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  The Urantia book

FASCICULE 173

 

 

LE LUNDI À JÉRUSALEM

COMME convenu au préalable, Jésus et les apôtres se réunirent ce lundi matin de bonne heure chez Simon à Béthanie et, après une brève conférence, ils partirent pour Jérusalem. Les douze restèrent étrangement silencieux pendant le trajet pour aller au temple; ils ne s'étaient pas remis des émotions de la veille. Ils étaient dans l'expectative, craintifs, et profondément affectés par un certain sentiment de détachement résultant du soudain changement de tactique du Maître et de l'interdiction qu'il leur avait faite d'enseigner en public durant cette semaine de la Pâque. Le groupe descendit le Mont Olivet, Jésus en tête, et les apôtres suivant de près dans un silence méditatif. Tous, sauf Judas Iscariot, ne pensaient qu'à une chose: Que va faire le Maître aujourd'hui? Quant à Judas, il était absorbé par les pensées suivantes: Que vais-je faire? Vais-je rester avec Jésus et mes compagnons ou me retirer? Et si je les quitte, comment romprai-je?

La matinée était magnifique lorsque ces hommes arrivèrent au temple vers neuf heures. Ils se rendirent aussitôt dans la grande cour où Jésus avait si souvent enseigné, et saluèrent les croyants qui les attendaient. Puis Jésus monta sur l'une des estrades réservées aux éducateurs et commença à parler à la foule qui s'assemblait. Les apôtres s'écartèrent un peu et attendirent les événements.

1. -- L'ÉPURATION DU TEMPLE

Un immense commerce s'était développé en liaison avec les offices et les rites du culte au temple. Il y avait un trafic consistant à fournir des animaux appropriés pour les divers sacrifices. Bien que les adorateurs eussent la faculté d'apporter leurs propres offrandes, le fait subsistait que les animaux ne devaient présenter aucune « tare » au sens de la loi lévitique interprétée par les inspecteurs officiels du temple. Bien des adorateurs avaient subi l'humiliation de voir leur animal, supposé parfait, rejeté par les examinateurs du temple. La pratique se généralisa donc d'acheter les animaux sacrificiels au temple même. Il y avait bien à proximité, sur le Mont Olivet, divers fournisseurs chez qui l'on pouvait se les procurer, mais la coutume s'était établie de les acquérir directement dans l'enceinte du temple. L'habitude de vendre toutes sortes d'animaux sacrificiels dans les cours du temple s'était développée graduellement. Des affaires très actives et procurant d'énormes profits avaient ainsi vu le jour. Une part des bénéfices était réservée au trésor du temple, mais la majeure partie en revenait indirectement aux familles de l'état-major du grand-prêtre.

La vente des animaux dans le temple prospérait, car si un adorateur y achetait un animal, bien que le prix en était assez élevé, il n'avait plus de taxes à payer et il était sûr que le sacrifice proposé ne serait pas rejeté sous prétexte que l'animal était réellement ou théoriquement taré. De temps à autre on augmentait d'une manière exorbitante les prix demandés aux gens du peuple, spécialement durant les grandes fêtes nationales. A un certain moment, les prêtres avides allèrent jusqu'à exiger l'équivalent d'une semaine de travail pour un couple de pigeons que l'on aurait normalement vendu aux pauvres pour quelques deniers. Les protégés d'Annas avaient déjà commencé à installer leurs boutiques dans l'enceinte du temple, sur les emplacements de marché qui subsistèrent jusqu'à leur démolition par la populace trois ans avant la destruction du temple lui-même.

