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LE DERNIER JOUR AU CAMP
POUR Jésus, ce jeudi était son dernier jour de liberté sur terre en
tant que Fils divin incarné; il projeta de le passer avec ses apôtres et
quelques disciples fidèles et dévoués. Après le petit déjeuner, par une
matinée magnifique, le Maître les conduisit en un lieu écarté situé à
proximité, un peu au-dessus de leur camp, et là il leur enseigna nombre de
vérités nouvelles. Jésus adressa encore d'autres harangues à ses apôtres
au début de la soirée, mais cette causerie du jeudi matin fut son discours
d'adieu au groupe des campeurs réunissant les apôtres et des disciples
choisis, tant Juifs que Gentils. Les apôtres étaient tous présents, sauf
Judas. Pierre et plusieurs apôtres firent des remarques sur son absence;
quelques-uns crurent qu'il avait été envoyé en ville par Jésus pour régler
une question, probablement pour mettre au point les détails de leur
prochaine célébration de la Pâque. Judas ne revint au camp qu'au milieu de
l'après-midi, peu de temps avant que Jésus n'emmenât les douze à Jérusalem
pour partager le Dernier Souper.
1. -- DISCOURS SUR LA FILIATION ET LA CITOYENNETÉ
Jésus parla pendant près de deux heures à une cinquantaine de ses
disciples de confiance et répondit à une vingtaine de questions concernant
les relations entre le royaume des cieux et les royaumes de la terre, ou
les rapports entre la filiation avec Dieu et la citoyenneté dans les
gouvernements terrestres. On peut résumer comme suit, en langage moderne,
ce discours ainsi que les réponses aux questions:
Etant matériels, les royaumes de ce monde peuvent souvent trouver
nécessaire d'employer la force physique pour faire appliquer leurs lois et
maintenir l'ordre. Dans le royaume des cieux, les vrais croyants n'ont pas
recours à l'emploi de la force physique. Le royaume des cieux est une
confraternité spirituelle de fils de Dieu nés d'esprit; il ne peut donc
être promulgué que par le pouvoir de l'esprit. Cette différence de
processus se rapporte aux relations entre le royaume des croyants et les
royaumes des gouvernements civils; elle n'annule pas le droit que
possèdent les groupes de croyants de maintenir l'ordre dans leurs rangs et
de discipliner leurs membres rebelles et indignes de confiance.
Il n'y a rien d'incompatible entre la filiation dans le royaume
spirituel et la citoyenneté dans un gouvernement laïque ou civil. Les
croyants ont le devoir de rendre à César ce qui appartient à César et à
Dieu ce qui est à Dieu. Il ne peut y avoir de désaccord entre ces deux
exigences, l'une matérielle et l'autre spirituelle, à moins qu'un César ne
prétende usurper les prérogatives de Dieu et n'exige qu'on lui rende
l'hommage spirituel et le culte suprême. Dans ce cas, vous adorerez
uniquement Dieu et vous chercherez à éclairer ce chef terrestre égaré et à
le conduire ainsi à reconnaître également le Père céleste. Vous ne rendrez
pas de culte spirituel aux dirigeants terrestres. Vous n'emploierez pas
non plus les forces physiques des gouvernements terrestres, dont les chefs
peuvent un jour devenir des croyants, pour faire progresser la mission du
royaume spirituel.
Du point de vue d'une civilisation en progrès, la filiation dans le
royaume céleste devrait vous aider à devenir les citoyens idéaux des
royaumes de ce monde, car la fraternité et le service sont les pierres
angulaires de l'évangile du royaume. L'appel d'amour du royaume spirituel
devrait efficacement détruire l'esprit de haine des citoyens incroyants et
belliqueux des royaumes terrestres. Mais ces fils matérialistes, vivant
dans les ténèbres, ne connaîtront jamais votre lumière spirituelle de
vérité, à moins que vous ne les approchiez de très près grâce au service
social désintéressé qui résulte naturellement des fruits de l'esprit
produits au cours de l'expérience de la vie de chaque croyant pris
individuellement.
