DEVANT LE TRIBUNAL DU SANHÉDRIN
DES représentants d'Annas avaient donné des ordres secrets au capitaine
des soldats romains pour amener immédiatement Jésus au palais d'Annas
après son arrestation. L'ancien grand-prêtre désirait maintenir son
prestige comme principale autorité ecclésiastique des Juifs. Il avait
aussi un autre dessein en retenant Jésus pendant plusieurs heures chez
lui, celui de gagner du temps pour permettre de convoquer légalement le
tribunal du sanhédrin. Il était illégal de le réunir avant l'heure de
l'offrande du sacrifice matinal dans le temple, et ce sacrifice était
offert vers trois heures du matin.
Annas savait qu'un tribunal de sanhédristes était dans l'expectative au
palais de son gendre Caïphe. Une trentaine de membres du sanhédrin
s'étaient réunis vers minuit au domicile du grand-prêtre en exercice, pour
être prêts à juger Jésus quand on l'amènerait devant eux. Seuls avaient
été convoqués les membres fortement et ouvertement opposés à Jésus et à
ses enseignements, et il n'en fallait que vingt-trois pour constituer une
cour de jugement.
Jésus passa environ trois heures au palais d'Annas sur le Mont Olivet,
non loin du jardin de Gethsémani où il fut arrêté. Jean Zébédée était
libre et en sécurité dans le palais d'Annas, non seulement à cause de la
parole du capitaine romain, mais aussi parce que lui et son frère Jacques
étaient bien connus des vieux serviteurs pour avoir été maintes fois
invités au palais, car le grand-prêtre était un parent éloigné de leur
mère Salomé.
1. -- L'INTERROGATOIRE PAR ANNAS
Enrichi par les revenus du temple, avec son gendre exerçant la fonction
de grand-prêtre, et en raison de ses relations avec les autorités
romaines, Annas était certainement la personnalité la plus puissante du
monde juif. Il était un politicien doucereux et habile dans ses plans et
ses complots. Il désirait prendre la direction de l'affaire pour se
débarrasser de Jésus, et craignait de confier entièrement cette importante
entreprise à son gendre impulsif et agressif. Annas voulait s'assurer que
le jugement du Maître resterait entre les mains des sadducéens; il
craignait la sympathie possible de certains pharisiens, car pratiquement
tous les membres du sanhédrin qui avaient épousé la cause de Jésus étaient
des pharisiens.
Annas n'avait pas vu Jésus depuis plusieurs années, depuis l'époque où
le Maître s'était présenté chez lui et était immédiatement reparti en
remarquant la froideur et la réserve de l'accueil qui lui était fait.
Annas avait pensé faire état de ces anciens rapports pour essayer de
persuader Jésus d'abandonner ses prétentions et de quitter la Palestine.
Il répugnait à participer au meurtre d'un homme de bien et avait pensé que
Jésus pourrait préférer quitter le pays plutôt que d'y subir la mort. Mais
quand Annas se trouva devant le Galiléen vaillant et résolu, il se rendit
immédiatement compte que des propositions de ce genre seraient inutiles.
Jésus était encore plus majestueux et pondéré qu'Annas ne se le rappelait.
Quand Jésus était jeune, Annas s'était beaucoup intéressé à lui, mais
maintenant ses revenus étaient menacés par l'action récente de Jésus
chassant les changeurs du temple. Beaucoup plus que les enseignements de
Jésus, cet acte avait suscité l'inimitié de l'ancien grand-prêtre.
Annas entra dans sa spacieuse salle d'audience, s'assit dans un grand
fauteuil, et ordonna que Jésus fût amené devant lui. Après avoir observé
le Maître en silence pendant quelques instants, il dit: « Tu comprends
bien qu'il faut faire quelque chose au sujet de ton enseignement, puisque
tu troubles la paix et l'ordre dans notre pays ». Tandis qu'Annas jetait
sur Jésus un regard inquisiteur, le Maître le regarda droit dans les yeux,
mais ne fit aucune réponse. Annas reprit la parole et dit: « Quels sont
les noms de tes disciples, en dehors de Simon Zélotès, l'agitateur? » A
nouveau Jésus le regarda, mais ne répondit rien.
