LE ROYAUME DES CIEUX
LE samedi après-midi 11 mars de l'an 30, Jésus prêcha son dernier
sermon à Pella. Ce fut l'une des allocutions les plus remarquables de son
ministère public, embrassant une analyse complète et détaillée du royaume
des cieux. Il se rendait compte de la confusion qui régnait dans la pensée
de ses apôtres et de ses disciples au sujet du sens et de la signification
des expressions « royaume des cieux » et « royaume de Dieu » qu'il
employait comme synonymes de sa mission d'effusion. Le terme même royaume
des cieux aurait du suffire à séparer ce qu'il représentait de
toute connexion avec les royaumes terrestres et les gouvernements
temporels, mais ce résultat ne fut pas atteint. L'idée d'un roi temporel
était trop profondément enracinée dans la pensée des Juifs pour en être
délogée en une seule génération. C'est pourquoi Jésus ne s'opposa pas
ouvertement de prime abord à ce concept longtemps entretenu du royaume.
Au cours de cet après-midi de sabbat, le Maître chercha à clarifier son
enseignement sur le royaume des cieux. Il analysa le sujet sous tous les
angles et s'efforça d'expliquer les nombreux sens différents dans lesquels
le terme avait été employé Dans cet exposé, nous ajouterons à son discours
maintes indications données par Jésus en des occasions antérieures, et
nous y inclurons certaines remarques faites exclusivement aux apôtres au
cours des discussions de la soirée du même jour. Nous ferons également
certains commentaires sur le développement ultérieur de l'idée du royaume
en relation avec l'Église chrétienne édifiée plus tard.
1. -- CONCEPTS DU ROYAUME DES CIEUX
En liaison avec le récit du sermon de Jésus, il faut noter que
l'ensemble des Écritures hébraïques comporte un double concept du royaume
des cieux. Les prophètes ont présenté le royaume de Dieu comme étant:
1. Une réalité présente.
2. Un espoir futur -- quand le royaume serait réalisé dans
sa plénitude à la suite de l'apparition du Messie. C'est le concept du
royaume enseigné par Jean le Baptiste.
Dès le début, Jésus et les apôtres enseignèrent ces deux concepts. Il
faut garder présentes à la mémoire deux autres idées du royaume:
3. Le concept juif ultérieur d'un royaume mondial et
transcendantal, d'origine surnaturelle et d'inauguration miraculeuse.
4. Les enseignements persans décrivant l'établissement
d'un royaume divin en tant qu'aboutissement du triomphe du bien sur le mal
à la fin du monde.
Juste avant la venue de Jésus sur terre, les Juifs combinaient et
confondaient toutes ces idées du royaume dans leur concept apocalyptique
de la venue du Messie pour établir l'âge du triomphe juif, l'âge éternel
de la souveraineté suprême de Dieu sur terre, le nouveau monde, l'ère où
l'humanité adorerait Jéhovah. En choisissant d'utiliser ce concept du
royaume des cieux, Jésus décida de s'approprier l'héritage majeur le plus
essentiel des deux religions juive et persane.
Le royaume de Dieu, tel qu'il a été tantôt justement et tantôt
faussement compris durant les siècles de l'ère chrétienne, embrasse quatre
groupes distincts d'idées:
|
1. Le concept des Juifs. |
|
2. Le concept des Persans. |
|
3. Le concept d'expérience personnelle de Jésus, «
le royaume de Dieu en vous ». |
|
4. Les concepts composites et confus que les
fondateurs et promoteurs du christianisme ont cherché à inculquer au
monde. |
À différentes époques et dans des circonstances variées, il semble que
Jésus ait présenté de nombreux concepts du « royaume » dans ses leçons
publiques. Mais à ses apôtres, il enseigna toujours le royaume comme
embrassant l'expérience personnelle d'un homme par rapport à ses
contemporains sur terre et au Père dans les cieux. Ses derniers mots au
sujet du royaume étaient toujours: « Le royaume est en vous ».
Trois facteurs ont causé des siècles de confusion au sujet du sens de
l'expression « le royaume des cieux »:
1. Le fait que l'idée du royaume a été progressivement
remaniée par Jésus et ses apôtres, en passant par diverses phases.
2. La confusion qui accompagna inévitablement la
transplantation du christianisme primitif juif sur un terrain païen.
3. La confusion inhérente au fait que le christianisme
devint une religion organisée autour de l'idée centrale de la personne de
Jésus. L'évangile du royaume devint de plus en plus une religion à
propos de Jésus.