En tant qu'hommes mortels et matériels, vous êtes en vérité des
citoyens des royaumes terrestres, et vous devriez être de bons citoyens,
d'autant meilleurs que vous êtes devenus des fils du royaume céleste par
votre nouvelle naissance d'esprit. En tant que fils du royaume céleste
éclairés par la foi et libérés par l'esprit, vous avez à faire face à une
double responsabilité, le devoir envers Dieu et le devoir envers les
hommes, et en même temps vous assumerez volontairement une troisième
obligation sacrée, celle de servir la confraternité des croyants qui
connaissent Dieu.
Vous ne devez ni adorer vos chefs temporels, ni employer le pouvoir
temporel pour faire progresser le royaume spirituel; mais vous devriez
manifester la vocation de la droiture et d'un service plein de bonté, tant
auprès des croyants que des incroyants. Le puissant Esprit de Vérité se
trouve dans l'évangile du royaume, et je répandrai bientôt ce même esprit
sur toute chair. Les fruits de l'esprit, votre service sincère et amical,
sont le puissant levier social capable d'élever les races enténébrées, et
l'Esprit de Vérité deviendra le point d'appui qui multipliera votre
pouvoir.
Déployez de la sagesse et faites preuve de sagacité dans vos rapports
avec les chefs civils incroyants. Par votre discernement, montrez-vous
habiles à aplanir des désaccords mineurs et à ajuster de petits
malentendus. De toutes les manières possibles sauf en sacrifiant votre
allégeance aux chefs de l'univers -- cherchez à vivre en paix avec tout le
monde. Soyez toujours aussi prudents que les serpents, mais aussi
inoffensifs que les colombes.
Vous deviendrez des citoyens d'autant meilleurs d'une nation laïque que
vous serez des fils plus éclairés du royaume Céleste. De même, les chefs
des gouvernements terrestres devraient d'autant mieux diriger les affaires
civiles qu'ils croiront plus sincèrement à l'évangile du royaume des
cieux. Si les croyants au royaume se mettent à servir les hommes avec
désintéressement et à adorer Dieu intelligemment, ce comportement fera
d'eux de meilleurs citoyens du monde. Inversement, si vous êtes un citoyen
honnête et si vous vous dévouez sincèrement à vos devoirs temporels, cela
devrait contribuer à vous rendre d'autant plus accessibles à l'appel
spirituel de la filiation dans le royaume céleste.
Tant que les chefs des gouvernements terrestres chercheront à exercer
l'autorité de dictateurs religieux, les croyants à l'évangile ne peuvent
guère s'attendre qu'à des troubles, à des persécutions, et même à la mort.
Mais la lumière que vous apportez au monde, et même la manière dont vous
souffrirez et mourrez pour l'évangile du royaume, illumineront finalement,
par elles-mêmes, le monde entier et aboutiront au divorce graduel de la
politique et de la religion. La prédication persévérante de l'évangile du
royaume apportera un jour à toutes les nations une libération nouvelle et
incroyable, le libre arbitre intellectuel, et la liberté religieuse.
Sous l'aiguillon des persécutions imminentes de ceux qui haïssent notre
évangile de joie et de liberté, vous vous développerez, et le royaume
prospérera. Mais vous vous trouverez en grand danger, à une époque
ultérieure, quand la plupart des hommes parleront favorablement des
croyants au royaume, et quand nombre de personnes occupant des situations
importantes accepteront nominalement l'évangile du royaume céleste.
Apprenez à être fidèles au royaume même aux époques de paix et de
prospérité. Ne provoquez pas chez les anges qui vous supervisent la
tentation de vous discipliner avec amour en vous menant dans des
tribulations destinées à sauver votre âme indolente.
N'oubliez pas que vous êtes mandatés pour prêcher cet évangile du
royaume -- le désir suprême de faire la volonté du Père, doublé de la joie
suprême de réaliser, par la foi, votre filiation avec Dieu. Rien ne doit
détourner votre consécration à cet unique devoir. Que toute l'humanité
bénéficie du débordement de votre affectueux ministère spirituel, de votre
communion intellectuelle éclairée, et de l'élévation de votre service
social. Mais il ne faut permettre à aucun de ces travaux humanitaires, ni
à leur ensemble, de remplacer la proclamation de l'évangile. Ces puissants
services sont les sous-produits d'un sacerdoce encore plus puissant et
sublime, et de transformations opérées dans le coeur des croyants au
royaume par le vivant Esprit de Vérité. En effet, les croyants ont
personnellement compris que la foi d'un homme né d'esprit lui confère
l'assurance d'une communion vivante avec le Dieu éternel.