Annas fut très troublé par le refus de Jésus de répondre à ses
questions, au point qu'il lui dit: « Ne te soucies-tu pas que je sois
bienveillant envers toi ou non? N'as-tu pas de considération pour le
pouvoir dont je dispose pour déterminer l'issue de ton prochain jugement?
» En entendant cela, Jésus dit: « Annas, tu sais que tu ne pourrais avoir
aucun pouvoir sur moi sans la permission de mon Père. Certains voudraient
tuer le Fils de l'Homme parce qu'ils sont ignorants et ne connaissent rien
de mieux; mais toi, ami, tu sais ce que tu fais. Alors comment peux-tu
rejeter la lumière de Dieu? »
Annas fut presque abasourdi par la manière aimable dont Jésus lui
parlait, mais il avait déjà décidé mentalement que Jésus devait soit
quitter la Palestine, soit mourir. Il rassembla donc son courage et
demanda: «Qu'essayes-tu exactement d'enseigner au peuple? Qui prétends-tu
être? » Jésus répondit: « Tu sais fort bien que j'ai parlé ouvertement au
monde. J'ai enseigné dans les synagogues et bien des fois dans le temple
où tous les Juifs et beaucoup de Gentils m'ont entendu. Je n'ai rien dit
en secret. Alors pourquoi m'interroges-tu sur mon enseignement? Pourquoi
ne convoques-tu pas ceux qui m'ont entendu pour t'enquérir auprès d'eux?
Voici, tout Jérusalem a entendu ce que j'ai dit, même si toi-même tu n'a
pas entendu ces enseignements». Avant qu'Annas ait pu répondre,
l'intendant du palais, qui se trouvait à proximité, souffleta Jésus en
disant: « Comment oses-tu répondre de la sorte au grand-prêtre? » Annas ne
fit aucune réprimande à son intendant, mais Jésus se tourna vers lui et
dit: « Mon ami, si j'ai mal parlé, témoigne contre le mal; mais si j'ai
dit la vérité, pourquoi me frappes-tu? (1) »
(1) Jean XVIII-23.
Annas regrettait que son intendant eût souffleté Jésus, mais il était
trop orgueilleux pour prêter attention à l'affaire. Dans sa confusion, il
alla dans une autre pièce et laissa Jésus seul pendant près d'une heure
avec les serviteurs de sa maison et les gardes du temple.
Quand il revint, il s'approcha du Maître et dit: « Prétends-tu être le
Messie, le libérateur d'Israël? » Jésus dit: « Annas, tu me connais depuis
le temps de ma jeunesse. Tu sais que je ne prétends être rien d'autre que
le délégué de mon Père, et que j'ai été envoyé vers tous les hommes, les
Gentils aussi bien que les Juifs ». Alors Annas dit: « J'ai entendu dire
que tu as prétendu être le Messie; est-ce vrai? » Jésus regarda Annas et
se borna à répondre « Tu l'as dit ».
À ce moment, des messagers arrivèrent du palais de Caïphe pour
s'enquérir de l'heure à laquelle Jésus serait amené devant le tribunal du
sanhédrin. Or le lever du jour approchait, et Annas pensa que le mieux
était d'envoyer à Caïphe Jésus enchaîné sous la surveillance des gardes du
temple. Lui-même ne tarda pas à les suivre.
2. -- PIERRE DANS LA COUR
Au moment où la troupe de gardes et de soldats s'approcha du palais d'Annas,
Jean Zébédée marchait à côté du capitaine des soldats romains. Judas se
trouvait à une certaine distance en arrière, et Simon Pierre suivait de
très loin. Après que Jean fut entré dans la cour du palais avec Jésus et
les gardes, Judas arriva à la grille. Ayant aperçu Jésus et Jean, il se
dirigea vers la maison de Caïphe, où il savait que le vrai jugement du
Maître aurait lieu plus tard. Peu après que Judas fut parti, Simon Pierre
arriva. Tandis qu'il se tenait devant la grille, Jean le vit juste au
moment où l'on allait faire entrer Jésus dans le Palais. La gardienne
chargée d'ouvrir la grille connaissait Jean, et lorsqu'il lui demanda de
laisser entrer Pierre, elle y consentit avec plaisir.