Le trafic des animaux sacrificiels et de diverses marchandises n'était pas la seule manière dont les cours du temple étaient profanées. On avait développé à l'époque un vaste système commercial de banque et de change, qui se pratiquait jusque dans l'enceinte du temple et s'était instauré de la manière suivante: durant la dynastie Asmonéenne, les Juifs avalent frappé leur propre monnaie d'argent, et la pratique s'était établie d'exiger que la taxe d'un demi-sicle et tous les autres droits du temple fussent payés avec cette monnaie juive. Cette réglementation rendait nécessaire l'octroi de licences à des changeurs de devises pour qu'ils fournissent des sicles orthodoxes de frappe juive en échange des nombreuses sortes de monnaies circulant en Palestine et dans certaines autres provinces de l'empire romain. L'impôt du temple, payable par tout le monde excepté les femmes, les enfants, et les mineurs, était d'un demi-sicle, une monnaie de la taille d'une pièce d'argent de deux centimètres de diamètre, mais assez épaisse. A l'époque de Jésus, les prêtres avaient également été exemptés de l'impôt du temple. En conséquence, du 15 au 25 du mois précédant la Pâque, des changeurs accrédités dressaient leurs baroques dans les principales villes de Palestine en vue de fournir aux Juifs la monnaie appropriée pour payer les taxes du temple à leur arrivée à Jérusalem. Après cette période de dix jours, les changeurs partaient pour Jérusalem et installaient leurs comptoirs dans les cours du temple. Ils étaient autorisés à prélever une commission de quinze à vingt centimes sur l'échange d'une pièce valant à peu près cinquante centimes, et le double sur une pièce de valeur supérieure. Ces banquiers du temple tiraient également profit du change de tout l'argent destiné à l'achat des animaux à sacrifier, et au payement des voeux et des offrandes.

Non seulement ces changeurs du temple faisaient des affaires régulières de banque pour tirer bénéfice du change d'au moins vingt sortes de monnaies apportées périodiquement par les pèlerins lors de leur passage à Jérusalem , mais ils s'engageaient aussi dans toutes sortes d'opérations relevant du métier de banquier. Le trésor du temple et les chefs religieux tiraient d'immenses profits de ces activités commerciales. Il n'était pas rare que le trésor du temple content l'équivalent de dix tonnes d'or, tandis que le petit peuple languissait dans la misère et continuait à payer ces prélèvements injustifiés.

Ce lundi matin, Jésus tenta d'enseigner l'évangile du royaume céleste au milieu de la bruyante multitude de changeurs, de vendeurs, et de marchands de bestiaux. Il n'était pas seul à s'indigner de cette souillure du temple; les gens du peuple, et spécialement les Juifs des provinces étrangères, étaient profondément froissés dans leur coeur de voir ainsi profaner leur temple national pour de l'argent. A cette époque, le sanhédrin lui-même tenait ses réunions régulières dans une salle autour de laquelle se poursuivait le brouhaha de ces discussions et ce pêle-mêle de commerce et de troc.

Au moment où Jésus allait commencer son allocution, deux incidents se produisirent qui attirèrent son attention. Au comptoir d'un changeur voisin, une discussion violente et passionnée s'était élevée à propos d'une commission trop élevée demandée à un Juif d'Alexandrie, et au même instant l'air était déchiré par les beuglements d'une centaine de boeufs que l'on transférait d'une section du parc à bestiaux à une autre. Tandis que Jésus s'arrêtait en contemplant silencieusement, mais méditativement, cette scène de commerce et de confusion, il aperçut près de lui un candide Galiléen à qui il avait parlé à Iron; des Judéens arrogants et se prétendant supérieurs le ridiculisaient et le bousculaient. Tout ceci se conjugua dans l'âme de Jésus pour provoquer l'un de ses étranges accès périodiques d'indignation émotive.

