DERNIERS JOURS À CAPHARNAÜM
LORS de cette mémorable soirée du 30 avril de l'an 29, tandis que Jésus
adressait des paroles de réconfort et de courage à ses disciples abattus
et perplexes Hérode Antipas tenait conseil à Tibériade avec un groupe de
commissaires spéciaux représentant le sanhédrin de Jérusalem. Ces scribes
et pharisiens pressèrent Hérode d'arrêter Jésus; ils firent de leur mieux
pour convaincre le tétrarque que Jésus poussait le peuple à la dissension
et même à la révolte. Mais Hérode refusa de l'inculper comme criminel
politique. Ses agents lui avaient fait un rapport correct sur l'épisode
intervenu de l'autre côté du lac où la foule avait voulu proclamer Jésus
roi, et sur la manière dont il avait rejeté la proposition.
Un membre de la famille d'Hérode, Chuza, dont la femme appartenait au
groupe apostolique féminin, l'avait informée Jésus ne se proposait pas de
se mêler des affaires de la souveraineté terrestre et, qu'il s'occupait
uniquement d'établir la confraternité spirituelle de ses fidèles,
confraternité qu'il appelait le royaume des cieux. Hérode avait confiance
dans les rapports de Chuza, si bien qu'il refusa de s'immiscer dans les
activités de Jésus. À cette époque, le comportement d'Hérode envers Jésus
était également influencé par sa crainte superstitieuse de Jean le
Baptiste. Hérode était l'un des Juifs apostats qui, tout en ne croyant à
rien, craignaient tout. Il avait mauvaise conscience pour avoir exécuté
Jean et ne voulait pas se laisser impliquer dans des intrigues contre
Jésus. Il connaissait de nombreux cas de maladies apparemment guéries par
Jésus, et il le considérait comme un prophète ou comme un fanatique
religieux relativement inoffensif.
Quand les Juifs le menacèrent de rendre compte à César qu'il protégeait
un sujet traître, Hérode les expulsa de la chambre du conseil. Les choses
en restèrent là pendant une semaine, durant laquelle Jésus prépara ses
disciples à la dispersion imminente.
1. -- UNE SEMAINE DE CONSEILS
Du 1ier au 7 mai, Jésus tint des conseils privés avec ses partisans
dans la maison de Zébédée. Seuls les disciples éprouvés et dignes de
confiance furent admis à ces conférences. À l'époque, il n'y avait qu'une
centaine de disciples ayant le courage moral de braver l'opposition des
pharisiens et de déclarer ouvertement leur fidélité à Jésus. Il eut des
réunions avec eux le matin, l'après-midi, et le soir. De petits groupes
d'investigateurs se rassemblaient tous les après-midi au bord du lac, où
certains évangélistes ou apôtres les haranguaient. Ces groupes comptaient
rarement plus de cinquante personnes.
Le vendredi de cette semaine, les dirigeants de la synagogue de
Capharnaüm prirent la décision officielle de fermer la maison de Dieu à
Jésus et à tous ses disciples. Cette décision fut prise à l'instigation
des pharisiens de Jérusalem. Jaïre donna sa démission de chef et prit
ouvertement parti pour Jésus.
La dernière réunion au bord du lac eut lieu l'après-midi du sabbat du 7
mai. Jésus s'adressa à cent cinquante personnes rassemblées à ce
moment-là. La soirée de ce samedi marqua le point le plus bas de la grande
vague de popularité pour Jésus et ses enseignements. Ensuite les
sentiments favorables à son égard s'accrurent d'une manière lente et
continue, mais plus saine et digne de confiance. Il se développa un
nouveau parti mieux fonds sur la foi spirituelle et la véritable
expérience religieuse. Le stade de transition, plus ou moins composite et
basé sur des compromis, entre les concepts matérialistes du royaume
entretenus par les disciples du Maître et les conceptions plus idéalistes
et spirituelles qu'il enseignait avait définitivement pris fin. Désormais
l'évangile du royaume fut proclamé plus ouvertement dans son aspect le
plus large et avec ses vastes implications spirituelles.
