaient
un tapage indécent; déjà la famille s'était mise à pleurer et à se
lamenter. Jésus fit sortir de la pièce tous les pleureurs et y entra avec
le père, la mère, et ses trois apôtres. Il avait dit aux pleureurs que la
jeune fille n'était pas morte, mais ils s'étaient moqués de lui. Jésus
s'adressa alors à la mère en lui disant: « Ta fille n'est pas morte; elle
dort seulement ». Quand l'agitation dans la maison fut calmée, Jésus
s'approcha de l'enfant étendue, la prit par la main, et lui dit: « Ma
fille, je te le dis, réveille-toi et lève-toi ». Et lorsque la jeune fille
entendit ces paroles, elle se leva immédiatement et traversa la chambre.
Bientôt après elle se remit de son étourdissement, et Jésus ordonna qu'on
lui donne à manger, car elle était restée longtemps sans prendre de
nourriture.
Il y avait beaucoup d'agitation à Capharnaüm contre Jésus. Il réunit
donc la famille et expliqua que la fillette était tombée dans le coma à la
suite d'une longue fièvre, qu'il s'était borné à la réveiller, et qu'il ne
l'avait pas ressuscitée d'entre les morts. Il expliqua la même chose à ses
apôtres, mais ce fut en vain. Ils crurent tous qu'il avait ressuscité la
fillette d'entre les morts. Tout ce que Jésus pouvait dire dans ces cas de
miracles apparents avait peu d'effet sur ses disciples. Ils espéraient des
miracles et ne manquaient aucune occasion d'attribuer un nouveau prodige à
l'action de Jésus. Le Maître et les apôtres retournèrent à Bethsaïde après
que Jésus leur eût spécifiquement recommandé de ne raconter cet épisode à
personne.
Lorsqu'il sortit de la maison de Jaïre, deux aveugles conduits par un
garçon muet le suivirent en réclamant à grands cris d'être guéris. À ce
moment, la renommée de Jésus en tant que guérisseur était à son apogée.
Partout où il allait, des malades et des affligés l'attendaient. Le Maître
paraissait maintenant très fatigué, et tous ses amis se faisaient du
souci, de crainte qu'en continuant à enseigner et à guérir il n'aille, au
bout de ses forces et ne s'effondre.
Les apôtres de Jésus, sans parler des gens du peuple, ne pouvaient
comprendre la nature et les attributs de ce Dieu-homme. Nulle génération
ultérieure n'a d'ailleurs été capable d'évaluer ce qui se passa sur terre
dans la personne de Jésus de Nazareth. Jamais la science ni la religion
n'auront l'occasion de contrôler ces événements remarquables, pour la
simple raison que cette situation extraordinaire ne pourra plus jamais se
reproduire sur cette planète ni sur aucune autre de Nébadon. Jamais plus,
sur aucun monde de cet univers, un être n'apparaîtra dans la similitude
d'une chair mortelle, en incorporant en même temps tous les attributs de
l'énergie créatrice conjugués avec les dons spirituels qui transcendent le
temps et la plupart des autres limitations matérielles.
Jamais avant que Jésus n'ait séjourné sur terre, et jamais depuis lors,
il n'a été possible d'obtenir d'une manière aussi directe et pittoresque
les résultats accompagnant la foi solide et vivante des mortels des deux
sexes. Pour répéter ces phénomènes, il faudrait retourner en présence
immédiate de Micaël, le Créateur, et le trouver tel qu'il était à cette
époque -- le Fils de l'Homme. Aujourd'hui, alors que son absence empêche
ces manifestations matérielles, il faut s'abstenir de limiter en quoi que
ce soit la démonstration possible de son pouvoir spirituel. Bien que le
Maître soit absent en tant qu'être matériel, il est présent dans le coeur
des hommes en tant qu'influence spirituelle. En quittant ce monde, Jésus a
permis à son esprit de vivre aux côtés de celui de son Père, qui habite
les penseurs de toute l'humanité.