A la stupéfaction de ses apôtres, qui se tenaient à proximité immédiates et s'abstinrent de participer à la scène qui suivit, Jésus descendit de l'estrade d'enseignement, se dirigea vers le garçon qui conduisait le bétail a travers la cour, lui prit son fouet de cordes, et chassa rapidement les animaux du temple. Ce ne fut pas tout. Sous les regards émerveillés des milliers de personnes assemblées dans la cour du temple, il marcha à grands pas majestueux vers la section la plus éloignée du parc à bestiaux et se mit à ouvrir les portes de chaque étable et à en chasser les animaux emprisonnés. Alors les pèlerins assemblés furent galvanisés; avec des clameurs tumultueuses, ils allèrent vers les bazars et commencèrent à renverser les tables des changeurs. En moins de cinq minutes, tout commerce avait été balayé du temple. Au moment où les gardes romains du voisinage apparurent sur la scène, tout était de nouveau paisible et la foule s'était disciplinée. Remontant sur l'estrade des orateurs, Jésus s'adressa à la multitude et dit: « Vous avez assisté aujourd'hui à ce qui est annoncé dans les Écritures: « Ma maison sera appelée un temple de prières pour toutes les nations, mais vous en avez fait une caverne de valeurs » (1).

Avant qu'il ait pu en dire davantage, des hosannas de louanges éclatèrent dans la grande assemblée, et bientôt une bande de jeunes gens sortit de la foule pour chanter des hymnes de reconnaissance, parce que les marchands profanes et les spéculateurs avaient été chassés du temple sacré. A ce moment-là, certains prêtres étaient arrivés sur la scène et l'un d'eux dit à Jésus: « N'entends-tu pas ce que disent les enfants des Lévites?» Et le Maître répondit: « N'as-tu jamais lu dans les Écritures que « la louange est sortie parfaite de la bouche des enfants et des nourrissons » (2). Durant le reste de la journée, tandis que Jésus enseignait, des gardes établis par le peuple veillèrent à tous les porches et ne permirent à personne de transporter même un récipient vide à travers les cours du temple.

  (1) Matthieu XXII-13.
  (2) Cf. Psaume VIII-2 et Matthieu XXII-16.

Quand les chefs religieux et les scribes eurent vent de ces événements, ils furent abasourdis. Ils eurent d'autant plus peur du Maître et furent d'autant plus résolus à l'exterminer. Mais ils étaient fort embarrassés, car ils craignaient beaucoup les foules, qui approuvaient maintenant si ouvertement l'expulsion des spéculateurs profanes. Durant toute la journée, qui fut tranquille et paisible dans les cours du temple, la foule écouta les enseignements de Jésus et fut littéralement suspendue à ses paroles.

L'acte surprenant de Jésus dépassait la compréhension de ses apôtres. Ils furent tellement déconcertés par cette action soudaine et inattendue de leur Maître que, durant toute cette scène, ils restèrent groupés pêle-mêle près de l'estrade des orateurs. Ils ne levèrent jamais un doigt pour participer à l'épuration du temple. Si cet événement spectaculaire avait eu lieu la veille, au moment de l'arrivée triomphale de Jésus au temple, après la procession tumultueuse à travers les portes de la ville où il avait été sans cesse bruyamment acclamé par la multitude, ils auraient été prêts à agir; mais de la manière dont l'incident arriva, ils n'étaient aucunement préparés à y participer.

Cette épuration du temple révèle le comportement du Maître envers la commercialisation des pratiques religieuses ainsi que sa répulsion pour toutes les formes d'injustice et de spéculation aux dépens des pauvres et des ignorants. L'épisode montre également que Jésus ne désapprouvait pas l'emploi de la force pour protéger la majorité d'un groupe humain contre les pratiques injustes et asservissantes de minorités égoïstes capables de se retrancher derrière le pouvoir politique, financier, ou ecclésiastique. On ne doit pas permettre à des hommes astucieux, pervers, et entreprenants de s'organiser pour exploiter et opprimer ceux qui, à cause de leur idéalisme, ne sont pas disposés à recourir à la violence pour se protéger ou pour mettre à exécution des projets dignes de louanges.