En entrant dans la cour, Pierre se dirigea vers le feu de charbon de
bois et chercha à se réchauffer, car la nuit était très fraîche. Il se
sentait fort déplacé ici, parmi les ennemis de Jésus, et en vérité il
n'était pas à sa place. Le Maître ne lui avait pas ordonné de rester à
proximité comme il l'avait recommandé à Jean. Pierre faisait partie du
groupe des apôtres qui avaient été expressément avertis de ne pas risquer
leur vie pendant le jugement et la crucifixion de leur Maître.
Pierre s'était débarrassé de son épée avant d'arriver à la grille du
palais, de sorte qu'il entra sans armes dans la cour d'Annas. Sa pensée
n'était qu'un tourbillon confus; il avait peine à concevoir que Jésus
avait été arrêté. Il n'arrivait pas à saisir la réalité de la situation le
fait qu'il était là, dans la cour d'Annas, en train de se chauffer au près
des serviteurs du grand-prêtre. Il se demandait ce que faisaient les
autres apôtres. En essayant de comprendre comment Jean avait pu être admis
au palais, il arriva à la conclusion que les serviteurs le connaissaient,
puisque Jean avait demandé à la gardienne de la grille de le laisser
entrer.
Peu après que la gardienne eut laissé entrer Pierre, et tandis qu'il se
chauffait auprès du feu, elle alla vers lui et lui demanda malicieusement:
« N'es-tu pas aussi l'un des disciples de cet homme? » Pierre n'aurait pas
dû s'étonner d'être ainsi reconnu, car c'était Jean qui avait demandé à la
femme de lui laisser franchir la grille du palais; mais il était dans un
tel état de tension nerveuse que son identification comme disciple rompit
son équilibre. Avec une seule idée dominant sa pensée -- celle d'échapper
vivant -- il répondit promptement à la question de la servante: « Je ne le
suis pas ».
Bientôt une autre servante s'approcha de Pierre et lui demanda: « Ne
t'ai-je pas vu dans le parc au moment où l'on arrêtait cet homme? N'es-tu
pas aussi l'un de ses fidèles? » Pierre fut alors extrêmement effrayé; il
ne voyait pas le moyen d'échapper sain et sauf à ses accusateurs. Il nia
avec véhémence toute connexion avec Jésus en disant: « Je ne connais pas
cet homme et je ne suis pas non plus l'un de ses disciples ».
Peu après, la gardienne de la grille tira Pierre de côté et dit: « Je
suis sûre que tu es un disciple de ce Jésus, non seulement parce que l'un
de ses partisans m'a demandé de te laisser entrer dans la cour, mais parce
que ma soeur t'a vu dans le temple avec cet homme. Pourquoi nies-tu cela?
» Lorsque Pierre entendit la servante l'accuser, il renia toute
accointance avec Jésus avec beaucoup de malédictions et de jurons, en
répétant: « Je ne suis pas un disciple de cet homme; je ne le connais même
pas; je n'ai jamais entendu parler de lui auparavant ».
Pierre quitta le coin du feu pendant un moment pour marcher dans la
cour. Il aurait aimé s'enfuir, mais craignait d'attirer l'attention sur
lui. Ayant froid, il retourna auprès du feu, et l'un des hommes qui se
trouvaient là lui dit: « Certainement tu es l'un des disciples du détenu.
Ce Jésus est un Galiléen, et ton langage te trahit, car tu parles aussi
comme un Galiléen ». Et à nouveau Pierre dénia tout rapport avec son
Maître.