2. -- LE RAVITAILLEMENT DES CINQ MILLE
Jésus continua à enseigner le peuple durant la journée et à instruire
les apôtres et les évangélistes dans la soirée. Le vendredi, il ordonna
une semaine de vacances pour permettre à tous ses disciples d'aller passer
quelques jours chez eux ou chez leurs amis avant d'aller à Jérusalem pour
la Pâque. Mais plus de la moitié, de ses disciples refusèrent de le
quitter, et la foule s'accrut chaque jour au point que David Zébédée
voulut établir un nouveau campement, mais Jésus refusa d'y consentir. Le
Maître avait eu si peu de repos durant le sabbat que, le dimanche matin 27
mars, il chercha à s'éloigner de la foule. Quelques évangélistes furent
laissés en arrière pour parler à la multitude, tandis que Jésus et les
douze projetaient de s'échapper incognito et d'aller sur la rive opposée
du lac, où ils trouveraient, dans un magnifique parc au sud de
Bethsaïde-Juliade, le répit dont ils avaient tant besoin. La région était
un lieu de promenade favori pour les habitants de Capharnaüm, qui
connaissaient bien ces parcs de la rive orientale.
Mais la foule ne l'entendit pas ainsi. Les intéressés virent la
direction que prenait le bateau de Jésus, louèrent toutes les barques
disponibles, et se lancèrent à sa poursuite. Ceux qui ne purent trouver de
bateau partirent à pied en contournant l'extrémité nord du lac.
Tard dans l'après-midi, plus de mille personnes avaient repéré le
Maître dans l'un des parcs. Il leur parla brièvement, et Pierre le relaya.
Beaucoup de ces gens avaient apporté de la nourriture. Ils prirent leur
repas du soir, puis s'assemblèrent par petits groupes tandis que les
apôtres et les disciples de Jésus les enseignaient.
Le lundi après-midi, la multitude s'était accrue. Elle comptait
maintenant trois mille personnes et -- tard dans la soirée -- il
continuait d'en arriver qui amenaient avec elles toutes sortes de malades.
Des centaines de zélateurs avaient établi leurs plans pour s'arrêter à
Capharnaüm afin de voir et d'entendre Jésus en cours de route en se
rendant à la Pâque. Et ils ne voulaient à aucun prix y renoncer. Le
mercredi à midi, plus de cinq mille hommes, femmes et enfants s'étaient
rassemblés dans ce parc au sud de Bethsaïde-Juliade. Le temps était
agréable, et la fin de la saison des pluies approchait dans cette région.
Philippe s'était procuré des provisions pour nourrir Jésus et les douze
pendant trois jours; il en avait confié la garde au jeune Jean Mare, leur
factotum. Cet après-midi était la troisième journée de présence pour la
moitié de la foule, et les provisions de bouche que les gens avaient
apportées étaient presque épuisées. David Zébédée n'avait pas ici de ville
de toile pour loger et nourrir les foules. Philippe n'avait pas non plus
fait de provisions pour une si grande multitude. Mais bien que les gens
eussent faim, ils ne voulaient pas s'en aller. On chuchota que Jésus,
désireux d'éviter les difficultés à la fois avec Hérode et avec les
dirigeants de Jérusalem, avait choisi ce lieu situé hors de la juridiction
de ses ennemis comme endroit favorable pour être couronné roi.
L'enthousiasme de la foule croissait d'heure en heure. On ne disait rien a
Jésus, mais bien entendu il savait tout ce qui se passait. Même les douze
apôtres, et spécialement les jeunes évangélistes, avaient les idées
faussées par ces notions de royauté. Les apôtres qui favorisaient cette
tentative pour proclamer Jésus roi étaient Pierre, Jean, Simon Zélotès, et
Judas Iscariot. Ceux qui s'opposaient au plan étaient André, Jacques
Zébédée, Nathanael, Thomas, Matthieu, et Philippe. Quant aux jumeaux
Alphée, ils étaient neutres. Le meneur du complot pour couronner Jésus
était Joab, l'un des plus jeunes évangélistes.