2. -- LE CONCEPT DU ROYAUME CHEZ JÉSUS
La paternité de Dieu et le fait corrélatif de la fraternité des hommes
constituent un double concept de la vérité. Le Maître expliqua que le
royaume de Dieu doit commencer par là et rester axé sur cette vérité.
Selon Jésus, l'acceptation de cet enseignement devait libérer les hommes
de l'asservissement millénaire à la crainte animale, et en même temps
enrichir la vie humaine avec les dons suivants de la nouvelle vie de
liberté spirituelle:
1. La possession d'un nouveau courage et d'un pouvoir
spirituel accru. L'évangile du royaume devait libérer les hommes et les
enhardir à espérer la vie éternelle.
2. L'évangile apportait un message de nouvelle confiance
et de vraie consolation à tous les hommes, même aux pauvres.
3. L'évangile était en lui-même un nouvel étalon des
valeurs morales, un nouveau critère éthique permettant de mesurer la
conduite humaine. Il décrivait l'idéal d'un nouvel ordre social qui en
serait la conséquence.
4. Il enseignait la primauté du spirituel comparé au
matériel; il glorifiait les réalités spirituelles et exaltait les idéaux
surhumains.
5. Ce nouvel évangile présentait l'aboutissement spirituel
comme le vrai but de la vie. La vie humaine recevait une nouvelle dotation
de valeur morale et de dignité divine.
6. Jésus enseigna que les réalités éternelles étaient le
résultat (la récompense) de la droiture dans les efforts terrestres. Le
séjour des mortels sur terre acquit de nouvelles significations comme
conséquence de la noble destinée promise.
7. Le nouvel évangile affirmait que le salut humain révèle
un profond dessein divin devant être accompli et réalisé dans la destinée
future du service sans fin des fils de Dieu qui seraient sauvés.
Ces enseignements couvrent l'idée amplifiée du royaume que Jésus
présentait. Ce grand concept n'était guère inclus dans les notions
élémentaires et confuses que Jean le Baptiste enseignait sur le royaume.
Les apôtres étaient incapables de saisir la signification réelle des
propos du Maître concernant le royaume. La déformation ultérieure des
enseignements de Jésus tels qu'ils sont enregistrés dans le Nouveau
Testament provient de ce que le concept des auteurs évangéliques était
coloré par l'idée que Jésus s'était seulement absenté de la planète pour
une brève période, et qu'il ne tarderait pas à revenir pour établir le
royaume en puissance et en gloire -- exactement l'idée à laquelle ils
s'étaient attachés pendant que le Maître était incarné avec eux. Mais
Jésus n'avait pas lié l'établissement du royaume à celle de son retour
dans ce monde. Les siècles ont passé sans aucun signe de l'apparition du «
Nouvel Age », et cela ne contredit en rien l'enseignement de Jésus.
Le grand effort incorporé dans ce sermon fut la tentative pour
transformer le concept du royaume des cieux en un idéal, en l'idée de
faire la volonté de Dieu. Depuis longtemps le Maître avait appris à ses
disciples à prier: « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ». A
cette époque, il chercha sérieusement à leur faire abandonner l'emploi de
l'expression « royaume de Dieu » en faveur d'un meilleur équivalent, la
volonté de Dieu, mais il n'y parvint pas.
Jésus désirait substituer aux idées de royaume, de roi, et de sujets,
le concept de la famille céleste, du Père céleste, et des fils de Dieu
libérés, engagés dans un service joyeux et volontaire en faveur de leur
prochain et dans l'adoration sublime et intelligente de Dieu le Père.
Jusque là, les apôtres avaient acquis un double point de vue sur le
royaume. Ils le considéraient comme:
1. Une affaire d'expérience personnelle actuellement
présente dans le coeur des vrais croyants.
2. Une question de phénomène racial ou mondial; le royaume
était dans l'avenir, quelque chose qu'il fallait envisager avec plaisir.
Les apôtres considéraient la venue du royaume dans le coeur des hommes
comme un développement graduel, semblable au levain dans la pâte ou à la
croissance du grain de sénevé. Ils croyaient que la venue du royaume au
sens racial ou mondial serait à la fois souhaitable et spectaculaire.