2. -- UNE SEMAINE DE REPOS
À Jérusalem, le dimanche 8 mai de l'an 29, le sanhédrin adopta un
décret fermant toutes les synagogues de Palestine à Jésus et à ses
disciples. Ce fut une usurpation d'autorité nouvelle et sans précédent par
le sanhédrin de Jérusalem. Jusque-là, chaque synagogue avait existé et
fonctionné comme une congrégation d'adorateurs indépendante, et chacune
était commandée et dirigée par son propre comité de gouverneurs. Seules
les synagogues de Jérusalem étaient soumises à l'autorité du sanhédrin.
Cinq membres du sanhédrin démissionnèrent a la suite de cette résolution.
Cent messagers furent immédiatement envoyés pour transmettre et imposer le
décret. En moins de quinze jours, toutes les synagogues de Palestine
s'étaient inclinées devant cette proclamation, sauf celle d'Hébron. Les
dirigeants de cette dernière refusèrent de reconnaître au sanhédrin le
droit d'exercer cette juridiction sur leur assemblée. Ce refus d'accepter
le décret de Jérusalem était basé sur l'affirmation de leur autonomie
paroissiale plutôt que sur leur sympathie pour la cause de Jésus. Peu
après, la synagogue d'Hébron fut détruite par un incendie.
Le même dimanche matin, Jésus décréta une semaine de vacances; il
incita tous ses disciples à retourner chez eux ou chez leurs amis pour
reposer leur âme troublée et adresser des paroles d'encouragement à leurs
êtres chers. Il dit: « Allez chacun de votre côté vous distraire ou
pêcher, tout en priant pour l'expansion du royaume ». Cette semaine de
repos permit à Jésus de rendre visite à de nombreux groupes et familles
aux environs des bords du lac. En plusieurs occasions, il alla également
pêcher avec David Zébédée. Cependant il se promena seul la plupart du
temps, mais deux ou trois des plus sûrs messagers de David avaient reçu
des ordres précis pour veiller à sa sécurité et le suivaient toujours en
se dissimulant. Il n'y eut aucune sorte d'enseignement public durant cette
semaine de repos.
Au cours de la même semaine, Nathanael et Jacques Zébédée furent assez
sérieusement malades. Durant trois jours et trois nuits ils souffrirent de
troubles intestinaux graves et douloureux. La troisième nuit, Jésus envoya
Salomé, mère de Jacques, se reposer pendant qu'il soignait ses apôtres
souffrants. Bien entendu, Jésus aurait pu guérir instantanément les deux
hommes mais ce n'est ni la méthode du Père ni celle du Fils pour traiter
ces troubles et afflictions ordinaires des enfants des hommes sur les
mondes évolutionnaires du temps et de l'espace. Pas une seule fois durant
sa vie mouvementée en incarnation, Jésus n'appliqua de soins surnaturels
quelconques à aucun membre de sa famille ni à aucun de ses disciples
immédiats.
Il faut faire face aux difficultés de l'univers et aux obstacles
rencontrés sur la planète, en les considérant comme une partie de
l'éducation expérimentale fournie pour la croissance et le développement
(la perfection progressive) des âmes évoluantes. La spiritualisation de
l'âme humaine exige la solution éducative d'une vaste étendue de problèmes
réellement universels. La nature animale et les formes inférieures de
créatures volitives ne progressent pas bien dans une ambiance trop facile.
Les situations problématiques, doublées de stimulants exigeant des
efforts, font naître les activités mentales, psychiques, et spirituelles
qui contribuent puissamment à faire atteindre les buts valables de la
progression humaine et les niveaux supérieurs de la destinée spirituelle.