Telle était la situation le mercredi après-midi à cinq heures, lorsque
Jésus demanda à Jacques Alphée de convoquer André et Philippe. Jésus leur
dit: « Qu'allons-nous faire de la multitude? Ces gens sont avec nous
depuis trois jours, et beaucoup d'entre eux ont faim. Ils n'ont pas de
vivres ». Philippe et André échangèrent un coup d'oeil, puis Philippe
répondit: « Maître, tu devrais les renvoyer pour qu'ils aillent dans les
villages des environs s'acheter de la nourriture ». André craignait que le
complot pour instituer un roi ne prenne corps; il appuya donc rapidement
Philippe en disant: « Oui Maître, je crois qu'il vaut mieux renvoyer la
foule afin quelle aille son chemin et achète des vivres pendant que tu
prendras un temps de repos ». À cet instant, d'autres apôtres parmi les
douze s'étaient joints à l'entretien. Jésus dit alors: « Mais je ne désire
pas les renvoyer affamés; ne pouvez-vous les nourrir? » C'en fut trop pour
Philippe qui s'écria: « Maître, ce lieu en pleine campagne est-il un
endroit où nous pouvons acheter du pain pour cette foule? Avec deux cents
deniers nous n'en aurions pas assez pour un repas ».
Avant que les autres apôtres n'aient eu la possibilité de s'exprimer,
Jésus se tourna vers André et Philippe en disant: « Je ne veux pas
renvoyer ces gens. Ils sont là telles des brebis sans berger, et je
voudrais les nourrir. De quoi disposons-nous comme nourriture? » Tandis
que Philippe s'entretenait avec Matthieu et Judas, André chercha le jeune
Marc pour vérifier ce qui restait de leurs provisions. Il revint vers
Jésus en disant: « Il ne reste au garçon que cinq pains d'orge et deux
poissons séchés » -- et Pierre ajouta promptement: « Et il faut encore que
nous mangions ce soir ».
Pendant un moment Jésus resta silencieux. Il y avait dans ses yeux un
regard lointain. Les apôtres ne disaient rien. Jésus se tourna soudain
vers André et dit « Apporte moi les miches et les poissons. Lorsqu'André
lui eut apporté le panier, le Maître dit: « Ordonne aux gens de s'asseoir
sur l'herbe par compagnies de cent, et de désigner un chef par groupe
pendant que tu amènes tous les évangélistes ici auprès de nous ».
Jésus prit les pains dans ses mains et rendit grâces. Après quoi il
rompit le pain et en donna à ses apôtres, qui le passèrent aux
évangélistes, lesquels à leur tour le portèrent à la multitude. Jésus
rompit et distribua les poissons de la même manière. La multitude mangea
et fut rassasiée, et lorsqu'elle eut fini de manger, Jésus dit aux
disciples: « Ramassez ce qui reste afin que rien ne se perde ». Quand ils
eurent achevé de rassembler les morceaux, ils en avaient rempli douze
paniers (1). Environ cinq mille hommes, femmes, et enfants participèrent à
ce repas extraordinaire.
(1) Cf. Matthieu XIV-15 à 21, Marc VI-35 à
44, Luc IX-12 à 17, et Jean VI-5 à 13.
Ce fut le premier et unique miracle de la nature que Jésus accomplit
après l'avoir sciemment projeté. Il est vrai que ses disciples avaient
tendance à qualifier de miracles des phénomènes qui n'en étaient pas, mais
en l'espèce il s'agissait bien d'un authentique ministère surnaturel.
D'après ce qui nous a été dit, Micaël multiplia les éléments nutritifs
comme il le fait toujours, sauf qu'en l'espèce il élimina le facteur temps
et le processus vital physiquement observable.