2. -- UN DÉFI A L'AUTORITÉ DU MAÎTRE

La triomphale ]entrée dominicale de Jésus à Jérusalem inspira une telle crainte aux dirigeants juifs qu'ils s'abstinrent de le faire arrêter. Le lendemain, l'épuration spectaculaire du temple retarda de nouveau l'arrestation du Maître. Jour après jour, les chefs des Juifs étaient plus décidés à le faire disparaître, mais ils en étaient détournés par deux craintes qui se conjuguaient pour retarder l'heure de frapper. Les principaux prêtres et les scribes ne voulaient pas arrêter Jésus en public, car ils craignaient que la foule ne se retourne contre eux avec rancune et fureur. Ils craignaient également l'éventualité d'un appel aux gardes romains pour calmer une émeute populaire.

Au cours de sa session de midi, le sanhédrin décida à l'unanimité qu'il fallait en finir rapidement avec Jésus, mais aucun des amis du Maître n'assistait à cette réunion. Les sanhédristes ne purent toutefois se mettre d'accord sur le moment et la manière de le mettre en prison. Ils décidèrent finalement de designer cinq groupes qui se mêleraient au public en vue d'embrouiller Jésus dans ses enseignements ou de le discréditer de quelque manière aux yeux de ceux qui écoutaient son instruction. En conséquence, vers deux heures, au moment où Jésus venait de commencer son discours sur « La Liberté dans la Filiation », un groupe d'anciens d'Israël se fraya un chemin jusqu'auprès de lui, l'interrompit à leur manière habituelle et lui demanda: «Par quelle autorité fais-tu ces choses? Qui t'a donné cette autorité? »

Les dirigeants et les fonctionnaires du temple avaient parfaitement le droit de poser cette question à quiconque prétendait enseigner et agir de la manière extraordinaire qui avait caractérisé Jésus, spécialement dans sa récente conduite en éliminant du temple tous les commerces. Les marchands et les changeurs opéraient avec une licence directement octroyée par les dirigeants supérieurs, et un pourcentage de leurs gains était supposé revenir directement au trésor du temple. N'oubliez pas que l'autorité était le mot de passe de toute la société juive. Les prophètes suscitaient toujours des troubles parce qu'ils avaient l'audace de prétendre enseigner sans autorité, sans avoir été dûment instruits dans les académies rabbiniques ni avoir ensuite reçu l'ordination régulière du sanhédrin. L'absence de cette autorité pour enseigner ostensiblement en public était considérée comme dénotant soit une ignorance présomptueuse, soit une rébellion ouverte. A cette époque, seul le sanhédrin pouvait conférer l'ordination à un ancien ou à un éducateur, et cette cérémonie devait avoir lieu devant au moins trois personnes précédemment ordonnées de la même manière. Cette ordination conférait le titre de « rabbin» à l'éducateur et le qualifiait également pour agir en tant que juge « liant et déliant les questions soumises à sa décision ».

Ce même après-midi, les chefs du temple se présentèrent devant Jésus en portant un défi non seulement à son enseignement, mais à ses actes. Jésus savait bien que ces mêmes hommes avaient depuis longtemps affirmé en public que l'autorité de son enseignement était satanique et que tous ses miracles avaient été accomplis par la puissance du prince des démons. C'est pourquoi le Maître commença sa réponse à leur question par une autre question. Il leur dit: « Je voudrais également vous poser une question. Si vous me répondez je vous dirai aussi par quelle autorité j'accomplis mes oeuvres. D'où venait le baptême de Jean? Tirait-il son autorité du ciel ou des hommes? ».

Devant cette contre-attaque, les interrogateurs de Jésus s'écartèrent pour se concerter sur la réponse à faire. Ils avaient espéré embarrasser Jésus devant la foule, mais maintenant ils se trouvaient eux-mêmes fort confus devant les auditeurs alors assemblés dans la cour du temple. Et leur déconfiture fut encore plus évidente lorsqu'ils revinrent vers Jésus en disant: « Au sujet du baptême de Jean, nous ne pouvons répondre; nous ne savons pas ». Ils répondirent ainsi au Maître parce qu'ils avaient tenu entre eux le raisonnement suivant: Si nous disons que le baptême de Jean vient du ciel, Jésus dira: Pourquoi n'y avez-vous pas cru? Et il risque d'ajouter qu'il tient son autorité de Jean. Et si nous disons que ce baptême vient des hommes, la foule pourrait se retourner contre nous, car la majorité estime que Jean était un prophète. Ils furent ainsi obligés de revenir devant Jésus et la foule en confessant qu'eux, les éducateurs religieux et les chefs d'Israël, ne pouvaient pas (ou ne voulaient pas) exprimer une opinion sur la mission de Jean. Lorsqu'ils eurent ainsi parlé, Jésus les regarda de haut et dit: « Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité j'accomplis ces choses » (1).

