L'ORDINATION DES 70 À MAGADAN
QUELQUES jours après que Jésus et les douze furent revenus de Jérusalem
à Magadan, Abner et un groupe d'une cinquantaine de disciples arrivèrent
de Bethléhem. A ce moment se trouvaient également réunis au Camp de
Magadan le corps des évangélistes, le corps évangélique féminin, et
environ cent cinquante autres disciples sincères et éprouvés de toutes les
régions de la Palestine. Après avoir consacré quelques jours à visiter et
à réorganiser le camp, Jésus et les douze inaugurèrent une session
d'éducation intensive pour ce groupe spécial de croyants. C'est dans cette
masse de disciples instruits et expérimentés que le Maître choisit
finalement soixante-dix éducateurs et les envoya proclamer l'évangile du
royaume. Leur instruction régulière commença le vendredi à novembre de
l'an 29 et se poursuivit jusqu'au sabbat du 19 novembre.
Jésus faisait tous les matins une allocution à cette compagnie. Pierre
enseignait les méthodes de prédication en public. Nathanael exposait l'art
d'enseigner. Thomas expliquait la manière de répondre aux questions, et
Matthieu dirigeait l'organisation des finances collectives. Les autres
apôtres participèrent aussi à cette opération selon leur expérience
spéciale et leurs talents naturels.
1. -- L'ORDINATION DES SOIXANTE-DIX
Les soixante-dix furent ordonnés par Jésus au camp de Magadan le 19
novembre, jour de sabbat. Abner fut nommé chef de ces éducateurs et
prédicateurs de l'évangile. Le corps des soixante-dix était constitué par
Abner avec dix anciens apôtres de Jean, par cinquante-et-un des premiers
évangélistes, et par huit autres disciples qui s'étaient distingués au
service du royaume.
A deux heures de l'après-midi, entre des averses, un groupe de plus de
quatre cents croyants, accru par l'arrivée de David et de la majorité de
ses messagers, se rassembla sur la rive du lac de Galilée pour assister à
l'ordination des soixante-dix.
Avant d'imposer les mains sur les têtes des soixante-dix pour les
désigner comme messagers du royaume, Jésus leur adressa te discours
suivant: «En vérité, la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu
nombreux; je vous exhorte donc tous à prier pour que le Seigneur de la
moisson envoie encore d'autres ouvriers pour moissonner. Je vais vous
établir à part comme messagers du royaume et vous envoyer aux Juifs et aux
Gentils comme des agneaux parmi les loups. En allant deux par deux sur
votre route, n'emportez ni bourse ni vêtements de rechange, car cette
première mission sera de courte durée. En chemin, ne faites de salamalecs
à personne; ne vous occupez que de votre travail. Si vous vous arrêtez
dans un foyer, commencez par dire: « Que la paix soit sur cette maisonnée
». Si les habitants de cette maison aiment la paix, vous y demeurerez;
sinon, vous en partirez. Quand vous aurez choisi un foyer, restez-y
pendant tout votre séjour dans cette ville, mangeant et buvant ce que l'on
vous offrira. Vous ferez cela parce que l'ouvrier mérite sa subsistance.
Ne vous déplacez pas de maison en maison pour accepter un meilleur
logement. Souvenez-vous qu'en allant proclamer la paix sur terre et la
bonne volonté parmi les hommes, il vous faudra lutter contre des ennemis
acharnés qui se trompent eux-mêmes. Soyez donc prudents comme des serpents
et restez inoffensifs comme des colombes.
« Partout où vous irez, prêchez en disant: « Le royaume des cieux est à
portée de la main », et soignez tous les malades physiques et mentaux.
Vous avez reçu sans compter les bonnes choses du royaume; donnez-les sans
compter. Si les habitants d'une ville vous accueillent, ils trouveront une
large entrée dans le royaume du Père. Mais si les gens d'une ville
refusent de recevoir l'évangile, vous proclamerez néanmoins votre message
en quittant cette communauté incroyante; à ceux qui repousseront votre
enseignement, vous direz en partant: « Bien que vous repoussiez la vérité,
il n'en reste pas moins que le royaume de Dieu s'est approché de vous ».
Quiconque vous entend m'entend aussi, et quiconque m'entend entend Celui
qui m'a envoyé. Quiconque rejette votre message évangélique me rejette, et
quiconque me rejette aussi Celui qui m'a envoyé » (1).
