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LE SÉJOUR À PHILADELPHIE
DANS le récit de ce ministère en Pérée, il a été fait mention de Jésus
et des apôtres visitant les diverses localités où les soixante-dix étaient
à l'oeuvre. Il faut se rappeler qu'en règle générale, durant cette
période, Jésus n'était accompagné que de dix apôtres, car il en laissait
au moins deux à Pella pour instruire la multitude. Pendant qu'il se
préparait à aller à Philadelphie, Simon Pierre et son frère André
retournèrent au camp de Pella pour enseigner les foules qui y étaient
assemblées. Quand le Maître quittait le camp de Pella pour ses visites en
Pérée, il n'était pas rare que trois cents à cinq cents campeurs le
suivent. Lorsqu'il arriva à Philadelphie, il était accompagné de plus de
six cents disciples.
Il n'y avait pas eu de miracles au cours de la récente tournée de
prédication à travers la Décapole. A part la purification des dix lépreux,
il n'y en avait pas eu non plus jusqu'ici dans cette mission en Pérée. Ce
fut une période où l'évangile fut proclamé avec puissance, sans miracles,
et la plupart du temps hors de la présence personnelle de Jésus ou même de
ses apôtres.
Jésus et les dix apôtres arrivèrent à Philadelphie le mercredi 22
février et passèrent le jeudi et le vendredi à se reposer de leurs récents
voyages et travaux. Dans la soirée du vendredi, Jacques parla dans la
synagogue, et un conseil général fut convoqué pour le lendemain soir. Le
groupe se réjouit beaucoup des progrès de l'évangile à Philadelphie et
dans les villages environnants. Les messagers de David apportèrent aussi
des nouvelles de l'expansion du royaume dans toute la Palestine, ainsi que
de bonnes nouvelles d'Alexandrie et de Damas.
1. -- LE DÉJEUNER AVEC LES PHARISIENS
Il y avait à Philadelphie un pharisien très riche et influent qui avait
accepté les enseignements d'Abner, et qui invita Jésus à déjeuner dans sa
maison le matin du sabbat. On savait que Jésus était attendu incessamment
à Philadelphie, de sorte qu'un grand nombre de visiteurs, dont beaucoup de
pharisiens, étaient venus de Jérusalem et d'ailleurs. En conséquence, une
quarantaine de ces dirigeants et quelques docteurs de la loi furent
invités à ce déjeuner, qui avait été arrangé en l'honneur du Maître.
Tandis que Jésus s'attardait près de la porte en causant avec Abner et
après que l'hôte se fût assis, un des principaux pharisiens de Jérusalem,
membre du sanhédrin, entra dans la salle; selon son habitude, il alla
directement à la place d'honneur à la gauche du maître de maison. Mais
cette place avait été réservée à Jésus et celle de droite à Abner; l'hôte
pria donc le pharisien de Jérusalem de s'asseoir quatre sièges plus loin à
gauche, et ce dignitaire fut très offensé de ne pas recevoir la place
d'honneur.
Bientôt tous les invités furent assis et prirent plaisir à converser
entre eux, car ils étaient en majorité des disciples de Jésus ou des
partisans de l'évangile. Seuls ses ennemis notèrent le fait que le Maître
n'avait pas observé le rite du lavage cérémoniel des mains avant de
s'asseoir pour manger. Abner se lava les mains au commencement du repas,
mais non durant le service.
Vers la fin du repas, un homme venant de la rue entra dans la salle, il
avait longtemps souffert d'une maladie chronique, et maintenant il était
hydropique. Cet homme était un croyant et avait récemment été baptisé par
les compagnons d'Abner. Il ne demanda pas à Jésus d'être guéri, mais le
Maître savait bien que ce malade était venu au moment du déjeuner,
espérant ainsi éviter la foule qui se pressait le reste du temps autour de
Jésus et avoir ainsi plus de chances d'attirer son attention. Cet homme
savait que les miracles étaient alors rares, mais il avait supputé
intérieurement que son triste état attirerait peut-être la compassion du
Maître. Il ne s'était pas trompé car, dès son entrée dans la salle, le
Maître et l'orgueilleux pharisien de Jérusalem le remarquèrent. Le
pharisien ne tarda pas à exprimer son ressentiment de voir un hôte pareil
autorisé à entrer dans la salle. Mais Jésus regarda le malade et lui
sourit avec tant de bienveillance que l'arrivant s'approcha et s'assit sur
le sol. A la fin du repas, Jésus promena son regard sur les convives,
puis, après avoir fait un clin d'oeil significatif à l'homme atteint
d'hydropisie, il dit: « Mes amis, éducateurs en Israël et savants docteurs
de la loi, je voudrais vous poser une question: Est-il licite ou non de
guérir les malades et les affligés le jour du sabbat?» Mais les assistants
connaissaient trop bien Jésus; ils se tinrent cois et ne répondirent pas à
sa question.
