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LA MISSION EN PÉRÉE COMMENCE
ABNER LE NAZIRÉEN, ancien chef des douze apôtres de Jean le Baptiste et
jadis chef de l'école naziréenne d'Engaddi, était maintenant le chef des
soixante-dix messagers du royaume. Le mardi 3 janvier de l'an 30, il
convoqua ses collaborateurs et leur donna les instructions finales avant
de les envoyer en mission dans toutes les villes et tous les villages de
Pérée. Cette mission en Pérée se poursuivit durant presque trois mois et
fut le dernier ministère du Maître. Après cette mission, Jésus alla
directement à Jérusalem pour traverser les ultimes expériences de son
incarnation. Secondés par l'appui périodique de Jésus et des douze
apôtres, les soixante-dix évangélistes opérèrent dans les villes et cités
suivantes et dans une cinquantaine d'autres villages: Zaphon, Gadara,
Macad, Arbéla, Rama, Edréi, Bosora, Caspin, Mispeh, Gérasa, Ragaba,
Succoth, Amathus, Adam, Pénuel, Capitoliade, Dion, Hatita, Gadda,
Philadelphie, Jogbéha, Giléad, Beth-Nimra, Tyr, Eléala, Hesbon, Callirhoé,
Beth-Péor, Sittim, Sibma, Médéba, Beth-Méon, Aréopolis, et Aroer.
Durant cette tournée de Pérée, le corps évangélique féminin, qui
comptait maintenant soixante-deux membres, prit en charge la majeure
partie des soins aux malades. Ce fut la période finale de développement
des aspects spirituels supérieurs de l'évangile du royaume, et en
conséquence aucun miracle ne fut accompli. Dans nulle autre région de
Palestine les apôtres et les disciples de Jésus ne firent un travail aussi
approfondi, et nulle part ailleurs l'enseignement du Maître ne fut accepté
aussi généralement par les classes supérieures de citoyens.
A cette époque, la Pérée était peuplée à peu près également de Gentils
et de Juifs. Dans l'ensemble, les Juifs avaient été évincés de ces régions
à l'époque de Judas Macchabée. La Pérée était la province la plus belle et
la plus pittoresque de toute la Palestine. Les Juifs l'appelaient
généralement « le pays au delà du Jourdain ».
Durant cette période, Jésus partagea son temps entre le camp de Pella
et des déplacements avec les douze pour assister les soixante-dix dans les
diverses villes où ils enseignaient et prêchaient. Selon les instructions
d'Abner, les soixante-dix baptisèrent tous les croyants, bien que Jésus ne
les eût pas chargés de le faire.
1. -- AU CAMP DE PELLA
Au milieu de janvier, plus de douze cents personnes étaient rassemblées
à Pella. Quand Jésus résidait au camp, il enseignait cette foule au moins
une fois par jour; il parlait généralement à neuf heures du matin
lorsqu'il n'en était pas empêché par la pluie. Pierre et les autres
apôtres enseignaient tous les après-midi. Jésus réservait la soirée pour
les sessions habituelles de questions et de réponses avec les douze et
d'autres disciples avancés. Les groupes du soir comptaient en moyenne une
cinquantaine de personnes.
Au milieu de mars, au moment où Jésus commença son voyage vers
Jérusalem, plus de quatre mille personnes composaient le vaste auditoire
qui écoutait Jésus ou Pierre prêcher tous les matins. Le Maître décida de
terminer son oeuvre terrestre à un moment où le public y portait un grand
intérêt, à l'apogée de la seconde phase -- dépourvue de miracles -- des
progrès du royaume. Les chercheurs de vérité constituaient les trois
quarts de la foule, mais l'auditoire comprenait également un bon nombre de
pharisiens de Jérusalem et d'ailleurs, ainsi que de nombreux incrédules et
ergoteurs.