Jamais Jésus ne se lassa de leur dire que le royaume des cieux était leur
expérience personnelle consistant à réaliser les qualités supérieures de
la vie spirituelle, et que ces réalités de l'expérience spirituelle sont
progressivement transférées à des plans nouveaux et supérieurs de
certitude divine et de grandeur éternelle.
Cet après-midi-là, le Maître enseigna nettement un nouveau concept de
la double nature du royaume, en ce sens qu'il en décrivit les deux phases
suivantes:
Premièrement, le royaume de Dieu dans ce monde, le suprême désir de
faire la volonté de Dieu, l'amour humain désintéressé qui donne les bons
fruits d'une éthique améliorée et d'une conduite morale.
Deuxièmement, le royaume céleste de Dieu, le but des croyants mortels,
l'état où l'amour pour Dieu est plus parfait, et où la volonté de Dieu est
accomplie plus divinement.
Jésus enseigna que, par la foi, le croyant entre dès maintenant
dans le royaume. Dans ses divers discours, il enseigna que deux choses
sont essentielles pour entrer par la foi dans le royaume:
1. La foi, la sincérité. Venir comme un petit enfant, recevoir
le bénéfice de la filiation comme un don; accepter de faire sans
discussion la volonté du Père, avec une confiance pleine et sincère dans
la sagesse du Père; entrer dans le royaume sans préjugés ni idées
préconçues; avoir l'esprit ouvert et être enseignable comme un enfant non
gâté.
2. Avoir faim de vérité. La soif de droiture, un changement de
pensée, l'acquisition du mobile qui pousse à ressembler à Dieu et à
trouver Dieu.
Jésus enseigna que le péché n'est pas la conséquence d'une nature
défectueuse, mais plutôt le fruit d'une pensée consciente dominée par une
volonté insoumise. En ce qui concerne le péché, il enseigna que Dieu a
pardonné, et l'acte de pardonner à notre prochain rend le pardon de Dieu
disponible en notre faveur personnelle. Quand vous pardonnez à votre frère
incarné, vous créez ainsi dans votre âme l'aptitude à recevoir la réalité
du pardon de Dieu pour vos propres méfaits.
À l'époque où l'apôtre Jean commença à écrire l'histoire de la vie et
des enseignements de Jésus, les Chrétiens primitifs avaient éprouvé de
graves ennuis parce que l'idée du royaume de Dieu avait engendré des
persécutions: les difficultés furent telles qu'ils abandonnèrent à peu
près l'emploi du terme royaume. Jean parle beaucoup de la « vie éternelle
». Jésus en parla souvent comme du « royaume de vie ». Souvent aussi il
faisait allusion au « royaume de Dieu en vous ». Il qualifia une fois
cette expérience de « communauté familiale avec Dieu le Père ». Jésus
chercha à substituer de nombreuses expressions au mot « royaume », mais
toujours sans succès. Il employa entre autres: la famille de Dieu, la
volonté du Père, les amis de Dieu, la communauté des croyants, la
confraternité des hommes, le bercail du Père, les enfants de Dieu, la
communion des fidèles, le service du Père, et les fils de Dieu libérés.
Mais il ne put éviter d'utiliser l'idée du royaume. C'est seulement un
demi-siècle plus tard, après la destruction de Jérusalem par les armées
romaines, que le concept du royaume commença à changer. Il se transforma
en culte de la vie éternelle, tandis que ses aspects sociaux et
institutionnels étaient pris en charge par l'Église chrétienne en voie de
développement et de cristallisation rapides.
3. -- AU SUJET DE LA DROITURE
Jésus s'efforça toujours d'inculquer à ses apôtres et disciples la
nécessité d'acquérir, par la foi, une droiture qui dépasserait celle des
oeuvres serviles que certains scribes et pharisiens étalaient avec tant de
vanité devant le monde.
Jésus enseigna que la foi, la simple croyance enfantine, est la clef de
la porte du royaume, mais il enseigna également qu'après avoir passé la
porte, il y a les étapes successives de droiture que chaque enfant croyant
doit franchir après sa mort pour grandir jusqu'au plein développement des
robustes fils de Dieu.
C'est par l'étude de la technique pour recevoir le pardon de
Dieu que se révèle la manière d'atteindre la droiture du royaume. La foi
est le prix que l'on paye pour entrer dans la famille de Dieu; mais le
pardon est l'acte de Dieu acceptant votre foi comme prix d'admission. Et
la réception du pardon de Dieu par un croyant au royaume implique une
expérience précise et réelle comprenant les quatre étapes suivantes, les
étapes du royaume de la droiture intérieure:
1. L'homme peut disposer du pardon de Dieu et en faire
l'expérience personnelle dans la mesure exacte où il pardonne à ses
semblables.