Alors Jésus se dirigea vers l'endroit où le malade était assis, le prit
par la main, et dit: « Lève-toi et va ton chemin. Tu n'as pas demandé à
être guéri, mais je connais le désir de ton coeur et la foi de ton âme ».
Avant que l'homme n'eût quitté la salle, Jésus revint à sa place et
s'adressa aux convives attablés en disant: « Mon Père accomplit de telles
oeuvres, non pour vous inciter à entrer dans le royaume, mais pour se
révéler a ceux qui s'y trouvent déjà. Vous pouvez percevoir qu'il est
conforme à la volonté du Père de faire ces choses, car qui d'entre vous,
si son animal favori tombait dans le puits le jour du sabbat, ne sortirait
pas immédiatement pour l'en tirer? » Puisque personne ne voulait lui
répondre et que son hôte approuvait évidemment la tournure que prenaient
les événements, Jésus se leva et dit à tous les assistants: « Mes frères,
quand vous êtes invités à un festin de mariage, ne vous asseyez pas à la
place d'honneur, de crainte qu'un homme plus honoré que vous ait été
invité, et que l'hôte ne soit obligé de venir vous prier de coder votre
place à cet autre invité d'honneur. Quand vous êtes invités à une fête, il
est sage, en arrivant à la table du festin, de chercher la place la plus
humble et de vous y asseoir. Alors, en regardant les convives, le maître
de maison pourra vous dire: « Mon ami, pourquoi t'es-tu assis à une place
si humble? Monte plus haut ». Alors ce modeste sera glorifié en présence
des autres convives. N'oubliez pas ceci: « quiconque s'élève sera abaissé,
mais quiconque s'humilie sincèrement sera élevé. Donc, si vous recevez à
déjeuner ou si vous offrez un souper, n'invitez pas toujours vos amis, vos
frères, votre famille, ou vos riches voisins, afin qu'à leur tour ils vous
invitent à leurs festins à titre de récompense. Si vous offrez un banquet,
invitez parfois les pauvres, les infirmes, et les aveugles. De cette
manière, vous serez bénis dans votre coeur, car vous savez bien que les
boiteux et les estropiés ne peuvent vous rembourser vos soins affectueux.
2. -- LA PARABOLE DU GRAND DÎNER
Après que Jésus eut fini de parler à la table du pharisien, l'un des
légistes présents voulut rompre le silence et dit étourdiment: « Béni soit
celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu » -- ce qui était une
expression courante à l'époque. Alors Jésus conta une parabole dont même
son hôte bienveillant fut obligé de faire son profit. Il dit:
« Un important personnage offrit un grand dîner auquel il invita de
nombreux convives. A l'heure du souper, il dépêcha ses serviteurs pour
dire aux invités: « Venez, car tout est maintenant prêt ». Mais les
invités commencèrent unanimement à s'excuser. Le premier dit: « Je viens
d'acheter une ferme, et il faut absolument que j'aille l'inspecter je te
prie de m'excuser ». Un autre dit: « J'ai acheté cinq couples de boeufs,
et il faut que j'aille les recevoir; je te prie de me tenir pour excusé ».
Un autre encore dit: « Je viens de prendre femme, et à cause de cela je ne
puis venir ». Les serviteurs revinrent donc rapporter cela à leur maître.