3. -- LA TENTATIVE DE COURONNEMENT
La nourriture des cinq mille au moyen de l'énergie surnaturelle fut un
autre de ces cas où l'événement représentait la pitié humaine alliée au
pouvoir créateur. Maintenant que la foule avait été rassasiée, et du fait
que la renommée de Jésus avait été accrue séance tenante par ce prodigieux
miracle, le projet de s'emparer du Maître et de le proclamer roi n'avait
plus besoin des directives de personne. L'idée parut se répandre comme une
contagion. Lorsque la foule vit ses besoins physiques assurés d'une
manière soudaine et spectaculaire, sa réaction fut profonde et
irrésistible. Depuis longtemps on avait enseigné aux Juifs qu'à son
avènement le Messie, le fils de David, ferait à nouveau couler le lait et
le miel dans le pays, et que le pain de vie leur serait offert, comme la
manne du ciel était jadis censément tombée sur leurs ancêtres dans le
désert. Cette expectative ne venait-elle pas de se réaliser sous leurs
yeux? Quand cette foule affamée et manquant d'aliments eut fini de se
gorger le la nourriture miraculeuse, sa réaction fut unanime: «Voilà notre
roi ». Le libérateur d'Israël, auteur de prodiges, était venu. Aux yeux de
ces âmes simples, le pouvoir de nourrir entraînait le droit de régner. Il
n'y a donc rien d'étonnant à ce que la multitude rassasiée se soit levée
comme un seul homme et ait crié: « Faites-le roi! »
Cette puissante clameur enthousiasma Pierre et ceux des apôtres qui
conservaient encore l'espérance de voir Jésus affirmer son droit de
régner. Leurs faux espoirs n'allaient pas subsister longtemps. À peine
l'écho de la puissante clameur de la multitude avait-il fini de se
répercuter sur les rochers voisins, que Jésus monta sur une énorme pierre,
leva la main pour attirer l'attention, et dit: « Mes enfants, vos
intentions sont bonnes, mais vous avez la vue courte et votre pensée est
matérielle ». Il y eut une brève interruption; le vaillant Galiléen se
tenait là, majestueusement cambré dans la lumière enchanteresse de ce
crépuscule oriental. Jusqu'au bout des ongles il avait une allure de roi,
tandis qu'il continuait à parler à la foule qui retenait son souffle: «
Vous voudriez m'établir roi, non parce que vos âmes où été éclairées par
une grande vérité, mais parce que vos estomacs ont été remplis de pain.
Combien de fois vous ai-je dit que mon royaume n'est pas de ce monde? Le
royaume des cieux que nous proclamons est une confraternité spirituelle,
et nul ne siège sur un trône matériel pour y régner. Mon Père céleste est
le Souverain infiniment sage et tout-puissant de cette confraternité
spirituelle des fils de Dieu sur terre. Ai-je échoué dans ma révélation du
Père des esprits au point que vous vouliez faire un roi de son Fils
incarné? Partez maintenant et rentrez chez vous. S'il vous faut un roi,
que le Père des lumières siège sur un trône dans le coeur de chacun de
vous en tant que Souverain spirituel de toutes choses ».
Ces paroles de Jésus renvoyèrent la foule abasourdie et découragée.
Beaucoup de ceux qui avaient cru en lui firent volte-face et cessèrent
dorénavant de le suivre. Les apôtres se tenaient cois, réunis
silencieusement autour des douze paniers remplis des restes de nourriture;
seul le jeune Mare, leur garçon à toutes mains, ouvrit la bouche pour
dire: « Et il a refusé d'être notre roi ». Avant de partir seul dans la
montagne, Jésus se tourna vers André et dit: « Remmène tes frères à la
maison de Zébédée et prie avec eux, spécialement pour ton frère Simon
Pierre ».
4. -- LA VISION NOCTURNE DE SIMON PIERRE
Les apôtres sans leur Maître -- livrés à eux-mêmes -- montèrent dans
leur bateau et commencèrent à ramer silencieusement vers Bethsaïde, sur la
rive occidentale du lac. Aucun des douze n'était aussi écrasé et abattu
que Simon Pierre. Ils prononcèrent à peine quelques paroles; ils pensaient
tous au Maître dans la montagne. Les avait-il abandonnés? Jamais
auparavant il ne les avait tous renvoyés en refusant de les accompagner.
Que pouvait signifier tout cela?
L'obscurité les enveloppa bientôt, car un fort vent contraire s'était
levé et il leur était presque impossible d'avancer. Tandis que les heures
de nuit s'écoulaient à ramer péniblement, Pierre épuisé tomba dans un
profond sommeil. André et Jacques l'étendirent sur le siège capitonné à
l'arrière du bateau. Pendant que les autres apôtres peinaient contre le
vent et les vagues, Pierre eut un rêve, une vision de Jésus s'approchant
d'eux en marchant sur la mer. Quand le Maître parut passer près du bateau,
Pierre cria: « Sauve-nous, Maître, sauve-nous ». Et ceux qui se trouvaient
à l'arrière du bateau entendirent ces paroles. Tandis que cette apparition
nocturne continuait dans la pensée de Pierre, il rêva que Jésus disait: «
Ayez bon courage; c'est moi; ne craignez point ». Cela fit l'effet d'un
baume de Galaad sur l'âme agitée de Pierre: cela calma son esprit troublé,
de sorte que (dans son rêve) il cria au Maître: « Seigneur, si c'est bien
toi, ordonne-moi de venir et de marcher avec toi sur les eaux ». Et quand
Pierre se mit (dans son rêve) à marcher sur l'eau, les vagues tumultueuses
l'effrayèrent et il allait sombrer lorsqu'il cria: « Seigneur, sauve-moi!
