LE SÉJOUR À TYR ET A SIDON
LE vendredi soir 10 juin de l'an 29, Jésus et ses compagnons arrivèrent
au voisinage de Sidon chez une femme riche nommée Karuska, qui avait été
soignée à l'hôpital de Bethsaïde à l'époque où Jésus était à l'apogée de
la faveur populaire. Les apôtres et les évangélistes logèrent à proximité
immédiate, chez des amies de Karuska, et se reposèrent jusqu'au lendemain
du sabbat dans cette ambiance rafraîchissante. Ils passèrent près de deux
semaines et demie a Sidon et aux environs avant de se préparer à visiter
les villes entières situées plus au nord.
Ce sabbat de juin fut un jour de grand calme. Les évangélistes et les
apôtres étaient complètement absorbés dans leurs méditations au sujet des
discours du Maître sur la religion, discours qu'ils avaient écouté sur la
route de Sidon. Ils étaient tous capables de tirer quelque chose de ce que
Jésus leur avait dit, mais aucun d'eux ne saisissait pleinement
l'importance de cet enseignement.
1. -- LA FEMME SYRIENNE
Près de la maison de Karuska, où le Maître était logé, vivait une
Syrienne qui avait beaucoup entendu parler de Jésus en tant que grand
guérisseur et instructeur. Elle vint vers lui cet après-midi de sabbat en
amenant sa fille âgée d'une douzaine d'années. L'enfant était atteinte de
graves troubles nerveux caractérisés par des convulsions et d'autres
manifestations alarmantes.
Jésus avait ordonné à ses collaborateurs de ne parler à personne de sa
présence chez Karuska, expliquant qu'il souhaitait prendre du repos. Ils
avaient bien observé la consigner mais la servante était allé voir la
Syrienne, nommée Norana, pour l'informer que Jésus logeait chez Karuska,
et elle avait incité la mère angoissée a y amener sa fille pour obtenir sa
guérison. Bien entendu, la mère croyait que son enfant était possédée par
un démon, un esprit impur.
Lorsque Norana arriva avec sa fille, les jumeaux Alphée lui
expliquèrent, par le truchement d'un interprète, que le Maître se reposait
et que l'on ne pouvait le déranger, a quoi Norana répondit quelle
resterait sur place avec son enfant jusqu'à ce que le Maître ait fini de
se reposer. Pierre essaya également de la raisonner et de la persuader de
rentrer chez elle. Il lui exposa que Jésus était las d'avoir tant enseigné
et guéri, et qu'il était venu en Phénicie pour une période de tranquillité
et de repos. Ce fut en vain; Norana ne voulut pas s'en aller. Aux
adjurations de Pierre, elle se borna à répondre: « Je ne partirai pas
avant d'avoir vu ton Maître. Je sais qu'il peut chasser le démon de mon
enfant, et je ne m'en irai pas sans que le guérisseur ait jeté au moins un
regard sur ma fille ».
Ensuite Thomas chercha à renvoyer Norana, mais n'y parvint pas non
plus. Elle lui dit: « J'ai foi en ton Maître, il peut chasser le démon qui
tourmente mon enfant. J'ai entendu parler de ses miracles en Galilée, et
je crois en lui. Que vous est-il arrivé, à vous ses disciples, pour que
vous cherchiez à renvoyer ceux qui viennent demander l'aide de votre
Maître? » Lorsqu'elle eut ainsi parlé, Thomas se retira.
Simon le Zélote s'avança alors pour faire des remontrances à Norana et
lui dit: « Femme, tu es une païenne parlant grec. Il n'est pas juste de
t'attendre à voir le Maître prendre le pain destiné aux enfants de la
maison favorisée et le jeter aux chiens ». Elle se borna à répondre: «
Oui, maître, je comprends ce que tu dis. Je ne suis qu'un chien aux yeux
des Juifs, mais en ce qui concerne ton Maître, je suis un chien croyant.