(1) Cf. Matthieu X-40 et Luc X-16.
Après que Jésus leur eut ainsi parlé, les soixante-dix s'agenouillèrent
en cercle autour de lui, et il imposa les mains sur la tête de chacun
d'eux en commençant par Abner.
Le lendemain matin de bonne heure, Abner envoya les soixante-dix
évangélistes deux par deux vers toutes les villes de Galilée, de Samarie,
et de Judée. Les trente-cinq groupes allèrent prêcher et enseigner pendant
six semaines; ils revinrent tous le vendredi 30 décembre au nouveau camp
de Pella, en Pérée.
2. -- LE JEUNE HOMME RICHE ET DIVERS AUTRES CAS
Plus de cinquante disciples qui désiraient l'ordination et l'admission
parmi les soixante-dix furent éliminés par le comité que Jésus avait nommé
pour sélectionner les candidats. Ce comité était composé d'André, d'Abner,
et du chef adjoint du corps évangélique. Dans tous les cas où le comité
des trois n'était pas unanime, le candidat était amené devant Jésus. Le
Maître ne rejeta aucun homme profondément désireux de recevoir
l'ordination de messager du royaume, mais après s'être entretenus avec
Jésus, plus d'une douzaine de postulants ne désirèrent plus devenir
instructeurs.
Un disciple sincère vint trouver Jésus en disant: « Maître, je voudrais
être l'un de tes nouveaux apôtres, mais mon père est très âgé et sa fin
est proche; me permettrais-tu de rentrer chez moi pour l'enterrer? » Jésus
répondit à cet homme: « Mon fils, les renards ont des tanières et les
oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'Homme n'a nulle part où
reposer sa tête. Tu es un disciple fidèle, et tu peux le rester tout en
retournant chez toi soigner ceux que tu aimes, mais il n'en est pas de
même pour les messagers de mon évangile. Ils ont tout abandonné pour me
suivre et proclamer le royaume. Si tu veux être ordonné instructeur, il
faut que tu laisses les autres enterrer les morts pendant que tu vas
publier la bonne nouvelle ». Et cet homme s'en alla fort déçu.
Un autre disciple vint vers le Maître et dit: « Je désire être ordonné
messager, mais je voudrais passer un peu de temps chez moi pour encourager
ma famille ». Jésus lui répondit: « Si tu désires l'ordination, il faut
que tu acceptes de tout abandonner. Les messagers de l'évangile ne peuvent
diviser leur affection. Nul homme ayant mis la main à la charrue n'est
digne de devenir un messager du royaume s'il revient en arrière».
André amena ensuite à Jésus un jeune homme riche nommé Matadormus, qui
était un croyant dévoué et désirait recevoir l'ordination. Ce jeune homme
était membre du sanhédrin de Jérusalem. Il avait entendu Jésus enseigner,
puis avait été instruit dans l'évangile du royaume par Pierre et les
autres apôtres. Jésus s'entretint avec Matadormus des exigences de
l'ordination et lui demanda de différer sa décision jusqu'à plus ample
réflexion sur la question. Le lendemain matin de bonne heure, tandis que
Jésus partait faire un tour, le jeune homme l'aborda en disant: « Maître,
je voudrais connaître de toi les assurances de la vie éternelle. Vu que
j'ai observé tous les commandements depuis ma jeunesse, je voudrais savoir
ce qu'il faut faire de plus pour avoir la vie éternelle ». En réponse à
cette question, Jésus dit: « Si tu gardes tous les commandements -- tu ne
commettras pas adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas pas, tu ne
porteras pas de faux témoignage, tu ne feras point de tort, tu honoreras
tes parents -- tu agis bien, mais le salut récompense la foi, et non
simplement les oeuvres. Crois-tu à l'évangile du royaume? » Matadormus
répondit: « Oui, Maître, je crois tout ce que toi et tes apôtres vous
m'avez enseigné ». Jésus dit: « Alors tu es en vérité mon disciple et un
enfant du royaume ».
Ensuite le jeune homme dit: « Maître, il ne me suffit pas d'être ton
disciple; je voudrais être un de tes nouveaux messagers ». Lorsque Jésus
entendit cela, il le regarda avec un grand amour et dit: « Je t'accepterai
comme l'un de mes messagers si tu veux payer le prix et fournir la seule
chose qui te manque ». Matadormus répondit: « Maître, je ferai n'importe
quoi pour avoir la permission de te suivre ». Jésus embrassa sur le front
le jeune homme agenouillé et lui dit: « Si tu veux être mon messager, va
vendre tout ce que tu possèdes; lorsque tu en auras donné le montant aux
pauvres ou à tes compagnons, reviens et suis moi, et tu auras un trésor
dans le royaume des cieux » (1).