Alors le maître de la maison fut très irrité; il se tourna vers ses
serviteurs et dit: « J'ai préparé ce festin de mariage; les jeunes bêtes
grasses sont tuées et tout est prêt pour mes hôtes, mais ils ont dédaigné
mon invitation. Chacun est allé vers ses terres et ses marchandises, et
ils ont même été grossiers envers mes serviteurs qui leur demandaient de
venir à mon festin. Allez donc promptement dans les rues et les ruelles de
la ville, sur les grandes routes et les chemins détournés, et amenez ici
les pauvres et les déshérités, les aveugles et les boiteux, pour qu'il y
ait des convives au festin de mariage ». Les serviteurs firent ce que leur
maître ordonnait, et même alors il y restait de la place pour d'autres
invités. Alors ce Seigneur dit à ses serviteurs: « Allez maintenant sur
les routes et dans la campagne, et amenez de force ceux qui s'y trouvent,
pour que ma maison soit remplie. Je déclare qu'aucun des premiers invités
ne goûtera à mon souper ». Et la maison fut remplie » (1).
(1) Cf. Luc XIV.
Lorsque les convives du pharisien entendirent ces paroles, ils
rentrèrent chacun chez eux. Parmi les pharisiens sarcastiques présents ce
matin-là, il y en eut au moins un qui comprit la signification de cette
parabole, car il fut baptisé le jour même et confessa publiquement sa foi
dans l'évangile du royaume. Ce soir-là, Abner fit un sermon sur cette
parabole au conseil général des croyants.
Le lendemain, tous les apôtres s'exercèrent à la philosophie en
essayant d'interpréter la signification de cette parabole du grand dîner.
Jésus écouta avec intérêt leurs diverses interprétations, mais refusa
fermement de les aider à comprendre la parabole. Il se borna à dire: « Que
chacun en trouve la signification pour lui-même et pour son âme ».
3. -- LA FEMME MENTALEMENT INFIRME
Abner s'était arrangé pour que le Maître enseignât dans la synagogue ce
jour de sabbat. C'était la première fois que Jésus apparaissait dans une
synagogue depuis qu'elles avaient toutes été fermées à son enseignement
par ordre du sanhédrin. A la fin de l'office, Jésus aperçut devant lui une
femme assez âgée, fort abattue, et dont le corps était plié en deux. Cette
femme était depuis longtemps tyrannisée par la peur, et sa vie avait perdu
toute joie. Jésus descendit de l'estrade, s'approcha d'elle, toucha à
l'épaule son corps courbé, et lui dit: « Femme, si seulement tu voulais
croire, tu pourrais être entièrement libérée de ton infirmité imaginaire
». Et cette femme, qui avait été courbée et liée depuis dix-huit ans par
les dépressions de la peur, crut aux paroles du Maître; elle se redressa
immédiatement en vertu de sa foi. Voyant qu'elle se tenait droite, elle
éleva la voix et glorifia Dieu.
L'infirmité de cette femme était entièrement mentale; la courbure de
son corps provenait de sa pensée déprimée. Malgré cela, le public crut que
Jésus avait guéri une véritable infirmité physique. La congrégation de
Philadelphie accueillait favorablement les enseignements de Jésus, mais le
chef de la synagogue était un pharisien hostile. Il partagea l'opinion de
la congrégation que Jésus avait guéri une maladie physique et s'indigna de
ce que Jésus ait osé le faire un jour de sabbat. Il se dressa donc devant
la congrégation et dit: « Les hommes n'ont-ils pas six jours pour
effectuer leur travail? Venez donc vous faire guérir pendant les jours
ouvrables, mais non le jour du sabbat ».
Après ces paroles du chef hostile, Jésus remonta sur l'estrade des
orateurs et dit: « Pourquoi jouer un rôle d'hypocrite? Chacun de vous, le
jour du sabbat, ne détache-t-il pas son boeuf de l'étable pour le conduire
à l'abreuvoir? Si cette bonne action est licite le jour du sabbat, cette
femme, une fille d'Abraham que le mal a courbée pendant dix-huit ans, ne
devait-elle pas être délivrée de cette servitude et conduite à s'abreuver
aux eaux vives de la liberté, même en ce jour de sabbat? (2) » Tandis que
la femme continuait à glorifier Dieu, la congrégation se réjouit avec elle
de sa guérison, et le critique fut couvert de confusion.
(2) Cf. Luc XIII-11 à 17.
Comme suite à sa critique publique de Jésus en ce jour de sabbat, le
chef de la synagogue fut destitué et remplacé par un disciple de Jésus.
