DERNIÈRE TOURNÉE EN PÉRÉE DU NORD
DU 11 au 18 février de l'an 30, Jésus et les douze firent une tournée
en Pérée du Nord dans toutes les villes où opéraient les collaborateurs
d'Abner et les femmes du corps évangélique. Ils trouvèrent que ces
messagers de l'évangile réussissaient bien, et Jésus attira maintes fois
l'attention de ses apôtres sur le fait que l'on pouvait répandre
l'évangile du royaume sans accompagnement de miracles ou de prodiges.
Toute cette mission de trois mois en Pérée fut exécutée avec succès et
avec un minimum d'aide des douze apôtres. Depuis ce moment-là, l'évangile
refléta davantage les enseignements de Jésus que sa personnalité.
Mais ses disciples ne suivirent pas longtemps ses instructions; en effet,
peu après la mort et la résurrection du Maître, ils s'écartèrent de ses
enseignements et commencèrent à former l'Église primitive autour des
concepts miraculeux et des souvenirs glorifiés de sa personnalité à la
fois divine et humaine.
1. -- LES PHARISIENS DE RAGABA
Le samedi 18 février, Jésus se trouvait a Ragaba où vivait un riche
pharisien nommé Nathaniel. Une vingtaine d'autres pharisiens suivaient
Jésus et les douze dans la tournée du pays. Nathaniel prépara donc, pour
cette matinée de sabbat, un déjeuner pour eux tous, et invita Jésus comme
hôte d'honneur.
Au moment où Jésus arriva à ce repas, la plupart des pharisiens, ainsi
que deux ou trois docteurs de la loi, étaient déjà assis à table. Le
Maître prit immédiatement place à gauche de Nathaniel sans se laver les
mains aux aiguières. Beaucoup de pharisiens, et spécialement ceux qui
voyaient d'un bon oeil les enseignements de Jésus, savaient qu'il se
lavait les mains uniquement par souci de propreté et qu'il abhorrait les
rites purement cérémoniels; ils ne furent donc pas surpris de le voir
s'asseoir directement à table sans s'être deux fois lavé les mains. Mais
Nathaniel fut choqué de ce que le Maître ne se soit pas conformé aux
strictes exigences des pratiques pharisiennes. Jésus ne se lavait
d'ailleurs pas non plus les mains, comme le faisaient les pharisiens, à la
fin de chaque service d'un nouveau plat, ni à la fin du repas.
Après que Nathaniel eut longuement chuchoté avec un pharisien inamical
assis à sa droite, et que les invités assis en face du Maître eurent
maintes fois levé les sourcils en réprobation et fait sarcastiquement la
moue, Jésus finit par dire: « Je croyais que vous m'aviez invité dans
cette maison pour rompre le pain avec vous, et peut-être pour me poser des
questions concernant la proclamation du nouvel évangile du royaume de
Dieu. Mais je vois que vous m'avez amené ici pour assister à une
exhibition de dévotion cérémonielle à votre pharisaïsme. Maintenant que
vous l'avez fait, qu'allez-vous offrir à votre invité d'honneur en cette
occasion? »
Après que le Maître eut ainsi parlé, ils baissèrent les yeux en
regardant la table et ne dirent rien. Personne ne prenant la parole, Jésus
poursuivit: « Parmi les pharisiens ici présents, beaucoup sont mes amis,
et certains sont même mes disciples, mais la majorité des pharisiens
persiste à refuser de voir la lumière et de reconnaître la vérité, même
quand l'oeuvre de l'évangile leur est montrée avec grande puissance. Vous
nettoyez soigneusement l'extérieur des coupes et des écuelles, alors que
les récipients de nourriture spirituelle sont malpropres et pollués! Vous
veillez à offrir une apparence pieuse et sainte au peuple, mais
l'intérieur de votre âme est rempli de pharisaïsme, de convoitise,
d'exactions, et de toutes sortes de perversités d'esprit. Vos dirigeants
osent même compléter et faire des plans pour assassiner le Fils de
l'Homme. Insensés, ne comprenez-vous pas que le Dieu du ciel regarde les
mobiles intérieurs de votre âme aussi bien que vos simulacres extérieurs
et vos pieuses professions de foi? Ne croyez pas qu'en donnant des aumônes
et en payant des dîmes vous serez purifiés de votre iniquité et capables
de vous présenter purs devant le Juge de tous les hommes. Malheur à vous,
pharisiens, qui avez persisté à rejeter la lumière de la vie! Vous payez
méticuleusement la dîme et vous faites l'aumône avec ostentation, mais
vous méprisez sciemment la visitation de Dieu et vous récusez la
manifestation de son amour. Vous avez raison de prêter attention à vos
devoirs mineurs, mais vous ne devriez pas négliger les exigences majeures.