2. Un homme ne pardonne pas véritablement à son prochain à
moins de l'aimer comme lui-même.
3. Le fait d'aimer ainsi son prochain comme soi-même
est l'éthique la plus élevée.
4. La conduite morale, la vraie doiture, est alors le
résultat naturel de cet amour.
Il est donc évident que la vraie religion intérieure du royaume tend
infailliblement, et de plus en plus, à se manifester dans les voies
pratiques du service social. Jésus enseigna une religion vivante qui
obligeait ses fidèles à s'engager dans des actes de service amical. Mais
Jésus ne substitua pas l'éthique à la religion. Il enseigna la religion
comme une cause, et l'éthique comme un résultat.
La droiture d'un acte doit se mesurer à son mobile; les formes les plus
élevées du bien sont donc inconscientes. Jésus ne s'intéressa jamais à la
morale ni à l'éthique en elles-mêmes. Il s'occupa exclusivement de la
communion intérieure et spirituelle avec Dieu le Père, communion qui se
manifeste directement avec tant de certitude sous forme de services
extérieurs rendus aux hommes. Il enseigna que la religion du royaume est
une expérience personnelle authentique que nul ne peut conserver pour
lui-même. La conscience d'être un membre de la famille des croyants
conduit inévitablement à pratiquer les préceptes de la bonne conduite
familiale, le service des frères et soeurs pour rehausser et développer la
confraternité.
La religion du royaume est personnelle, individuelle; ses fruits, ses
résultats, sont familiaux et sociaux. Jésus ne manquait jamais d'exalter
le caractère sacré des individus par contraste avec la communauté. Mais il
reconnaissait également que les hommes développent leur caractère par le
service social; ils déploient leur nature morale dans des rapports
affectueux avec leurs semblables.
En enseignant que le royaume est intérieur, en exaltant la
personnalité, Jésus donna le coup de grâce à l'ancien ordre social, en ce
sens qu'il inaugura la nouvelle dispensation de la vraie droiture sociale.
Le monde a peu connu ce nouvel ordre social, parce qu'il a refusé de
pratiquer les principes de l'évangile du royaume des cieux. Quand ce
royaume de prééminence spirituelle s'établira sur terre, il ne se
manifestera pas simplement par une amélioration des conditions matérielles
et sociales; il se traduira plutôt par la gloire des valeurs spirituelles
supérieures et enrichies qui caractérisent l'approche de l'âge des
relations humaines améliorées et des accomplissements spirituels avancés.
4. -- L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS SUR LE ROYAUME
Jésus ne donna jamais une définition précise du royaume. Tantôt il
discourait sur une phase du royaume, et tantôt il analysait un aspect
différent du règne de la confraternité de Dieu dans le coeur des hommes.
Au cours du sermon de cet après-midi de sabbat, Jésus fit allusion à au
moins cinq phases, ou époques, qui sont les suivantes:
1. L'expérience personnelle et intérieure de la vie
spirituelle du croyant communiant individuellement avec Dieu le Père.
2. La croissance de la confraternité des croyants à
l'évangile, les aspects sociaux de la morale supérieure et de l'éthique
vivifiée résultant du règne de l'esprit de Dieu dans le coeur des croyants
individuels.
3. La confraternité supra-mortelle des êtres spirituels
invisibles qui prévaut sur terre et dans le ciel, le royaume supra-humain
de Dieu.
4. La perspective d'un accomplissement plus parfait de la
volonté de Dieu, le progrès vers l'aurore d'un nouvel ordre social en
liaison avec une vie spirituelle améliorée -- l'ère suivante de
l'humanité.
5. Le royaume dans sa plénitude, l'âge spirituel futur de
lumière et de vie sur terre.
C'est pourquoi il faut toujours analyser l'enseignement du Maître pour
savoir à laquelle de ces cinq phases il veut se référer quand il emploie
l'expression « royaume des cieux ». Par ce processus de changement graduel
de la volonté des hommes et de modification corrélative des décisions
humaines, Micaël et ses collaborateurs changent progressivement, mais avec
certitude, tout le cours de l'évolution humaine, sociale et autre.
En cette occasion, le Maître mit l'accent sur les cinq points suivants
représentant selon lui les caractéristiques essentielles de l'évangile du
royaume.