Jésus délivrait fréquemment de leur infirmité d'esprit, de leur
dépression mentale, et de leur asservissement à la crainte les victimes de
la peur. Mais la population croyait que toutes ces afflictions étaient
soit des infirmités physiques, soit des possessions par de mauvais
esprits.
Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue le dimanche, et de nombreux
croyants furent baptisés ce jour-là, à midi, dans la rivière qui coulait
au sud de la ville. Le lendemain matin, Jésus et les dix apôtres seraient
repartis pour Pella si l'un des messagers de David n'était arrivé,
apportant à Jésus un message urgent de la part de ses amis de Béthanie
près de Jérusalem.
4. -- LE MESSAGE DE BÉTHANIE
Très tard dans la soirée du dimanche 26 février, un coureur arriva de
Béthanie à Philadelphie, apportant un message de Marthe et Marie disant: «
Seigneur, celui que tu aimes est très malade ». Ce message parvint à Jésus
à la fin de la conférence du soir, juste au moment où il prenait congé des
apôtres pour la nuit. Tout d'abord, Jésus ne répondit rien. Il se
produisit un étrange intermède, un temps où il parut être en communication
avec un domaine extérieur à lui, situé au delà de lui. Puis il releva les
yeux et s'adressa aux messagers de manière à être entendu par les apôtres,
en disant: « Cette maladie ne va pas réellement jusqu'à la mort. Ne doutez
pas qu'elle puisse être utilisée pour glorifier Dieu et exalter le Fils ».
Jésus avait beaucoup d'amitié pour Marthe, Marie, et leur frère Lazare.
Sa première pensée humaine fut d'aller immédiatement à leur secours, mais
sa pensée conjuguée, humaine et divine, lui suggéra une autre idée. Il
avait à peu près abandonné l'espoir de voir les dirigeants juifs de
Jérusalem accepter un jour le royaume, mais il aimait encore son peuple,
et il eut l'idée d'un plan qui donnerait aux scribes et aux pharisiens de
Jérusalem une chance de plus d'accepter ses enseignements. Il décida, si
son Père le voulait, de faire de cet ultime appel à Jérusalem la
manifestation extérieure la plus profonde et la plus stupéfiante de toute
sa carrière terrestre. Les Juifs restaient attachés à l'idée d'un
libérateur accomplissant des prodiges, et Jésus refusait de s'abaisser à
des prodiges matériels ou de faire des démonstrations temporelles de
pouvoir politique. En la circonstance, il demanda cependant le
consentement du Père pour manifester son pouvoir non encore démontré sur
la vie et sur la mort.
Les Juifs avaient l'habitude d'enterrer leurs morts le jour de leur
décès, ce qui était une pratique nécessaire dans un climat aussi chaud. Il
arrivait souvent qu'ils mettaient au tombeau un individu simplement plongé
dans le coma, de sorte qu'au bout de deux jours, ou même de trois, ce
pseudo-mort sortait de la tombe. D'après la croyance des Juifs, l'esprit
ou l'âme pouvait s'attarder près du corps pendant deux ou trois jours,
mais ne restait jamais après le troisième jour; selon eux, la
décomposition était bien avancée le quatrième jour, et personne ne
revenait jamais de la tombe après ce laps de temps. C'est pourquoi Jésus
demeura encore deux jours pleins à Philadelphie avant de se préparer à
partir pour Béthanie.
En conséquence, le mercredi matin de bonne heure il dit à ses apôtres:
« Préparons-nous immédiatement à aller une fois de plus en Judée ». après
avoir entendu Jésus dire cela, les apôtres se retirèrent à l'écart pendant
un temps pour se consulter entre eux. Jacques prit la direction des
débats, et les apôtres furent unanimes à penser que c'était pure folie que
de permettre à Jésus de retourner en Judée. Ils revinrent comme un seul
homme pour faire part de leur opinion à Jésus. Jacques dit: « Maître, tu
as été à Jérusalem il y a quelques semaines, et les dirigeants ont cherché
à te faire mourir, tandis que la foule était prête à te lapider. A ce
moment-là, tu as donné à ces hommes leur chance de recevoir la vérité, et
nous ne te permettrons pas de retourner en Judée ».