Il ne faut chercher ni à promulguer la vérité ni à établir la droiture
par le pouvoir des gouvernements civils ou par l'application de lois
laïques. Vous pouvez toujours opérer par persuasion sur la pensée des
hommes, mais n'ayez jamais l'audace de la contraindre. N'oubliez pas la
grande loi de l'équité humaine que je vous ai apprise sous forme positive:
tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, faites-le à
autrui.
Quand un croyant de l'évangile est appelé à servir le gouvernement
civil, il faut qu'il exécute son service en tant que citoyen temporel de
ce gouvernement; toutefois, ce croyant devrait déployer dans son service
civil toutes les qualités ordinaires d'un citoyen, rehaussées par
l'éclairement spirituel résultant de l'association ennoblissante de sa
pensée humaine avec l'esprit intérieur du Dieu éternel. Puisque les
incroyants peuvent se qualifier comme fonctionnaires supérieurs, vous
devriez examiner sérieusement si les racines de la vérité dans votre coeur
ne sont pas desséchées, faute de tremper dans les eaux vivantes de la
communion spirituelle conjuguée avec le service de la société. La
conscience de la filiation avec Dieu devrait animer toute la vie de
service de chaque homme, de chaque femme, et de chaque enfant devenu
possesseur de ce puissant stimulant des pouvoirs inhérents à la
personnalité humaine.
Ne soyez ni des mystiques passifs ni des ascètes insipides. Ne devenez
pas des rêveurs et des indolents comptant nonchalamment sur une Providence
fictive pour vous procurer même le nécessaire. En vérité, il faut que vous
soyez doux dans vos relations avec les mortels égarés, patients dans vos
rapports avec les ignorants, et tolérants en cas de provocation; mais il
faut également être vaillant dans la défense de la droiture, puissant dans
la promulgation de la vérité, et dynamique dans la prédication de
l'évangile du royaume, même aux confins du monde.
Cet évangile du royaume est une vérité vivante. Je vous ai dit qu'il
ressemble au levain dans la pâte et au grain de sénevé. Maintenant je
déclare qu'il ressemble au germe de l'être vivant, qui reste le même de
génération en génération, mais se manifeste infailliblement en de
nouvelles expressions; il croît d'une manière acceptable dans des
adaptations nouvelles aux conditions et aux besoins particuliers de chaque
génération successive. La révélation que je vous ai faite est une
révélation vivante, et je désire qu'elle produise des fruits
appropriés dans chaque individu et dans chaque génération, conformément
aux lois de la croissance spirituelle, du développement, et de
l'adaptation. De génération en génération, il faut que cet évangile fasse
preuve d'une vitalité croissante et montre une plus grande profondeur de
pouvoir spirituel. Il ne faut pas le laisser devenir un simple souvenir
sacré, une simple tradition à propos de moi et de l'époque où nous vivons
actuellement.
Et n'oubliez pas ceci: Nous n'avons directement attaqué ni les
personnes ni l'autorité de ceux qui trônent sur le siège de Moïse; nous
leur avons simplement offert la lumière nouvelle qu'ils ont énergiquement
rejetée. Nous ne les avons attaqués qu'en dénonçant leur déloyauté
spirituelle envers les vérités mêmes qu'ils prétendent enseigner et
préserver. Nous ne sommes entrés en conflit avec ces dirigeants installés
et ces chefs reconnus que s'ils s'opposaient directement à notre
prédication de l'évangile du royaume aux fils des hommes. Encore
maintenant, ce n'est pas nous qui les attaquons, ce sont eux qui cherchent
notre destruction. N'oubliez pas que vous êtes essentiellement mandatés
pour aller prêcher la bonne nouvelle. Il ne faut pas attaquer les anciens
modes de vie; il faut introduire habilement le levain de la nouvelle
vérité au milieu des anciennes croyances. Laissez l'Esprit de Vérité
accomplir son propre travail. N'ouvrez de controverse que si vous y êtes
contraints par ceux qui méprisent la vérité. Mais si un homme
volontairement incroyant vous attaque, n'hésitez pas à défendre
énergiquement la vérité qui vous a sauvés et sanctifiés.