(1) Cf. Matthieu XIX-21.
À l'audition de ces paroles, Matadormus perdit contenance. Il se leva
et s'en alla tristement, car il possédait de grands biens. Ce jeune
pharisien riche avait été élevé dans la croyance que la fortune était le
signe de la faveur de Dieu. Jésus savait que Matadormus n'était pas libéré
de l'amour de lui-même et de ses richesses. Les disciples de Jésus ne se
dépouillaient pas de tous leurs biens terrestres, mais les apôtres et les
soixante-dix le faisaient. Matadormus désirait être l'un des soixante-dix,
et c'est pourquoi Jésus lui demanda de renoncer à toutes ses possessions
matérielles.
Presque tout être humain a une chose à laquelle il s'attache comme à un
mal familier, et à laquelle il lui faut renoncer comme partie du prix
d'admission au royaume des cieux. Si Matadormus s'était séparé de sa
fortune, elle lui aurait probablement été aussitôt restituée pour qu'il la
gère comme trésorier des soixante-dix. Ultérieurement en effet, lors de
l'établissement de l'Eglise à Jérusalem, Matadormus obéit à l'injonction
du Maître, bien qu'il fût alors trop tard pour bénéficier de l'admission
parmi les soixante-dix. Il devint trésorier de l'Eglise de Jérusalem, dont
le chef était Jacques, frère de Jésus par le sang.
Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi: il faut que
les hommes prennent leurs propres décisions. Ils peuvent exercer librement
leur choix dans un domaine d'une certaine étendue. Les force du monde
spirituel ne cherchent pas à contraindre les hommes; elles leur permettent
de suivre la voie qu'ils ont eux-mêmes choisie.
Jésus prévoyait que Matadormus, avec sa fortune, ne pourrait être
ordonné comme associé d'hommes qui avaient renoncé à tout pour l'évangile.
En même temps, il voyait que, si Matadormus se dépouillait de sa fortune,
il deviendrait le chef des soixante-dix. Mais, de même que les frères de
sang de Jésus, Matadormus ne devint jamais grand dans le royaume parce
qu'il s'était privé lui-même de l'association intime et personnelle avec
le Maître; il aurait pu en faire l'expérience s'il avait voulu exécuter
sur le champ l'acte que Jésus lui demandait, acte qu'il accomplit
d'ailleurs quelques années plus tard.
Les richesses n'ont pas de rapports directs avec l'entrée dans le
royaume des cieux, mais l'amour des richesses en a. L'allégeance
spirituelle envers le royaume est incompatible avec la servilité envers le
mammon matérialiste. Les hommes ne peuvent partager avec une dévotion
matérielle leur fidélité suprême à un idéal spirituel.
Jésus n'enseigna jamais qu'il fût mauvais d'avoir de la fortune. Il
demanda seulement aux douze et aux soixante-dix de consacrer toutes leurs
possessions terrestres à la cause commune. Même alors, il veilla à ce que
leurs biens fussent liquidés avantageusement, comme ce fut le cas pour
l'apôtre Matthieu. Jésus donna maintes fois des conseils à ses disciples
fortunés comme il en avait donné au riche citoyen de Rome. Le Maître
considérait le sage investissement des excédents de revenus comme une
forme légitime d'assurance contre l'inévitable adversité future. Quand la
trésorerie apostolique était bien fournie, Judas mettait des fonds en
dépôt pour les employer ultérieurement si les apôtres devaient grandement
souffrir d'une diminution de leurs revenus. Judas opérait ainsi après
consultation avec André. Jamais Jésus ne s'occupait des finances
apostoliques, sauf pour le déboursement des aumônes. Toutefois, il y avait
un abus économique qu'il condamna à maintes reprises: c'était
l'exploitation injuste des faibles, des ignorants, et des moins fortunés
par leurs semblables plus intelligents. Jésus déclara que ce traitement
inhumain des hommes, des femmes, et des enfants était incompatible avec
les idéaux de fraternité du royaume des cieux.