  (1) Cf. Matthieu XXII - 23 ; Marc XI - 27 à 33 ; Luc XX - 1 à 8.

Jésus n'avait jamais eu l'intention de se targuer de l'autorité de Jean, qui n'avait pas reçu l'ordination du sanhédrin. L'autorité de Jésus résidait en lui-même et dans la suprématie éternelle de son Père.

En employant cette méthode vis-à-vis de ses adversaires, Jésus ne cherchait pas à éluder la question. Au premier abord, il pouvait sembler coupable d'une magistrale évasion, mais ce n'était pas le cas. Jésus n'était jamais disposé à tirer injustement avantage de quiconque, même de ses ennemis. Dans cette apparente évasion, il fournit réellement à tous ses auditeurs la réponse à la question sur l'autorité conférée à sa mission. Les pharisiens avaient affirmé qu'il l'accomplissait par autorité du prince des démons. Or Jésus avait maintes fois répété qu'il enseignait et oeuvrait par le pouvoir et l'autorité de son Père céleste, chose que les dirigeants juifs refusaient d'accepter. Ils cherchaient donc à le discréditer en lui faisant admettre l'irrégularité de son enseignement, puisque ce dernier n'avait jamais été sanctionné par le sanhédrin. En répondant comme il le fit sans prétendre à l'autorité de Jean, il satisfit l'auditoire qui en tira ses propres conclusions. L'effort des ennemis de Jésus pour le prendre au piège se retourna efficacement contre eux et les discrédita beaucoup aux yeux de toutes les personnes présentes.

C'était ce génie du Maître pour manier ses adversaires qui leur inspirait une si grande peur de lui. Ils n'essayèrent plus de le questionner ce jour-là et se retirèrent pour se consulter à nouveau entre eux. Mais l'auditoire ne fut pas long à discerner le manque d'honnêteté et de sincérité dans les questions posées à Jésus par les dirigeants juifs. Même le petit peuple ne pouvait manquer de noter la différence entre la majesté morale du Maître et l'hypocrisie préconçue de ses ennemis. Mais l'épuration du temple avait rallié les sadducéens aux pharisiens pour parfaire les plans destinés à faire mourir Jésus. Et les sadducéens représentaient alors la majorité du sanhédrin.

3. -- LA PARABOLE DES DEUX FILS

Tandis que les pharisiens ergoteurs se tenaient là en silence, Jésus promena son regard sur eux et dit: « Puisque vous doutez de la mission de Jean et que vous êtes hostiles à l'enseignement et aux oeuvres du Fils de l'Homme, écoutez la parabole que je vais vous conter: Un grand propriétaire respecté avait deux fils et désirait leur aide pour administrer ses vastes domaines. Il alla trouver le cadet et lui dit: « Mon fils, va travailler aujourd'hui dans mon vignoble ». Ce fils irréfléchi répondit à son père: « Je n'irai pas », mais ensuite il se repentit et s'y rendit. Le propriétaire alla ensuite trouver son fils aîné et lui dit également: « Mon fils, va travailler dans mon vignoble. Et ce fils hypocrite et infidèle répondit « Oui, mon père, j'irai ». Mais quand son père eut tourné le des, il n'y alla pas. Je vous pose la question, lequel de ces fils a réellement fait la volonté de son père? »