À travers toutes les vicissitudes de la vie, souvenez-vous toujours de
vous aimer les uns les autres. Ne luttez pas contre les hommes, même
contre les incroyants. Montrez de la miséricorde même à ceux qui abusent
outrageusement de vous. Soyez des citoyens loyaux, des artisans probes,
des voisins dignes de louanges, des membres dévoués de votre famille, des
parents compréhensifs, et des croyants sincères à la confraternité du
royaume du Père. Et mon esprit sera sur vous, maintenant et jusqu'à la fin
du monde.
Quand Jésus eut terminé son allocution, il était presque une heure de
l'après-midi; le groupe apostolique rentra immédiatement au camp où David
et ses compagnons avaient préparé le déjeuner.
2. -- APRÈS LE REPAS DE MIDI
Très peu d'auditeurs du Maître furent capables d'assimiler, même en
partie, sa leçon de la matinée. Parmi eux ce furent les Grecs qui la
comprirent le mieux. Même les onze apôtres furent déconcertés par ses
allusions à des royaumes politiques futurs et à des générations
successives de croyants au royaume. Les disciples de Jésus les plus
dévoués ne pouvaient concilier la fin imminente de son ministère terrestre
avec ces références à un long avenir d'activités évangéliques.
Quelques-uns de ces Juifs croyants commencèrent à pressentir que la plus
grande tragédie du monde était sur le point de prendre place; mais ils ne
pouvaient concilier ce désastre menaçant ni avec le comportement personnel
de gaîté indifférente du Maître, ni avec son discours de la matinée, où il
avait fait des allusions répétées aux futures opérations du royaume
céleste s'étendant sur de vastes intervalles de temps et embrassant des
relations avec de nombreux et successifs royaumes temporels terrestres.
Ce jour-là, à midi, tous les apôtres et disciples avaient appris que
Lazare s'était enfui précipitamment de Béthanie. Ils commençaient à
pressentir que les dirigeants juifs étaient farouchement résolus à se
débarrasser de Jésus et de ses enseignements.
Par ses agents secrets à Jérusalem, David Zébédée était pleinement
renseigné sur les progrès du plan pour arrêter et tuer Jésus. Il était
parfaitement au courant du rôle de Judas dans le complot, mais il ne
révéla jamais cette connaissance aux autres apôtres ni à aucun des
disciples. Peu après le déjeuner, il prit Jésus à part et lui demanda s'il
savait... Mais il ne put jamais formuler entièrement sa question. Le
Maître leva la main pour l'interrompre et dit: « Oui, David, je suis au
courant de tout, et je sais que tu es au courant, mais veille à n'en
parler à personne. Seulement ne doute pas dans ton propre coeur que la
volonté de Dieu finira par prévaloir ».
La conversation avec David fut interrompue par l'arrivée d'un messager
venant de Philadelphie; il apportait la nouvelle qu'Abner avait eu vent du
complot pour tuer Jésus et demandait s'il devait venir à Jérusalem. Ce
coureur repartit en hâte pour Philadelphie avec le message suivant pour
Abner: « Poursuis ton oeuvre. Si je me sépare physiquement de vous, c'est
seulement pour pouvoir revenir en esprit. Je ne vous abandonnerai pas. Je
vous accompagnerai jusqu'à la fin ».
A ce moment, Philippe vint trouver le Maître et lui demanda: « Maître,
vu que l'heure de la Pâque approche, où voudrais-tu que nous préparions ce
qu'il faut pour la manger? » Après avoir écouté la question de Philippe,
Jésus répondit: « Va chercher Pierre et Jean, et je vous donnerai des
instructions sur le souper que nous partagerons ce soir. Quant à la Pâque,
vous en parlerez après avoir d'abord fait cela ».
Quand Judas entendit le Maître parler de ces questions avec Philippe,
il s'approcha pour essayer de surprendre leur entretien. Mais David
Zébédée, qui se tenait à proximité, s'avança et entraîna Judas dans une
conversation, tandis que Philippe, Pierre, et Jean allaient à l'écart pour
causer avec le Maître.