3. -- LA DISCUSSION SUR LA RICHESSE
Au moment où Jésus terminait son entretien avec Matadormus, Pierre et
quelques apôtres s'étaient réunis autour de lui. Tandis que le jeune homme
riche s'en allait, Jésus se tourna vers les apôtres et leur dit: « Vous
voyez combien il est difficile pour les riches d'entrer totalement dans le
royaume de Dieu! On ne peut partager l'adoration spirituelle avec les
dévotions matérielles. Nul ne peut servir deux maîtres. Selon l'un de vos
dictons, « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une
aiguille que pour les païens d'hériter la vie éternelle ». Je déclare
qu'il est tout aussi difficile au chameau de passer par le trou de
l'aiguille qu'aux riches, satisfaits d'eux-mêmes, d'entrer dans le royaume
des cieux » (1).
(1) Matthieu XIX-24 ; Marc X-25 ; Luc
XVIII-25.
Lorsque Pierre et les apôtres entendirent ces paroles, ils furent
extrêmement étonnés, au point que Pierre dit: « Alors, Seigneur, qui
pourra être sauvé? Tous ceux qui où des richesses seront-ils tenus à
l'écart du royaume? » Jésus répondit: « Non, Pierre, mais tous ceux qui
mettent leur confiance dans les richesses ont peu de chances d'entrer dans
la vie spirituelle conduisant au progrès éternel. Même dans ce cas, ce qui
est impossible aux hommes n'est pas hors de la portée de Dieu; nous
devrions plutôt reconnaître qu'avec Dieu toutes choses sont possibles ».
Tandis qu'ils s'en allaient, Jésus fut attristé de ce que Matadormus ne
soit pas resté avec eux, car il l'aimait beaucoup. Ils se dirigèrent vers
le lac, s'assirent au bord de l'eau, et Pierre, parlant au nom des douze
(alors tous réunis) dit: « Maître, nous sommes troublés par ton discours
au jeune homme riche. Faut-il demander à tous ceux qui voudraient nous
suivre de renoncer à leurs biens terrestres? » Jésus répondi: « Non,
Pierre, mais seulement à ceux qui veulent devenir apôtres et vivre avec
moi comme vous, en formant une seule famille. Le Père exige que
l'affection de ses enfants soit pure et indivise. Il faut abandonner
toutes les choses ou personnes qui s'interposent entre vous et l'amour des
vérités du royaume. Si la fortune des gens n'envahit pas le domaine de
leur âme, elle ne gêne pas la vie spirituelle de ceux qui voudraient
entrer dans le royaume ».
Pierre dit ensuite: « Mais, Maître, nous avons tout quitté pour te
suivre; alors que posséderons-nous? » Jésus s'adressa à l'ensemble des
douze et dit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque aura
renoncé à sa fortune, à son foyer, à sa femme, à ses frères, à ses
parents, ou à ses enfants, par amour pour moi et pour le royaume des
cieux, recevra maintes fois davantage dans ce monde, peut-être au prix de
quelques persécutions; et dans le monde à venir, il recevra la vie
éternelle. Beaucoup de ceux qui sont les premiers seront les derniers,
tandis que les derniers seront souvent les premiers. Le Père traite ses
créatures selon leurs besoins et conformément à ses justes lois de
considération aimante et miséricordieuse pour le bonheur d'un univers.
« Le royaume des cieux ressemble à un propriétaire, employant beaucoup
de main d'oeuvre, qui alla le matin de bonne heure embaucher des ouvriers
pour travailler dans son vignoble. Il convint avec eux de les payer un
denier par jour et les envoya au travail. Il sortit encore à neuf heures
et, voyant d'autres désoeuvrés sur la place du marché, il leur dit: «
Allez aussi travailler dans mon vignoble; je vous payerai ce qui est juste
». Et ils se mirent aussitôt au travail. Le propriétaire sortit de nouveau
à midi, puis à trois heures, et agit encore de même. Retournant une
nouvelle fois à cinq heures de l'après-midi sur la place du marché, il
trouva encore d'autres oisifs et leur demanda: « Pourquoi restez-vous ici
toute la journée à ne rien faire? » Les hommes répondirent: « Parce que
personne ne nous a embauchés ». Le propriétaire leur dit: « Allez aussi
travailler dans mon vignoble; je vous payerai ce qui est juste ».