Je suis décidée à ce qu'il voie ma fille, car s'il veut seulement la
regarder, il la guérira. Et même toi, cher homme, tu n'oserais pas priver
les chiens du privilège d'obtenir les miettes qui peuvent tomber de la
table des enfants».
À ce moment précis, la fillette fut saisie d'une violente convulsion
sous les yeux de tous, et la mère cria: « Voilà, vous pouvez voir que ma
fille est possédée par un esprit impur. Si notre malheur ne vous
impressionne pas, il touchera votre Maître, dont on m'a dit qu'il aimait
tous les hommes et osait même guérir les Gentils s'ils avaient la foi.
Vous n'êtes pas dignes d'être ses disciples. Je ne m'en irai pas avant que
ma fille ait été guérie.
Jésus, qui avait entendu toute cette conversation par une fenêtre
ouverte, sortit alors à leur grande surprise et dit: « O femme ta foi est
grande, si grande que je ne puis retenir ce que tu désires. Va ton chemin
en paix. Ta fille est déjà guérie ». Et la fillette fut bien portante à
partir de cet instant. Tandis que Norana et l'enfant prenaient congé,
Jésus les supplia de ne raconter cet épisode à personne. Ses compagnons
observèrent la consigne, mais la mère et l'enfant ne cessèrent de
proclamer dans tout le pays, et même à Sidon, que la fillette avait été
guérie, si bien qu'au bout de quelques jours Jésus estima opportun de
déménager.
Le lendemain, tandis que Jésus enseignait ses apôtres en commentant la
cure de la fille de Norana, il dit: « Il en a constamment été ainsi. Vous
voyez par vous-mêmes que les Gentils sont capables de mettre en jeu, pour
leur salut, leur foi dans les enseignements de l'évangile du royaume des
cieux. En vérité, en vérité, je vous le dis, le royaume du Père sera près
par les Gentils si les enfants d'Abraham ne font pas montre d'une foi
suffisante pour y entrer ».
2. -- ENSEIGNEMENT À SIDON
En entrant dans Sidon, Jésus et ses compagnons passèrent sur un pont,
le premier pont que beaucoup d'entre eux eussent jamais vu. Pendant qu'ils
le traversaient, Jésus fit, entre autres, le commentaire suivant: «Le
monde n'est qu'un pont. On peut le traverser, mais il ne faudrait pas
songer à bâtir une demeure dessus».
Pendant que les vingt-quatre commençaient leurs travaux à Sidon, Jésus
alla habiter une maison située juste au nord de la ville, la demeure de
Justa et de sa mère Bernice. Tous les matins, Jésus enseignait les
vingt-quatre chez Justa. L'après-midi et le soir, ils se dispersaient dans
Sidon pour enseigner et prêcher.
Les apôtres et les évangélistes furent grandement encouragés par la
manière dont les Gentils de Sidon reçurent leur message. Durant leur bref
séjour, beaucoup d'âmes furent acquises au royaume. Cette période
d'environ six semaines fut très fertile pour gagner des âmes, mais les
écrivains juifs qui rédigèrent plus tard les évangiles prirent l'habitude
de glisser sur l'histoire de cette réception de Jésus par les Gentils au
moment même où un si grand nombre de ses compatriotes ouvraient les
hostilités contre lui.
Sous bien des rapports, ces croyants Gentils apprécièrent plus
complètement que les Juifs les enseignements de Jésus. Beaucoup de ces
Syro-Phéniciens parlant le grec parvinrent à la conclusion que non
seulement Jésus ressemblait à Dieu, mais aussi que Dieu ressemblait à
Jésus. Ces soi-disant païens arrivèrent à bien comprendre les
enseignements du Maître sur l'uniformité des lois de notre monde et de
l'univers entier. Ils comprirent la leçon que Dieu ne fait acception ni de
personnes, ni de races, ni de nations -- qu'il n'y a pas de favoritisme
chez le Père-Universel -- que l'univers obéit toujours et entièrement à
une loi, et que l'on peut infailliblement s'y fier. Ces Gentils n'avaient
pas peur de Jésus; ils osaient accepter son message. Au long des siècles
ultérieurs, on ne peut dire que les hommes aient été incapables de
comprendre Jésus, mais ils ont eu peur de lui.