» La plupart des douze l'entendirent pousser ce cri. Pierre rêva ensuite
que Jésus venait à son secours, le prenait par la main, et le soulevait en
disant: « O homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? (1)»
(1) Cf. Matthieu XIV-31.
En liaison avec la dernière partie de son rêve, Pierre se leva
véritablement du banc où il dormait, passa par dessus bord, et se mit
réellement à l'eau. Il se réveilla de son rêve tandis qu'André, Jacques,
et Jean se penchaient sur le bastingage et le retiraient de la mer.
Pierre considéra toujours cet épisode comme réel. Il crut sincèrement
que Jésus était venu vers eux cette nuit-là. Il ne réussit que
partiellement à convaincre Jean Marc, ce qui explique pourquoi celui-ci
élimina de son évangile une partie de l'histoire. Quant à Luc, le médecin,
il fit des recherches approfondies sur le sujet et conclut que l'épisode
était une simple vision de Pierre; en conséquence, il refusa d'incorporer
cette histoire dans son évangile.
5. -- DE RETOUR À BETHSAÏDE
Le mardi avant le lever du jour, ils ancrèrent leur bateau près de la
maison de Zébédée, puis dormirent jusqu'à midi. André fut le premier à se
lever. Il se promena sur le rivage et trouva Jésus, en compagnie de Jean
Marc, leur factotum, assis sur une pierre au bord de l'eau. Beaucoup de
zélateurs et de jeunes évangélistes avaient passé toute la nuit et une
grande partie du lendemain à chercher Jésus dans les montagnes de la rive
orientale. Mais Jésus, accompagné du jeune Marc, était parti à pied peu
après minuit pour contourner le lac, traverser le fleuve, et revenir à
Bethsaïde.
Parmi les cinq mille qui avaient été miraculeusement nourris et qui,
l'estomac plein et le coeur vide, voulaient faire de Jésus un roi, cinq
cents seulement persistèrent à le suivre. Avant que ces derniers n'eussent
été informés de son retour à Bethsaïde, Jésus pria André de réunir les
douze apôtres et leurs compagnons, y compris les femmes, en lui disant: «
Je voudrais leur parler ». Et quand ils furent tous prêts, Jésus dit:
« Combien de temps vous supporterai-je? Vous est-il difficile de
comprendre par l'esprit et manquez-vous de foi vivante? Durant tous ces
mois je vous ai enseigné les vérités du royaume, et malgré cela vous
restez dominés par des mobiles matériels au lieu de l'être par des
considérations spirituelles. N'avez-vous même pas lu dans les Écritures le
passage où Moïse exhorte les enfants incroyants d'Israël en leur disant: «
Ne craignez pas, restez tranquilles, et contemplez le salut du Seigneur »?
Le psalmiste a dit: « Mettez votre foi dans le Seigneur ». « Soyez
patients, attendez le Seigneur, et ayez bon courage. Il fortifiera votre
coeur ». « Remettez votre fardeau au Seigneur, et il vous soutiendra. Ayez
toujours confiance en lui et déversez-lui votre coeur, car Dieu est votre
refuge ». « Celui qui habite dans le lieu secret du Très-Haut demeurera à
l'ombre du Tout-Puissant ». « Mieux vaut avoir foi dans le Seigneur que de
donner sa confiance à des princes humains ».