3. -- LA SECONDE CONFÉRENCE À TIBÉRIADE
La seconde conférence entre les autorités de Jérusalem et Hérode
Antipas fut convoquée à Tibériade le 16 mai. Les chefs religieux et les
chefs politiques de Jérusalem y étaient présents: Les dirigeants juifs
purent rendre compte à Hérode que pratiquement toutes les synagogues de
Galilée et de Judée étaient fermées aux enseignements de Jésus. Ils
entreprirent un nouvel effort pour obtenir l'arrestation de Jésus, mais
Hérode refusa d'accéder à leur demande. Toutefois, le 18 mai, Hérode
accepta le plan consistant à permettre aux autorités du sanhédrin
d'arrêter Jésus et de l'emmener à Jérusalem pour le faire juger sur
des inculpations religieuses, pourvu que le gouverneur romain de la Judée
participe à cet arrangement. Entre-temps, les ennemis de Jésus répandaient
activement dans toute la Galilée la rumeur qu'Hérode était devenu hostile
à Jésus et avait l'intention d'exterminer tous ceux qui croyaient à ses
enseignements.
Le samedi soir 21 mai parvint à Tibériade la nouvelle que les autorités
civiles de Jérusalem n'avaient pas d'objections contre l'accord conclu
entre Hérode et les pharisiens, accord stipulant que Jésus serait arrêté
et emmené à Jérusalem pour être jugé devant le sanhédrin sous
l'inculpation d'avoir nargué les lois sacrées de la nation juive. En
conséquence, un peu avant minuit du même jour, Hérode signa le décret
autorisant les officiers du sanhédrin à s'emparer de Jésus à l'intérieur
du domaine de la juridiction d'Hérode, et à l'emmener de force à Jérusalem
pour y être jugé. De fortes pressions de diverses sources furent exercées
sur Hérode avant qu'il ne consentit à accorder cette permission; il savait
bien que Jésus ne pouvait espérer que ses ennemis acharnés de Jérusalem le
jugeraient équitablement.
4. -- LE SAMEDI SOIR À CAPHARNAÜM
Le même samedi soir, un groupe de cinquante citoyens de Capharnaüm se
réunit a la synagogue pour examiner l'importante question: «
Qu'allons-nous faire de Jésus? » Ils s'entretinrent et discutèrent jusqu'à
minuit sans pouvoir trouver de terrain d'entente. À part quelques
personnes ayant tendance à croire que Jésus pouvait être le Messie, ou au
moins un saint homme, ou peut-être un prophète, l'assemblée était divisée
en quatre groupes à peu près égaux, qui soutenaient respectivement les
points de vue suivants:
1. Que Jésus était un fanatique religieux abusé et inoffensif. |
2. Qu'il était un agitateur dangereux et un organisateur
susceptible de soulever une rébellion. |
3. Qu'il était allié aux démons, et qu'il pouvait même être un
prince des démons. |
4. Qu'il n'était pas dans son bon sens, qu'il était un fou, un
déséquilibré mental. |
Jésus prêchait-il des doctrines bouleversantes pour les gens du peuple?
On en discuta beaucoup. Ses ennemis soutinrent que ses enseignements
étaient impraticables, que tout irait à vau-l'eau si tout le monde faisait
un effort honnête pour vivre conformément aux idées de Jésus. Bien des
personnes des générations subséquentes où dit la même chose. Même à
l'époque plus éclairée des présentes révélations, beaucoup d'hommes
intelligents et bien intentionnés soutiennent que la civilisation moderne
n'aurait pas pu être bâtie sur les enseignements de Jésus -- et ils ont
partiellement raison. Mais en exprimant ces doutes, ils oublient que l'on
aurait pu bâtir une civilisation bien meilleure sur ces mêmes
enseignements, et qu'un jour elle sera bâtie. Ce monde n'a jamais essayé
de mettre en pratique sur une grande échelle les leçons de Jésus, bien que
des tentatives timides aient souvent été faites pour suivre les doctrines
d'un *prétendu christianisme. (*"so-called"
Christianity selon la version originale anglaise. J'ai personnellement traduit cela comme
suit : "pour suivre les doctrines de ce qui est appelé le christianisme."
afin d'être plus fidèle à l'esprit du livre.