Jésus expliqua clairement aux vingt-quatre que sa fuite de Galilée
n'était pas due à un manque de courage devant ses ennemis. Les
vingt-quatre comprirent que Jésus n'était pas encore prêt à un conflit
ouvert avec la religion établie, et qu'il ne cherchait pas a devenir un
martyr. Ce fut durant l'une des conférences chez Justa que le Maître dit
pour la première fois à ses disciples: « Même si le ciel et la terre
disparaissaient, mes paroles de vérité ne s'effaceraient pas ».
Durant son séjour à Sidon, Jésus prit pour thème de ses instructions le
progrès spirituel. Il dit à ses disciples qu'ils ne pouvaient s'arrêter en
route, qu'il leur fallait avancer dans la droiture ou rétrograder dans le
mal et le péché. Il leur recommanda « doublier les choses du passé pendant
qu'ils allaient de l'avant pour embrasser les réalités majeures du royaume
». Il les supplia de ne pas se contenter de puérilités dans l'évangile,
mais de s'efforcer d'atteindre la pleine envergure de la filiation divine
dans la communion de l'esprit et la confraternité des croyants.
Jésus dit: « Mes disciples doivent non seulement cesser de faire le
mal, mais apprendre à faire le bien. Il faut non seulement se purifier de
tout péché conscient, mais refuser d'abriter même des sentiments de
culpabilité. Si vous confessez vos péchés, ils sont pardonnés; il faut
donc éliminer tout scandale de votre conscience ».
Jésus prenait grand plaisir au sens aigu de l'humour dont faisaient
montre les Gentils. Ce furent autant le sens de l'humour déployé par
Norana, la Syrienne, que sa grande persévérance dans la foi qui touchèrent
le coeur du Maître et firent appel à sa miséricorde. Jésus regrettait
beaucoup que ses compatriotes -- les Juifs - manquassent pareillement
d'humour. Il dit une fois à Thomas: « Mes compatriotes se prennent trop au
sérieux. Ils ne savent guère apprécier l'humour. La religion ennuyeuse des
pharisiens n'aurait jamais pu prendre naissance chez un peuple ayant le
sens de l'humour. Les Juifs manquent également de logique; ils filtrent
des moucherons et avalent des chameaux ».
3. -- LE VOYAGE EN REMONTANT LA CÔTE
Le jeudi 28 juin, le Maître et ses collaborateurs quittèrent Sidon et
remontèrent la côte jusqu'à Porphyréon et Heldoue. Ils furent bien reçus
par les Gentils et en firent entrer un grand nombre dans le royaume durant
cette semaine d'enseignement et de prédication. Les apôtres prêchèrent à
Porphyréon, et les évangélistes enseignèrent à Heldoue. Tandis que les
apôtres étaient ainsi occupés à leur travail, Jésus les quitta durant
trois ou quatre jours pour se rendre à la ville côtière de Beyrouth. Il y
rendit visite à un Syrien nommé Malach, qui était croyant et avait été à
Bethsaïde l'année précédente.
Le mercredi 6 juillet, ils retournèrent tous à Sidon et habitèrent chez
Justa jusqu'au dimanche matin. Ils partirent alors pour Tyr en descendant
la côte de la Méditerranée vers le sud par Sarepta, et arrivèrent à Tyr le
lundi 11 juillet. Les apôtres et les évangélistes avaient commencé à
s'habituer au travail parmi ces soi-disant païens, qui en réalité
descendaient, principalement des vieilles tribus cananéennes d'origine
sémitique encore plus ancienne. Toutes ces populations parlaient le grec.
Les apôtres et les évangélistes furent très surpris d'observer l'ardeur de
ces Gentils à écouter l'évangile et de voir l'empressement avec lequel
beaucoup d'entre eux se mettaient à croire.