Jésus dit aux trois: « Allez immédiatement à Jérusalem. En franchissant
la porte, vous rencontrerez un, homme portant une cruche d'eau. Il vous
parlera, et ensuite vous le suivrez. Il vous conduira jusqu'à une maison
où vous entrerez à sa suite et vous demanderez au propriétaire: « Où est
la chambre des invités dans laquelle le Maître doit prendre son souper
avec ses apôtres? » Lorsque vous vous serez ainsi enquis, le maître de la
maison vous montrera au premier étage une grande chambre prête pour le
repas du soir ».
Quand les apôtres arrivèrent à la ville, ils rencontrèrent près de la
porte l'homme avec la cruche d'eau et le suivirent jusqu'à la maison de
Jean Marc, où le père du garçon les reçut et leur montra la chambre d'en
haut préparée pour le repas du soir (1).
(1) Cf. Marc XVI-12 à 16 et Luc XXII-7 à 13.
Tout ceci arriva par suite d'une entente conclue entre le Maître et
Jean Marc durant l'après-midi de la veille, alors qu'ils étaient seuls
ensemble dans la montagne. Jésus voulait être certain de prendre ce
dernier repas avec ses apôtres sans être dérangé. Il pensait que si Judas
connaissait d'avance le lieu de la réunion, le traître pourrait prendre
des positions avec ses ennemis pour s'y emparer de lui; c'est pourquoi il
se mit secrètement d'accord avec Jean Marc. De cette manière, Judas ne
connut le lieu de la réunion que plus tard, au moment où il y arriva en
compagnie de Jésus et des autres apôtres.
David Zébédée avait beaucoup d'affaires à régler avec Judas, qui fut
aisément empêché de suivre Pierre, Jean et Philippe comme il le désirait
si vivement. Quand Judas donna à David une certaine somme d'argent pour
les provisions, David lui dit: « Judas, étant données les circonstances,
ne serait-il pas opportun que tu me remettes un peu d'argent en anticipant
sur mes besoins actuels? » Judas réfléchit un moment, puis répondit: «
Oui, David, je crois que ce serait sage. En fait, vu les conditions
troublées à Jérusalem, je crois que le mieux serait de te donner tout
l'argent. On complote contre le Maître, et au cas où il m'arriverait
quelque chose, tu ne serais pas gêné ».
David reçut donc tous les fonds apostoliques liquides et tous les reçus
de l'argent en dépôt. Les apôtres n'apprirent cette opération que dans la
soirée du lendemain.
Il était environ quatre heures et demie lorsque les trois apôtres
revinrent et informèrent Jésus que tout était prêt pour le souper. Le
Maître se prépara immédiatement à conduire ses douze collaborateurs à
Jérusalem par la piste qui rejoignait la route de Béthanie. Ce fut son
dernier déplacement avec le groupe complet des douze apôtres.
3. -- EN CHEMIN VERS LE SOUPER
Cherchant de nouveau à éviter les foules qui circulaient par la vallée
du Cédron entre le Parc de Gethsémani et Jérusalem, Jésus et les douze
passèrent par la côte occidentale du Mont des Oliviers pour rejoindre la
route allant de Béthanie à la ville. Lorsqu'ils approchèrent de l'endroit
où Jésus s'était arrêté la veille au soir pour discourir sur la
destruction de Jérusalem, ils firent inconsciemment une halte et se
tinrent là en regardant silencieusement la ville. Ils étaient un peu en
avance sur leur horaire, et puisque Jésus ne désirait pas se montrer en
ville avant le coucher du soleil, il dit à ses compagnons:
« Asseyez-vous et reposez-vous pendant que je vous parlerai de ce qui
doit arriver incessamment. Au cours de toutes ces années, j'ai vécu en
vous considérant comme mes frères; je vous ai appris la vérité au sujet du
royaume des cieux, et je vous en ai révélé les mystères. En vérité, mon
Père a accompli de nombreux miracles liés à ma mission terrestre. Vous
avez été témoins de tout cela, et vous avez participé à l'expérience
d'être des compagnons de travail de Dieu. Vous êtes témoins que, depuis
quelque temps, je vous ai avertis qu'il me faudrait bientôt retourner à la
tâche que le Père m'a assignée. Je vous ai nettement dit qu'il me fallait
vous laisser dans le monde pour continuer l'oeuvre du royaume. C'est pour
cette raison que je vous ai pris à part, dans les montagnes de Capharnaüm.