Malheur à tous ceux qui fuient la justice, dédaignent la miséricorde, et
rejettent la vérité! Malheur à tous ceux qui méprisent la révélation du
Père, alors qu'ils recherchent des sièges d'honneur dans la synagogue et
des salutations flatteuses sur la place du marché! (1) »
(1) Cf. Luc XI-37 à 54.
Jésus allait se lever pour partir lorsqu'un des légistes assis à la
table lui demanda: « Maître, dans certains de tes propos tu nous fais
également des reproches. N'y a-t-il rien de bon chez les scribes, les
pharisiens, et les docteurs de la loi? » Jésus se leva et répondit au
légiste: « Comme les pharisiens, vous prenez plaisir à occuper les
premières places aux fêtes et à porter de longues robes, tandis que vous
mettez sur les épaules des hommes de lourds fardeaux, pénibles à porter.
Et quand les âmes des hommes chancellent sous ces lourds fardeaux, vous ne
levez même pas le petit doigt pour les soulager. Malheur à vous qui
trouvez vos plus grandes délices à bâtir des tombeaux pour les prophètes
que vos pères ont tués! Votre consentement aux actes de vos pères est
rendu manifeste, en ce sens que vous projetez actuellement de tuer ceux
qui viennent aujourd'hui faire les mêmes choses que les prophètes en leur
temps -- proclamer la justice de Dieu et révéler la miséricorde du Père
céleste. Le sang des prophètes et des apôtres de toutes les générations
passées sera redemandé à cette génération perverse et pharisaïque. Malheur
à tous les docteurs de la loi qui ont enlevé la clef de la connaissance au
commun du peuple! Vous mêmes, vous refusez d'entrer dans la voie de la
vérité, et en même temps vous voudriez empêcher tous les autres chercheurs
d'y entrer. Mais vous ne pouvez fermer ainsi les portes du royaume; nous
les avons ouvertes à tous ceux qui ont assez de foi pour entrer. Ces
portes de miséricorde ne seront pas closes par les préjugés et l'arrogance
de faux éducateurs et de bergers menteurs qui ressemblent à des sépulcres
blanchis; à l'extérieur, ils apparaissent magnifiques, mais à l'intérieur
ils sont pleins d'ossements et de toutes sortes d'impuretés spirituelles.
Lorsque Jésus eut fini de parler à la table de Nathaniel, il sortit de
la maison sans avoir pris de nourriture. Parmi les pharisiens qui
l'avaient entendu, certains crurent à son enseignement et entrèrent dans
le royaume, mais la majorité persista dans la voie des ténèbres. Ils
furent d'autant plus résolus à le guetter pour surprendre certaines de ses
paroles susceptibles de servir à le faire arrêter et juger par le
sanhédrin de Jérusalem.
Il y avait trois choses auxquelles les pharisiens prêtaient une
attention particulière:
1. Pratiquer strictement la dîme. |
2. Observer scrupuleusement les règles de
purification. |
3. Éviter de s'associer avec des
non-pharisiens. |
À ce moment, Jésus chercha à mettre à nu la stérilité spirituelle des
deux premières pratiques. Quant à ses remarques destinées à reprocher aux
pharisiens leur refus d'entretenir des relations sociales avec des
non-pharisiens, il les réserva pour une occasion ultérieure où il dînerait
à nouveau avec de nombreux convives du même genre.