Jésus et les douze apôtres consacrèrent beaucoup de temps à la
multitude assemblée au camp de Pella. Les douze ne s'occupèrent que très
peu du travail extérieur au camp; ils se bornèrent à s'absenter de temps
en temps avec Jésus pour aller visiter les collaborateurs d'Abner. Abner
connaissait fort bien le district de Pérée, car c'était le domaine où son
ancien maître Jean le Baptiste avait accompli la plus grande partie de son
oeuvre. Après avoir entamé la mission en Pérée, Abner et les soixante-dix
ne revinrent plus jamais au camp de Pella.
2. -- LE SERMON SUR LE BON BERGER
Une compagnie de plus de trois cents habitants de Jérusalem, pharisiens
et autres, suivit Jésus au nord de Pella lorsqu'il quitta précipitamment
le domaine de juridiction des dirigeants juifs à la fin de la fête de la
Dédicace. Ce fut en présence de ces éducateurs et notables juifs, et des
douze apôtres, que Jésus prêcha son sermon sur le « Bon Berger ». Après
une demi-heure de discussions amicales, Jésus s'adressa à une centaine de
personnes en disant:
« J'ai bien des choses à vous dire ce soir. Vu que beaucoup d'entre
vous sont mes disciples, et quelques autres mes ennemis acharnés, je
présenterai mon enseignement sous la forme d'une parabole. Ainsi, chacun
de vous pourra prendre pour lui ce que son coeur accueillera.
« Ce soir, il y a devant moi des hommes disposés à mourir pour moi et
pour l'évangile du royaume; plusieurs d'entre eux se sacrifieront ainsi
dans les années à venir. Par ailleurs, d'autres auditeurs parmi vous sont
esclaves de la tradition; ils m'ont suivi depuis Jérusalem et, sous
l'égide de leurs chefs qui vivent dans les ténèbres et les illusions, ils
cherchent à faire mourir le Fils de l'Homme. La vie incarnée que je vis
actuellement jugera les deux catégories, les vrais bergers et les faux
bergers. Si les faux bergers étaient aveugles, ils ne seraient pas
coupables de péché, mais vous prétendez voir; vous vous présentez comme
les éducateurs d'Israël; c'est pourquoi votre péché reste attaché à vous.
« A l'époque du danger, le vrai berger rassemble son troupeau au
bercail pour la nuit. Au lever du jour, il entre au bercail par la porte,
et quand il appelle, les brebis connaissent sa voix. Tout berger qui
pénètre dans le bercail autrement que par la porte est un voleur et un
brigand. Le vrai berger entre au bercail après que le gardien lui ait
ouvert la porte, et ses brebis, connaissant sa voix, sortent à son appel;
une fois qu'elles sont rassemblées à la sortie, le bon berger les précède;
il montre le chemin, et les brebis le suivent. Elles le suivent parce
qu'elles connaissent sa voix; elles refuseront de suivre un étranger.
Elles fuiront l'étranger parce qu'elles ne connaissent pas sa voix. La
foule assemblée ici autour de nous ressemble à des brebis sans berger,
mais quand nous lui parlons, elle connaît la voix du berger et nous suit;
tout au moins ceux qui où faim de vérité et soif de droiture nous suivent.
Quelques uns d'entre vous n'appartiennent pas à mon bercail; vous ne
connaissez pas ma voix et vous ne me suivez pas. Parce que vous êtes de
faux bergers, les brebis ne connaissent pas votre voix et ne veulent pas
vous suivre.
Lorsque Jésus eut conté cette parabole, nul ne lui posa de questions.
Après un moment, il reprit la parole et poursuivit en analysant la
parabole:
« Vous qui voudriez être les bergers auxiliaires des troupeaux de mon
Père, il vous faut non seulement être des chefs méritants, mais aussi
alimenter le troupeau avec de la bonne nourriture. Vous n'êtes de bons
bergers qu'à condition de conduire vos troupeaux dans de verts pâturages
et auprès d'eaux tranquilles.