Alors Jésus dit: « Ne comprenez-vous pas que chaque journée a douze
heures pendant lesquelles on peut faire son travail en sécurité? Si un
homme marche le jour, il ne trébuche pas, attendu qu'il a de la lumière.
S'il marche la nuit, il risque de trébucher, car il est sans lumière. Tant
que mon jour dure, je ne crains pas d'entrer en Judée. Je voudrais
accomplir encore une puissante oeuvre pour les Juifs. Je voudrais leur
donner une chance de plus de croire, même dans les conditions qui leur
plaisent -- gloire extérieure et manifestation visible du pouvoir du Père
et de l'amour du Fils. En outre, n'avez-vous pas compris que notre frère
Lazare s'est endormi, et que je voudrais aller le réveiller de ce sommeil?
»
Alors l'un des apôtres dit: « Maître, si Lazare s'est endormi, il est
d'autant plus sûr de se rétablir ». A cette époque, les Juifs avaient
l'habitude de parler de la mort comme d'une forme de sommeil, mais les
apôtres n'avaient pas compris que Jésus voulait dire que Lazare avait
quitté ce monde. Le Maître s'expliqua donc clairement: « Lazare est mort.
Dans votre intérêt, et même si cela ne doit pas sauver les autres, je suis
heureux de ne pas m'être trouvé là, afin que vous ayez maintenant une
nouvelle raison de croire en moi. Vous allez être témoins d'un événement
qui devrait vous fortifier tous et vous préparer au jour où je prendrai
congé de vous pour retourner vers le Père ».
Devant l'impossibilité de persuader Jésus de s'abstenir d'aller en
Judée, et l'hésitation de certains apôtres à l'y accompagner, Thomas
s'adressa à ses compagnons et dit: « Nous avons exprimé nos craintes au
Maître, mais il est décidé à aller à Béthanie. J'estime qu'il court à sa
perte; on va sûrement le tuer. Mais si c'est le choix du Maître,
conduisons-nous comme des braves; allons-y aussi pour mourir avec lui ».
Comme toujours dans les affaires nécessitant un courage délibéré et
soutenu, Thomas fut le point d'appui du groupe des douze apôtres.
5. -- SUR LE CHEMIN DE BÉTHANIE
Une compagnie de près de cinquante amis et ennemis suivit Jésus sur la
route de Judée. Le mercredi à l'heure du repas de midi, il fit à ses
apôtres et à ce groupe d'accompagnateurs un exposé sur « Les Conditions du
Salut », et à la fin de cette leçon il raconta la parabole du pharisien et
du publicain. Jésus dit: « Vous voyez ainsi que le Père donne le salut aux
enfants des hommes, et que ce salut est un don gratuit à tous ceux qui ont
la foi d'accepter la filiation dans la famille divine. L'homme ne peut
rien faire d'autre pour gagner ce salut. Les oeuvres du pharisaïsme ne
peuvent acheter la faveur de Dieu, et de longues prières en public ne
compenseront pas le manque de foi vivante dans le coeur. Vous pouvez
tromper les hommes par des services extérieurs, mais Dieu scrute votre
âme. Ce que je vous dis est bien illustré par l'exemple de deux hommes, un
pharisien et un publicain, qui allèrent au temple pour prier. Le pharisien
se dressa et pria en lui-même: « O Dieu, je rends grâces de ne pas
ressembler au reste des hommes, qui sont exacteurs, ignorants, injustes,
et adultères, ni même à ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je
donne la dîme de tout ce que j'acquiers ». Par contre, le publicain se
tenait à l'écart et n'osait même pas lever les yeux au ciel; il se
frappait la poitrine en disant: « O Dieu, sois miséricordieux pour un
pécheur comme moi ». Je vous dis que le publicain rentra chez lui avec
l'approbation de Dieu, et non le pharisien, car quiconque s'élève sera
humilié et quiconque s'humilie sera élevé » (1).
(1) Cf. Luc XVIII-9 à 14.