2. -- LES DIX LÉPREUX
Le lendemain, Jésus se rendit avec les douze à Amathus, près de la
frontière de Samarie. En approchant de la ville, ils rencontrèrent un
groupe de dix lépreux qui séjournaient dans le voisinage, et dont l'un
était samaritain et les neuf autres juifs. Ordinairement ces Juifs se
seraient abstenus de toute association ou de tout contact avec ce
Samaritain, mais leur affliction commune était plus que suffisante pour
triompher de tous les préjugés religieux. Ils avaient beaucoup entendu
parler de Jésus et de ses premières cures miraculeuses; en outre, les
soixante-dix avaient pris l'habitude d'annoncer l'heure probable de
l'arrivée de Jésus quand le Maître faisait une tournée avec les douze
apôtres. Les dix lépreux avaient donc été informés que l'on s'attendait à
voir apparaître le Maître dans le voisinage vers cette heure; en
conséquence ils s'étaient postés là, aux abords de la ville, avec l'espoir
d'attirer son attention et de demander à être guéris. Quand les lépreux
virent Jésus à proximité, ils n'osèrent pas l'approcher et se tinrent à
distance en lui criant: « Maître, aie pitié de nous. Purifie-nous de notre
mal. Guéris-nous comme tu en as guéri d'autres ».
Jésus venait d'expliquer aux douze pourquoi les Gentils de Pérée et les
Juifs peu orthodoxes étaient plus disposés que les Juifs de Judée (plus
orthodoxes et liés par la tradition) à croire à l'évangile prêché par les
soixante-dix. Il avait attiré leur attention sur le fait que leur message
avait également été reçu plus aisément par les Galiléens, et même par les
Samaritains. Mais les douze apôtres n'étaient pas encore prêts à
entretenir des sentiments amicaux envers les Samaritains, méprisés depuis
si longtemps.
En conséquence, lorsque Simon le Zélote remarque le Samaritain parmi
les lépreux, il incita le Maître à poursuivre carrément son chemin vers la
ville sans échanger de salutations avec eux. Jésus dit à Simon: «
Allons-nous juger nos semblables? Suppose que le Samaritain aime Dieu
autant que les Juifs? Qui peut le dire? Si nous guérissons ces dix hommes,
peut-être le Samaritain se montrera-t-il plus reconnaissant que les Juifs?
Te sens-tu bien certain de ton opinion, Simon? » Et Simon répondit
vivement: « Si tu les purifies, tu ne tarderas pas à le savoir ». Jésus
répliqua: « Ainsi soit-il, Simon; tu connaîtras bientôt la vérité sur la
gratitude des hommes et l'amour miséricordieux de Dieu ».
Jésus s'approcha des lépreux et dit: « Si vous voulez devenir bien
portants, allez immédiatement vous montrer aux prêtres comme le prescrit
la loi de Moïse' » Et pendant qu'ils y allaient, ils furent guéris. Voyant
qu'il était bien portant, le Samaritain revint sur ses pas à la recherche
de Jésus et commença à glorifier Dieu à haute voix. Quand il eut trouvé le
Maître, il tomba à genoux à ses pieds et rendit grâces pour, sa
purification. Les neuf autres, les Juifs, s'étaient également rendu compte
de leur guérison et furent également reconnaissants pour leur
purification, mais ils continuèrent leur chemin pour se montrer aux
prêtres.
Tandis que le Samaritain restait agenouillé aux pieds de Jésus, le
Maître promena son regard sur les douze et l'arrêta sur Simon Zélotès en
disant: « Les dix n'ont-ils pas été purifiés? L'un d'eux seulement, cet
étranger, est revenu rendre gloire à Dieu ». Puis il dit au Samaritain: «
Lève-toi et va ton chemin; ta foi t'a rendu bien portant » (2).
(2) Cf. Luc XVII-12 à 19.
Jésus regarda de nouveau ses apôtres tandis que l'étranger s'éloignait.
Et tous les apôtres regardèrent Jésus, sauf Simon Zélotès, qui garda les
yeux baissés. Les douze ne dirent pas un mot; et Jésus ne parla pas non
plus, car c'était superflu.