L'auditoire répondit unanimement « C'est le premier fils ». Alors Jésus dit « C'est exact; et maintenant je proclame que les publicains et les prostitués, même s'ils paraissaient refuser l'appel à la repentance, verront l'erreur de leur voie et entreront dans le royaume de Dieu avant vous qui prétendez avec ostentation servir le Père céleste tout en refusant d'accomplir ses oeuvres. Ce n'est pas vous, scribes et pharisiens, qui avez cru à Jean, mais plutôt les publicains et les pécheurs. Vous ne croyez pas non plus à mon enseignement, mais le peuple écoute mes paroles avec bonheur ».

Jésus ne méprisait pas personnellement les pharisiens et les sadducéens. C'était leur système d'enseignement et de pratique qu'il cherchait à discréditer. Il n'était hostile à personne, mais ici se produisait le conflit inévitable entre une religion spirituelle nouvelle et vivante et l'ancienne religion de cérémonie, de tradition, et d'autorité.

Durant tout ce temps, les douze apôtres étaient restés près du Maître, mais sans participer en aucune façon à ces opérations. Chacun des douze réagissait à sa manière particulière aux événements des derniers jours du ministère terrestre de Jésus, et chacun observait également la consigne du Maître de s'abstenir d'enseigner ou de prêcher en public durant cette semaine de la Pâque.

4. -- LA PARABOLE DU PROPRIÉTAIRE ABSENT

Lorsque les chefs des pharisiens et des scribes, qui avaient cherché à embarrasser Jésus avec leurs questions, eurent fini d'écouter la parabole des deux fils, ils se retirèrent pour se concerter à nouveau. Le Maître s'occupa de la foule attentive et conta une autre parabole:

« Un homme de bien qui possédait une propriété planta un vignoble. Il l'entoura d'une haie, creusa une fosse pour le pressoir, et construisit une tour de guet pour les gardes. Puis il donna son vignoble en location et partit pour un long voyage dans un pays étranger. Quand la saison des vendanges approcha, il envoya des serviteurs aux locataires pour percevoir son fermage. Mais après s'être concertés, les fermiers refusèrent de donner à ces serviteurs le fermage qu'ils devaient à leur maître; au lieu de cela, ils attaquèrent les serviteurs, frappèrent l'un, lapidèrent le deuxième, et renvoyèrent les autres les mains vides. Lorsque le propriétaire eut vent de l'histoire, il envoya d'autres serviteurs plus sûrs pour régler la question avec ces méchants locataires; mais ceux-ci blessèrent les nouveaux serviteurs et les traitèrent honteusement. Alors le propriétaire envoya son serviteur favori, son intendant, et les locataires le tuèrent. Restant patient et tolérant, le propriétaire envoya encore beaucoup d'autres serviteurs, mais les locataires ne voulurent en recevoir aucun; ils frappèrent les uns et tuèrent les autres. Quand le propriétaire eut été ainsi traité, il décida d'envoyer son fils vers ces locataires ingrats en se disant: « Ils peuvent maltraiter mes serviteurs, mais ils montreront certainement du respect pour mon fils bien-aimé ». Mais en voyant venir le fils, les mauvais locataires impénitents tinrent entre eux le raisonnement suivant: « Celui-ci est l'héritier. Allons, tuons-le, et alors l'héritage nous appartiendra ». Puis ils s'emparèrent de lui, le jetèrent hors du vignoble, et le tuèrent. Quand le maître de ce vignoble apprendra qu'ils ont rejeté et tué son fils, que fera-t-il à ces locataires ingrats et méchants?  (1)»

Lorsque les auditeurs eurent entendu cette parabole et la question de Jésus, ils répondirent: « Le propriétaire anéantira ces misérables et louera son vignoble à des fermiers honnêtes qui lui rendront les fruits en leur saison ». Certains d'entre eux comprirent que la parabole faisait allusion à la nation juive, à la manière dont elle avait traité les prophètes, et au rejet imminent de Jésus et de l'enseignement du royaume. Ils dirent alors tristement: « Dieu veuille que nous ne continuions pas à faire de pareilles choses ».