Pierre était tellement troublé qu'il chercha à éviter le contact avec
ses accusateurs en s'éloignant du feu et en s'installant seul sous le
porche. Après plus d'une heure de cet isolement, la gardienne de la grille
et sa soeur le rencontrèrent par hasard et toutes deux le taquinèrent
encore en l'accusant d'être un disciple de Jésus. A nouveau, il nia
l'accusation. Alors qu'il venait de renier une fois de plus tout rapport
avec Jésus, le coq chanta, et Pierre se rappela les paroles
d'avertissement que le Maître lui avait adressées plus tôt dans la nuit.
Tandis qu'il se tenait là, le coeur lourd et accablé du sentiment de sa
culpabilité, les portes du palais s'ouvrirent pour laisser sortir les
gardes conduisant Jésus chez Caïphe. En passant près de Pierre, le Maître
vit, à la lumière des torches, l'aspect désespéré du visage de son ancien
apôtre présomptueux au courage superficiel. Il tourna la tête et regarda
Pierre. Tant que Pierre vécut, il n'oublia jamais ce regard. C'était un
coup d'oeil mêlé de pitié et d'amour comme aucun mortel n'en avait jamais
vu sur le visage du Maître.
Après que Jésus et les gardes eurent franchi la grille du palais,
Pierre les suivit, mais seulement sur une courte distance. Il ne put aller
plus loin. Il s'assit sur le côté de la route et pleura amèrement; après
avoir versé ces larmes d'angoisse, il reprit le chemin du camp, espérant y
trouver son frère André. En arrivant au camp, il ne trouva que David
Zébédée qui le fit accompagner par un messager jusqu'à l'endroit où son
frère s'était caché à Jérusalem.
Toute l'expérience de Pierre eut lieu dans la cour du Palais d'Annas
sur le Mont Olivet. Il ne suivit pas Jésus au palais du grand-prêtre
Caïphe. Le fait que Pierre ait été amené par le chant d'un coq à se rendre
compte qu'il avait plusieurs fois renié son Maître indique que tout ceci
se passait hors de Jérusalem, car la loi interdisait de garder des
volailles à l'intérieur de la ville proprement dite.
Jusqu'à ce que le chant du coq eût ramené Pierre au bon sens, il ne
pensait qu'à une chose en faisant les cent pas sous le porche pour se
réchauffer, c'était à l'habileté avec laquelle il avait éludé les
accusations des servantes et à la manière dont il avait contrecarré leur
dessein de l'identifier comme partisan de Jésus. Pour l'instant, il avait
seulement considéré que ces servantes n'avaient ni moralement ni
légalement le droit de le questionner ainsi, et il se félicitait
réellement de la manière dont il croyait avoir évité d'être identifié et
peut-être arrêté et emprisonné. Jusqu'au moment où le coq chanta, Pierre
ne se rendit pas compte qu'il avait renié son Maître. Quand Jésus l'eût
regardé, il comprit enfin qu'il n'était pas demeuré à la hauteur de ses
privilèges en tant qu'ambassadeur du royaume.
Après avoir fait le premier pas dans le sentier du compromis et de la
moindre résistance, Pierre ne voyait pas d'autre solution que de
poursuivre la ligne de conduite qu'il avait adoptée. Il faut un grand et
noble caractère pour revenir sur ses pas et prendre le bon chemin après
s'être engagé dans le mauvais. Bien trop souvent, votre propre pensée tend
à justifier la poursuite du sentier de l'erreur une fois que vous y êtes
entré.
Jusqu'au moment où il rencontra Jésus après la résurrection et vit
qu'il était accueilli exactement comme avant l'expérience de la tragique
nuit des reniements, Pierre crut que jamais il ne pourrait être pardonné.
3. -- DEVANT LE SANHÉDRIN
Il était environ trois heures et demie ce vendredi matin lorsque le
grand-prêtre Caïphe réunit officiellement le tribunal d'enquête
sanhédriste et demanda que Jésus fût amené devant eux pour être jugé
légalement. En trois occasions antérieures, et à une large majorité de
votants, le sanhédrin avait décrété sa mort; il avait décidé que Jésus
méritait la mort d'après des témoignages officieux l'accusant d'avoir
violé la loi, blasphémé, et nargué les traditions des anciens d'Israël.