4. -- À TYR
Du 11 au 14 juillet, ils enseignèrent à Tyr. Chacun des apôtres prit
avec lui un évangéliste, et ils allèrent ainsi deux par deux enseigner et
prêcher dans tous les quartiers de Tyr et aux environs. La population
polyglotte de ce port animé les écoutait avec joie, et beaucoup de
croyants entrèrent par le baptême dans la communauté extérieure du
royaume. Jésus installa son quartier général chez un Juif nommé Joseph, un
croyant qui vivait à cinq ou six kilomètres au sud de Tyr, non loin du
tombeau d'Hiram qui avait été roi de la cité-Etat de Tyr à l'époque de
David et de Salomon.
Durant cette quinzaine, les apôtres allèrent tous les jours à Tyr, en y
entrant par la jetée d'Alexandre, pour y tenir de petites réunions; chaque
soir, la plupart d'entre eux revenaient au campement de la maison de
Joseph au sud de la cité. Des croyants se rendaient quotidiennement de la
ville au lieu de repos de Jésus pour s'entretenir avec lui. Le Maître ne
parla qu'une seule fois à Tyr; ce fut l'après-midi du 20 juillet, où il
enseigna les croyants au sujet de l'amour du Père pour toute l'humanité et
de la mission du File pour révéler le Père à toutes les races humaines.
Les Gentils montrèrent un tel intérêt pour l'évangile du royaume qu'en
cette occasion ils ouvrirent à Jésus les portes du temple de Melkarth. Il
est intéressant de noter qu'une église chrétienne fut bâtie ultérieurement
sur l'emplacement même de cet ancien temple.
On fabriquait dans la région la pourpre tyrienne, qui assura la
renommée de Tyr et de Sidon dans le monde entier et contribua si largement
à leur commerce international et à la richesse qui en résulta. Beaucoup de
dirigeants de cette industrie crurent au royaume. Peu de temps après, les
réserves de mollusques d'où l'on tirait le colorant commencèrent à
diminuer, et les fabricants de pourpre partirent à la recherche de
nouveaux bancs de ces coquillages. Ils émigrèrent ainsi jusqu'au bout du
monde, apportant avec eux le message de la paternité de Dieu et de la
filiation des hommes -- l'évangile du royaume.
5. -- L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS À TYR
Au cours de son sermon du mercredi après-midi, Jésus commença par
raconter à ses disciples l'histoire du lis blanc qui dresse sa tête pure
et neigeuse dans la lumière du soleil, tandis que ses racines plongent
dans le limon et la boue du sol enténébré. « De même, » dit-il, « le,
mortel qui a les racines de son origine et de son être dans le sol animal
de la nature humaine peut élever, par la foi, sa nature spirituelle dans
la lumière solaire de la vérité Céleste et produire réellement les nobles
fruits de l'esprit.
Ce fut durant le même sermon que Jésus employa sa première et unique
parabole se rapportant à son propre métier -- la charpenterie. Au cours de
sa recommandation de « bien construire les fondements pour la croissance
d'un noble caractère pétri de dons spirituels », il dit: « Pour produire
les fruits de l'esprit, il faut que vous soyez nés d'esprit. C'est
l'esprit qui doit vous enseigner et vous diriger si vous voulez vivre une
vie de plénitude spirituelle parmi vos compagnons. Mais ne commettez pas
l'erreur du stupide charpentier qui gaspille un temps précieux à équarrir,
mesurer, et raboter une pièce de bois rongée par les vers et
intérieurement pourrie; ensuite, quand il a consacré tout son travail à
cette poutre malsaine, il faut qu'il la rejette comme inutilisable pour
les fondations du bâtiment qu'il voudrait construire et qui doit résister
aux assauts du temps et des orages. Chaque homme doit s'assurer que les
fondements intellectuels et moraux de son caractère sont assez solides
pour soutenir la superstructure de sa nature spirituelle qui grandit et
s'ennoblit; cette nature transformera alors la pensée humaine puis, en
association avec cette pensée re-créée, elle fera évoluer l'âme, dont la
destinée est immortelle. Votre nature spirituelle -- votre âme créée
conjointement par l'esprit et la pensée -- est une plante vivante, mais la
pensée et la morale de l'individu sont le sol d'où doivent surgir ces
manifestations supérieures du développement humain et de la destinée
divine. Le sol de l'âme évoluante est humain et matériel, mais la destinée
de cette créature mixte de pensée et d'esprit est spirituelle et divine ».