Les dix hommes croyaient sincèrement qu'ils avaient la lèpre, mais
quatre seulement en étaient atteints. Les six autres furent guéris d'une
maladie de peau qu'ils avaient confondue avec la lèpre. Mais le Samaritain
était réellement lépreux.
Jésus enjoignit aux douze de ne rien dire sur la purification des
lépreux. En entrant à Amathus, il fit remarquer: « Vous voyez comment les
enfants de cette maison, même quand ils sont insubordonnés à la volonté de
leur Père, considèrent leurs bénédictions comme un droit. Ils attachent
peu d'importance à négliger de rendre grâces quand le Père leur confère la
guérison, mais quand les étrangers reçoivent des dons du chef de maison,
ils sont émerveillés et contraints de rendre grâces en reconnaissance des
bonnes choses qui leur où été données ». Et les apôtres continuèrent à ne
rien répondre aux paroles de leur Maître.
3. -- LE SERMON À GÉRASA
Pendant que Jésus et les douze visitaient les messagers du royaume à
Gérasa, l'un des pharisiens qui croyaient en lui posa la question
suivante: « Seigneur, les personnes réellement sauvées seront-elles rares
ou nombreuses? » Et Jésus répondit:
« On vous a enseigné que seuls les enfants d'Abraham seront sauvés, que
seuls les Gentils d'adoption peuvent espérer le salut. Les Ecritures
relatent que, parmi toutes les foules de l'exode d'Egypte, seuls Caleb et
Josué vécurent pour entrer dans la terre promise. Certains d'entre vous en
ont conclu qu'un nombre relativement faible de ceux qui cherchent le
royaume des cieux parviendront à y pénétrer.
« Vous avez aussi un autre dicton qui contient beaucoup de vérité: Le
chemin qui mène à la vie éternelle est droit et étroit, et la porte qui y
conduit est également étroite, de sorte que parmi ceux qui cherchent le
salut, rares sont ceux qui parviennent à entrer par cette porte. Vous avez
également un proverbe disant que le chemin qui mène à la destruction est
large, que son entrée l'est aussi, et que beaucoup choisissent de suivre
cette route. Ce proverbe n'est pas dépourvu de signification, mais je
déclare que le salut est d'abord une affaire de choix personnel. Même si
la porte du chemin de la vie est étroite, elle est assez large pour
admettre tous ceux qui cherchent sincèrement à entrer, car je suis cette
porte. Le Fils ne refusera l'entrée à aucun enfant de l'univers cherchant
par la foi à trouver le Père par le chemin du Fils.
« Mais voici le danger pour tous ceux qui voudraient retarder leur
entrée dans le royaume pour continuer à rechercher les plaisirs de
l'immaturité et à s'adonner aux satisfactions de l'égoïsme. Ayant refusé
d'entrer dans le royaume à titre d'expérience spirituelle, ils chercheront
peut-être à y pénétrer quand la gloire du meilleur chemin sera révélée
dans l'âge à venir. En conséquence, ceux qui ont repoussé le royaume quand
je suis venu dans la similitude de l'humanité chercheront à y entrer quand
il sera révélé dans la similitude de la divinité. Mais alors je dirai à
tous ces égoïstes: Je ne sais d'où vous venez. Vous avez eu l'occasion de
vous préparer à cette citoyenneté céleste, mais vous avez refusé toutes
les offres de miséricorde; vous avez rejeté toutes les invitations à venir
pendant que la porte était ouverte. Maintenant, à vous qui avez refusé le
salut, la porte est fermée. Elle n'est pas ouverte à ceux qui voudraient
entrer dans le royaume pour se glorifier égoïstement. Le salut est refusé
à ceux qui ne veulent pas payer le prix d'une consécration sincère à faire
la volonté de mon Père. Si vous avez spirituellement et psychiquement
tourné le dos au royaume de mon Père, il est inutile de vous tenir
mentalement et corporellement devant la porte et de frapper en disant: «
Seigneur, ouvre nous; nous voudrions aussi être grands dans le royaume ».