La réunion du sanhédrin n'avait pas été convoquée régulièrement et
n'eut pas lieu à l'endroit habituel, la salle en pierre de taille du
temple. Il s'agissait d'un tribunal composé d'une trentaine de
sanhédristes, qui furent convoqués au palais du grand-prêtre. Jean Zébédée
resta présent auprès de Jésus durant tout ce soi-disant jugement.
Combien ces principaux prêtres, scribes, et sadducéens, ainsi que
certains pharisiens, se flattaient de détenir maintenant avec sécurité ce
Jésus qui troublait leur situation et défiait leur autorité! Ils étaient
décidés à ne pas le laisser échapper vivant à leur vindicte.
Ordinairement, quand les Juifs jugeaient quelqu'un pour une offense
capitale, ils procédaient avec une grande prudence et fournissaient toutes
les garanties de sécurité dans le choix des témoins et la conduite du
jugement. Mais en cette occasion, Caïphe était plus un procureur qu'un
juge impartial.
Jésus apparut devant ce tribunal vêtu de ses vêtements habituels et les
mains liées derrière le dos. Tout le jury fut impressionné et quelque peu
troublé par son apparence majestueuse. Jamais ils n'avaient vu un tel
prisonnier ni été témoins d'une pareille quiétude chez un prévenu dont la
vie était en jeu.
La loi juive exigeait que deux témoins au moins fussent d'accord sur un
point quelconque avant qu'une accusation puisse être portée contre un
prisonnier. Judas ne pouvait servir de témoin contre le prisonnier, parce
que la loi juive interdisait expressément le témoignage d'un traître. Plus
d'une vingtaine de faux témoins étaient là, tout prêts à témoigner contre
Jésus, mais leurs témoignages étaient si contradictoires et si évidemment
inventés que les sanhédristes eux-mêmes avaient honte du spectacle. Jésus
se tenait là, regardant ces parjures avec mansuétude; la seule expression
de son visage déconcertait les témoins menteurs. Durant tous ces faux
témoignages, le Maître ne prononça jamais une parole; il ne répliqua rien
aux nombreuses accusations mensongères.
La première fois que deux témoins approchèrent d'un semblant d'accord
fut le moment où deux hommes témoignèrent qu'ils avaient entendu Jésus
dire, dans un de ses discours au temple, qu'il « détruirait ce temple fait
de main d'homme et qu'en trois jours il en rebâtirait un autre non fait de
main d'homme (1)». Ce n'était pas exactement ce que Jésus avait dit,
indépendamment du fait qu'il avait désigné son corps en faisant la
remarque citée.
(1) Cf. les trois versions différentes de
Matthieu XXVI-61, Marc XIV-58, et Jean II-19 à 21.
Bien que le grand-prêtre eût crié à Jésus: « Ne réponds-tu rien à
aucune de ces accusations? », Jésus n'avait pas ouvert la bouche. Il se
tint là en silence pendant que tous les faux témoins apportaient leur
témoignage. La haine, le fanatisme, et les exagérations sans scrupule
caractérisaient tellement les paroles des parjures que leurs témoignages
se contredisaient. La meilleure réfutation de leurs fausses accusations
était le calme et majestueux silence du Maître.
Peu après le commencement du témoignage des faux témoins, Annas arriva
et prit un siège à côté de Caïphe. Annas se leva pour soutenir que la
menace de Jésus de détruire le temple était suffisante pour justifier
trois chefs d'accusation contre lui:
1º Qu'il fourvoyait dangereusement les gens du peuple.
Qu'il leur enseignait des choses impossibles et qu'il les trompait encore
autrement.
2º Qu'il était un révolutionnaire fanatique en ce sens
qu'il recommandait la violence contre le temple sacré, car comment
pourrait-il le détruire autrement?