1. La prééminence de l'individu. |
2. La volonté comme facteur déterminant dans
l'expérience humaine. |
3. La communion spirituelle avec Dieu le Père. |
4. La satisfaction suprême de servir amicalement
les hommes. |
5. La transcendance du spirituel sur le matériel
dans la personnalité humaine. |
Le monde n'a jamais sérieusement, sincèrement, ni honnêtement mis à
l'épreuve les idées dynamiques et les idéaux divins de la doctrine du
royaume céleste exposée par Jésus. Mais il n'y a pas lieu de se laisser
décourager par la lenteur apparente du progrès de l'idée du royaume sur
Urantia. Rappelez-vous que l'évolution progressive est sujette à des
changements périodiques soudains et inattendus à la fois dans le monde
matériel et dans le monde spirituel. L'effusion de Jésus en tant que Fils
incarné fut précisément l'un de ces événements étranges et inattendus dans
la vie spirituelle du monde. En recherchant la manifestation du royaume
dans l'âge contemporain, ne commettez pas non plus l'erreur fatale
d'omettre de l'établir dans votre propre âme.
Jésus fit allusion à une phase du royaume comme située dans l'avenir,
et suggéra en de nombreuses occasions qu'elle pourrait apparaître comme
élément d'une crise mondiale. Par ailleurs, en plusieurs circonstances, il
promit nettement qu'il reviendrait certainement sur Urantia. Mais il faut
noter qu'il n'a jamais établi un lien positif entre ces deux idées. Il
promit une nouvelle révélation du royaume sur terre à un moment donné de
l'avenir; il promit également qu'il reviendrait un jour, en personne, sur
ce monde; mais il n'a jamais dit que ces deux événements coïncideraient.
D'après tout ce que nous savons, ces promesses peuvent se référer ou non
au même événement.
Il est absolument certain que ses apôtres et disciples établirent un
lien entre ces deux promesses. Quand le royaume ne se matérialisa pas
comme ils l'avaient espéré, ils se rappelèrent l'enseignement du Maître
concernant un royaume futur et se souvinrent de sa promesse de revenir;
ils conclurent aussitôt que ces promesses se référaient au même événement.
C'est pourquoi ils vécurent dans l'espoir que Jésus reviendrait
incessamment une seconde fois pour établir le royaume dans sa plénitude,
avec puissance et gloire. Depuis lors, des générations successives de
croyants ont vécu sur terre en entretenant le même espoir vivifiant, mais
trompeur.
5. -- IDÉES ULTÉRIEURES SUR LE ROYAUME
Ayant résumé les enseignements de Jésus sur le royaume des cieux, nous
sommes autorisés à décrire certaines idées ultérieures qui s'attachèrent
au concept du royaume, et à nous engager dans une provision prophétique du
royaume tel qu'il pourrait évoluer dans l'âge à venir.
Durant les premiers siècles de la propagande chrétienne, l'idée du
royaume des cieux fut prodigieusement influencée par les notions de
l'idéalisme grec, qui se répandaient alors rapidement, l'idée du monde
spirituel -- du temporel en tant qu'ombre de l'éternel dans le temps.
Toutefois, la grande étape qui marqua la transplantation des
enseignements de Jésus d'un sol juif sur un sol païen fut franchie quand,
pour l'Église, le Messie du royaume devint le Rédempteur. L'Église était
une organisation religieuse et sociale issue des activités de Paul et de
ses successeurs; elle était fondée sur les enseignements de Jésus auxquels
on avait ajouté les idées de Philon et les doctrines persanes du bien et
du mal.
Les idées et les idéaux de Jésus, incorporés dans l'enseignement de
l'évangile du royaume, faillirent cesser d'être compris quand ses
disciples déformèrent progressivement ses déclarations. Le concept du
royaume présenté par le Maître fut notablement modifié par deux grandes
tendances:
1. Les croyants juifs persistaient à considérer Jésus
comme le Messie. Ils croyaient que le Maître reviendrait dans un
très proche avenir pour établir un royaume mondial plus ou moins matériel.
2. Les Gentils chrétiens commencèrent de très bonne heure
à accepter les doctrines de Paul, qui conduisirent de plus en plus à la
croyance générale que Jésus était le Rédempteur des enfants de
l'Église; ce concept nouveau et institutionnel succéda au concept primitif
de la confraternité purement spirituelle du royaume.