Ce soir-là, à Jéricho, les pharisiens hostiles cherchèrent à prendre
Jésus au piège en l'incitant à discuter le mariage et le divorce, comme
leurs compagnons l'avaient jadis fait en Galilée; mais le Maître évita
adroitement de se laisser entraîner dans une opposition à leurs lois
concernant le divorce. De même que les publicains et les pharisiens
donnaient l'exemple de la bonne et de la mauvaise religion, leurs
pratiques du divorce établissaient un contraste entre les meilleures lois
matrimoniales du code juif appliqué par les publicains et le honteux
relâchement avec lequel les pharisiens interprétaient les règles du
divorce formulées par Moïse. Les pharisiens se jugeaient eux-mêmes d'après
le critère le plus bas; les publicains se mettaient au diapason de l'idéal
le plus élevé. Pour les pharisiens, la dévotion était un moyen d'aboutir à
l'inactivité justifiée et à l'assurance d'une fausse sécurité spirituelle.
Pour les publicains, la dévotion était un moyen de vivifier leur âme pour
qu'elle comprenne la nécessité de se repentir, de se confesser, et
d'accepter par la foi un pardon miséricordieux. Les pharisiens cherchaient
la justice, et les publicains la miséricorde. La loi de l'univers reste la
suivante: Demandez, et vous recevrez; cherchez, et vous trouverez.
Bien que Jésus eût refusé de se laisser entraîner dans une controverse
avec les pharisiens au sujet du divorce, il proclama un enseignement
positif des idéaux supérieurs concernant le mariage. Il exalta le mariage
comme la relation humaine la plus idéale et la plus élevée. De même, il
marque sa forte désapprobation pour la pratique relâchée et injuste du
divorce chez les Juifs de Jérusalem, qui, à cette époque, permettaient à
un homme de divorcer pour les raisons les plus futiles. Il suffisait que
l'intéressé accuse sa femme d'être une mauvaise cuisinière ou de mal tenir
la maison, ou simplement qu'il se soit amouraché d'une femme plus jolie.
Les pharisiens étaient même allés jusqu'au point d'enseigner que ce
genre de divorce facile était un privilège spécial accordé au peuple juif,
et particulièrement aux pharisiens. Ainsi, tandis que Jésus refusait de
faire des déclarations sur le mariage et le divorce, il condamna
sévèrement ces honteuses caricatures du mariage et fit ressortir leur
injustice vis-à-vis des femmes et des enfants. Jamais il ne sanctionna
aucune pratique de divorce donnant à l'homme un avantage sur la femme; le
Maître n'approuva que les enseignements accordant aux femmes l'égalité
avec les hommes.
Bien que Jésus n'eût pas offert de nouvelles règles concernant le
mariage et le divorce, il incita les Juifs à se conformer à leurs propres
lois et à leurs enseignements les plus élevés. Il s'appuya constamment sur
les Écritures dans son effort pour améliorer les pratiques selon cette
tendance sociale. Tout en soutenant ainsi les concepts idéaux et
supérieurs du mariage, Jésus évita habilement le conflit avec ses
questionneurs au sujet des moeurs sanctionnées soit par leurs lois
écrites, soit par leurs privilèges de divorce auxquels ils tenaient
beaucoup.
Il fut très difficile aux apôtres de comprendre la répugnance du Maître
à faire des déclarations positives au sujet des problèmes scientifiques,
sociaux, économiques, et politiques. Ils ne comprenaient pas tout à fait
que sa mission terrestre concernait exclusivement la révélation de vérités
spirituelles et religieuses.
Tard dans la soirée, après que Jésus eut parlé du mariage et du
divorce, ses apôtres lui posèrent en privé de nombreuses questions
additionnelles. Ses réponses à leurs enquêtes délivrèrent leur pensée de
beaucoup de fausses conceptions. A la fin de cette conférence, Jésus dit:
« Le mariage est honorable et devrait être désiré par tous les hommes. Le
fait que le Fils de l'Homme poursuit seul sa mission terrestre ne porte
aucune atteinte au caractère désirable du mariage. C'est la volonté du
Père que j'agisse ainsi, mais le même Père a ordonné la création des mâles
et des femelles; Dieu veut que les hommes et les femmes trouvent leur
service le plus élevé et la joie correspondante en établissant des foyers
pour accueillir et élever des enfants, pour la création desquels les
parents sont co-associés aux Créateurs du ciel et de la terre. C'est
pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme,
et les deux ne feront qu'un » (2).
(2) Genèse II-24 ; Matthieu XIX-5 ; Marc X-7
et 8 ; Éphésiens V-31.