« Et maintenant, de crainte que certains d'entre vous ne comprennent
trop facilement cette parabole, je déclare que je suis la porte du bercail
du Père, et en même temps le vrai berger des troupeaux de mon Père. Tout
berger qui cherche à entrer sans moi au bercail n'y parviendra pas, et les
brebis n'écouteront pas sa voix. Avec mes compagnons de service, je suis
la porte. Toute âme qui aborde la voie éternelle par les moyens que j'ai
créés et ordonnés sera sauvée et pourra poursuivre sa route jusqu'aux
éternels pâturages du Paradis.
«.Mais je suis aussi le bon berger qui va jusqu'à offrir sa vie pour
ses brebis. Un larron ne pénètre par effraction dans le bercail que pour
voler, tuer, et détruire, mais moi je suis venu pour que vous puissiez
tous avoir la vie, et l'avoir plus abondamment. Quand le danger surgit, le
mercenaire s'enfuit et laisse les brebis être dispersées et détruites;
mais le bon berger ne fuit pas à l'arrivée du loup; il protège son
troupeau et, si nécessaire, il donne sa vie pour ses brebis. En vérité, en
vérité, je vous le dis à tous, amis et ennemis, je suis le vrai pasteur.
Je connais les miens, et les miens me connaissent. Je ne fuirai pas en
face du danger. Je terminerai mon service en parachevant la volonté de mon
Père, et je n'abandonnerai pas le troupeau que le Père a confié à ma
garde.
« Toutefois, j'ai bien d'autres brebis qui n'appartiennent pas à ce
bercail, et mes paroles ne s'appliquent pas uniquement à ce monde. Mes
autres brebis entendent et connaissent également ma voix, et j'ai promis à
mon Père qu'elles seraient toutes réunies en un seul bercail, en une seule
confraternité des fils de Dieu. Alors vous connaîtrez tous la voix du seul
et vrai berger, et vous reconnaîtrez tous la paternité de Dieu (1).
(1) Cf. Jean X-1 à 18.
« Vous connaîtrez ainsi pourquoi le Père m'aime et a remis tous les
troupeaux de ce domaine entre mes mains pour que je les garde; il sait en
effet que je ne chancellerai pas dans la protection du bercail, que je ne
déserterai pas mes brebis, et que, si c'était nécessaire, je n'hésiterais
pas à donner ma vie au service de ses multiples troupeaux. Mais prenez
garde, si j'abandonne ma vie, je la reprendrai. Nul homme et nulle autre
créature ne peuvent m'enlever la vie. J'ai le droit et le pouvoir de la
donner, et j'ai le même pouvoir et le même droit de la reprendre. Vous ne
pouvez comprendre cela, mais j'ai reçu cette autorité de mon Père bien
avant que ce monde n'existe.
Lorsqu'ils entendirent ces paroles de Jésus, ses apôtres furent
confondus et ses disciples stupéfaits, tandis que les pharisiens de
Jérusalem et des environs partirent dans la nuit en disant: « Ou bien il
est fou, ou bien il est possédé par un démon ». Toutefois, même certains
éducateurs de Jérusalem disaient: « Il parle comme quelqu'un ayant
autorité. D'ailleurs, qui a jamais vu un possédé ouvrir les yeux d'un
aveugle-né et accomplir toutes les choses merveilleuses que cet homme a
faites? »
Le lendemain matin, la moitié de ces éducateurs juifs confessaient leur
croyance en Jésus, tandis que les autres retournaient consternés chez eux
à Jérusalem.
3. -- LE SERMON DE SABBAT À PELLA
À la fin de janvier, l'auditoire de l'après-midi du sabbat comptait
presque trois mille personnes. Le samedi 28 janvier, Jésus prêcha le
mémorable sermon sur « La Confiance et l'Etat de Préparation Spirituelle
». Après des remarques préliminaires de Pierre, Jésus dit:
« Ce que j'ai maintes fois dit à mes apôtres et à mes disciples, je le
proclame maintenant à cette foule: Méfiez-vous du levain des pharisiens
qui est l'hypocrisie, née des préjugés et nourrie des servitudes de la
tradition. Cependant, beaucoup de pharisiens sont honnêtes dans leur
coeur, et certains comptent parmi mes disciples ici présents. Bientôt vous
comprendrez tous mon enseignement, car il n'y a rien de secret qui ne
doive être révélé. Ce qui vous est actuellement caché sera proclamé au
monde entier quand le Fils de l'Homme aura parachevé sur terre sa mission
en incarnation.