L'Église, en tant que conséquence sociale du royaume, aurait été
entièrement naturelle et même désirable. Le mal de l'Église ne fut pas son
existence, mais plutôt le fait qu'elle supplanta presque complètement le
concept du royaume présenté par Jésus. L'Église de Paul, élevée au rang
d'institution, se substitua virtuellement au royaume des cieux que Jésus
avait proclamé.
Mais le royaume des cieux, tel que le Maître l'enseigna, existe dans le
coeur des croyants. Sans aucun doute, il sera de nouveau proclamé à cette
Église chrétienne, ainsi qu'à toutes les autres religions, races, et
nations de la terre -- et même à chaque individu.
Le royaume enseigné par Jésus, l'idéal spirituel de la droiture
individuelle et le concept de la divine communion de l'homme avec Dieu, se
fondit graduellement dans la conception mystique de la personne de Jésus
en tant que Rédempteur-Créateur et chef spirituel d'une communauté
religieuse socialisée. De cette manière, une Église officielle et
institutionnelle devint le substitut de la confraternité spirituelle
individuelle du royaume.
L'Église fut un résultat social inévitable et utile de la vie et
des enseignements de Jésus. La tragédie consiste dans le fait que cette
réaction sociale aux enseignements du royaume déplaça complètement le
concept spirituel du vrai royaume, tel que Jésus l'enseigna et le vécut.
Pour les Juifs, le royaume était la communauté israélite; pour
les Gentils, il devint l'Église chrétienne. Pour Jésus, il était
l'ensemble des individus qui avaient confessé leur foi dans la
paternité de Dieu, proclamant de la sorte leur consécration sincère à
faire la volonté de Dieu, et devenant ainsi membres de la confraternité
spirituelle des hommes.
Le Maître comprenait parfaitement que certains résultats sociaux
apparaîtraient dans le monde comme conséquence de la diffusion de
l'évangile du royaume. Mais son intention était que toutes ces
manifestations sociales désirables surviennent comme des conséquences
naturelles, inconscientes et inévitables, comme des fruits spontanés de
l'expérience personnelle intérieure des croyants individuels, de cette
communauté et de cette communion purement spirituelles avec l'esprit divin
qui habite et anime les croyants.
Jésus prévoyait qu'une organisation sociale, ou Église, suivrait le
progrès du véritable royaume spirituel, et c'est pourquoi il ne s'opposa
jamais à ce que les apôtres pratiquent le rite du baptême de Jean. Il
enseigna que l'âme qui aime la vérité -- l'homme qui a faim et soif de
droiture et de Dieu -- est admise par la foi dans le royaume spirituel; en
même temps, les apôtres enseignaient que le même croyant est admis dans
l'organisation sociale des disciples par le rites extérieur du baptême.
Quand les disciples immédiats de Jésus reconnurent leur échec partiel
pour réaliser l'idéal consistant à établir le royaume dans le coeur des
hommes par la domination et la gouverne de l'esprit chez les croyants
individuels, ils cherchèrent à éviter que l'enseignement du Maître ne fût
entièrement perdu; à cet effet, ils substituèrent à son idéal du royaume
la création progressive d'une organisation sociale visible, l'Église
chrétienne. Quand ils eurent accompli ce programme de substitution, ils se
mirent à situer le royaume dans l'avenir, afin de maintenir la logique et
d'assurer la récognition des enseignements du Maître sur le fait du
royaume. Dès que l'Église fut solidement établie, elle commença à
enseigner qu'en réalité le royaume devait apparaître à l'apogée de l'ère
chrétienne, à la seconde venue du Christ.
De cette manière, le royaume devint le concept d'un âge, l'idée d'une
visitation future, et l'idéal de la rédemption finale des saints du
Très-Haut. Les Chrétiens primitifs (et beaucoup trop de chrétiens
ultérieurs) perdirent généralement de vue l'idée de Père-et-fils
incorporée dans l'enseignement de Jésus sur le royaume, tandis qu'ils y
substituaient la communauté sociale bien organisée de l'Église. En somme,
l'Église devint ainsi une confraternité sociale qui se substitua
effectivement au concept et à l'idéal de Jésus d'une fraternité
spirituelle.
Le concept idéal de Jésus ne réussit pas à s'imposer mais, sur les
fondements de la vie et des enseignements personnels du Maître, complétés
par les concepts grecs et persans de la vie éternelle, et accrus par la
doctrine de Philon sur le contraste du temporel avec le spirituel, Paul se
mit à bâtir l'une des sociétés humaines les plus progressives qui aient
jamais existé sur Urantia.