« A la tombée de la nuit, le propriétaire du vignoble dit à son
intendant: « Appelle les ouvriers et paye leur leurs gages, en commençant
par les derniers embauchés et en finissant par les premiers ». Quand
arrivèrent ceux qui avaient été embauchés à cinq heures de l'après-midi,
ils reçurent chacun un denier, et tous les autres reçurent le même
salaire. Quand les hommes embauchés au début de la journée virent le prix
pays aux attardés, ils s'attendirent à recevoir plus que le salaire
convenu. Mais chacun ne reçut qu'un denier, comme les autres. Après avoir
tous été payés, ils se plaignirent au propriétaire en disant: « Les hommes
embauchés tardivement n'ont travaillé qu'une heure, et cependant tu leur
as donné le même salaire qu'à nous, qui avons peiné toute la journée sous
le soleil brûlant ».
« Le propriétaire répondit: « Mes amis, je ne vous porte pas préjudice.
Chacun de vous n'a-t-il pas accepté de travailler pour un denier par jour?
Prenez maintenant ce qui vous revient et allez votre chemin, car je désire
donner aux derniers venus la même somme qu'à vous. N'ai-je pas le droit de
disposer comme il me plaît de ce qui m'appartient? Ou bien me
reprochez-vous ma générosité parce que je cherche à faire montre de bonté
et de miséricorde? (2) »
(2) Matthieu XX-1 à 16.
4. -- LES ADIEUX AUX SOIXANTE-DIX
Le jour où les soixante-dix partirent pour leur première mission fut un
moment émouvant au camp de Magadan. Le matin de bonne heure, dans son
dernier entretien avec les soixante-dix, le Maître insista sur les points
suivants:
1. L'évangile du royaume doit être proclamé dans le monde
entier, aux Gentils comme aux Juifs.
2. En soignant les malades, abstenez-vous de leur laisser
espérer des miracles.
3. Proclamez une confraternité spirituelle des fils de
Dieu, et non un royaume extérieur de puissance mondiale et de gloire
matérielle.
4. Évitez de perdre du temps par un excès de visites
mondaines et d'autres banalités; elles pourraient vous empêcher de vous
consacrer de tout coeur à la prédication de l'évangile.
5. Si la première maison que vous aurez choisie comme
quartier général dans une ville se révèle un foyer méritant, demeurez-y
durant tout votre séjour dans cette ville.
6. Expliquez à tous les croyants fidèles que l'heure est
maintenant venue de rompre ouvertement avec les chefs religieux des Juifs
à Jérusalem.
7. Enseignez que la totalité du devoir des hommes est
résumée dans cet unique commandement: Aime le Seigneur ton Dieu de toute
ta pensée et de toute ton âme, et aime ton prochain comme toi-même. (Les
soixante-dix devaient enseigner cela comme représentant la totalité du
devoir des hommes en replacement des 613 règles de vie préconisées par les
pharisiens.)
Après que Jésus eut ainsi parlé aux soixante-dix en présence de tous
les apôtres et disciples, Pierre les prit à part et leur prêcha leur
sermon d'ordination. Ce fut une analyse détaillée des recommandations
faites par le Maître au moment où il leur avait imposé les mains et les
avait sélectionnés comme messagers du royaume. Pierre exhorta les
soixante-dix à chérir, dans leur expérience, les vertus suivantes:
1. La dévotion consacrée. Prier toujours pour qu'un
plus grand nombre d'ouvriers soient envoyés à la moisson de l'évangile. Il
expliqua qu'en priant ainsi chacun tendrait davantage à dire: « Me voici;
envoie moi». Il leur recommanda de ne pas négliger leur culte quotidien.
2. Le vrai courage. Pierre les prévint qu'ils
rencontreraient de l'hostilité et seraient certainement persécutés. Il
leur dit que leur mission n'était pas une entreprise de lâches, et
recommanda aux craintifs de renoncer à partir. Mais aucun des soixante-dix
ne recula.
3. La foi et la confiance. Les soixante-dix
devaient partir pour cette courte mission les mains complètement vides.
Ils devaient faire confiance au Père pour leur nourriture, leur logement,
et tous leurs autres besoins.
4. Le zèle et l'initiative. Ils devaient être
remplis de zèle et d'un enthousiasme intelligent; ils devaient s'occuper
strictement des affaires de leur Maître. Le salamalec oriental était une
cérémonie longue et minutieuse; c'est pourquoi Jésus leur avait recommandé
de « ne saluer personne en chemin ». C'était une expression courante pour
exhorter quelqu'un à vaquer à ses affaires sans perdre de temps. Elle
n'avait rien de commun avec la question des salutations amicales.