« Bientôt, très bientôt, les choses que nos ennemis projettent
actuellement dans le secret et dans l'obscurité seront amenées à la
lumière et proclamées sur tous les toits. Mais je vous le dis, mes amis,
n'ayez pas peur d'eux quand ils chercheront à anéantir le Fils de l'Homme.
Ne craignez pas ceux qui sont peut-être capables de tuer le corps, mais
ensuite n'ont plus aucun pouvoir sur vous. Je vous adjure de ne craindre
personne, ni dans le ciel ni sur terre, mais de vous réjouir dans la
connaissance de Celui qui a pouvoir de vous libérer de toute iniquité et
de vous présenter irréprochables devant le Tribunal d'un univers.
« Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux deniers? Et cependant, quand
ces oiseaux volètent à la recherche de leur subsistance, aucun d'eux
n'existe à l'insu du Père, source de toute vie. Pour les anges gardiens,
les cheveux même de votre tête sont comptés. Si tout cela est vrai,
pourquoi vivez-vous dans la crainte de nombreuses vétilles qui émaillent
votre vie quotidienne? Je vous le dis: ne craignez pas, vous valez plus
que beaucoup de passereaux (1).
(1) Matthieu X-27 à 29 ; Luc XII-1 à 7.
« Tous ceux d'entre vous qui ont eu le courage de confesser devant les
hommes leur foi dans mon évangile, je les reconnaîtrai devant les anges
des cieux. Mais quiconque aura sciemment nié devant les hommes la vérité
de mes enseignements sera renié par le gardien de sa destinée devant les
anges des cieux.
« Dites ce que vous voulez sur le Fils de l'Homme; cela vous sera
pardonné. Mais quiconque a la présomption de blasphémer contre Dieu ne
trouvera guère de pardon. Quand des hommes s'égarent au point d'attribuer
sciemment les actes de Dieu aux forces du mal, ces rebelles délibérés
n'ont pas l'intention de rechercher le pardon de leur péchés.
« Si vos ennemis vous font comparaître devant les chefs de la synagogue
et devant d'autres autorités, ne vous préoccupez pas de ce qu'il faudrait
dire et ne vous inquiétez pas de la manière de répondre à leurs questions,
car l'esprit qui habite en vous vous enseignera certainement sur l'heure
ce qu'il faut dire à l'honneur de l'évangile du royaume.
« Combien de temps vous attarderez-vous dans la vallée de la décision?
Pourquoi vous arrêtez-vous entre deux opinions? Pourquoi un Juif ou un
Gentil hésiterait-il à accepter la bonne nouvelle qu'il est un fils du
Dieu éternel? Combien de temps vous faudra-t-il pour vous persuader
d'entrer joyeusement dans votre héritage spirituel? Je suis venu dans ce
monde pour vous révéler le Père et vous conduire vers le Père. J'ai
exécuté la première partie de ce programme, mais je n'ai pas le droit
d'accomplir la seconde sans votre consentement; le Père n'oblige jamais
personne à entrer dans le royaume. L'invitation a toujours été et restera
toujours la même: si quelqu'un veut entrer, qu'il vienne et partage
librement l'eau vive ».
Après cette allocution, un grand nombre d'auditeurs allèrent se faire
baptiser dans le Jourdain par les apôtres, tandis que Jésus écoutait les
questions de ceux qui étaient restés.