Le soir du même jour, Nathanael demanda à Jésus: « Maître, pourquoi
prions-nous Dieu de ne pas nous induire en tentation, alors que nous
savons bien par ta révélation que le Père ne fait pas de telles choses? »
Jésus répondit à Nathanael:
« Il n'est pas étonnant que tu poses cette question, puisque tu
commences à connaître le Père comme moi, et non comme les premiers
prophètes qui le connaissaient si vaguement. Tu sais bien que nos ancêtres
avaient tendance à voir Dieu dans tous les événements. Ils cherchaient la
main de Dieu dans tous les phénomènes naturels et dans chaque épisode
insolite de l'expérience humaine. Il reliaient Dieu à la fois au bien et
au mal. Ils pensaient que Dieu avait adouci le coeur de Moïse et endurci
celui du Pharaon. Quand les hommes éprouvaient l'impérieux besoin de
commettre une bonne ou une mauvaise action, ils avaient l'habitude de
justifier ces sentiments inhabituels en déclarant: «Le Seigneur m'a parlé
en me disant fais ceci ou fais cela, va par ici ou va par là ». En
conséquence, puisque les hommes se heurtaient si souvent et si violemment
aux tentations, nos ancêtres prirent l'habitude de croire que Dieu les y
induisait pour les éprouver, les châtier, ou les fortifier. Mais toi, tu
sais mieux de quoi il s'agit. Tu n'ignores pas que les hommes sont bien
trop souvent induits en tentation par la pression de leur propre égoïsme
et les impulsions de leur nature animale. Si tu es tenté de cette manière,
je te recommande, tout en reconnaissant honnêtement et sincèrement la
tentation pour ce quelle est, de réorienter intelligemment, dans des
canaux supérieurs et vers des buts plus idéalistes, les énergies
spirituelles, mentales, et corporelles qui cherchent à s'exprimer. De
cette façon, tu pourras transformer tes tentations en services vivifiants
du type le plus élevé, tout en évitant à peu près complètement les
conflits déprimants et inutiles entre la nature animale et la nature
spirituelle.
« Mais je te mets en garde contre la folie de vouloir surmonter la
tentation en ayant recours à la simple volonté humaine pour remplacer un
désir par un autre désir considéré comme supérieur. Si tu veux
véritablement triompher des tentations de la nature inférieure, il faut
atteindre une position de supériorité spirituelle caractérisée par le
développement réel et sincère d'un grand intérêt et d'un grand amour pour
les lignes de conduite supérieures et plus idéalistes que ta pensée désire
substituer aux habitudes inférieures et moins idéalistes reconnues comme
des tentations. De cette façon, tu seras délivré par transformation
spirituelle, au lieu d'être de plus en plus surchargé par le refoulement
illusoire des désirs humains. Dans l'amour de ce qui est nouveau et
supérieur, tu oublieras l'ancien et l'inférieur. La beauté triomphe
toujours de la laideur dans le coeur des hommes éclairés par l'amour de la
vérité. L'énergie débordante d'une affection spirituelle nouvelle et
sincère possède un puissant pouvoir. Je te le répète, ne te laisse pas
vaincre par le mal, mais triomphe plu tôt du mal par le bien».