5. L'amabilité et la courtoisie. Le Maître leur
avait ordonné d'éviter d'inutiles pertes de temps en cérémonies sociales,
mais recommanda la courtoisie envers toutes les personnes rencontrées. Ils
devaient être extrêmement aimables envers les hôtes qui les
entretiendraient à leur foyer. Ils furent strictement mis en garde contre
la tendance à quitter un foyer modeste pour être entretenus dans un foyer
plus confortable ou plus influent.
6. Les soins aux malades. Pierre donna pour
instruction aux soixante-dix de rechercher les malades mentaux et
physiques, et de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour alléger ou
guérir leurs maux.
Après avoir ainsi reçu leurs ordres et leurs instructions, ils
partirent deux par deux pour leur mission en Galilée, en Samarie, et en
Judée.
Les Juifs avaient une estime particulière pour le nombre 70 et
considéraient parfois les nations du monde païen comme étant au nombre de
70. Bien que les 70 messagers eussent mission de porter l'évangile à tous
les peuples, ce fut, autant que nous puissions nous en rendre compte, une
simple coïncidence que leur groupe comportait exactement 70 membres. Jésus
en aurait certainement accepté une demi-douzaine de plus, mais ils ne
voulaient pas payer le prix en abandonnant leur fortune et leur famille.
5. -- LE TRANSFERT DU CAMP À PELLA
Jésus et les douze se préparèrent maintenant à établir leur dernier
quartier général en Pérée, près de Pella, où le Maître avait été baptisé
dans le Jourdain. Les dix derniers jours de novembre se passèrent en
conseils à Magadan. Le mardi 6 décembre, toute la compagnie, comprenant
près de trois cents personnes, partit au lever du jour avec ses bagages
pour loger la nuit suivante près de Pella, au bord du fleuve. Elle
s'installa près de la source, à l'endroit même que Jean le Baptiste avait
occupé avec son camp plusieurs années auparavant.
Après la levée du camp de Magadan, David Zébédée revint à Bethsaïde et
commença aussitôt à réduire le service des messagers. Le royaume entrait
dans une nouvelle phase. Des pèlerins arrivaient quotidiennement de toutes
les parties de la Palestine et même des régions lointaines de l'empire
romain. Des croyants venaient parfois de Mésopotamie et des pays situés à
l'orient du Tigre. David avait emmagasiné dans la maison de son père le
matériel du camp de Bethsaïde qu'il avait précédemment organisé près du
lac. Avec l'aide de son corps de messagers, il chargea cet équipement sur
des bêtes de somme et fit pour un temps ses adieux à Bethsaïde. Il
descendit le long de la rive du lac et du Jourdain jusqu'à un point situé
à un kilomètre au nord du camp apostolique. En moins d'une semaine il fut
prêt à offrir l'hospitalité à près de quinze cents pèlerins visiteurs. Le
camp apostolique pouvait recevoir environ cinq cents personnes. C'était la
saison des pluies en Palestine, et ce dispositif était nécessaire pour
héberger le nombre toujours croissant d'enquêteurs, la plupart sérieux,
qui venaient en Pérée pour voir Jésus et écouter son enseignement.
David fit tout cela de sa propre initiative, bien qu'il eût pris
conseil de Philippe et de Matthieu à Magadan. Il employa la majeure partie
de son ancien corps de messagers pour l'aider à diriger ce camp. Le
service proprement dit des messagers fut réduit à moins de vingt hommes.
Vers la fin de décembre et avant le retour des soixante-dix, près de huit
cents visiteurs étaient rassemblés autour de Jésus et trouvaient à se
loger au camp de David.