3º Qu'il enseignait la magie, en ce sens qu'il promettait
de construire un nouveau temple sans l'aide des mains.
Déjà tous les sanhédristes étaient d'accord pour reconnaître Jésus
comme coupable d'infractions que la loi juive punissait de mort, mais ils
se préoccupaient maintenant davantage d'établir, au sujet de sa conduite
et de ses enseignements, des accusations qui permettraient à Pilate de
prononcer à juste titre la sentence de mort contre leur prisonnier. Ils
savaient qu'ils devaient obtenir le consentement du gouverneur romain
avant de pouvoir mettre légalement Jésus à mort. Annas penchait pour la
méthode consistant à faire apparaître que Jésus était un éducateur trop
dangereux pour être laissé en liberté parmi la population.
Mais Caïphe ne put supporter plus longtemps la vue du Maître se tenant
là avec un sang-froid parfait et dans un constant silence. Il pensa qu'il
connaissait au moins une manière d'inciter le prisonnier à parler. En
conséquence, il se précipita vers Jésus, agita devant le visage du Maître
un doigt accusateur, et lui dit: « Au nom du Dieu vivant, je t'adjure de
nous dire si tu es le Libérateur, le Fils de Dieu ». Jésus répondit à
Caïphe: « Je le suis et j'irai bientôt vers le Père; bientôt le Fils de
l'Homme sera revêtu de pouvoir et régnera à nouveau sur les armées
célestes ».
Après avoir entendu Jésus prononcer ces mots, le grand-prêtre entra
dans une colère extrême, déchira ses vêtements, et s'écria: «
Qu'avons-nous besoin de nouveaux témoins? Voici, vous avez maintenant tous
entendu le blasphème de cet homme. Que pensez-vous qu'il faille faire de
ce violateur de la loi et de ce blasphémateur? » Les sanhédristes
répondirent à l'unisson: «Il mérite la mort. Qu'il soit crucifié ».
Jésus n'avait manifesté aucun intérêt aux questions qui lui furent
posées devant Annas et les sanhédristes, sauf à celle qui concernait sa
mission d'effusion. Quand on lui demanda s'il était le Fils de Dieu, il
répondit instantanément et sans équivoque par l'affirmative.
Annas aurait voulu que l'interrogatoire soit poursuivi et que des
accusations précises concernant les rapports de Jésus avec la loi romaine
et les institutions romaines soient formulées pour être présentées ensuite
à Pilate. Les conseillers étaient désireux de terminer rapidement cette
affaire, non seulement parce que c'était le jour de la préparation de la
Pâque et que nul travail courant ne devait être exécuté passé midi, mais
aussi parce qu'ils craignaient qu'à tout moment Pilate ne retourne à
Césarée, capitale romaine de la Judée, car il était venu à Jérusalem
seulement pour la célébration de la Pâque.
Mais Annas ne réussit pas à garder le contrôle de la cour. Après la
réponse inopinée de Jésus, Caïphe s'avança et le souffleta. Annas fut
vraiment choqué de voir les autres membres de la Cour cracher au visage de
Jésus en sortant de la salle; beaucoup d'entre eux le frappèrent de la
paume de la main en se moquant de lui. C'est ainsi que la première session
du jugement de Jésus par les sanhédristes prit fin à quatre heures et
demie du matin dans le désordre et dans une confusion indescriptible.
Trente faux juges remplis de préjugés, aveuglés par la tradition, et
accompagnés de leurs faux témoins prétendaient juger le loyal Créateur
d'un univers. Ces accusateurs passionnés étaient exaspérés par le silence
majestueux et le port superbe de ce Dieu-homme. Son silence était terrible
à supporter; sa parole était un défi intrépide. Il restait impassible
devant leurs menaces et n'était nullement intimidé par leurs attaques. Les
hommes jugeaient Dieu, mais même alors Dieu les aimait et les aurait
sauvés s'il l'avait pu.