Jusqu'à une heure tardive de la nuit, les apôtres et les évangélistes
continuèrent à poser des questions à Jésus. De ses nombreuses réponses,
nous voudrions extraire les pensées suivantes que nous présentons en
langage moderne:
Une ambition énergique, un jugement intelligent, et une sagesse mûrie
sont les facteurs essentiels du succès matériel. L'autorité dépend de
l'aptitude naturelle, de la prudence, de la puissance volitive, et de la
détermination. La destinée spirituelle dépend de la foi, de l'amour, et de
la dévotion à la vérité -- faim et soif de droiture -- le désir profond de
trouver Dieu et de lui ressembler.
Ne vous laissez pas décourager par la découverte que vous êtes humains.
La nature humaine peut tendre vers le mal, mais n'est pas naturellement
impie. Ne soyez pas abattus si vous n'arrivez pas à oublier complètement
certaines de vos expériences regrettables. Les fautes que vous ne parvenez
pas à oublier dans le temps seront oubliées dans l'éternité. Allégez les
fardeaux de votre âme en vous faisant rapidement une conception de votre
destinée à longue échéance, de l'expansion de votre carrière dans
l'univers.
Ne commettez pas la faute d'estimer la valeur d'une âme d'après les
imperfections de la pensée ou les appétits du corps. Ne jugez pas une âme
et évaluez pas sa destinée sur la base d'un seul épisode humain
malheureux. Votre destinée spirituelle n'est conditionnée que par vos
aspirations et vos desseins spirituels.
La religion est l'expérience exclusivement spirituelle de l'immortelle
âme évoluante de l'homme qui connaît Dieu; mais le pouvoir moral et
l'énergie spirituelle sont des forces puissantes que l'on peut utiliser
pour traiter des questions sociales difficiles et pour résoudre des
problèmes économiques complexes.
Si vous apprenez à n'aimer que ceux qui vous aiment, vous êtes destinés
à vivre une vie étroite et médiocre. Il est exact que l'amour humain peut
être réciproque, mais l'amour divin s'extériorise dans toutes ses
recherches de satisfaction. Moins il y a d'amour dans la nature d'une
créature, plus cette créature a besoin d'être aimée, et plus l'amour divin
cherche à satisfaire ce besoin. L'amour n'est jamais égoïste, et l'on ne
peut l'effuser sur soi-même. L'amour divin ne peut se replier sur
lui-même; il lui faut se répandre généreusement.
Les croyants au royaume doivent posséder une foi implicite, croire de
toute leur âme au triomphe certain de la droiture. Les bâtisseurs du
royaume doivent être convaincus que l'évangile du salut éternel est vrai.
Les croyants doivent apprendre à se mettre de plus en plus à l'écart de la
vie fiévreuse -- à échapper aux harcèlements de l'existence matérielle --
tout en rafraîchissant leur âme, en vivifiant leur pensée, et en
renouvelant leur esprit par la communion dans l'adoration.
Les individus qui connaissent Dieu ne se laissent ni décourager par les
malheurs ni abattre par les déceptions. Les croyants sont immunisés contre
les dépressions qui suivent les bouleversements purement matériels;
quiconque mène une vie spirituelle n'est pas troublé par les épisodes
monde matériel. Les candidats à la vie éternelle pratiquent une technique
vivifiante et constructive pour faire face aux vicissitudes et aux tracas
de la vie physique. Chaque journée vécue par un croyant authentique lui
rend plus facile de faire la chose juste.
La vie spirituelle accroît puissamment le véritable respect de soi,
mais il ne faut pas confondre respect de soi et admiration de soi. Le
respect de soi se coordonne toujours avec l'amour et le service d'autrui.
Le respect de soi ne peut dépasser l'amour que l'on éprouve pour son
prochain; le premier mesure l'aptitude au second.
A mesure que le temps passe, tout vrai croyant devient plus habile à
entraîner ses compagnons dans l'amour de la vérité éternelle. Avez-vous
aujourd'hui plus de ressources qu'hier pour révéler la bonté à l'humanité?