« Avez-vous compris maintenant que l'accomplissement de miracles et de
prodiges matériels ne gagnera pas d'âmes au royaume spirituel? Nous avons
nourri une foule de gens, mais après cela ils n'ont eu ni faim du pain de
vie ni soif de l'eau de la droiture spirituelle. Quand leur appétit a été
calmé, ils n'ont pas cherché à entrer dans le royaume des cieux, mais
plutôt à proclamer la royauté du Fils de l'Homme à la manière des rois de
ce monde, uniquement pour pouvoir continuer à manger du pain sans avoir à
travailler pour le gagner. Vous avez tous plus ou moins participé à cela,
qui ne contribue en rien à révéler le Père céleste ni à faire progresser
son royaume sur terre. N'avons-nous donc pas assez d'ennemis parmi les
chefs religieux du pays sans faire ce qui nous aliénera également les
chefs civils? Je prie le Père d'oindre vos yeux pour que vous puissiez
voir, et d'ouvrir vos oreilles pour que vous puissiez entendre, afin que
vous ayez pleinement foi dans l'évangile que je vous ai enseigné.
Jésus annonça ensuite qu'il voulait se retirer pendant quelques jours
avec ses apôtres avant de se rendre à Jérusalem pour la Pâque, et il
défendit à tous ses disciples et à la foule de le suivre. Jésus et les
douze se rendirent donc par bateau dans la région de Génézareth pour deux
ou trois jours de repos et de sommeil. Jésus se préparait à une grande
crise de sa vie terrestre et passait donc beaucoup de temps en communion
avec son Père céleste.
La nouvelle du ravitaillement des cinq mille et de la tentative pour
faire de Jésus un roi excita une vaste curiosité et aiguillonna les
craintes des chefs civils et religieux dans toute la Galilée et la Judée.
Ce grand miracle ne fit aucunement progresser l'évangile du royaume dans
l'âme des croyants peu enthousiastes et orientés matériellement, mais il
provoqua une crise dans la famille des apôtres et des proches disciples de
Jésus, qui avaient tendance à rechercher des miracles et à désirer
ardemment un roi. Cet épisode spectaculaire mit fin à la première période
d'enseignement, d'éducation, et de guérison; il inaugura la dernière année
consacrée à proclamer les phases supérieures et plus spirituelles du
nouvel évangile du royaume -- la filiation divine, la liberté spirituelle,
et le salut éternel.
6. -- À GÉNÉZARETH
Pendant qu'il se reposait chez un riche croyant de la région de
Génézareth, Jésus tint chaque après-midi des réunions privées avec les
douze apôtres. Ces ambassadeurs du royaume formaient un groupe sérieux,
calme, et assagi d'hommes désillusionnés. Même après tout ce qui était
arrivé, les événements ultérieurs révélèrent que ces douze hommes
n'étaient pas encore complètement délivrés de leurs notions ancrées et
longtemps chéries sur la venue du Messie juif. Les événements des quelques
semaines précédentes s'étaient déroulés trop rapidement pour que ces
pêcheurs étonnés aient pu en saisir pleinement la signification. Il faut
du temps aux hommes et aux femmes pour effectuer des changements
importants et radicaux dans leurs conceptions fondamentales sur la
conduite sociale, sur le comportement philosophique, et sur les
convictions religieuses.
Tandis que Jésus et les douze se reposaient à Génézareth, la nombreuses
assistance se dispersa, les uns rentrant chez eux, les autres se rendant à
Jérusalem pour la Pâque. En moins d'un mois, les disciples enthousiastes
de Jésus, qui le suivaient ouvertement au nombre de plus de cinquante
mille dans la seule Galilée, se réduisirent à moins de cinq cents. Jésus
désirait faire subir à ses apôtres l'expérience de l'inconstance des
acclamations populaires, afin qu'ils ne soient pas tentés de s'appuyer sur
de telles manifestations temporaires d'hystérie religieuse après qu'il les
aurait laissés oeuvrer seuls pour le royaume; mais il ne réussit que
partiellement dans son effort.
Le second soir de leur séjour à Génézareth, le Maître répéta aux
apôtres la parabole du semeur et leur adressa l'allocution suivante: «
Vous voyez, mes enfants, que l'appel aux sentiments humains est
transitoire et totalement décevant; de même, l'appel exclusif à
l'intellect est vide de sens et stérile; c'est seulement en adressant
votre appel à l'esprit qui vit dans la pensée humaine que vous pouvez
espérer obtenir un succès durable. Vous accomplirez alors les
merveilleuses transformations de caractère qui se traduiront bientôt par
une abondante récolte des véritables fruits de l'esprit dans la vie
quotidienne de ceux qui sont ainsi délivrés des ténèbres du doute en
naissant d'esprit dans la lumière de la foi -- dans le royaume des cieux
».