4. -- L'HEURE DE L'HUMILIATION
Quand il s'agissait de prononcer une condamnation à mort, la loi juive
exigeait que la cour siégeât deux fois. La seconde session devait être
tenue le lendemain de la première, et les membres du tribunal devaient
passer l'intervalle dans le jeûne et le deuil. Mais les sanhédristes ne
purent attendre le lendemain pour confirmer leur décision condamnant Jésus
à mort. Ils n'attendirent qu'une heure. Entre temps, ils laissèrent Jésus
dans la salle d'audience sous la surveillance des gardes du temple.
Ceux-ci, avec les serviteurs du grand-prêtre, s'amusèrent à accumuler
toutes sortes d'indignités sur le Fils de l'Homme. Ils se moquèrent de
lui, crachèrent sur lui, et le souffletèrent cruellement. Certains
frappaient son visage d'une verge et disaient ensuite: « Prophétise, toi
le Libérateur, et dis nous qui t'a frappé ». Ils continuèrent ainsi
pendant une heure entière, insultant et maltraitant l'homme de Galilée qui
ne résistait pas.
Durant cette heure tragique de souffrances et de moqueries devant les
gardes et serviteurs ignorants et insensibles, Jean Zébédée terrifié
attendait seul dans la salle adjacente. Lorsque ces sévices commencèrent,
Jésus fit un signe de tête à Jean pour lui notifier qu'il devait se
retirer. Le Maître savait bien que s'il permettait à son apôtre de rester
dans la pièce pour assister à ces indignités, Jean en éprouverait un tel
ressentiment qu'il se livrerait à un éclat; dans son indignation, il
protesterait d'une manière qui lui ferait probablement perdre la vie.
Durant cette heure affreuse, Jésus ne prononça pas un mot. Pour cette
âme humaine douce et sensible, personnellement unie au Dieu du grand
univers, cette heure terrible fut la portion la plus amère de sa coupe
d'humiliation; il y resta à la merci des gardes et serviteurs ignorants et
cruels qui avaient été incités à abuser de lui par l'exemple des membres
du prétendu tribunal du sanhédrin.
Il est impossible à un coeur humain de concevoir le frisson
d'indignation qui secoua un vaste univers, tandis que les intelligences
célestes assistaient au spectacle de leur bien-aimé souverain se
soumettant à la volonté de ses propres créatures ignorantes et dépourvues
de jugement sur l'infortunée sphère d'Urantia assombrie par le péché.
Quelle est donc la caractéristique animale dans l'homme qui le conduit
à vouloir insulter et attaquer physiquement ce qu'il ne peut ni atteindre
spirituellement ni accomplir intellectuellement? Il se cache encore chez
l'homme à demi-civilisé une brutalité sadique qui cherche à s'exercer sur
ceux qui lui sont supérieurs en sagesse et en accomplissement spirituel.
Considérez la grossièreté perverse et la brutale férocité de ces hommes
soi-disant civilisés tirant une certaine forme de plaisir animal à
attaquer physiquement le Fils de l'Homme qui ne résistait pas. Tandis que
les insultes, les sarcasmes, et les coups pleuvaient sur Jésus, il ne se
défendait pas, mais il n'était pas sans défense. Jésus n'était pas vaincu;
il se bornait à ne pas lutter au sens matériel.
Ce furent les moments des plus grandes victoires du Maître dans sa
longue carrière mouvementée de créateur, soutien, et sauveur d'un vaste
univers. Après avoir vécu dans sa plénitude une vie révélant Dieu aux
hommes, Jésus était en train de révéler l'homme à Dieu d'une manière
nouvelle et inouïe. Il révélait maintenant aux mondes la victoire finale
sur toutes les craintes d'isolement personnel des créatures. Le Fils de
l'Homme s'était définitivement rendu compte de son identité en tant que
Fils de Dieu. Jésus n'hésita pas à affirmer que lui et le Père ne font
qu'un. Se basant sur le fait et la vérité de cette expérience suprême et
céleste, il recommanda à tout croyant au royaume de ne faire qu'un avec
lui, de même que lui et son Père ne font qu'un. L'expérience vivante dans
la religion de Jésus devient ainsi la technique sûre et certaine par
laquelle les mortels terrestres, spirituellement isolés et cosmiquement
solitaires, peuvent échapper à l'isolement de la personnalité avec toute
sa séquelle de peurs et de sentiments d'impuissance associés. Dans les
réalités fraternelles du royaume des cieux, les fils de Dieu par la foi
sont définitivement délivrés de l'isolement de l'ego, tant personnel que
planétaire. Le croyant qui connaît Dieu éprouve de plus en plus l'extase
et la grandeur de la communion spirituelle à l'échelle de l'univers --
l'extase de la citoyenneté d'en haut associée à la compréhension éternelle
de la destinée divine consistant à atteindre la perfection.