Pouvez-vous mieux recommander la droiture cette année que l'année
dernière? Votre technique pour conduire les âmes affamées dans le royaume
spirituel devient-elle de plus en plus un art?
Vos idéaux sont-ils suffisamment élevés pour assurer votre salut
éternel et vos idées sont-elles assez pratiques pour faire de vous un
citoyen utile opérant sur Terre en association avec vos compagnons
mortels? En esprit, votre citoyenneté est céleste; dans la chair, vous
êtes encore des citoyens des royaumes terrestres. Rendez aux Césars les
choses matérielles, et à Dieu celles qui sont spirituelles.
La mesure des aptitudes spirituelles de votre âme en évolution est
votre foi dans la vérité et votre amour pour les hommes; mais la mesure de
votre force de caractère humaine est votre aptitude à résister à l'emprise
des rancunes et à ne pas broyer du noir à l'occasion d'un profond chagrin.
La défaite est le véritable miroir dans lequel vous pouvez apercevoir
sincèrement votre personnalité réelle.
A mesure que croissent votre ancienneté et votre expérience dans les
affaires du royaume, acquérez-vous plus de tact dans vos rapports avec des
voisins importuns et plus de tolérance dans votre contact avec des
collaborateurs entêtés? Le tact est le pivot des leviers sociaux, et la
tolérance est la marque d'une grande âme. Si vous possédez ce dons rares
et attachants, vous deviendrez progressivement plus alertes et habiles
dans vos efforts méritoires pour éviter tous les malentendus sociaux
inutiles. Les âmes sages peuvent échapper à bien des difficultés qui
assailleront certainement les personnes souffrant d'un manque d'adaptation
sentimentale, celles qui refusent de grandir, et celles qui n'acceptent
pas de vieillir avec élégance.
Evitez la malhonnêteté et l'injustice dans vos efforts pour prêcher la
vérité et proclamer l'évangile. Ne recherchez pas une reconnaissance
injustifiée et ne souhaitez pas une sympathie imméritée. Aimez, recevez
largement les bienfaits de source humaine et divine indépendamment de vos
mérites, et aimez généreusement en retour. Mais en tout ce qui concerne
les honneurs et l'adulation, recherchez seulement ce qui vous appartient
en toute honnêteté.
Les mortels connaissant Dieu sont certains d'être sauvés; ils ne
craignent rien de la vie; ils sont loyaux et conséquents. Ils savent
supporter courageusement les souffrances inévitables et ne se plaignent
pas quand ils doivent affronter des épreuves inéluctables.
Les vrais croyants ne se lassent pas de bien faire, même s'ils sont
contrecarrés. Les difficultés fouettent l'ardeur des amants de la vérité,
et les obstacles ne font que mettre au défi les efforts des intrépides
bâtisseurs du royaume.
Et Jésus leur enseigna encore bien d'autres choses avant de quitter
Tyr.
La veille du départ de Tyr pour retourner vers la région de la Mer de
Galilée, Jésus rassembla ses compagnons et ordonna aux douze évangélistes
de rentrer par un itinéraire différent de celui qui était prévu pour lui
et les douze apôtres. Après que les évangélistes se furent séparés de
Jésus à Tyr, ils ne collaborèrent plus jamais aussi intimement avec lui.
6. -- LE RETOUR DE PHÉNICIE
Le dimanche 24 juillet vers midi, Jésus et les douze apôtres quittèrent
la maison de Joseph au sud de Tyr. Ils suivirent la côte jusqu'à
Ptolémaïs, où ils s'arrêtèrent une journée et adressèrent des paroles
d'encouragement au groupe de croyants qui y résidait. Pierre leur fit un
sermon le soir du 25 juillet.
Le mardi, ils quittèrent Ptolémaïs en allant vers l'intérieur des
terres, par la route de Tibériade, jusqu'au voisinage de Jotapata. Le
mercredi ils s'arrêtèrent à Jotapata et donnèrent de nouvelles
instructions aux croyants sur les choses du royaume. Le jeudi ils
quittèrent Jotapata en prenant vers le nord la piste allant de Nazareth et
du Mont Liban au village de Zabulon, en passant par Rama. Ils tinrent des
réunions à Rama le vendredi et y restèrent jusqu'au lendemain du sabbat.