Jésus enseigna l'appel aux émotions en tant que technique pour arrêter
et focaliser l'attention intellectuelle. Il qualifia la pensée,
ainsi éveillée et vivifiée, de porte d'entrée vers l'âme où réside la
nature spirituelle de l'homme; c'est cette nature qui doit reconnaître la
vérité et répondre à l'appel spirituel de l'évangile, pour procurer les
résultats permanents des vraies transformations de caractère.
Jésus s'efforça ainsi de préparer les apôtres au choc imminent -- la
crise du comportement public envers lui, qui allait éclater quelques jours
plus tard. Il expliqua aux douze que les chefs religieux de Jérusalem
conspireraient avec Hérode Antipas pour les anéantir. Les douze
commencèrent à comprendre plus pleinement (mais non définitivement) que
Jésus ne siégerait pas sur le trône de David. Ils saisirent plus
complètement que les prodiges matériels ne feraient pas progresser la
vérité spirituelle. Ils commencèrent à réaliser que la nourriture
miraculeuse des cinq mille et le mouvement populaire pour faire de Jésus
un roi marquaient l'apogée des espérances du peuple recherchant des
miracles et attendant des prodiges, ainsi que le point culminant des
acclamations de Jésus par la populace. Ils discernèrent vaguement et
prévirent obscurément l'approche du passage au crible spirituel et de la
cruelle adversité. L'intelligence de ces douze hommes s'éveillait
lentement à la compréhension de la nature réelle de leur tâche
d'ambassadeurs du royaume, et ils commencèrent à se cuirasser pour les
rudes et sévères épreuves de la dernière année du ministère du Maître sur
terre.
Avant leur départ de Génézareth, Jésus s'expliqua au sujet de la
nourriture miraculeuse des cinq mille. Il raconta exactement aux douze
pourquoi il s'était engagé dans cette manifestation extraordinaire de
pouvoir créateur. Il leur assura qu'il n'avait pas cédé à un mouvement de
compassion envers la foule avant d'avoir vérifié que son sentiment était «
conforme à la volonté du Père ».
7. -- À JÉRUSALEM
Le samedi 3 avril de l'an 29, Jésus, accompagné seulement des douze
apôtres, partit de Bethsaïde pour Jérusalem. Afin d'éviter les foules et
d'attirer un minimum d'attention, ils passèrent par Gérasa et
Philadelphie. Jésus défendit aux apôtres d'enseigner publiquement durant
ce voyage; il ne leur permit pas non plus d'enseigner ni de prêcher
pendant leur séjour à Jérusalem. Ils arrivèrent à Béthanie près de
Jérusalem tard dans la soirée du mercredi 6 avril. Ils s'arrêtèrent pour
une nuit seulement chez Lazare, Marthe, et Marie, mais dès le lendemain
ils se séparèrent. Jésus resta avec Jean chez un croyant nommé Simon,
voisin de Lazare à Béthanie. Judas Iscariot et Simon Zélotès s'arrêtèrent
chez des amis à Jérusalem, tandis que les autres apôtres séjournaient deux
par deux dans différents foyers.
Durant cette Pâque, Jésus ne pénétra qu'une seule fois dans Jérusalem,
lors du grand jour de la fête. Beaucoup de croyants sortirent de la ville
sous la conduite d'Abner pour rencontrer Jésus à Béthanie. Durant ce
séjour à Jérusalem, les douze apprirent combien les sentiments d'amertume
croissaient contre leur Maître. Ils quittèrent la ville convaincus qu'une
crise était imminente.
Le dimanche 24 avril, Jésus et les apôtres partirent de Jérusalem pour
Bethsaïde en passant par les villes côtières de Joppé, Césarée, et
Ptolémaïs. De là ils allèrent par Rama et Chorazin à Bethsaïde, où ils
arrivèrent le vendredi 29 avril. Aussitôt rentré chez lui, Jésus envoya
André demander au chef de la synagogue l'autorisation de prendre la parole
le lendemain, jour de sabbat, à l'office de l'après-midi. Jésus savait
bien que c'était la dernière fois qu'on lui permettrait de parler dans la
synagogue de Capharnaüm.
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