Alors je déclarerai que vous n'appartenez pas à mon bercail. Je ne vous
recevrai pas parmi ceux qui ont mené le bon combat de la foi et gagné la
récompense du service désintéressé du royaume sur terre. Quand vous direz:
« N'avons-nous pas mangé et bu avec toi, et n'as-tu pas enseigné dans nos
rues? » je déclarerai de nouveau que vous êtes des étrangers en esprit,
que nous n'avons pas servi ensemble sur terre dans le ministère de
miséricorde du Père, et que je ne vous connais pas. Alors le Juge de toute
la terre dira: « Allez-vous en, vous tous qui avez pris plaisir aux
oeuvres d'iniquité ».
« Toutefois ne craignez point; quiconque désire sincèrement trouver la
vie éternelle en entrant dans le royaume de Dieu obtiendra certainement le
salut éternel. Mais vous qui refusez ce salut, vous verrez un jour les
prophètes de la semence d'Abraham siéger dans le royaume glorifié avec les
croyants des nations païennes pour partager le pain de vie et se
rafraîchir avec l'eau vive. Ceux qui s'empareront ainsi du royaume avec
puissance spirituelle et par les assauts persévérants de la foi vivante
viendront du nord et du midi, de l'orient et de l'occident. Et voici,
beaucoup de ceux qui étaient les premiers seront les derniers, et ceux qui
étaient les derniers seront bien souvent les premiers » (1).
(1) Cf. Marc X-31 et Luc XIII-30.
Ce sermon fut en vérité une version nouvelle et insolite du vieux
proverbe bien connu au sujet du chemin droit et étroit.
Les apôtres et nombre de disciples apprenaient lentement la
signification de la déclaration antérieure de Jésus: « Si vous n'êtres pas
nés de nouveau, nés d'esprit, vous ne pouvez entrer dans le royaume de
Dieu ». Néanmoins, pour tous ceux qui ont un coeur honnête et une foi
sincère, la citation suivante reste éternellement vraie: « Voici, je me
tiens à la porte du coeur des hommes et je frappe; si quelqu'un veut
m'ouvrir, j'entrerai, je souperai avec lui, et je le nourrirai du pain de
vie; nous ne ferons qu'un en esprit et n'aurons qu'un dessein; ainsi nous
serons toujours frères dans la longue et féconde tâche de rechercher le
Père du Paradis ». Donc le petit ou le grand nombre de ceux qui doivent
être sauvés dépend entièrement du petit ou du grand nombre de ceux qui
tiendront compte de l'invitation: « Je suis la porte, je suis le chemin
nouveau et vivant; quiconque le veut peut entrer et se lancer dans la
recherche sans fin, par la vérité, de la vie éternelle ».
Même les apôtres furent incapables de comprendre pleinement
l'enseignement du Maître sur la nécessité d'utiliser la force spirituelle
pour se frayer un passage à travers toutes les résistances matérielles.
C'est ainsi que l'on surmonte tous les obstacles terrestres bloquant le
chemin où l'on saisit les valeurs spirituelles majeures de la nouvelle vie
vécue en esprit en tant que fils de Dieu affranchi.
4. -- UNE LEÇON SUR LES ACCIDENTS
Alors que la plupart des Palestiniens ne prenaient que deux repas par
jour, Jésus et les apôtres avaient l'habitude, quand ils étaient en
déplacement, de s'arrêter à midi pour se reposer et se restaurer. Ce fut à
l'une de ces pauses de midi, sur la route de Philadelphie, que Thomas
demanda à Jésus: « Maître, après avoir entendu tes remarques au cours du
trajet de ce matin, je voudrais savoir si les êtres spirituels participent
à la production d'événements étranges et extraordinaires dans le monde
matériel; en outre, je voudrais demander si les anges ou d'autres êtres
spirituels sont capables d'empêcher les accidents ».
En réponse à la question de Thomas, Jésus dit: « N'ai-je pas été assez
longtemps avec vous pour que vous cessiez de me poser de telles questions?
N'avez-vous pas observé que le Fils de l'Homme vit en communion avec vous
et refuse avec persistance d'employer les forces célestes pour son soutien
personnel? Ne vivons-nous pas par les mêmes moyens qui permettent à tous
les hommes d'exister? Voyez-vous le pouvoir du monde spirituel se
manifester dans la vie matérielle en dehors de la révélation du Père et de
la guérison occasionnelle de ses enfants malades?