5. -- LE DIMANCHE MATIN MOUVEMENTÉ
Le 22 mai fut un jour mouvementé dans la vie de Jésus. Ce dimanche
matin avant le lever du jour, l'un des messagers de David arriva en grande
hâte de Tibériade en apportant la nouvelle qu'Hérode avait autorisé, ou
allait autoriser l'arrestation de Jésus par les officiers du sanhédrin.
Au reçu de cette nouvelle, David Zébédée réveilla ses messagers et les
envoya à tous les groupes locaux de disciples pour les convoquer a une
réunion d'urgence le même matin à sept heures. Lorsque la belle-soeur de
Jude (frère de Jésus) entendit ce rapport alarmant, elle prévint en hâte
toute la famille de Jésus, qui habitait dans le voisinage, en la priant de
se réunir immédiatement chez Zébédée. Marie, Jacques, Joseph, Jude, et
Ruth ne tardèrent pas à répondre à cet appel précipité.
À cette réunion fort matinale, Jésus donna d'ultimes instructions à ses
disciples rassemblés; il leur fit momentanément ses adieux, sachant qu'ils
seraient bientôt chassés de Capharnaüm. Il leur recommanda à tous de
rechercher les directives de Dieu et de poursuivre l'oeuvre du royaume
sans se soucier des conséquences. Les évangélistes devaient travailler de
leur mieux jusqu'au moment où ils recevraient un appel. Il choisit douze
évangélistes pour l'accompagner. Il ordonna aux douze apôtres de rester
avec lui quoi qu'il arrive. Il donna pour instructions aux douze femmes de
rester dans les maisons de Zébédée et de Pierre jusqu'à ce qu'il les
envoie chercher.
Jésus consentit a ce que David Zébédée continuât son service de
messagers dans tout le pays. David ne tarda pas à lui faire ses adieux en
disant: « Poursuis ton oeuvre, Maître. Ne laisse pas les sectaires
s'emparer de toi, et ne mets jamais en doute que mes messagers te
suivront. Mes hommes ne perdront jamais le contact avec toi. Par eux tu
auras des nouvelles du royaume dans les autres parties du pays, et par eux
nous aurons tous de tes nouvelles. Rien de ce qui peut m'arriver
n'interrompra ce service, car j'ai nommé un premier remplaçant, et un
deuxième, et même un troisième. Je ne suis ni un instructeur ni un
prédicateur, mais j'ai à coeur de faire cela, et rien ne m'arrêtera ».
À sept heures et demie, Jésus commença son allocution de départ à une
centaine de croyants qui se pressaient à l'intérieur de la maison pour
l'entendre. Ce fut un événement solennel pour tout l'auditoire, mais Jésus
faisait montre d'une gaîté inhabituelle; il se trouvait à nouveau dans son
état normal. Son air grave des semaines passées avait disparu, et ses
paroles de foi, d'espérance, et de courage furent vivifiantes pour tout
son auditoire.
6. -- LA FAMILLE DE JÉSUS ARRIVE
Il était à peu près huit heures du matin ce dimanche-là lorsque cinq
membres de la famille terrestre de Jésus arrivèrent sur les lieux en
réponse à la convocation urgente de la belle-soeur de Jude. Seule de sa
famille terrestre, Ruth avait continuellement cru de tout coeur à la
divinité de la mission de Jésus sur terre. Jude, Jacques, et même Joseph,
conservaient en grande partie leur foi en Jésus, mais ils avaient laissé
l'orgueil fausser leur jugement et leurs vraies tendances spirituelles.