5. -- LA SECONDE SESSION DU TRIBUNAL
A cinq heures et demie du matin, le tribunal se réunit de nouveau, et
Jésus fut conduit dans la salle adjacente où Jean attendait. Là, le soldat
romain et les gardes du temple surveillèrent Jésus pendant que le tribunal
commençait à formuler les accusations qui devaient être présentées à
Pilate. Annas expliqua à ses collègues que l'accusation de blasphème
n'aurait aucun poids auprès de Pilate. Judas assista cette seconde
réunion, mais ne donna pas son témoignage.
Cette session de la cour ne dura qu'une demi-heure; lorsque les
sanhédristes l'ajournèrent pour se présenter devant Pilate, ils avaient
rédigé l'accusation de Jésus en estimant qu'il méritait la mort pour trois
raisons:
1. Il pervertissait la nation juive; il trompait le peuple
et l'incitait à la rébellion.
2. Il enseignait au peuple à refuser le payement du tribut
à César.
3. En prétendant qu'il était un roi et le fondateur d'une
nouvelle sorte de royaume, il incitait à la trahison contre l'empereur.
Toute cette procédure était irrégulière et entièrement contraire aux
lois juives. Il n'y avait pas eu deux témoins d'accord sur une question
quelconque, sauf les deux qui avaient témoigné au sujet de l'affirmation
de Jésus qu'il détruirait le temple et le rebâtirait en trois jours. Même
sur ce point, aucun témoin n'avait été appelé en faveur de la défense, et
l'on n'avait pas non plus demandé à Jésus d'expliquer ce qu'il avait voulu
dire.
Le seul point sur lequel la cour aurait pu le juger logiquement était
celui du blasphème, et le jugement aurait reposé sur le seul témoignage de
l'accusé. Même au sujet du blasphème, les sanhédristes avaient omis de
procéder au vote officiel sur la peine de mort.
Maintenant, pour se présenter devant Pilate, ils prétendaient formuler
trois accusations au sujet desquelles aucun témoin n'avait été entendu et
sur lesquelles ils s'étaient mis d'accord en l'absence du détenu. Quand ce
fut fait, trois des pharisiens se retirèrent; ils voulaient bien voir tuer
Jésus, mais ne voulaient pas formuler d'accusations contre lui sans
témoins, ni en son absence.
Jésus ne comparut plus devant le tribunal des sanhédristes. Ceux-ci ne
voulaient pas revoir son visage pendant qu'ils siégeaient pour condamner
sa vie innocente. Jésus ne connut pas (en tant qu'homme) leurs accusations
officielles avant le moment où il les entendit répéter par Pilate.
Pendant que Jésus était dans la salle avec Jean et les gardes et que le
tribunal tenait sa seconde session, quelques voisines du palais du
grand-prêtre vinrent avec leurs amies regarder l'étrange prisonnier, et
l'une d'elles lui demanda: « Es-tu le Messie, le Fils de Dieu? » Et Jésus
répondit: « Si je te le dis, tu ne me croiras pas, et si je te le demande,
tu ne répondras pas ».
A six heures ce matin-là, on emmena Jésus de la maison de Caïphe pour
le faire comparaître devant Pilate et voir confirmer la condamnation à
mort que le tribunal sanhédriste avait si injustement et si
irrégulièrement prononcée.
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