Jésus vit qu'un groupe de pharisiens et de sadducéens se frayait un chemin vers lui. Il s'arrêta un moment et dit alors: « Vous savez comment vos pères ont rejeté les prophètes, et vous savez bien que, dans votre coeur, vous avez résolu de rejeter le Fils de l'Homme ». Puis, promenant un regard inquisiteur sur les prêtres et les anciens qui se tenaient près de lui, Jésus dit: « N'avez-vous jamais lu dans les Écritures l'histoire de la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée et qui devint la pierre angulaire quand le peuple la découvrit? Je vous avertis donc une fois de plus que, si vous continuez à rejeter mon évangile, le royaume de Dieu vous sera bientôt enlevé pour être donné à un peuple disposé à recevoir la bonne nouvelle et à produire les fruits de l'esprit. Cette pierre comporte un mystère, car quiconque tombe sur elle sera brisé en morceaux, mais sauvé; mais celui sur qui elle tombera sera réduit en poussière, et ses cendres seront dispersées aux quatre vents » (2).

  (1) Cf. Matthieu XXII- 33 à 43.
  (2) Cf. Matthieu XXII- 42 à 46.

Quand les pharisiens entendirent ces paroles, ils comprirent que Jésus faisait allusion à eux et aux autres dirigeants juifs. Ils avaient fort envie de s'emparer de lui sur le champ, mais ils craignaient la multitude. Toutefois, ils furent tellement irrités par les paroles du Maître qu'ils s'écartèrent pour se consulter à nouveau sur la manière de le faire périr. Ce soir-là, les pharisiens et les sadducéens s'entendirent pour essayer de le prendre au piège le lendemain.

5. -- LA PARABOLE DU FESTIN DE MARIAGE

Après que les scribes et les dirigeants se furent retirés, Jésus s'adressa de nouveau à la foule assemblée et conta la parabole du festin de mariage. Il dit:

« On peut comparer le royaume des cieux à un roi qui donna un festin de mariage pour son fils et dépêcha des messagers pour appeler ceux qui avaient été préalablement invités à la fête, en disant: « Tout est prêt pour le dîner de mariage au palais du roi ». Or beaucoup de ceux qui avaient promis d'y assister refusèrent maintenant de s'y rendre. Quand le roi apprit le rejet de ses invitations, il envoya d'autres serviteurs et messagers pour dire: « Dites à tous ceux qui étaient invités de venir, car voici mon dîner est préparé. Mes boeufs et mes bêtes grasses sont tués, et tout est prêt pour le mariage imminent de mon fils ». Mais à nouveau les invités sans égards traitèrent à la légère l'appel de leur roi et allèrent leur chemin, l'un à sa ferme, l'autre à sa poterie, et d'autres à leurs marchandises. D'autres encore ne se contentèrent pas de marquer ainsi du dédain pour la convocation du roi, mais se révoltèrent ouvertement, s'emparèrent des messagers du roi, les maltraitèrent honteusement, et même en tuèrent quelques uns. Quand le roi s'aperçut que ses invités choisis, même ceux qui avaient accepté son invitation préliminaire et promis d'assister à la fête de mariage, avaient finalement rejeté son appel, s'étaient révoltés, puis avaient attaqué et assassiné ses messagers spéciaux, il entra dans une violente colère. Le roi insulté mobilisa ses armées et celles de ses alliés, puis leur ordonna d'anéantir ces meurtriers rebelles et d'incendier leur cité.