Ils arrivèrent à Zabulon le dimanche 31 juillet, y tinrent une réunion le
soir, et repartirent le lendemain matin.
Au départ de Zabulon, ils allèrent jusqu'au croisement de la route de
Magdala à Sidon, près de Gishala, et de là ils se rendirent à Génézareth,
sur la rive occidentale du lac de Galilée au sud de Capharnaüm. Ils
avaient convenu d'un rendez-vous avec David Zébédée à Génézareth, et ils
avaient l'intention d'y tenir conseil sur les prochaines dispositions à
prendre pour continuer à prêcher l'évangile du royaume.
Au cours d'un bref entretien avec David, ils apprirent que nombre de
notables se trouvaient actuellement réunis sur la rive opposée du lac,
près de Gérasa, et en conséquence ils traversèrent le lac le même soir par
bateau. Ils se reposèrent tranquillement une journée dans les montagnes,
et le lendemain ils se rendirent dans le parc voisin où le Maître avait
précédemment nourri les cinq mille. Ils s'y reposèrent trois jours en
tenant des conférences quotidiennes auxquelles assistaient une
cinquantaine d'hommes et de femmes, le reste de la compagnie, jadis
nombreuse, des croyants résidant à Capharnaüm et aux environs.
Pendant la période du séjour en Phénicie où Jésus se trouvait loin de
Capharnaüm et de la Galilée, ses ennemis calculèrent que tout son
mouvement avait été brisé; ils conclurent que la hâte de Jésus à se
retirer dénotait qu'il avait eu tellement peur qu'il ne reviendrait
probablement jamais plus les ennuyer. Toute opposition active à ses
enseignements s'était à peu près calmée. Les croyants recommençaient à
tenir des réunions publiques; les disciples éprouvés et fidèles, qui
avaient survécu au grand criblage récemment subi par les croyants à
l'évangile, s'affermissaient graduellement mais efficacement dans leur
foi.
Philippe, frère d'Hérode, s'était mis à croire tièdement en Jésus et
avait fait savoir que le Maître était libre de vivre et d'agir dans les
territoires soumis à sa juridiction.
L'ordre de fermer toutes les synagogue du monde Juif aux enseignements
de Jésus et de ses disciples avait provoqué un choc en retour contre les
scribes et les pharisiens. Immédiatement après que Jésus se fût retiré en
tant que sujet de controverse, il se produisit une réaction dans toute la
population juive; il naquit un ressentiment général contre les pharisiens
et les dirigeants du sanhédrin de Jérusalem. Beaucoup de chefs religieux
commencèrent à ouvrir subrepticement leurs synagogues à Abner et à ses
compagnons, en proclamant que ces éducateurs étaient des disciples de Jean
et non de Jésus.
Même Hérode Antipas éprouva un changement dans son coeur. Lorsqu'il
apprit que Jésus séjournait de l'autre côté du lac dans le territoire de
son frère Philippe, il lui fit savoir que, malgré la signature des mandats
d'arrêt contre lui en Galilée, il n'avait pas autorisé son arrestation en
Pérée; Hérode indiquait ainsi que Jésus ne serait as molesté s'il restait
hors de Galilée, et il communiqua la même ordonnance aux Juifs de
Jérusalem.
Telle était la situation le 1ier août de l'an 29, au moment où le
Maître revint de sa tournée en Phénicie et commença à réorganiser ses
forces dispersées, éprouvées, et réduites, en vue de la dernière et
mémorable année de sa mission sur terre.
L'enjeu de la bataille était désormais clair. Le Maître et ses
collaborateurs allaient proclamer une nouvelle religion, la religion de
l'esprit du Dieu vivant qui habite dans la pensée des hommes.
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