« Vos ancêtres ont bien trop longtemps cru que la prospérité était le
signe de l'approbation divine, et l'adversité la preuve du déplaisir de
Dieu. Je proclame que ces croyances sont des superstitions. Ne
remarquez-vous pas que les pauvres, en bien plus grand nombre que les
riches, reçoivent joyeusement l'évangile et entrent immédiatement dans le
royaume? Si les richesses prouvent la faveur divine, pourquoi les riches
refusent-ils si souvent de croire à cette bonne nouvelle venant du ciel?
« Le Père fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes; le
soleil éclaire pareillement les bons et les méchants. Vous avez entendu
parler des Galiléens dont Pilate a mêlé le sang à celui des sacrifices; je
vous dis que ces Galiléens n'étaient pas de plus grands pécheurs que leurs
compatriotes simplement parce qu'ils furent les victimes. Vous connaissez
l'histoire des dix-huit hommes tués par la chute de la tour de Siloé (1).
Ne croyez pas que les hommes ainsi anéantis étaient plus coupables que
tous leurs frères de Jérusalem. Ils furent simplement d'innocentes
victimes d'un accident du temps.
(1) Luc XIII-4.
« Trois sortes d'événements peuvent se produire dans votre vie:
« 1. Vous pouvez participer aux événements normaux faisant
partie de l'existence que vous et vos compagnons vivez sur terre.
« 2. Vous pouvez par hasard être victime d'un accident de
la nature, de l'une des malchances humaines, en sachant parfaitement que
ces événements ne sont aucunement concertés d'avance ni produits autrement
par les forces spirituelles du royaume.
« 3. Vous pouvez récolter la moisson de vos efforts
directs pour vous conformer aux lois naturelles qui gouvernent le monde.
« Un jour un homme planta un figuier dans sa cour. Après y avoir
maintes fois cherché du fruit sans en trouver, il appela les vignerons et
leur dit: « Je suis venu ici au cours des trois dernières saisons pour
chercher des fruits sur ce figuier, et je n'en ai trouvé aucun. Coupez cet
arbre stérile; pourquoi encombrerait-il le sol? » Mais le chef jardinier
répondit à son maître: « Laisse le encore une année pour que je puisse
creuser autour de lui et y mettre de l'engrais. S'il ne porte pas de
fruits l'année prochaine, alors on le coupera ». Et lorsqu'ils se furent
ainsi conformés aux lois de la fertilité, ils furent récompensés par une
abondante récolte, car l'arbre était vivant et bon (2).
(2) Cf. Luc XIII-6 et suite.
« En matière de maladie et de santé, vous devriez savoir que ces états
physiques résultent de causes matérielles. La santé n'est pas un sourire
du ciel, ni la maladie un froncement de sourcils de Dieu.
« Les enfants terrestres du Père sont égaux quant à leur aptitude à
recevoir des bénédictions matérielles; c'est pourquoi il donne des objets
physiques à tous les enfants des hommes sans discrimination. Quand on en
vient à l'attribution des dons spirituels, le Père est limité par
l'inaptitude des hommes à recevoir ces présents divins. Bien que le Père
ne fasse pas acception de personnes, il est limité, dans l'effusion des
dons spirituels, par la foi des hommes et leur désir d'obéir toujours à la
volonté du Père.
Tandis que les apôtres poursuivaient leur route vers Philadelphie,
Jésus continua à les enseigner et à répondre à leurs questions concernant
les accidents, les maladies, et les miracles, mais ils furent incapables
de comprendre pleinement cette leçon. Une heure d'enseignement ne suffit
pas pour changer de fond en comble les croyances de toute une vie. Jésus
trouva donc nécessaire de réitérer son message, de répéter à maintes
reprises ce qu'il voulait leur faire comprendre. Même ainsi, ils ne
saisirent la signification de sa mission terrestre qu'après sa mort et sa
résurrection.