4. -- LE PARTAGE DE L'HÉRITAGE
Un jeune homme lui dit: « Maître, mon père est mort en laissant de
grands biens à mon frère et à moi, mais mon frère refuse de me donner ma
part. Voudrais-tu lui demander de partager l'héritage avec moi? » Jésus
fut quelque peu indigné de voir ce jeune matérialiste amener la discussion
sur une pareille question d'affaires, mais il saisit l'occasion pour
communiquer de nouvelles instructions. Il dit: « Mon garçon, qui m'a
chargé de faire vos partages (1) ? D'où as-tu tiré l'idée que je m'occupe
des affaires matérielles de ce monde? » Puis, se tournant vers tout
l'auditoire, il dit: « Faites attention, et gardez-vous de la convoitise;
la vie d'un homme ne consiste pas dans l'abondance des biens qu'il
possède. Le pouvoir de la fortune n'apporte pas le bonheur, et la joie ne
provient pas des richesses. La fortune, par elle-même, n'est pas une
malédiction, mais l'amour des richesses conduit bien souvent à se
consacrer tellement aux choses de ce monde que l'âme devient aveugle aux
attraits magnifiques des réalités spirituelles du royaume de Dieu sur
terre, et aux joies de la vie éternelle dans les cieux.
(1) Luc XII-13 et 14.
« Laissez-moi vous raconter l'histoire d'un homme riche dont les terres
produisaient des récoltes abondantes. Quand il fut devenu très riche, il
se mit à raisonner en lui-même en se disant: « Que vais-je faire de tous
mes biens? J'en ai maintenant tellement que je n'ai plus de place pour
emmagasiner mes richesses ». Après avoir médité sur son problème, il dit:
« Voici ce que je vais faire. Je vais démolir mes granges et en bâtir de
plus grandes, de sorte que j'aurai beaucoup de place pour conserver le
fruit de mes biens. Alors je pourrai dire à mon âme: tu as une grande
fortune en réserve pour bien des années; prends en maintenant à ton aise;
mange, bois, et sois heureuse, car tu es riche et pourvue de biens ».
« Mais ce riche était également insensé. En pourvoyant aux nécessités
matérielles de sa pensée et de son corps, il avait négligé d'accumuler des
trésors dans les cieux pour la satisfaction de son esprit et le salut de
son âme. Même ainsi, il ne devait pas jouir du plaisir de consommer ses
biens thésaurisés, car le soir même son âme lui fut redemandée. Cette
nuit-là des brigands entrèrent par effraction dans sa maison pour le tuer,
et après avoir pillé ses granges, ils mirent le feu à ce qui restait.
Quant à la propriété, que les voleurs ne pouvaient emporter, les héritiers
de l'homme riche se battirent entre eux à son sujet. Cet homme avait
amassé des trésors pour lui-même sur terre, mais il n'était pas riche au
regard de Dieu » (2).
(2) Luc XII-16 à 21.
Jésus traita ainsi le jeune homme et son héritage, parce qu'il savait
que ses difficultés provenaient de sa convoitise. Même si cela n'avait pas
été le cas, le Maître ne serait pas intervenu dans le partage, car il ne
se mêlait jamais des affaires temporelles, même de celles de ses apôtres,
et encore moins de celles de ses disciples.
Lorsque Jésus eut terminé son histoire, un autre homme se leva et lui
demanda: « Maître, je sais que tes apôtres ont vendu toutes leurs
possessions terrestres pour te suivre, et qu'ils ont tout en commun comme
le pratiquent les Esséniens. Mais tiens-tu à ce que nous tous, qui sommes
tes disciples, nous fassions de même? Est-ce un péché que de posséder une
fortune honnête? » à cette question Jésus répondit: « Mon ami, ce n'est
pas un péché d'avoir une fortune honnête; mais c'est un péché de convertir
une fortune de biens matériels en trésors susceptibles d'absorber
votre intérêt et de détourner votre affection de la dévotion aux buts
spirituels du royaume. Il n'y a pas de péché à détenir des possessions
honnêtes sur terre, pourvu que votre trésor soit au ciel, car là où
est votre trésor, là sera aussi votre coeur. Il existe une grande
différence entre la fortune conduisant à la convoitise et à l'égoïsme, et
la fortune détenue et dépensée dans un esprit de gérance par ceux qui
disposent en abondance des biens de ce monde et contribuent si
libéralement à soutenir ceux qui consacrent toutes leurs énergies à
l'oeuvre du royaume. Beaucoup d'entre vous, ici présents et dépourvus
d'argent, sont nourris et logés dans le village de tentes voisin parce que
des hommes et des femmes riches et généreux ont remis à cet effet des
fonds à votre hôte David Zébédée.