Le concept de Jésus est encore vivant dans les religions évoluées du
monde. L'Église chrétienne de Paul est l'ombre socialisée et humanisée du
royaume des cieux que Jésus avait l'intention d'établir -- et de ce que ce
royaume va certainement devenir. Paul et ses successeurs enlevèrent
partiellement aux individus les problèmes de la vie éternelle pour les
transférer à l'Église. Le Christ devint ainsi le chef de l'Église plutôt
que le frère aîné de chaque croyant de la famille du Père dans le royaume.
Paul et ses contemporains appliquèrent à l'Église en tant que
groupe de croyants toutes les données spirituelles de Jésus concernant sa
propre personne et les croyants individuels. Ce faisant, ils portèrent un
coup mortel au concept de Jésus proclamant le royaume divin dans le coeur
de chaque croyant.
Ainsi, durant des siècles, l'Église chrétienne a été fort gênée dans
ses oeuvres parce qu'elle a osé s'attribuer les mystérieux pouvoirs et
privilèges du royaume; or ceux-ci ne peuvent être exercés et expérimentés
qu'entre Jésus et ses frères spirituels croyants. Il devient ainsi clair
que l'appartenance à l'Église ne signifie pas nécessairement communauté
dans le royaume; la seconde est spirituelle, l'autre est principalement
sociale.
Tôt ou tard, un Jean le Baptiste nouveau et plus grand se dressera en
proclamant que « le royaume de Dieu est à portée de la main » --
signifiant un retour au concept supérieur de Jésus. Le Maître proclamait
que le royaume est la volonté de son Père céleste, dominante et
transcendante dans le coeur des croyants. Le nouveau prophète accomplira
tout cela sans faire la moindre allusion à l'Église terrestre visible, et
sans anticiper sur la seconde venue du Christ. Il faut qu'il se produise
une renaissance des enseignements réels de Jésus, que sa doctrine
soit réexposée de manière à rectifier l'oeuvre des disciples initiaux qui
parcoururent le monde en créant un système socio-philosophique de
croyances concernant le fait du séjour de Micaël sur terre. En très
peu de temps, l'enseignement de cette histoire à propos de Jésus
supplanta presque entièrement la prédication de l'évangile de
Jésus. De cette manière, une religion historique se substitua à
l'enseignement dans lequel Jésus avait mêlé les idées morales et les
idéaux spirituels les plus élevés des hommes avec leurs plus sublimes
espérances de vie future — éternelle. Or c'était là l'évangile du
royaume.
C'est précisément parce que l'évangile de Jésus se présentait sous tant
d'aspects différents, qu'en l'espace de quelques siècles ceux qui
étudièrent les récits de ses enseignements se divisèrent en tant de cultes
et de sectes. Cette pitoyable subdivision des croyants chrétiens résulte
de ce qu'ils n'ont pas discerné, dans les multiples enseignements du
Maître, la divine unité de sa vie incomparable. Mais il viendra un jour où
les vrais croyants en Jésus ne seront pas divisés de la sorte dans leur
comportement devant les incroyants. Nous aurons toujours une diversité de
compréhension et d'interprétation intellectuelles, et même divers degrés
de socialisation, mais le défaut de confraternité spirituelle est à la
fois inexcusable et répréhensible.
Ne vous y trompez pas! Il y a dans les enseignements de Jésus une
nature éternelle qui ne leur permettra pas de rester indéfiniment stériles
dans le coeur des hommes réfléchis. Le royaume tel que Jésus le concevait
a échoué dans une grande mesure sur terre; pour l'instant, une Église
extérieure a pris sa place; mais vous devriez comprendre que cette Église
est seulement l'état embryonnaire du royaume spirituel contrecarré; elle
fera traverser au royaume le présent âge matériel et le conduira jusqu'à
une dispensation plus spirituelle où les enseignements du Maître
trouveront de meilleures occasions de se développer. L'Église dite
chrétienne est donc la chrysalide où dort actuellement le concept
évangélique de Jésus. Le royaume de la confraternité divine est toujours
vivant; il est sur de sortir finalement de sa longue submersion, tout
aussi sûrement que le papillon finit par émerger en tant que magnifique
développement de sa chrysalide métamorphique moins attrayante.
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