Marie également était déchirée entre l'amour et la crainte, entre l'amour
maternel et l'orgueil familial. Bien quelle fit assaillie de doutes, elle
ne put jamais oublier complètement la visite de Gabriel avant la naissance
de Jésus. Les pharisiens s'étaient efforcés de persuader Marie que Jésus
ne jouissait pas de son bon sens, qu'il était fou. Ils le pressaient
d'aller auprès de lui avec ses fils pour chercher à le dissuader de
poursuivre ses efforts d'enseignement public. Ils affirmaient à Marie que
la santé de Jésus ne résisterait pas, et si on lui permettait de
continuer, il n'en résulterait que déshonneur et opprobre pour toute a
famille. Aussi, lorsque les cinq membres de la famille reçurent
l'avertissement de la belle-soeur de Jude, ils partirent immédiatement
pour la maison de Zébédée, car ils se trouvaient tous chez Marie où ils
avaient reçu les pharisiens la veille au soir. Ils s'étaient entretenus
jusqu'à une heure tardive de la nuit avec les dirigeants de Jérusalem, et
ils étaient tous plus ou moins convaincus que Jésus agissait d'une manière
étrange, qu'il se conduisait bizarrement depuis quelque temps. Ruth ne
pouvait expliquer tous les motifs, de sa conduite, mais elle insista sur
le fait que Jésus avait toujours équitablement traité sa famille, et elle
refusa son adhésion au programme destiné à le dissuader de poursuivre son
oeuvre.
Sur le chemin de la maison de Zébédée, ils reparlèrent encore de ces
questions et se mirent tous d'accord pour essayer de faire revenir Jésus à
leur foyer car, disait Marie, « je sais que je pourrais influencer mon
fils si seulement il voulait venir à la maison et m'écouter ». Jacques et
Jude avaient entendu des rumeurs au sujet des plans pour arrêter Jésus et
l'emmener à Jérusalem pour être jugé. Ils craignaient aussi pour leur
propre sécurité. Tant que Jésus avait été une figure populaire aux yeux du
public, les membres de sa famille avaient laissé aller les choses, mais
maintenant que la population de Capharnaüm et les chefs de Jérusalem
s'étaient soudain retournés contre lui, ils commençaient à ressentir
douloureusement la soi-disant disgrâce de leur situation embarrassante.
Ils comptaient voir Jésus, le prendre à part, et le presser de rentrer
au foyer avec eux. Ils se proposaient de l'assurer qu'ils
oublieraient que Jésus les avait négligés -- qu'ils pardonneraient et
oublieraient -- si seulement il voulait renoncer à la folie de prêcher une
nouvelle religion ne pouvant aboutir qu'à le mettre en difficulté et à
couvrir d'opprobre sa famille. Devant tous ces raisonnements, Ruth se
bornait à dire: « Je dirai à mon frère que je crois qu'il est un homme de
Dieu; j'espère qu'il aimerait mieux mourir que de laisser ces méchants
pharisiens mettre fin à ses prédications ». Joseph promit de faire tenir
Ruth tranquille pendant que les autres essayeraient de convaincre Jésus.
Quand les cinq arrivèrent à la maison de Zébédée, Jésus était en plein
milieu de son allocution de départ aux disciples. Ils cherchèrent à entrer
dans la maison, mais elle était bondée à déborder. Ils finirent par
s'installer sous le porche de derrière et firent passer à Jésus de bouche
en bouche la nouvelle de leur arrivée. Finalement, Simon Pierre l'annonça
à voix basse à Jésus en interrompant le discours pour dire:
« Voici, ta mère et tes frères sont dehors et très désireux de te parler
». Or Marie ne se rendait pas compte de l'importance du message de
séparation aux disciples; elle ne savait pas non plus que cette allocution
avait des chances de prendre fin à tout moment par l'arrivée des hommes
venant arrêter Jésus. Après une si longue séparation apparente, et
vu la grâce que sa mère et ses frères lui faisaient en venant jusqu'à lui,
Marie croyait réellement que Jésus s'arrêterait de parler et viendrait les
saluer dès qu'il serait averti de leur présence.