« N'oubliez pas qu'en fin de compte la fortune n'est pas durable.
L'amour des richesses obscurcit trop souvent la vision spirituelle, et
même la détruit. Ne manquez pas de reconnaître le danger de voir l'argent
devenir votre maître et non votre serviteur ».
Jésus n'enseigna et n'approuva jamais l'imprévoyance, l'oisiveté,
l'indifférence à fournir à sa famille le nécessaire sur le plan matériel,
ou le fait de dépendre d'aumônes. Par contre, il enseigna que les affaires
matérielles et temporelles doivent être subordonnées au bonheur de l'âme
et au progrès de la nature spirituelle dans le royaume des cieux.
Ensuite, tandis que la foule descendait vers le fleuve pour assister
aux baptêmes, le premier jeune homme riche revint s'entretenir en privé
avec Jésus de son héritage, car il estimait que Jésus l'avait traité
durement. Après l'avoir écouté à nouveau, le Maître dit: « Mon fils,
pourquoi laisses-tu échapper l'occasion de te nourrir du pain de vie en un
jour comme celui-ci, et t'abandonnes-tu à ta tendance à la convoitise? Ne
sais-tu pas que les lois successorales juives seront appliquées avec
justice si tu vas porter ta plainte au tribunal de la synagogue? Ne
vois-tu pas que mon oeuvre consiste à m'assurer que tu connais ton
héritage céleste? N'as-tu pas lu dans les Ecritures: « Celui qui devient
riche par excès de précaution et de parcimonie reçoit la récompense que
voici. Il dit: « J'ai trouvé le repos, et maintenant je pourrai manger
continuellement mes biens », mais il ne sait pas ce que les années lui
apporteront, et oublie qu'il devra laisser toutes ces choses à d'autres
quand il mourra ». Et n'as-tu pas lu le commandement: « Tu ne convoiteras
pas ». Et aussi: « Ils ont mangé et se sont rassasiés, et ils sont devenus
gras, et ensuite ils se sont tournés vers d'autres dieux ». As-tu lu dans
les Psaumes que « l'Éternel abhorre les cupides », et que « le peu que
possède un homme juste vaut mieux que les richesses de beaucoup de
méchants ». « Si ta fortune s'accroît, n'y attache pas ton coeur ». As-tu
lu le passage où Jérémie dit: « Que le riche ne se glorifie pas dans ses
richesses ». Ezéchiel a exprimé la vérité en disant: « Avec leur bouche
ils font parade de bienveillance, mais leur coeur est attaché à leurs
gains égoïstes ».
Jésus congédia le jeune homme en lui disant: « Mon fils, quel profit
auras-tu à gagner le monde entier, si tu perds ton âme? (3)»
(3) Cf. Matthieu XVI-26.
Un autre auditeur voisin demanda comment les riches seraient traités au
jour du jugement, et Jésus répondit: « Je ne suis venu juger ni les riches
ni les pauvres; c'est la manière de vivre des hommes qui les jugera tous.
Quant au reste de ce qui concerne le jugement des riches, toute personne
ayant acquis une grande fortune devra répondre au moins aux trois
questions suivantes:
1. Quelle fortune as-tu accumulée? |
2. Comment l'as-tu acquise? |
3. Quel emploi en as-tu fait |
Ensuite Jésus se retira dans sa tente pour s'y reposer un moment avant
le repas du soir. Quand les apôtres eurent fini de baptiser, ils
arrivèrent aussi et auraient voulu s'entretenir avec lui des richesses sur
terre et du trésor au ciel, mais le Maître dormait.