6. -- LE RETOUR DES SOIXANTE-DIX
Le vendredi 30 décembre, tandis que Jésus s'était éloigné dans les
montagnes voisines avec Pierre, Jacques, et Jean, les soixante-dix
messagers arrivèrent deux par deux au quartier général de Pella,
accompagnés par de nombreux croyants. A cinq heures de l'après-midi,
lorsque Jésus revint au camp, ils étaient tous réunis à l'endroit où il
enseignait. Le repas du soir fut retardé de plus d'une heure, pendant
laquelle ces enthousiastes de l'évangile du royaume racontèrent leurs
expériences. Les messagers de David avaient rapporté beaucoup de ces
nouvelles aux apôtres durant les semaines précédentes, mais il fut
vraiment vivifiant d'entendre ces instructeurs de l'évangile, dont
l'ordination était récente, raconter comment leur message avait été reçu
par les Juifs et les Gentils assoiffés de vérité. Enfin Jésus avait pu
voir des hommes allant répandre la bonne nouvelle en dehors de sa présence
personnelle. Le Maître savait désormais qu'il pouvait quitter ce monde
sans porter un trop grave préjudice aux progrès du royaume.
Quand les soixante-dix racontèrent que « même les démons leur étaient
soumis » (1), ils faisaient allusion aux cures merveilleuses qu'ils
avaient opérées sur les victimes de désordres nerveux. Néanmoins, ces
ministres avaient traité avec succès quelques cas de possession réelle par
des esprits. Parlant de ces cas, Jésus dit: « Il n'est pas étonnant que
ces esprits mineurs désobéissants vous soient assujettis, car j'ai vu
Satan tomber du ciel comme un éclair. Mais ne vous réjouissez pas
tant de cela, car je vous déclare que, dès mon retour auprès du Père, nous
enverrons notre esprit conjoint dans la pensée même des hommes, de sorte
que ces quelques rares démons égarés ne pourront plus pénétrer dans la
pensée de mortels infortunés. Je me réjouis avec vous de ce que vous ayez
de l'influence sur des hommes, mais ne tirez pas vanité de cette
expérience. Réjouissez-vous plutôt d'avoir vos noms inscrits dans les
archives du ciel et d'être ainsi certains de progresser dans une carrière
sans fin de conquêtes spirituelles ».
(1) Luc X-17 et la suite.
À ce moment, juste avant de participer au repas du soir, Jésus éprouva
l'un des rares moments d'extase émotionnelle dont ses disciples aient eu
l'occasion d'être témoins. Il dit: « Je te remercie, mon Père, Seigneur du
ciel et de la terre, d'avoir caché ce merveilleux évangile aux sages et
aux pharisaïques, tandis que l'esprit en révélait les gloires spirituelles
à ces enfants du royaume. Oui, mon Père, tu as dû avoir plaisir à faire
cela, et je me réjouis de savoir que cette bonne nouvelle se répandra dans
le monde entier, même après mon retour auprès de toi quand je me serai
remis à l'oeuvre que tu m'as donnée à accomplir dans l'univers. Je suis
fortement ému en comprenant que tu vas remettre toute autorité entre mes
mains, que je suis seul, avec ceux à qui je t'ai révélé, à te connaître
réellement. Quand j'aurai achevé cette révélation à mes frères incarnés,
je la poursuivrai auprès de tes créatures célestes ».
Après avoir ainsi parlé au Père, Jésus se tourna vers ses apôtres et
ses ministres pour s'adresser à eux: « Bénis soient les yeux qui ont vu
ces choses et les oreilles qui les ont entendues. Laissez-moi vous dire
que bien des prophètes et bien des grands hommes des âges écoulés ont
désiré voir les choses que vous apercevez maintenant, mais cela ne leur
fut pas accordé (2). Bien des générations futures d'enfants de lumière
envieront ceux qui les ont vues et entendues, quand elles en entendront
parler ».
S'adressant ensuite à tous ses disciples, Jésus dit: « Vous avez
entendu combien de villes et de villages ont reçu la bonne nouvelle du
royaume, et comment mes ministres et mes éducateurs ont été accueillis par
les Juifs et les Gentils. Bénies sont en vérité les communautés qui ont
choisi de croire à l'évangile du royaume. Mais malheur aux habitants de
Chorazin, de Bethsaïde-Juliade, et de Capharnaüm, qui rejettent la lumière
et n'ont pas bien accueilli mes messagers. Je proclame que si les
puissantes oeuvres accomplies en ces lieux l'avaient été à Tyr et à Sidon,
les habitants de ces villes dites païennes auraient depuis longtemps fait
pénitence sous le sac et la cendre. En vérité, au jour du jugement, le
sort de Tyr et de Sidon sera plus supportable que le leur » (3).