« Après avoir puni ceux qui avaient méprisé son invitation, il fixa un nouveau jour pour le festin de mariage et dit à ses messagers: « Les premiers invités au mariage n'étaient pas dignes de ma sollicitude. Allez maintenant aux croisées des chemins et sur les grandes routes, même au delà des limites de la ville, et invitez tous ceux que vous rencontrerez même les étrangers, à venir assister au festin de mariage ». Les serviteurs allèrent donc sur les grandes routes et dans les localités écartées; ils rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent, bons et mauvais, riches et pauvres, de sorte qu'enfin la salle du mariage fut remplie de convives de bonne volonté. Lorsque tout fut prêt, le roi entra pour examiner ses hôtes et, à sa grande surprise, il vit un homme sans robe de noces. Or le roi avait généreusement fourni des robes de noces pour tous ses invités; il s'adressa à l'homme en disant: « Ami, comment se fait-il que tu entres dans la salle des invités, en cette occasion, sans robe de noces? » Et cet homme non préparé ne sut que dire. Alors le roi dit à ses serviteurs: « Chassez cet écervelé de ma maison et faites-lui partager le sort de tous ceux qui ont dédaigné mon hospitalité et rejeté mon appel. Je ne veux avoir personne ici en dehors de ceux qui se réjouissent d'accepter mon invitation, et qui me font l'honneur de porter les vêtements de noces que j'ai si largement mis à la disposition de tout le monde. (1) »

  (1) Cf. Matthieu XXII-1 à 14.

Après avoir conté cette parabole, Jésus allait congédier la multitude lorsqu'un croyant sympathisant se fraya un chemin à travers la foule jusqu'à lui et demanda: « Maître, comment serons-nous informés de ces choses? Comment serons-nous prêts pour l'invitation du roi? Quel signe nous donneras-tu pour que nous sachions que tu es le Fils de Dieu? » Après avoir entendu ces questions le Maître dit:« Il ne vous sera donné qu'un seul signe ». Puis, montrant du doigt son propre corps, il poursuivit: « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai ». Mais les auditeurs ne comprirent pas et se dispersèrent en se disant entre eux: « Il y a près de cinquante ans que ce temple est construit, et pourtant Jésus dit qu'il le détruira et le rebâtira en trois jours. Même les apôtres ne saisirent pas la signification de cette sentence, mais ultérieurement, après la résurrection, ils se rappelèrent ce que le Maître avait dit.

À quatre heures de l'après-midi, Jésus fit signe à ses apôtres et leur indiqua qu'il désirait quitter le temple et aller à Béthanie pour y prendre le repas du soir et une nuit de repos. Sur la montée d'Olivet, Jésus donna des instructions à André, Philippe, et Thomas pour que le lendemain ils établissent un camp plus proche de la ville, un campement qu'ils pourraient occuper durant le reste de la semaine de la Pâque. Conformément à ces ordres, ils plantèrent leurs tentes le lendemain matin dans le ravin à flanc de coteau qui dominait le parc de campement public de Gethsémani, dans un petit terrain appartenant à Simon de Béthanie.

À nouveau ce fut un groupe silencieux qui gravit le versant occidental du Mont Olivet ce lundi soir. Comme jamais auparavant, ces douze hommes commençaient à pressentir qu'un événement tragique était imminent. D'une part la dramatique épuration du temple aux premières heures de la matinée avait suscité leur espoir de voir le Maître d'affirmer et manifester ses puissants pouvoirs; d'autre part les événements de l'après-midi avaient agi à rebours, en ce sens qu'ils laissaient pouvoir avec certitude que les autorités juives rejetteraient les enseignements de Jésus. Les apôtres étaient indécis et sous l'emprise d'une terrible incertitude. Ils comprenaient que seules quelques brèves journées pouvaient s'intercaler entre les événements de la veille et l'écrasement par une condamnation imminente. Ils sentaient tous qu'il allait se passer quelque chose de prodigieux, mais ne savaient à quoi s'attendre. Ils allèrent se reposer chacun dans son coin, mais dormirent très peu. Même les jumeaux Alphée avaient fini par s'éveiller à l'idée que les événements de la vie du Maître se déroulaient rapidement vers leur apogée final.

 

1888
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1889
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1899
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1891
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1892
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1893
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1894
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1895
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1896