5. -- CONFÉRENCE AUX APÔTRES SUR LA RICHESSE
Ce soir-là après le souper, lorsque Jésus et les douze se réunirent
pour leur conférence quotidienne, André demanda: « Maître, pendant que
nous baptisions les croyants, tu as longuement parlé à la foule attardée,
et nous n'avons pas entendu ce que tu as dit. Voudrais-tu le répéter à
notre intention? » En réponse à la requête d'André, Jésus dit:
Oui, André, je vais vous parler de ces questions de fortune et de
moyens d'existence, mais ce que je vous dirai, à vous mes apôtres, devra
différer quelque peu des paroles adressées aux disciples et à la
multitude; en effet, vous avez tout quitté, non seulement pour me suivre,
mais pour recevoir l'ordination d'ambassadeurs du royaume. Vous avez déjà
plusieurs années d'expérience et vous savez que le Père, dont vous
proclamez le règne, ne vous abandonnera pas. Vous avez consacré votre vie
au ministère du royaume; donc n'ayez ni inquiétude ni soucis à propos des
choses de la vie temporelle, pour ce que vous mangerez, ni même pour votre
corps ou pour les vêtements que vous porterez. Le bonheur de l'âme vaut
plus que la nourriture et la boisson; le progrès en esprit transcende le
besoin de vêtements. Si vous êtes tentés de mettre en doute la sécurité de
votre pain quotidien, considérez les corbeaux; ils ne sèment ni ne
récoltent, ils n'ont ni entrepôts ni greniers, et cependant le Père
procure de la nourriture à tous ceux d'entre eux qui la cherchent. Combien
vous valez plus que beaucoup d'oiseaux! En outre, toute votre anxiété ou
vos doutes rongeurs ne peuvent rien faire pour satisfaire vos besoins
matériels. Qui d'entre vous, par son inquiétude, peut ajouter une largeur
de main à sa stature ou un jour à sa vie? Puisque ces questions ne
dépendent pas de vous, pourquoi réfléchissez-vous avec anxiété à ces
problèmes?
« Considérez les lis et comment ils croissent; ils ne travaillent ni ne
filent, et cependant je vous dis que dans toute sa gloire, Salomon
lui-même n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. Si Dieu revêt ainsi l'herbe
des champs, qui aujourd'hui est vivante et demain sera coupée et jetée au
feu, combien mieux vous vêtira-t-il, vous les ambassadeurs du royaume
céleste (1). Hommes de peu de foi! Quand vous vous consacrez de tout coeur
à proclamer l'évangile du royaume, vous ne devriez pas avoir de pensées de
doute sur la subsistance de vos personnes ou des familles que vous avez
abandonnées. Si vous donnez vraiment votre vie à l'évangile, vous vivrez
par l'évangile. Si vous êtes simplement des disciples croyants, il vous
faut gagner votre propre vie et contribuer à l'entretien de tous ceux qui
enseignent, prêchent, et guérissent. Si vous êtes inquiets de votre
nourriture et de votre boisson, en quoi êtes-vous différents des nations
du monde qui recherchent ces nécessités avec tant de diligence?
Consacrez-vous à votre travail avec la conviction que mon Père et moi nous
savons tous deux que vous avez besoin de ces choses. Laissez-moi vous
assurer, une fois pour toutes, que si vous dédiez votre vie à l'oeuvre du
royaume, tous vos besoins réels seront satisfaits. Cherchez la grande
chose, et vous trouverez que les moindres y sont contenues; demandez les
choses célestes, et les choses terrestres y seront incluses. L'ombre est
certaine de suivre la substance.
(1) Matthieu VI-28 et Luc XII-27.
« Vous n'êtes qu'un petit groupe, mais si vous avez la foi, si la peur
ne vous fait pas trébucher, je déclare que le bon plaisir de mon Père est
de vous donner ce royaume. Vous avez amassé vos trésors à l'endroit où
l'argent ne s'épuise pas, où nul voleur ne peut vous dépouiller, où nul
insecte ne peut détruire. Comme je l'ai dit au peuple, là où est votre
trésor, là sera aussi votre coeur.