(2) Cf Matthieu XIII-17. |
(3) Cf. Matthieu XI-21 et Luc X-13.
|
Le lendemain étant un jour de sabbat, Jésus réunit les soixante-dix à
part et leur dit: « En vérité je me suis réjoui avec vous quand vous êtes
revenus avec la bonne nouvelle que l'évangile du royaume avait été
accueilli par tant de gens dispersés en Galilée, en Samarie, et en Judée.
Mais pourquoi votre exultation est-elle empreinte de surprise?
N'espériez-vous pas que la délivrance de votre message se manifesterait
avec puissance? Etiez-vous partis avec si peu de foi dans l'évangile pour
que vous reveniez surpris de son efficacité? Maintenant, sans vouloir
refroidir votre enthousiasme, je tiens à vous mettre soigneusement en
garde contre les subtilités de l'orgueil, de l'orgueil spirituel. Si vous
pouviez comprendre la chute de Lucifer, ce fils de l'iniquité, vous
renonceriez solennellement à toutes les formes d'orgueil spirituel.
« Vous avez entrepris la grande oeuvre d'enseigner aux hommes qu'ils
sont fils de Dieu. Je vous ai montré le chemin; partez accomplir votre
devoir et ne vous lassez pas de bien faire. Pour vous et pour tous ceux
qui suivront vos traces au long des âges, je rappelle que je me tiens
toujours auprès de vous. Mon invitation au royaume est et demeurera
toujours: Vous tous qui peinez et qui êtes lourdement chargés, venez à
moi, et je vous donnerai le repos. Acceptez mon joug et écoutez-moi, car
je suis sincère et fidèle, et vous trouverez auprès de moi du repos
spirituel pour vos âmes ».
Quand les apôtres eurent l'occasion de mettre à l'épreuve les promesses
de Jésus, ils constatèrent qu'elles étaient sincères et véridiques. Et
depuis cette époque, d'innombrables croyants ont également constats et
démontré que ces promesses étaient bien tenues.
7. -- PRÉPARATIFS POUR LA DERNIÈRE MISSION
Les quelques jours qui suivirent furent très animés au camp de Pella;
on y acheva les préparatifs pour la mission en Pérée. Jésus et ses
collaborateurs allaient entreprendre leur dernière mission, la tournée de
trois mois dans toute la Pérée, qui se termina par l'entrée du Maître à
Jérusalem pour le parachèvement de son oeuvre terrestre. Durant toute
cette période, le quartier général de Jésus et des douze apôtres fut
maintenu au camp de Pella.
Jésus n'avait plus besoin d'aller au loin pour enseigner les
populations. Les gens venaient maintenant vers lui chaque semaine en
nombre croissant, non seulement de toutes les parties de la Palestine,
mais aussi de tout l'empire romain et du Proche Orient. Le Maître
participa avec les soixante-dix à la mission en Pérée, mais il passa la
majeure partie de son temps au camp de Pella, enseignant la foule et
instruisant les douze apôtres. Durant tout ce trimestre, dix apôtres au
moins restèrent auprès de Jésus.
Les femmes du corps apostolique se préparèrent également à partir deux
par deux en même temps que les soixante-dix pour évangéliser dans les
principales villes de Pérée. Le groupe originel de douze femmes avait
récemment éduqué un groupe plus nombreux de cinquante autres femmes en
leur apprenant la manière de visiter les foyers et l'art de soigner les
malades et les affligés. Perpétua, la femme de Simon Pierre, devint membre
de cette nouvelle division du groupe féminin; on lui confia, sous les
ordres d'Abner, la direction de ce supplément de travail des femmes. Après
la Pentecôte, elle resta avec son illustre mari et l'accompagna dans
toutes ses tournées missionnaires. Le jour où Pierre fut crucifié à Rome,
elle fut donnée en pâture aux bêtes féroces dans l'arène. Faisaient
également partie de ce nouveau corps apostolique féminin les femmes de
Philippe et de Matthieu et la mère de Jacques et de Jean Zébédée.
L'oeuvre du royaume sous la direction personnelle de Jésus allait
maintenant entrer dans sa phase terminale. C'était une phase de profondeur
spirituelle contrastant avec celle où les multitudes rêvant de miracles et
recherchant des prodiges suivaient le Maître à l'époque de sa popularité
en Galilée. Toutefois, un certain nombre de ses disciples conservaient
leur mentalité matérielle et ne réussissaient pas à comprendre que le
royaume des cieux est la confraternité spirituelle des hommes fondée sur
la paternité universelle de Dieu.
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