Or ce fut simplement un nouveau cas où sa famille terrestre ne pouvait
comprendre que Jésus devait s'occuper des affaires de son Père. Sa mère et
ses frères furent donc profondément froissés lorsqu'ils virent que,
malgré l'interruption de son discours pour recevoir le message, Jésus ne
se précipitait pas à leur rencontre. Au lieu de cela, ils entendirent sa
voix musicale élever le ton et dire: « Dites à ma mère et à
mes frères qu'ils ne craignent rien pour moi. Le Père qui m'a envoyé dans
le monde ne m'abandonnera pas, et ma famille ne subira aucun dommage.
Priez-la d'avoir bon courage et de se confier au Père du Royaume. Mais
après tout, qui est ma mère et qui sont mes frères? » Puis il étendit les
mains vers tous les disciples assemblés dans la salle et dit: « Je n'ai
pas de mère, je n'ai pas de frères. Voilà ma mère et voila mes
frères! Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux,
celui-la est ma mère, mon frère, et ma soeur » (1).
(1) Cf. Matthieu XII-48 à 50 et Marc III-34
et 35.
Lorsque Marie entendit ces paroles, elle s'évanouit dans les bras de
Jude. On la transporta dans le jardin pour la ranimer, tandis que Jésus
achevait son message d'adieu. Il serait alors sorti pour conférer avec sa
mère et ses frères, si un messager arrivant en hâte de Tibériade n'était
venu annoncer que les officiers du sanhédrin étaient en route avec mandat
d'arrêter Jésus et de l'emmener à Jérusalem. Le message fut reçu par
André, qui interrompit Jésus pour le lui communiquer.
André ne se rappelait pas que David avait posté deux douzaines de
sentinelles autour de la maison de Zébédée, de sorte que personne ne
pouvait entrer par surprise. Il demanda donc à Jésus ce qu'il fallait
faire. Le Maître se tenait là en silence pendant que, dans le jardin, sa
mère se remettait du choc de l'avoir entendu dire: « Je n'ai pas de mère
». À ce moment précis une femme se leva dans la salle et s'écria: « Béni
soit le ventre qui t'a porté et bénis soient les seins qui t'ont allaité
». Jésus se détourna un instant de sa conversation avec André pour
répondre à cette femme: « Non, Béni soit plutôt celui qui entend la parole
de Dieu et ose lui obéir ».
Marie et les frères de Jésus croyaient que Jésus ne les comprenait pas
et qu'il s'était désintéressé d'eux; ils ne se rendaient pas compte que
c'étaient eux qui ne réussissaient pas à le comprendre. Jésus comprenait
parfaitement combien il est difficile aux hommes de rompre avec leur
passé. Il savait que les êtres humains se laissent emporter par
l'éloquence des prédicateurs et que leur conscience répond à l'appel
émotif comme la pensée répond à la logique et à la raison, mais il savait
aussi combien il est difficile de persuader les hommes de désavouer le
passé.
Il est éternellement vrai que quiconque se croit incompris ou mal
apprécié possède en Jésus un ami compatissant et un conseiller
compréhensif. Il avait averti ses apôtres qu'un homme pouvait avoir pour
ennemis les gens de sa propre maison, mais n'avait guère imaginé que cette
prédiction s'appliquerait d'aussi près à sa propre expérience. Ce ne fut
pas Jésus qui abandonna les membres de sa famille terrestre pour accomplir
l'oeuvre de son Père -- ce furent eux qui l'abandonnèrent. Plus tard,
après la mort et la résurrection du Maître, son frère Jacques s'attacha au
mouvement chrétien primitif et souffrit immensément de n'avoir pas profité
de son association initiale avec Jésus et ses disciples.