« Dans l'oeuvre qui nous attend immédiatement, et dans celle qui vous
restera à accomplir après mon retour auprès du Père, vous serez sévèrement
mis à l'épreuve. Il faut que vous soyez tous sur vos gardes contre la peur
et les doutes. Que chacun de vous se ceigne les reins mentalement et garde
sa lampe allumée. Conduisez-vous comme des hommes qui veillent en
attendant que leur maître revienne de la fête de mariage, de sorte qu'au
moment où il viendra et frappera, vous pourrez rapidement lui ouvrir. Le
maître bénira ces serviteurs vigilants qu'il trouvera veillant en cette
grande occasion. Il les fera alors asseoir, tandis que lui-même les
servira. En vérité, en vérité, je vous le dis, une crise est imminente
dans votre vie; il vous incombe de veiller et d'être prêts.
« Vous comprenez bien que nul homme ne laisserait un voleur pénétrer
par effraction dans sa maison s'il connaissait l'heure où le voleur doit
venir. Veillez donc aussi sur vous-mêmes, car à l'heure que vous
soupçonnerez le moins, et d'une manière que vous n'imaginez pas, le Fils
de l'Homme s'en ira ».
Les douze restèrent assis quelques minutes en silence. Ils avaient déjà
entendu précédemment certains de ces avertissements, mais jamais dans le
cadre où Jésus venait de les leur donner.
6. -- RÉPONSE À LA QUESTION DE PIERRE
Tandis qu'ils étaient pensivement assis, Simon Pierre demanda:
«Racontes-tu cette parabole pour nous, tes apôtres, ou est-elle destinée à
tous les disciples? » Jésus répondit:
« À l'heure de l'épreuve, l'âme de l'homme est révélée; l'épreuve
dévoile ce qu'il a réellement dans son coeur. Quand un serviteur est
éprouvé et qualifié, alors le maître de la maison peut l'établir sur sa
maisonnée et s'en remettre en sécurité à ce fidèle intendant du soin de
veiller à la nourriture et aux besoins de ses enfants. Ainsi, je saurai
bientôt à qui je peux confier le bien-être de mes enfants après mon retour
auprès du Père. De même que le maître de maison confiera au serviteur
fidèle et éprouvé les affaires de sa famille, de même j'élèverai ceux qui
supporteront les épreuves de cette heure dans les affaires de mon royaume.
« Mais si le serviteur est indolent et commence à dire dans son coeur «
mon maître retarde son retour », s'il commence à maltraiter les autres
serviteurs et à manger et à boire avec les ivrognes, alors le maître
arrivera à un moment où le serviteur ne s'y attendra pas et, le trouvant
infidèle, il le chassera dans la disgrâce. Vous ferez donc bien de vous
préparer pour le jour où vous serez visités à l'improviste et d'une
manière inattendue. Souvenez-vous qu'il vous a été beaucoup donné; il vous
sera donc beaucoup demandé. De terribles épreuves sont imminentes pour
vous. Il faut que je subisse un baptême, et je reste sur mes gardes
jusqu'à ce que ce soit accompli. Vous prêchez la paix sur terre, mais ma
mission n'apportera pas la paix dans les affaires matérielles des hommes
-- du moins pas avant un certain temps. Si deux membres d'une famille
croient en moi et si trois autres rejettent l'évangile, il n'en peut
résulter qu'une division. Amis, parents, et personnes chéries sont
destinés à se dresser les uns contre les autres à cause de l'évangile que
vous prêchez. Il est vrai que chaque croyant jouira dans son coeur d'une
grande paix durable, mais la paix sur terre ne viendra pas avant que tous
les hommes ne soient prêts à croire et à entrer dans leur glorieux
héritage de filiation avec Dieu. Malgré cela, allez dans le monde entier
proclamer l'évangile à toutes les nations, à chaque homme, à chaque femme,
et à chaque enfant. »
Ainsi se termina une journée de sabbat active et bien remplie. Le
lendemain matin, Jésus et les douze partirent visiter les soixante-dix
dans les villes du nord de la Pérée, où ils évangélisaient sous la
supervision d'Abner.
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