De cette manière, Jésus soulagea la pensée des apôtres d'un grand
nombre de soucis et clarifia de nombreux malentendus concernant le
divorce. En même temps, il contribua largement à exalter leurs idéaux
d'union sociale, et à accroître leur respect pour les femmes, les enfants,
et le foyer.
6. -- LA BÉNÉDICTION DES PETITS ENFANTS
Le message vespéral de Jésus sur le mariage et sur le caractère sacré
des enfants se répandit dans tout Jéricho, de sorte que le lendemain
matin, longtemps avant que Jésus et les apôtres aient été sur le point de
partir, et même avant le petit déjeuner, un grand nombre de mères se
rassemblèrent près du logement de Jésus, apportant leurs enfants dans
leurs bras ou les conduisant par la main, et désirant qu'il bénisse les
tout petits. Lorsque les apôtres sortirent et virent ce rassemblement de
mères avec leurs enfants, ils tentèrent de les renvoyer, mais ces femmes
refusèrent de partir avant que le Maître ait imposé les mains sur leurs
enfants et les ait bénis. Quand les apôtres réprimandèrent bruyamment ces
mères, Jésus, entendant le tumulte, sortit et leur fit des reproches
indignés en disant « Laissez venir à moi les petits enfants ne le leur
interdisez pas, car le royaume des cieux est composé de petits enfants
(1). En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque ne reçoit pas le
royaume de Dieu comme un petit enfant ne pourra y entrer pour y atteindre
la plénitude de la virilité spirituelle » (2).
(1) Cf. Matthieu XIX-13. |
(2) Cf. Matthieu XVIII-3. |
Après avoir ainsi parlé à ses apôtres, Jésus accueillit tous les
enfants et leur imposa les mains en adressant des paroles d'encouragement
et d'espoir à leurs mères.
Jésus parlait souvent à ses apôtres des maisons célestes et leur
enseignait que les enfants évoluants de Dieu doivent y croître
spirituellement, comme les enfants grandissent physiquement sur ce monde.
Les choses sacrées paraissent souvent banales; ainsi, en ce jour, ces
enfants et leurs mères ne se rendaient pas compte que les intelligences de
Nébadon observaient les enfants de Jéricho jouant avec le Créateur d'un
univers.
Le statut des femmes en Palestine fut grandement amélioré par
l'enseignement de Jésus. Il en aurait été de même dans le monde entier si
les disciples ne s'étaient pas tellement écartés de ce que le Maître leur
avait si péniblement appris.
Ce fut également à Jéricho, au cours d'une discussion sur l'éducation
religieuse initiale des enfants quant à leurs habitudes d'adoration
divine, que Jésus inculqua à ses apôtres la grande valeur de la beauté en
tant qu'influence incitant à l'adoration, spécialement chez les enfants.
Par ses préceptes et son exemple, le Maître enseigna la valeur de
l'adoration du Créateur au milieu des paysages naturels de la création. Il
préférait communier avec le Père parmi les arbres et les humbles créatures
du monde naturel. Il prenait plaisir à contempler le Père à travers le
spectacle vivifiant des royaumes étoilés des Fils Créateurs.
Quand il n'est pas possible d'adorer Dieu dans les tabernacles de la
nature, les hommes devraient faire de leur mieux pour se ménager des
maisons de beauté, des sanctuaires d'une simplicité attrayante et
artistement embellis, de manière à éveiller les sentiments humains les
plus élevés associés à l'approche intellectuelle de la communion
spirituelle avec Dieu. La vérité, la beauté, et la sainteté apportent une
aide puissante et efficace à la véritable adoration. La communion
spirituelle n'est pas encouragée par une ornementation massive et les
excès de décoration d'un art compliqué et fastueux. Il est bien malheureux
que certains petits enfants aient leur premier contact avec les concepts
du culte public dans des salles froides et nues si dépourvues de l'attrait
de la beauté et inspirant si peu l'allégresse et la sainteté! Il faudrait
que l'initiation de l'enfant à l'adoration ait lieu dans les paysages de
la nature, et que plus tard il accompagne ses parents dans des édifices
publics d'assemblées religieuses qui aient au moins autant d'attrait
matériel et de beauté artistique que la maison où il a son domicile
habituel.