Au cours de ces événements, Jésus décida de se laisser guider par les
connaissances limitées de sa pensée humaine. Il désirait subir
l'expérience avec ses collaborateurs en tant que simple humain. Son idée
humaine était de voir sa famille avant de partir. Il ne voulut pas
s'arrêter au milieu son discours et transformer ainsi en affaire publique
cette première réunion après une si longue séparation. Il avait eu
l'intention de terminer son allocution, puis de rendre visite à sa famille
avant son départ, mais ce plan fut contrecarré par le concours de
circonstances qui suivit immédiatement.
La hâte de leur fuite fut accrue par l'arrivée d'un groupe de messagers
de David à la porte de derrière de la maison de Zébédée. L'agitation
produite par leur apparition fit craindre aux apôtres que ces nouveaux
arrivants ne soient venus les appréhender. De peur d'être immédiatement
arrêtés, ils se précipitèrent par la porte de devant dans le bateau qui
les attendait. Cela explique pourquoi Jésus ne vit pas sa famille qui
attendait sous le porche de derrière.
Toutefois, en montant dans le bateau au cours de cette fuite
précipitée, il dit à David Zébédée: « Dis à ma mère et à mes frères que
j'apprécie leur venue et que j'avais l'intention de les voir.
Recommande-leur de ne pas se froisser de ma conduite, mais plutôt de
chercher à connaître la volonté de Dieu et d'avoir la grâce et le courage
de faire cette volonté ».
7. -- LA FUITE PRÉCIPITÉE
Ce dimanche matin 22 mai de l'an 29, le Maître, avec ses douze apôtres
et les douze évangélistes, s'enfuit donc précipitamment devant les
officiers du sanhédrin qui étaient en route pour Bethsaïde avec mandat
d'Hérode Antipas d'arrêter Jésus et de l'emmener à Jérusalem pour y être
jugé sous l'inculpation de blasphème et autres violations de la loi sacrée
des Juifs. La matinée était magnifique, et il était presque huit heures et
demie lorsque ce groupe de vingt-cinq personnes se mit à ramer vers la
rive orientale de la Mer de Galilée.
Un bateau plus petit suivait celui du Maître. Il transportait six
messagers de David qui avaient des ordres pour garder le contact avec
Jésus et ses compagnons, et veiller à ce que des renseignements sur leurs
déplacements fussent régulièrement transmis à Bethsaïde, à la maison de
Zébédée, qui avait servi depuis quelque temps de quartier général pour
l'oeuvre du royaume. Mais Jésus ne devait plus jamais faire son foyer de
la maison de Zébédée. Désormais, et durant tout le reste de sa vie sur
terre, le Fils de l'Homme n'eut vraiment « nulle part où reposer sa tête »
(1). Jamais plus il n'eut même un semblant de domicile fixe.
(1) Matthieu VIII-20.
Les rameurs accostèrent près du village de Gérasa, confièrent leur
bateau à des amis, et commencèrent les pérégrinations de cette ultime
année de la vie du Maître sur terre. Ils restèrent quelque temps dans les
domaines de Philippe, allant de Gérasa à Césarée-Philippe, puis ils
traversèrent le pays jusqu'à la côte de Phénicie.
La foule s'attarda autour de la maison de Zébédée, regardant les deux
bateaux qui faisaient route vers la rive orientale du lac. Ils étaient
déjà loin lorsque les officiers de Jérusalem arrivèrent en hâte et
commencèrent à rechercher Jésus. Ils refusèrent de croire que Jésus leur
avait échappé. Pendant que Jésus et son groupe se dirigeaient vers le nord
par Batanée, les pharisiens et leurs auxiliaires passèrent presque une
semaine entière a le rechercher en vain aux environs de Capharnaüm.
Les membres de la famille de Jésus retournèrent chez eux à Capharnaüm
et passèrent également presque une semaine à s'entretenir, discuter, et
prier. Ils étaient pleins de confusion et consternés. Ils ne furent
rassurés que le jeudi après-midi, lorsque Ruth revint d'une visite a la
maison de Zébédée, ou David lui avait appris que Jésus était sain et sauf
et se dirigeait vers la côte de Phénicie.
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