Il faut maintenant vous préparer à partager avec d'autres l'expérience que
vous avez eue avec moi. De même que le Père m'a envoyé dans ce monde, de
même je vais vous y envoyer pour me représenter et achever l'oeuvre que
j'ai commencée.
« Vous contemplez cette ville avec tristesse, car vous avez entendu mes
paroles annonçant la fin de Jérusalem. Je vous en ai avertis longtemps
d'avance, de crainte que vous ne périssiez dans sa destruction et que cela
ne retarde la proclamation de l'évangile du royaume. De même, je vous
préviens de prendre garde et de ne pas vous exposer inutilement au péril
au moment de l'arrestation du Fils de l'Homme. Il faut que je m'en aille,
mais vous devez rester pour témoigner en faveur de l'évangile après mon
départ; de même, j'ai ordonné à Lazare de fuir la colère des hommes pour
qu'il puisse vivre et faire connaître la gloire de Dieu. Si c'est la
volonté du Père que je parle, rien de ce que vous ferez ne pourra
contrecarrer le plan divin. Prenez garde à vous, de crainte que l'on ne
vous tue aussi. Que vos âmes défendent courageusement l'évangile par le
pouvoir de l'esprit, mais ne vous laissez pas abuser par de folles
tentatives pour défendre physiquement le Fils de l'Homme. Je n'ai besoin
d'aucune protection humaine; les armées célestes sont toujours à
proximité. Mais je suis décidé à faire la volonté de mon Père céleste, et
c'est pourquoi il faut nous soumettre à ce qui va si prochainement nous
arriver.
« Quand vous verrez cette cité détruite, n'oubliez pas que vous serez
déjà entrés dans la vie éternelle de service perpétuel dans le royaume,
toujours progressant, des cieux, et même des cieux des cieux. Sachez qu'il
y a de nombreuses demeures dans l'univers de mon Père et dans le mien, et
qu'une révélation attend les enfants de lumière, la révélation de villes
bâties par Dieu, et de mondes dont les habitudes de vie sont la droiture
et la joie dans la vérité. Je vous ai apporté le royaume céleste ici sur
terre, mais je déclare que tous ceux d'entre vous qui y entreront par la
foi, et y resteront par le service vivant de la vérité, s'élèveront
sûrement dans les mondes supérieurs et siègeront avec moi dans le royaume
spirituel de mon Père. Mais il faut d'abord vous cuirasser et parachever
l'oeuvre que vous avez entreprise avec moi. Il vous faut d'abord passer
par bien des tribulations et souffrir beaucoup de chagrins — et ces
épreuves sont maintenant imminentes. Quand vous aurez terminé votre tâche
terrestre, vous entrerez dans ma joie, de même que j'ai achevé sur terre
le travail de mon Père et que je vais retourner vers son embrassement ».
Après avoir ainsi parlé, le Maître se leva, et les douze le suivirent
sur la descente d'Olivet et entrèrent avec lui dans la ville. En dehors de
Philippe, Pierre, et Jean, aucun des apôtres ne savait où ils allaient
tandis qu'ils poursuivaient leur chemin dans les rues étroites de
Jérusalem et que la nuit tombait. La foule les bousculait, mais nul ne les
reconnut ni ne sut que le Fils de Dieu passait par là en allant à son
dernier rendez-vous humain avec ses ambassadeurs choisis du royaume. Les
apôtres ne savaient pas non plus que l'un d'entre eux faisait déjà partie
d'une conspiration destinée à livrer traîtreusement le Maître aux mains de
ses ennemis.
Jean Marc avait suivi Jésus et les apôtres tout le long de la route
jusqu'à leur entrée dans la ville. Lorsqu'ils en eurent franchi la porte,
il courut chez lui par une autre rue, de sorte qu'il les attendait pour
les accueillir à leur arrivée chez son père.
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