7. -- L'ENTRETIEN AU SUJET DES ANGES
Tandis que le groupe apostolique remontait les collines allant de
Jéricho à Béthanie, Nathanael marcha presque tout le temps aux côtés de
Jésus; leur discussion sur les rapports des enfants avec le royaume des
cieux les conduisit indirectement à étudier le ministère des anges.
Nathanael finit par poser au Maître la question suivante: « Vu que le
grand-prêtre est un sadducéen, et attendu que les sadducéens ne croient
pas aux anges, qu'allons-nous enseigner au peuple au sujet des ministres
célestes? » Alors Jésus donna, entre autres, les indications suivantes:
« Les armées d'anges forment un ordre séparé d'êtres créés. Elles sont
entièrement différentes de l'ordre matériel des créatures mortelles et
opèrent comme un groupe distinct d'intelligences de l'univers. Les anges
n'appartiennent pas au groupe de créatures dénommé « Fils de Dieu » dans
les Ecritures (1). Ils ne sont pas non plus les esprits glorifiés des
humains qui ont poursuivi leurs progrès à travers les mondes élevés des
maisons. Les anges sont une création directe, et ne se reproduisent pas.
Les armées d'anges n'ont qu'une parenté spirituelle avec la race humaine.
Tandis que l'homme progresse sur son chemin vers le Père du Paradis, il
passe à un moment donné par un stade analogue à l'état des anges, mais un
homme ne devient jamais un ange.
(1) Genèse VI-2 et 4. Job I-6 et II-1, etc.
« Contrairement aux hommes, les anges ne meurent jamais. Ils sont
immortels, à moins de se trouver impliqués dans le péché, comme certains
le furent par les tromperies de Lucifer. Les anges sont les serviteurs
spirituels du ciel et ne sont ni infiniment sages ni tout-puissants; mais
tous les anges loyaux sont vraiment purs et saints.
« Ne vous rappelez-vous pas m'avoir déjà entendu vous dire que, si vos
yeux spirituels étaient oints, vous verriez les cieux ouverts et vous
apercevriez les anges de Dieu montant et descendant? C'est par le
ministère des anges qu'un monde peut être maintenu en contact avec les
autres, car ne vous ai-je pas maintes fois dit que j'ai d'autres brebis
n'appartenant pas à ce bercail? Les anges ne sont pas des espions du monde
spirituel qui vous surveillent et vont ensuite raconter au Père les
pensées de votre coeur et lui faire un rapport sur vos activités
physiques. Le Père n'a pas besoin de ce genre de services, puisque son
propre esprit vit en vous. Mais les esprits angéliques servent à tenir une
partie de la création céleste au courant des actes accomplis dans d'autres
parties lointaines de l'univers. Un grand nombre d'anges sont affectés au
service des races humaines, tout en travaillant dans le gouvernement du
Père et les univers des Fils. Quand je vous ai appris que beaucoup de ces
séraphins étaient des esprits tutélaires, je ne parlais ni au figuré ni
poétiquement. Tout ceci est vrai, indépendamment de votre difficulté à
comprendre ces questions.
« Beaucoup de ces anges travaillent à sauver des hommes; ne vous ai-je
pas parlé de la joie séraphique lorsqu'une âme décide d'abandonner le
péché et de commencer la recherche de Dieu? Je vous ai même parlé de la
joie en présence des anges du ciel à propos d'un seul pécheur qui se
repent; cela dénotait l'existence d'autres catégories supérieures d'êtres
célestes qui s'occupent aussi du bien-être spirituel et du progrès divin
des mortels.
« Ces anges s'intéressent également beaucoup aux moyens par lesquels
l'esprit des hommes est libéré des tabernacles de la chair et leur âme
escortée aux mondes célestes des maisons. Les anges sont les fidèles
guides célestes de l'âme des hommes durant la période inexplorée et
imprécise qui intervient entre la mort physique et la vie nouvelle dans
les demeures de l'esprit ».
Jésus se serait entretenu plus longuement avec Nathanael du ministère
des anges s'il n'avait été interrompu par l'approche de Marthe. Elle avait
été informée de l'arrivée du Maître à Béthanie par des amis qui l'avaient
vu monter les collines à l'est, et elle s'était hâtée d'aller à sa
rencontre.
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