5. -- LA CONGRÉGATION DE PHILADELPHIE
Jésus et les douze allèrent rendre visite à Abner et à ses
collaborateurs, qui prêchaient et enseignaient à Philadelphie. Parmi
toutes les villes de Pérée, c'est à Philadelphie (1) que le groupe le plus
nombreux de Juifs et de Gentils, riches et pauvres, instruits et
ignorants, adopta les enseignements des soixante-dix et entra ainsi dans
le royaume des cieux. La synagogue de Philadelphie n'avait jamais été
soumise à la juridiction du sanhédrin de Jérusalem; elle n'avait donc
jamais été fermée aux enseignements de Jésus et de ses collaborateurs. A
ce moment même, Abner donnait trois leçons par jour dans la synagogue de
Philadelphie.
|
(1) Actuellement
Amman, capitale de la Jordanie. Cette ville avait été hellénisée au
IIIe siècle avant J.-C. par Ptolémée Philadelphe.
|
Cette synagogue devint plus tard une Église chrétienne et fut le
quartier général des missionnaires qui promulguèrent l'évangile dans les
régions situées plus à l'est. Elle fut longtemps une forteresse des
enseignements du Maître; durant des siècles, elle se dressa seule dans
cette région en tant que centre d'éducation chrétienne.
Les Juifs de Jérusalem s'étaient toujours querellés avec les Juifs de
Philadelphie. Après la mort et la résurrection de Jésus, l'Église de
Jérusalem, dont Jacques, frère du Seigneur, était le chef, commença à
avoir de graves difficultés avec la congrégation des croyants de
Philadelphie. Abner devint le chef de l'Église de Philadelphie et le resta
jusqu'à sa mort. Cette séparation d'avec Jérusalem explique pourquoi les
récits évangéliques du Nouveau Testament ne mentionnent jamais Abner et
son oeuvre. Cette querelle entre Jérusalem et Philadelphie dura pendant
toute la vie de Jacques et d'Abner et continua encore quelque temps après
la destruction de Jérusalem. Philadelphie fut réellement le quartier
général de l'Église primitive dans le sud et l'est, comme Antioche le fut
dans le nord et l'ouest.
Ce fut apparemment un malheur pour Abner d'être en désaccord avec tous
les chefs de l'Église chrétienne primitive. Il se brouilla avec Pierre et
Jacques (frère de Jésus) à propos de questions concernant l'administration
et la juridiction de l'Église de Jérusalem. Il se sépara de Paul à propos
de divergences philosophiques et théologiques. Abner avait une philosophie
plus babylonienne qu'hellénique; il résista obstinément à toutes les
tentatives que fit Paul pour remanier les enseignements de Jésus de
manière à ce qu'ils soulèvent moins d'objections d'abord chez les Juifs,
et ensuite chez les Gréco-Romains croyant aux mystères.
Abner fut ainsi contraint de vivre une vie d'isolement. Il était chef
d'une Église qui ne jouissait d'aucune considération à Jérusalem. Il avait
osé défier Jacques, frère du Seigneur, qui fut ultérieurement soutenu par
Pierre. Cette conduite le sépara effectivement de tous ses anciens
collaborateurs. Ensuite il eut l'audace de résister à Paul. Bien qu'il
sympathisât entièrement avec Paul dans sa mission auprès des Gentils, et
bien qu'il le soutint dans ses disputes avec l'Église de Jérusalem, il
s'opposa avec acharnement à la version des enseignements de Jésus que Paul
avait choisi de prêcher. Vers la fin de sa vie, Abner dénonça Paul comme
étant « l'habile corrupteur des enseignements de la vie de Jésus de
Nazareth, Fils du Dieu vivant ».
Durant les dernières années de la vie d'Abner et pendant quelque temps
après sa mort, les croyants de Philadelphie observèrent plus strictement
que toute autre collectivité de la terre la religion telle que jésus
l'avait vécue et enseignée (2).
Abner vécut jusqu'à 89 ans et mourut à Philadelphie le 21 novembre de
l'an 74. Jusqu'à sa mort, il fut un fidèle croyant et instructeur de
l'évangile du royaume des cieux.
(2) Cf. Apocalypse III-7 à 13.
|